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Billet de blog 30 avril 2023

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LTY2 : L’hétérogénéité sociale parfaite des classes, la solution magique ?

Les tribulations de Yaya – épisode 2 - Yaya, le dogmatique, croit dur comme fer qu’améliorer l’hétérogénéité sociale dans une salle de classe a toujours une conséquence positive sur la qualité de l’apprentissage et l’équité scolaire. En réalité, c’est un peu plus compliqué. Les ghettos de pauvres et les ghettos de riches sont nuisibles… comme l’obsession de l’hétérogénéité sociale parfaite.

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Yaya est devenu un chasseur de pouillème d’hétérogénéité à gagner, car il en est persuadé. Si on arrive à passer un collège d’un indice IPS de 100 à 104 alors par miracle les enfants de classes sociales défavorisées apprendront mieux. Il est également persuadé que lutter pour suppression des classes à options car moins hétérogènes que les autres classes de l’établissement est une croisade utile. En réalité pas forcément : il y a des effets de seuil et des effets secondaires positifs et négatifs et comme souvent cela dépend du contexte.

Qu’est-ce que Yaya ne prend pas en compte et qui explique son erreur ?

Tout d’abord Yaya ne sait pas (ou ne veut pas savoir) qu’environ 68% des élèves de milieu défavorisé ne sont pas dans un collège REP ou REP+ (calcul fait à partir des données de RERS-2022, page 52 et page 79, « Repère, référence et statistiques » édité par la DEPP). En école primaire ces élèves ont eu en primaire les mêmes difficultés d’apprentissage que les élèves des quartiers où les élèves de classes sociales défavorisées sont plus nombreux. Les résultats des élèves de milieu social défavorisé sont comparables à l’entrée en 6ème qu'ils soient dans une école primaire hétérogène ou non. Cependant quand ils sont au même endroit, c'est plus voyant.

Yaya en est un peu pour quelque chose. En effet, Yaya en bon gardien de la « bonne parole » travaille, sans en avoir conscience, à créer un écran de fumée sur le vrai sujet « Quels mécanismes psychologiques font que les enfants de milieu populaire ont plus de mal à entrer dans les apprentissages ? ». Certains de ces mécanismes peuvent être compensés, mais celles et ceux qui présentent les travaux sur ce sujet sont immédiatement invisibilisés. Ces travaux « non conformes aux attentes de la bonne parole » ne sont pas cités par aucun média, trop transgressifs pour les uns, étant trop favorables à l'égalité des chances pour les autres. Bien évidemment, les co-constructeurs de la bonne parole les dénigrent avec des arguments falacieux du type "Il y aurait une erreur d’interprétation possible sur un détail de l’alinéa 5 de la quatrième page" (alors que tout ce qui est structurant est parfaitement expliqué).

N’oublions pas que le premier critère de corrélation avec la réussite en licence en université est le niveau acquis en fin d’école primaire, et ce avec une faible impact secondaire des origines sociales. Le niveau acquis en fin de primaire est lui fortement corrélé aux origines sociales.

 Ensuite, Yaya a toujours dit que « l’enseignement privé c’est le mal » et qu’il faudrait le supprimer, mais que c’est électoralement difficile ». En effet, c’est électoralement suicidaire. Les parents qui soutiennent l’enseignement public et qui par principe mettent leur enfant dans l’enseignement public, souhaitent avoir une porte de sortie dans le cas où un de leur enfant est en situation de mal-être fort à l’école et ce quelle qu’en soit la raison, ou si la quantité d’enseignants non remplacés ou sans formation à l’enseignement, est telle que ceci met en péril la réussite future des études supérieures. La fuite de parents intrinsèquement favorables au public est un « thermomètre » qui montrent des dysfonctionnements graves de la gouvernance de l’école dans certains territoires. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Seulement, il faut éviter les solutions simplistes et déconnectées du contexte que les amis de Yaya ont toujours privilégiées.

L’excellent article de Marco Oberti (2023) dans la vie des idées « Enseignement privé et ségrégation scolaire – L’enjeu de la diversité socio-territoriale » https://laviedesidees.fr/Enseignement-prive-et-segregation-scolaire montre la diversité des situations en fonction du territoire. Le graphique 9 est particulièrement instructif. Dans les territoires urbains très denses et seulement dans ces territoires, une partie des établissements privés sous contrats sont des ghettos de riches (fort indice de position sociale (IPS) et faible diversité d’origine des élèves (mesuré par l’écart-type) : il est difficile d’admettre que l’argent public finance un entre-soi aussi fort et donc nuisible à la cohésion sociale.

Dans les territoires urbains très denses, il existe des collèges publics qui regroupent des élèves issus de classes sociales défavorisées avec des conséquences pour les jeunes qui s’y trouvent et pour le pays à cause de la désespérance dans les quartiers où habitent les familles concernées.

  • La première caractéristique de ces collèges est la plus grande difficulté à créer une dynamique vers l’effort scolaire dans les classes. En effet, structurellement, le collège français détruit la confiance en soi des plus faibles scolairement, celles et ceux qui n’ont pas acquis les compétences de bases en lecture automatique avec construction de sens et d’expression orale et écrite. Ces jeunes ont leur avenir bloqué car ils échouent au lycée général et technologique quand ils ou elles essaient et n’ont que des places dans des filières dévalorisées (parfois à tort) dans les lycées professionnels. Or, les jeunes en difficultés scolaires en fin de primaire sont plus nombreux parmi les origines sociales défavorisées, donc plus nombreux dans les établissements à faible IPS.
  • La deuxième caractéristique est la faible confrontation aux codes et aux règles des adultes qui ne sont pas de leur quartier et aux métiers qui ne sont pas ceux de leurs parents et de leurs relations. Les jeunes ne peuvent pas se créer une imaginaire de leur futur dans ce qu’ils ou elles ne connaissent pas. Ceux qui, malgré ce frein, feront des études exigeantes seront moins armés pour mettre en place une stratégie pour accéder à l’emploi qui leur convient le mieux, et pour gravir les échelons dans l’entreprise. Ceci entrave le potentiel de réussite.

Ces deux caractéristiques fonctionnent sur des effets de seuil. Il y a un seuil au-delà duquel la dynamique de la classe pour l’effort scolaire est plus difficile à créer. Il y a un seuil à partir duquel la faible représentation des classes moyennes et favorisées empêche de créer un imaginaire sur le futur qui englobe toutes les possibilités de la société. C’est là que l’on peut voir que créer des classes spéciales moins hétérogènes que le reste de l’établissement peut être bénéfique, car les parents qui, généralement, participent à la vie de l’établissement amènent leur connaissance du monde des adultes de leur environnement.

Par ailleurs, Yaya a longtemps soutenu que l’utilisation d’AFFELNET pour la répartition des élèves dans les lycées parisiens a amélioré la situation des élèves de classes sociales défavorisées en lycée général et technologique. Il a fait taire les personnes qui disaient que ce dispositif avait des effets pervers qui auraient dû conduire à son abandon en faveur d’une autre solution. Il aurait mieux fallu faire comme à Boston et travailler sur les cartes scolaires quitte à faire venir les élèves d’assez loin par les transports en commun. C’est plus lourd. Cela déplait aux parents qui ont acheté plus cher leur appartement pour être sur le bon secteur, mais pas plus que l’attribution par AFFELNET. Les trois effets pervers de l’attribution par un logiciel en fonction des demandes des parents sont les suivants.

  • Premier effet pervers: les parents à qui on demande de comparer les établissements publics sont naturellement amenés à comparer également ceux du privé. C’est un encouragement vers le privé.
  • Deuxième effet pervers : le mode d’attribution crée mécaniquement un classement des établissements et donc une homogénéité sur un critère non mesurable : « la capacité des parents à avoir une stratégie pour leur enfant ». Les enseignants dans les établissements moins demandés rament pour créer des dynamiques de classes, et ce aux dépens des élèves.
  • Troisième effet pervers : il y a régulièrement des personnes dans les structures qui bidouillent les paramètre de réglages du logiciel sans être capables de comprendre les conséquences de leur acte, d’où des dynamiques d’établissement détruites à cause d'un changement brutale IPS. Il y a eu, par exemple, dans les lycées parisiens des créations de ghetto de pauvres dans un quartier riche. Ce qui n'améliorait pas la mixité et posait des problèmes de financement des projets d'établissement.

Les cartes scolaires équilibrées sur les origines sociales n’ont pas ces défauts. Il est étonnant qu’il ait fallu tant de temps pour prendre en compte les défauts de l’attribution par des logiciels, alors que ceux-ci étaient connus. Les personnes qui réagissaient sur les réseaux sociaux ou dans les commentaires des journaux les décrivaient très régulièrement. Sans cette surdité, il aurait été possible de travailler beaucoup plus tôt sur les cartes scolaires équilibrées mises à jour régulièrement et dès que les évolutions urbaines l’exigent. Il faut comprendre Yaya, ses amis exigeaient de « rééduquer » à la bonne pensée celles et ceux qui osaient s’en éloigner. Or, la fidélité à ces « amis » lui a apporté tous les éléments de prestige qu’il possède. Comment pouvait-il ne pas leur obéir ?

Comment Yaya va se sortir de toutes ces contradictions ? Va-t-il rester dans ses croyances inexactes ? Va-t-il évoluer en fonction de la pensée dominante avec une belle amnésie sur ses croyances passées ? Tout devient compliqué pour Yaya.

 Ce lien explique la démarche de la série d'articles de blog "Les tribulations de Yaya". 

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