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Billet de blog 14 mai 2023

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LTY4 : En 2000, pour Yaya « ambiance de classe » est une expression de réacs

Les tribulations de Yaya – Episode 4 - Nous sommes en 2001, dans le questionnaire de rentrée réalisé par des délégués de trois associations de parents d’élèves, une question porte sur « l’ambiance de la classe ». Personne n’y avait vu du mal. Mais pour Yaya, il s’agissait de volonté de stigmatisation de certains jeunes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je rappelle que Yaya n’est pas une personne en particulier, mais un personnage générique. Le Yaya dont je vais parler dans cet épisode est caractéristique des gardiens de la bonne parole tels qu’on en rencontrait dans les associations de parents d’élèves dans les années 2000.

Aujourd’hui, il est reconnu qu’avoir une ambiance de classe est ce qui fait qu'une dynamique positif pour apprendre est possible, et que chaque enfant se sente en confiance pour s'exprimer et participer. Lorsque l'ambiance de classe est bonne, l’effort scolaire est bien vu et  il est normal de respecter chacun. 

Un des aspects d'une bonne ambiance de classe est l'absence d'harcèlement scolaire. Il est notamment établi que lorsqu’un enfant est victime d’harcèlement scolaire, en général ses notes chutent. Depuis 2011, Eric Debarbieux a approfondi cette question : en quoi le harcèlement consiste, ses conséquences et comment le contrer. Le sujet est traité par les médias, et les parents des victimes. La France a réussi à s’emparer du sujet avec une dizaine d’années de retard sur les pays anglo-saxons.

Ce n’était pas le cas dans les années 2000 chez les gardiens de la bonne parole.

Nous sommes dans un collège avec une mixité sociale. Les trois associations de parents d’élèves avaient coutume de faire un questionnaire à destination des parents pour préparer le conseil de classe du premier trimestre. C’était une année où tous les responsables d’association de parents d’élèves avaient changé. Aussi, ceux-ci ou celles-ci ne connaissaient pas les dogmes à ne pas transgresser sous peine de recevoir les foudres de la police de la bonne pensée.

Il y a eu un consensus pour mettre une question du type « Que pensez-vous du climat de la classe ? » à côté des questions sur la qualité de la cantine et la quantité de devoirs.

Que nous n’eûmes pas faits ! Yaya, un adhérent d’une association des parents d’élèves a été révolté. Comment la personne qui a validé le questionnaire a pu laisser cette question destinée – c’est lui qui l’affirme - à chercher des coupables parmi les élèves racisés ? Comment a-t-il pu se plier à l’extrême droite rampante qui recherche à stigmatiser certains élèves ?

L’accusation était ridicule. D’ailleurs, la plupart des adhérents de la dite-association ne voyait pas le problème et pensaient la question pertinente. Le bien-être des enfants à l’école est un sujet qui leur parle. Mais, trois personnes maîtrisant la technique de paroles agressives sans élever la voix, ont renchéri. Le président de ladite association a démissionné. Il a été remplacé, devinez par qui ? Par Yaya. Oh, surprise !

La situation a été très difficile à vivre pour celui qui a sincèrement fait ce qu’il pensait le mieux, et qui s’est pris dans la figure des accusations violentes, répétées de manière à donner à penser aux observateurs qu’il y avait une justification. Le bénévolat est parfois compliqué quand il se mêle à des enjeux de pouvoir.

Voici une autre anecdote dans le même lieu, avec les mêmes protagonistes, quelques mois plus tard.

Des parents nous signalent que plusieurs jeunes d’une classe de sixième avaient l’habitude de donner des coups à certains de leurs petits camarades.  Les délégués de parents d’élèves de la classe en parlent constructivement au professeur principal et à la principale du collège qui font la morale aux agresseurs. Evidemment, ceux-ci recommencent hors de la vue des enseignants. (A cette époque, les équipes enseignantes étaient très démunies.)

Les leaders de l’association de parents d’élèves de Yaya accusent les parents qui ont soulevé le problème d’exagérer, et sous-entendent que c’est par racisme. (Ce qui était injustifiable car les agresseurs présumés reflétaient la diversité des origines éthiques des élèves de l’établissement). Cet acte a eu pour conséquences de tétaniser tout le monde.

Nous avons été obligées de chercher d’autres témoignages. Finalement, une enseignante connue pour son pragmatisme et son engagement pour l’intérêt général, fait parler les élèves. Aussi, 4 mois après le début du harcèlement, le problème est traité efficacement. Le déni de réalité des amis de Yaya a eu pour conséquences d’abandonner des élèves en situation de souffrance pendant plusieurs mois.

Pourquoi Yaya et ces amis agissaient ainsi ?

Il faut replacer ces actions dans leur contexte. A cette époque, il était impossible d’effectuer des actions de recherche prenant en compte des critères d'origines migratoires ou d'ethnicité. Pourtant, la difficulté de trouver un emploi ou un logement était connue. Cependant toute analyse portant sur les conséquences de l’origine géographique ou de la couleur de la peau, entrainait une accusation de vouloir stigmatiser certaines populations. Plus personne ne s’y risquait. Ce jeu de pouvoir, spécifique à la France, a considérablement retardé la lutte contre le racisme. Ce qui n’est pas mesuré objectivement peut être facilement nié. La situation a évolué dans les années 1990 quand SOS racisme a commencé a organisé des testings. Grace à l’action de cette association, dès 2001, la méthode du testing put être utilisé comme preuves devant les tribunaux.

Cependant, ce n’est que très récemment que le tabou a été levé sur les actions de recherche (moins d'un an). Les personnes qui font des exposés portant sur les inégalités et les conséquences, traitent maintenant ce point. France Stratégie a publié récemment une étude intéressante sur les causes d’inégalités de destin. L’un des critères étaient l’origine migratoire. https://www.strategie.gouv.fr/publications/inegalite-chances-compte-plus

Yaya et ses amis ont utilisé un « sophisme » communément admis pour faire taire des personnes en rivalité. Ce dénigrement était perçu comme une arme légitime dans les rivalités électorales entre associations de parents d’élèves. Il s’agit d’une pratique suffisamment répandue pour expliquer nos 10 ans de retard pour traiter la question du harcèlement scolaire.

Ce jeu de pouvoir peut expliquer la difficulté de la France à agir pour l’équité scolaire. En effet, en France le critère qui a le plus haut niveau de corrélation avec la réussite à l’université est le niveau d’acquis en fin d’école primaire. Or, ce dernier est corrélé avec les origines sociales. Certains mécanismes cognitifs liés à la psychologie et à la sociologie à l’origine du comportement différentié des jeunes sont bien étayés par des actions de recherche. En stérilisant la réflexion sur l’influence du contexte dans lequel est l’enfant, on empêche les actions efficaces pour lutter contre les inégalités scolaires.

Les gardiens de la bonne parole agissent pour mettre en valeur le groupe auquel ils appartiennent. Ils ne voient pas les conséquences pour les jeunes de leurs comportements, parce que le sujet est complexe et parce qu’ils ont été accoutumés à ne pas les voir. (Il s’agit d’un conditionnement proche du fonctionnement des sectes). Cependant, on peut légitimement se poser la question de la motivation des co-constructeurs de la bonne parole dite de gauche.

Pour Yaya, tout va bien. La "bonne parole" a évolué et Yaya s’est adapté. Maintenant, il n’y a plus de problèmes à parler de climat scolaire, du harcèlement scolaire, et de faire des actions de recherche qui prend en compte des aspects d’ethnicité.

Les errements du passés et 30 ans de perdus pour l’équité scolaire sont oubliés.

Ce lien explique la démarche de la série d'articles de blog "Les tribulations de Yaya". 

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