Yaya, notre gardien de la bonne parole, explique à qui veut l’entendre que pour lutter efficacement contre toutes les inégalités de destin, il faudrait supprimer toute compétition scolaire et baser la pédagogie sur le collectif. Son argument repose sur le fait que les plus faibles scolairement se découragent quand ils sont dans une compétition où ils sont toujours perdants.
Pour d’autres, l’argument du découragement justifie une attention aux plus faibles scolairement. Il convient de ne pas les mettre en situation d’échecs répétés afin qu’ils ou elles ne se découragent pas. Cependant, l’apprentissage de la compétition choisie est bénéfique en particulier pour les élèves issus de milieu défavorisé, et ce pour deux raisons.
- Tout d’abord, l’émulation et le jeu est un moteur efficace au service des apprentissages. Les humains aiment se donner des défis. La « concurrence » bonne enfant, où chacun peut gagner s’il ou elle rentre dans le jeu est une stratégie d’apprentissage efficace. Les éducateurs expliquent comme ils ou elles utilisent le jeu pour ancrer des connaissances dans la mémoire avec les jeunes enfants. Or les enfants de milieu défavorisé sont plus souvent que les autres dans une posture où ils ou elles ne font d’efforts intellectuels pour apprendre (Il peut s’agir du mécanisme psychique appelé conflit de loyauté, entre autres).
- Ensuite, il faut le reconnaître le monde des adultes est parfois compétitif. La vie réelle a des activités sociales (sans enjeu si ce n’est le bien-être de la sociabilité), des activités en équipe, et des activités compétitives comme quand on cherche un emploi. En vantant, l’école de la coopération, on peut glisser vers une doctrine où on oublie d’enseigner aux jeunes, les clés de la réussite de la vie d’adulte qui consistent à avoir des règles morales, de gérer des relations sociales, mais aussi de savoir se dépasser et être stratégique tout en restant respectueux quand on veut arriver à un but. Il faut notamment apprendre à considérer l'échec comme un moyen normal d'apprendre. Les enfants de milieu populaire l’apprennent moins dans leur famille car les personnes qu’ils ou elles côtoient ont moins d’occasion d’utiliser ce type de stratégie. (Elles excellent dans d’autres types de stratégie, comme nourrir leur famille avec un budget extrêmement serré. Ce qui tient de l’exploit.).
Si on suit ces nouveaux arguments, la suppression totale de la compétition est nuisible aux enfants les plus défavorisés et renforce les inégalités sociales dans l’éducation. Aussi, contrairement aux affirmations des tenants de la bonne parole que Yaya soutient religieusement, ce n’est pas souhaitable. Sur le sujet, il n’y a pas de solutions simplistes du type « blanc » ou « noir ». Il faut la vigilance des enseignants et enseignantes, sur la bonne utilisation des outils de compétition. Les outils basés sur jeu, qui peut être caricaturé en une « compétition », peuvent créer une impuissance apprise comme le montre cette expérience. https://www.youtube.com/watch?v=j9I95BJsINc
Les tenants de la bonne parole s’appuient sur la théorie du miracle de la suppression de la compétition pour promouvoir des actions pédagogiques comme la suppression des notes, et le travail coopératif entre élèves.
La suppression des notes
La première action dans le viseur des gardiens de la bonne parole sur l’éducation dont Yaya fait partie est la suppression des notes pendant toute l’école du socle pour passer uniquement à une évaluation des compétences. Pour cela, une liste de compétence à acquérir est établie. Pour chaque compétence, il convient d’écrire : non encore enseigné, pas acquis, en voie d’acquisition, acquis. Pour les tenants de ce principe, avoir 80% de non-acquis traumatiserait moins le bambin qu’un 5/20. On peut en douter.
La notation dans l’école du socle en France (élémentaire + collège) fait l’objet de plusieurs reproches.
- La notation outre d’évaluer le niveau d’acquisition d’une compétence, classe les élèves qui ont acquis cette compétence. Une partie de l’énergie de l’enseignant ou l’enseignante est utilisée pour la compétition entre les meilleurs et non pour aider à progresser celles et ceux qui n’ont pas acquis les compétences attendues. Or, le but de l’école du socle est de faire progresser tous les élèves de manière à leur donner le maximum d’autonomie pour interagir avec la société et pour choisir sa voie parmi les parcours qu’ils ou elles peuvent réussir. Il n’est pas utile au niveau du collège de classer les élèves qui ont largement les acquis pour réussir au lycée général.
- La notation peut provoquer un découragement et une perte de l’estime de soi chez les enfants qui cumulent les notes faibles, surtout quand ils fournissent des efforts et qu’ils échouent.
- La notation sert à faire des moyennes générales qui n’ont pas de sens et ont tendance à catégoriser les enfants. Elle est d’un niveau de précision qui n’a pas de sens. En effet, un enseignant note différemment en fonction de ce qu’il projette sur l’enfant et en fonction du moment où il corrige. Il y a de nombreuses études qui corrobore ceci. Contrairement à la caricature qui en est fait, les enseignants le savent parfaitement et prennent le compte. Les conseils de classe et commission d’appel ne s’arrêtent pas aux moyennes, ils vont dans le détail des notes, se renseignent sur l’élève. La note est un indicateur imparfait. Jusqu’à maintenant la note a été jugé comme le moins mauvais des indicateurs sur le travail et les acquis de l’élèves. Réfléchir à remplacer cet indicateur est une démarche légitime. Cependant, il faut une démarche rationnelle dont le premier pas est d’identifier les fonctions officielles et latentes de la note. Les communicants afficionado de la suppression de la note sont très loin de cette démarche.
Il est possible d’évaluer en école élémentaire par un système autre que la note. Pour récompenser les efforts, autrefois il y avait les bons points. Pédagogique, ce système avait du sens.
Autant que j’ai pu vérifier, aucun pays n’a supprimé la notation au niveau collège. La Finlande avait essayé de le faire dans l’équivalent de notre collège qui finit à 16 ans. Mais la notation a vite été rétablie. En Finlande les élèves sont notés à partir de 13 ans. Les notes vont de 4 à 10. La note 4 correspond à « Insuffisant ». Les notes sont utiles pour l’orientation qui a lieu en fonction des pays durant ou juste après le collège. Elles sont aussi nécessaires pour inciter les adolescents à apprendre. En effet, ils ou elles sont à l’étape de maturité caractérisée par une prise de distance par rapport aux règles imposées par les adultes.
Aux lycées et en universités, la notation sur 20 telle qu’elle est pratiquée en France correspond aux besoins de suivi. Il n’y aucune raison de changer la manière d’évaluer.
De ces faits, il est possible de comprendre que la « suppression des notes » fait partie des débats artificiels de l’éducation, comme les méthodes de lecture et le rôle des mathématiques. Des groupes exagèrent les conséquences du manque de précision intrinsèque des notes. Ils oublient qu’il existe d’autres approches que la suppression des notes pour éviter les découragements des élèves les plus faibles scolairement, ils oublient de prendre en compte les conséquences néfastes sur la dynamique de classe.
Il est souhaitable de faire évoluer le système de notation en école primaire et au collège, mais d’une manière réfléchie avec pour but d’encourager l’effort scolaire, et de donner un repère à chaque élève à chaque famille sur ses acquis.
Dans les années 1970, des écoles sans contrainte ont été expérimentées en Grande-Bretagne. Ces écoliers ont eu une enfance très heureuse, mais la plupart d’entre eux ont eu une vie d’adulte dans la précarité car des connaissances trop faibles et pas de diplômes. The anarchic experimental schools of the 1970s (1994) https://www.bbc.com/news/magazine-29518319
Le travail coopératif entre élèves
Les tenants de la bonne parole soutiennent qu’il faut baser les apprentissages sur le collectif et l’entraide.
Malheureusement pour eux, ce mode de travail est le plus souvent aux dépens des élèves les plus faibles. En effet, quand une équipe doit travailler ensemble, les plus faibles scolaires généralement regardent les autres faire car ces derniers sont plus efficaces.
La classe inversée favorise les élèves dont les parents surveillent le travail, et les bons élèves. Les élèves qui ont regardé le cours à la maison le reformulent pour leurs camarades. Cette reformulation lui permet de mieux mémoriser.
Les exercices en groupe où les élèves les plus performants expliquent aux autres ont aussi des biais. Un enfant peut dire si un exercice est juste ou faux, mais il n’a pas les compétences pour voir si son camarade, à qui il explique la leçon, donne du sens à ce qu’il fait.
Le travail coopératif entre élèves a des vertus. Le travail en équipe fait partie des compétences utiles aux jeunes à la sortie de l’école du socle. Cependant il doit être strictement encadré, pour donner une place équilibrée à chacun, pour vérifier que les élèves qui rencontrent des difficultés d’apprentissage soient accompagnés par une personne formée à la pédagogie.
Savoir travailler en coopération est fondamental pour mener un projet ou faire de la recherche. Il convient aussi d'apprendre l'attention à l'autre, le respect de l'autre et la manière de traiter les incompréhensions. Ces pratiques sont reliées au collectif.
Le travail coopératif entre élèves n’est pas une pédagogie miraculeuse que Yaya et ses amis gardiens de la bonne parole lui prêtent. Cependant, dans certains cas et avec un accompagnement d’un enseignant, il peut avoir des vertus pédagogiques.
En conclusion
La suppression totale de la compétition scolaire n’est pas une solution. Le jeu un peu compétitif est un moyen efficace pour apprendre. En outre, le travail coopératif entre élèves n’est pas une méthode miracle. Le plus souvent, il renforce les plus performants et n’accompagne pas de manière efficace les enfants à besoins particuliers.
Toutefois, il est nécessaire il est nécessaire de ne pas mettre les élèves les plus fragiles en échecs répétés. Il faut évidemment limiter la compétition, et l’utiliser que là où elle a une valeur ajoutée. Il faut aussi apprendre aux élèves l'attention aux autres, respecter ceux qui ont un mode de pensée différent.
Par ailleurs, jusqu’à la fin de troisième, il est inutile de « classer » les élèves qui ont les largement les acquis attendus. S’il n’y a pas ce classement, si tous les élèves validant les acquis avaient la même note, mécaniquement l’enseignant reportera l’attention qu’il ou elle prenait pour ces élèves, à la progression des élèves n’ayant pas en encore acquis les compétences de base.
Le mot d’ordre « il faut arrêter la compétition dans l’école » est une polémique destinée à alimenter la confrontation artificielle entre républicains et pédagogistes, confrontation aussi bien mise en scène que celles des matchs de catch. La situation peut être améliorée mais pas en « jetant le bébé avec l’eau du bain ».
Il s’agit d’une des fausses solutions destinées à créer un écran de la fumée pour cacher les causes avérées des dysfonctionnements de l’école. Les élèves de milieu social défavorisé sont, en pourcentage, moins nombreux à avoir acquis les connaissances de base nécessaires pour s’intégrer dans la société ou poursuivre sereinement leur parcours scolaire. Ce phénomène existe dans tous les pays, mais est plus marqué en France à cause d’un choix des tenants de la bonne parole et de la technostructure de l’Education nationale d’entraver toutes celles et ceux qui cherchent à en approfondir les causes.
Yaya est en situation de dilemme. Son prestige vient de son obéissance aux tenants de la bonne parole. Il a diffusé les fausses solutions et entraver toutes les réflexions hétérodoxes sur les causes des inégalités scolaires. Comme c’étaient des sujets complexes et que le narratif faux était cohérent, il n’avait pas conscience qu’il contribuait à renforcer les injustices envers les élèves de milieu social défavorisé. Maintenant qu’il le sait, maintenant que les membres de la société civile responsable dont il a besoin de l’approbation le savent, que va-t-il faire ? La situation devient compliquée pour Yaya.
L’avenir nous dira comment Yaya et ses amis historiques réagiront. Nous sommes à un point de divergence entre la continuation ou non des jeux de pouvoir qui expliquent l’impossibilité d’améliorer le système éducatif français.
Ce lien explique la démarche de la série d'articles de blog "Les tribulations de Yaya".