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Billet de blog 30 décembre 2021

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La fin du mythe de la « méthode pédagogique universelle » dans l’Éducation nationale

Vers 2015, un consensus à gauche s’est créé pour l'abandon de la recherche d'une méthode pédagogique universelle. Il est devenu évident que, pour s’adapter à chaque contexte d’établissement, la meilleure façon de procéder était de s’appuyer sur l’expertise de l’enseignant. Les conséquences de changement ont été structurantes.

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Depuis les années 1980, il y avait un accord tacite entre « la technostructure de l’éducation nationale » et le courant de pensée des « autoproclamés progressifs » pour imposer comme unique moyen d’améliorer l’efficacité de l’éducation nationale, la recherche de la pédagogie innovante qu’il conviendrait, une fois trouvée, d’imposer à tous les enseignants. Il s’agissait d’un arrangement avec avantages réciproques.

Les « autoproclamés progressifs » pouvaient s’arroger la place de gardien de la bonne parole de gauche sur l’éducation, en dénigrant comme passéistes ou comme personnes contre l’égalité des chances, celles et ceux qui contestaient.

Les dirigeants de l’Education nationale pouvaient communiquer vers le grand public qu’ils agissaient et appliquer leur technique pour faire taire les enseignants. (Si un enseignant ou une enseignante disait qu’il ou elle n’y arrivait pas, on pouvait lui dire qu’il ou elle n’appliquait pas bien la méthode pédagogique miracle, en réalité inefficace. Il ou elle comprenait que son intérêt était de se taire et faire au mieux dans le secret de sa classe.) Ce fut le mécanisme qui a abouti à une « perte de sens » sur le système éducation. Il a permis d'atténuer les protestations quand le nombre d'élèves par classe augmentait.

Vers 2015, une prise de conscience s’est faite, très certainement grâce aux réseaux sociaux qui permettaient à chaque enseignant de décrire la réalité telle qu’il ou elle la vivait. La diversité des situations d’enseignement est telle, qu’il n’est pas possible de trouver une pédagogie universelle.

La parution du résultat de l’enquête PISA 2015 qui constatait un l’impact négatif de démarche d’investigation en science qui faisait référence en France depuis 1999, a également aidé. (Volume 2 paru en mai 2017).

Le paradigme a changé. La bonne manière de procéder est devenu de considérer l’enseignant comme un expert qui s’adaptait au contexte pour faire avancer sa classe en général et chaque élève en particulier. Le focus s’est déplacé de la recherche de la pédagogie miracle à l’amélioration de la gouvernance du système éducatif. La gouvernance consiste à clarifier les missions et organiser la délégation au bon niveau avec les moyens adéquats.

Les jeux de pouvoir ont continué mais uniquement sur les aspects de gouvernance et d’organisation. Par exemple, la réforme du lycée général de 2018 s’est faite par consensus entre la technostructure et les « autoproclamés progressifs ». Il s’agit d’un principe qui avait été proposé en 2009 par le courant des autoproclamés progressifs, comme nous le rappelle Claude Lelièvre. Le résultat, parfaitement prévisible, est un renforcement des biais d’orientation sociaux et genrés et une perte de la capacité du pays à gérer les changements que le monde va connaitre.

Cette évolution est structurante car elle a rendu impossible un jeu de pouvoir autour des pédagogies soi-disant efficaces car innovantes, par des personnes que j'ai appelé les "pédagogos". Je décrivais le pédagogo dans un article de blog de 2014 : « une personne qui a fait le choix de considérer l’éducation nationale comme un terrain pour se mettre en valeur et le choix de faire l’impasse des conséquences de ses actions pour les élèves ». Le pédagogo propose des pédagogies qui plaisent à la technostructure et qui permettent une belle communication, sans vérifier le moins du monde l’efficacité de ce qu’il propose. 

Tous les pédagogues ne sont pas tous des pédagogos, certains sont sincères. Les pédagogues sincères sont humains et peuvent se tromper. Je proposais une méthode pour les différencier.

« Pour les différencier, il suffit de démonter la doctrine par une argumentation convaincante. Il suffit de quelques minutes de réflexion pour qu’il change d’avis. Le pédagogo fera au mieux semblant de ne pas écouter, au pire utilisera des techniques de dénigrement. »

J’utilise toujours la même méthode pour ceux qui vendent des solutions d’organisation présentées comme étant en faveur de l’égalité des chances ou de l’efficacité, mais en réalité contreproductives car basées des doctrines fausses. Pour le lycée général, le but de la technostructure était de diminuer les coûts, les doctrines fausses ancrées en collaboration avec les « autoproclamés progressifs » étaient en place depuis plusieurs années, la surdité a été totale.

Cependant, bien que ce ne soit pas visible du grand public, un changement de paradigme est bien en cours. L’article de 2014 décrivait huit doctrines. En 2021, 4 ont été abandonnées, 3 sont sérieusement ébranlées et une reste impensée. (L'analyse est dans le document téléchargeable en cliquant sur la flèche à droite dans le cadre qui suit cette ligne.)

Evolution des doctrines de 2014 à 2021 © Viviane Micaud (pdf, 137.1 kB)

Il reste un dernier champ d’actions pour des manipulateurs qui veulent collaborer avec la technostructure, les propositions de parcours après la troisième jusqu’à la fin de la formation initiale et les règles d’affectation dans ces parcours.  

Le but de la technostructure est : 1) de faire des économies, 2) renforcer la fuite vers le privé en augmentant les différences de niveau entre les établissements. Ils souhaitent s'appuyer sur la doctrine simpliste : « le tri c’est le mal : il faut supprimer le tri ». La doctrine est facilement démontable en regardant les autres pays.

Dans TOUS les pays du monde, il existe un système d’affectation après l’école du socle dans une diversité de parcours qui peut être caricaturé en un « tri ». C'est un besoin fonctionnel donc impossible à supprimer. Le nier ne permettra pas de supprimer les discriminations, bien au contraire. Il faut mettre en évidence les mécanismes cognitifs à l'origine des discriminations pour pouvoir atténuer celles-ci.

Ceci fera l’objet de mes prochains articles.

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