Nombreux sont les gardiens de la bonne parole dite de gauche qui répètent cette phrase, qui est devenu une des phrases fétiches de Yaya « l’hétérogénéité non seulement ne nuit pas aux élèves les plus forts, mais qu’elle profite aussi bel et bien aux élèves les plus faibles ». Malheureusement cette phrase est inexacte. Le profit pour les élèves dépend de quelle hétérogénéité on parle ainsi que du contexte d’enseignement.
Tout d’abord, à niveau scolaire comparable, l’hétérogénéité sociale est bénéfique pour les classes qui reçoivent. C’est-à-dire que lorsque qu’on organise des transports en bus des meilleurs élèves de quartiers pauvres dans des quartiers de population aisée, alors il n’y pas de conséquences sur le niveau des acquis dans ces classes. Cela a été mesurée notamment aux Etats-Unis dans les années 1970. Ce brassage a un avantage. Les élèves de ces classes ayant des élèves de milieux sociaux différents ont une meilleure compréhension des dynamiques sociales de la société. Ils sont plus nombreux à savoir que ce qui est évident pour les eux ne l’est pas forcément pour tous les autres. L’hétérogénéité sociale permet aux élèves de développer des compétences psychosociales qui sont utiles à la stabilité du pays.
Pour l’hétérogénéité scolaire – c’est-à-dire les écarts des acquis dans une même classe -, cela dépend du palier de maturité (avant l’adolescence, pendant l’adolescence, après l’adolescence), du niveau d’hétérogénéité sur les fondamentaux, et des moyens mis pour les élèves à besoins particuliers.
Les théoriciens de la bonne parole dite de gauche nient l’existence de paliers de maturité.
- Pourtant, une majorité de la population française est ou a été en contact avec des adolescents et sait qu’il y a une rupture dans la manière qu’ont les jeunes à s’adapter aux demandes des adultes à environ 12-13 ans.
- Pourtant, dans tous les pays du monde, il y a une diversité de parcours au plus tard à la fin de l’adolescence quand le jeune devient un pré-adulte vers 15-16 ans. (L’Allemagne propose une diversité des parcours à 12 ans).
Pour l’école primaire, la présence d’élèves très faibles ne gêne pas l’apprentissage des meilleurs, lorsque l’enseignant ou l’enseignante est formé pour la gestion de classe hétérogène, qu’il n’y a pas de grands perturbateurs et que l’installation d’une dynamique de classe positive est possible. Ces conditions sont assez fréquemment réunies en France, mais pas toujours. En revanche, l’enseignant a rarement le temps et la formation spécifique nécessaires pour aider les tous élèves à besoins particuliers.
Dans la situation spécifique du collège français, l’hétérogénéité casse la confiance en soi des 20% qui ont des plus faibles scolairement en Français. La note DEPP n°25-2015 le confirme « Acquis des élèves au collège : les écarts se renforcent entre la sixième et la troisième en fonction de l’origine sociale et culturelle. » Les enseignants de collège et de lycée professionnel le reconnaissent en conversation privée.
Les bons élèves dans les classes très hétérogènes au collège peuvent acquérir moins de connaissances, que dans des collèges où on refuse les élèves les plus faibles et les moins intéressés pour les études. L’enseignant s’adapte aux élèves médians de sa classe, et réserve un temps pour l'émulation des plus forts, et un temps pour l'accompagnement des plus faibles. Cependant la moindre émulation littéraire et/ou mathématique pour celles et ceux qui se destinent à des études académiques exigeantes, et la moindre quantité de connaissances se rattrapent sans problème dans les trois ans qui suivent au lycée général (tant que ce dernier reste efficace), et personne n’est lésé dans les parcours académiques du supérieur.
Pour que les familles de milieu favorisé laissent leur enfant dans les collèges publics, il convient de ne pas leur mentir. Ceux qui participent aux conseils de classe ont bien conscience que Yaya leur ment quand il affirme « l’hétérogénéité non seulement ne nuit pas aux élèves les plus forts, mais qu’elle profite aussi bel et bien aux élèves les plus faibles ». En imposant cette phrase comme une vérité incontestable, Yaya stérilise la réflexion sur la vraie question qui est quelle narration est susceptible d’obtenir l’adhésion pour l'enseignement public des parents qui ont les moyens de mettre leur enfant dans le privé. De mon point de vue, c'est le but des commanditaires de Yaya.
Comment ce dernier va faire pour retomber sur ces pieds ? Son prestige vient de sa parfaite fidélité aux dogmes de la bonne parole, les tenants de celles-ci ne lui pardonneront pas des infidélités répétées. Cependant quand cela devient trop voyant, il peut perdre son crédit. Le suspense est à son comble.
Mais alors, pourquoi des sociologues ont renforcé ce narratif faux, cette « vérité de rechange » (alternative fact) pour reprendre une expression à la mode ?
La cause en est simple. C’était une demande des dirigeants de haut niveau de l’EN. Le but de ces derniers n’est pas la pertinence des acquis des jeunes pour ce qui est nécessaire à leur épanouissement en tant vie d’adulte lorsqu’ils et elles quittent la formation initiale. Leur but est d’avoir le bon ratio de bacheliers et de diplômés du supérieur sans trop se préoccuper de l’intérêt des compétences validées par les diplômes, et ceci au moindre coût. Pour diminuer les coûts, il faut justifier la suppression de tous les dispositifs particuliers (SEGPA, ULIS, etc..) y compris en tordant un peu le résultat des études pour cacher que c'est aux dépens de l'accès aux connaissances de base de certains élèves.
Voici un exemple de généralisation abusive volontaire. Certains sociologues affirment que l’étude de Béatrice Boutchenik et Sophie Maillard (2019) prouve l’intérêt des classes hétérogènes dans tous les contextes. (« Elèves hétérogènes, pairs hétérogènes – Quels effets sur les résultats du baccalauréats »). Cette étude porte sur les classes de terminale du lycée général et technologique ayant passé le baccalauréat entre 2010 et 2016. Il s’agit de classes comportant de très bons élèves et des élèves assez bons, ou des classes avec élèves assez bons et des élèves moyens. Nous sommes dans le cas d'une hétérogénéité contenue et très très relative. En toute rigueur, ce résultat concernant des pré-adultes ayant un niveau d’aisance pour la lecture et l’expression, ne peut pas être généralisé à des classes de collèges accueillant des adolescents dont 10 à 25% ont des graves lacunes en maîtrise des compétences de base littéraires. Les deux contextes ne sont pas comparables : ni la même période de maturité, ni les mêmes contraintes de gestion de l’hétérogénéité.
Ce lien explique la démarche de la série d'articles de blog "Les tribulations de Yaya".