Autour du "livre de mon ami" d'anatole France / 2 : l'heure du coucher
Suite de : Autour du "livre de mon ami" d'anatole France / 1
suite de la lecture buissonnière du livre d'Anatole France
**********************************************************
…… « Il parlait du cabinet du ministre des Affaires étrangères, des pièces de théâtre, des modes et des livres nouveaux, des soirées et des bals dans lesquels il avait vainement cherché ces dames. Et elles l'écoutaient !
Était-ce une conversation, cela ? Et ne pouvait-il parler, comme faisait avec moi la dame en noir, du pays où les montagnes sont en caramel, et les rivières en limonade ? ».....
**********************************************************
L’enfant a deux amies, une dame âgée très attentionnée et patiente, qu’il appelle « la dame en noir », et une jeune femme plutôt fantasque mais pleine de charme, qu’il appelle « la dame en blanc ».
Quand il leur rendait visite, tout seul, il était le centre de leur attention. Et puis voilà qu’un intrus vient briser le charme de leur trio et monopolise l’attention de ses amies.
Et tout cela pour parler de sujets parfaitement inintéressant à ses yeux de jeune enfant encore dans la phase orale de son développement !
Plus que la jalousie de l’enfant qui se considère comme le centre de son univers l’évocation de la différence de point de vue entre le monde enfantin et celui des adultes me semble témoigner de la difficulté de la communication entre l’adulte et l’enfant qui ne peut partager les centres d’intérêts de celui-ci.
L’adulte qui s’adresse à un enfant s’imagine que parce que ce qu’il dit est raisonnable l’enfant en comprendra le sens. Mais ce qu’entend l’enfant est très différent de ce que l’adulte croit lui avoir dit clairement.
Cela n’empêche pas, fort heureusement, les adultes d’avoir l’illusion anticipatrice que les enfants comprennent leur dires car c’est cette illusion qui permet aux enfants d’entrer dans la complexité du monde du langage.
………………..
Par association de pensée, ce passage du livre m’a ramenée à une discussion très informelle que j’ai eue récemment avec un groupe d’enfants lors d’un de mes ateliers, discussion à laquelle s’est jointe une jeune mère présente.
La discussion est arrivée spontanément à la suite d’un jeu bien connu : le téléphone arabe.
Elle a démarré sur le thème de la rumeur que l’on déforme pour arriver, par je ne sais plus quelle bifurcation à tourner autour du fait que les adulte disent souvent aux enfants « je ne te comprends pas ».
Je ne peux pas faire un compte rendu exact de cette discussion (par exemple dire quel âge a l’enfant qui a exprimé telle ou telle idée, ce qui a certainement un intérêt mais les échanges allaient trop vite et parfois je ne savais même pas qui avait parlé) ni même de la logique de son déroulement (que j’ai cependant essayé de retrouver mais ma retranscription est aléatoire) : j’ai juste griffonné quelques idées fortes chopées ici et là, notes que j’ai vite mises en forme, avant même de ranger (ma mémoire est très volatile), une fois les enfants partis.
En voici le résultat qui me semble faire écho au texte d’Anatole France, non pas parce que cela en serait l’illustration exacte, mais dans le sens où cela montre que les enfants sont capables d’exprimer ce qui les mets en difficulté dans leurs relations avec les adultes (et entre eux quand ils sont d’âge différents, les plus grands étant tiraillés entre le fait de s’identifier au ressentis des plus petits tout en étant tentés d’imiter les adultes à leur égard).
Dans mon texte, il va manquer les liens logiques, c’est-à-dire ceux qui ont amené telle ou telle idée à émerger. C’est là que l’on regrette de n’avoir pas pu enregistrer. Mais d’un autre côté cela aurait au moins quadruplé la longueur de ce retour écrit :
« JE NE TE COMPRENDS PAS »
L’enfant quand il est petit est convaincu que l’adulte sait tout, ce qui fait que s’il dit à l’enfant « je ne te comprends pas », celui-ci a le sentiment qu’en réalité l’adulte n’a pas envie de le comprendre ».
Pour l’enfant, c’est vexant de penser que son interlocuteur ne cherche pas à le comprendre. Il pense que pour l’adulte sa parole n’a pas suffisamment de valeur pour que celui-ci cherche à la comprendre. Plus la relation entre lui et l’adulte est fondée sur un rapport autoritaire plus l’enfant se ressent rejeté par le fait que celui-ci affirme ne pas le comprendre.
Lorsqu’un adulte dit à un enfant ; « je ne te comprends pas », celui-ci comprends - surtout si cette phrase lui est souvent répétée que c’est lui, dans sa globalité qui est incompréhensible. Par contre, si on lui dit « là, je ne comprends pas ce que tu me dis », on limite cette incompréhension à la situation actuelle dans un contexte précis et cela ne remet pas en cause la valeur de l’enfant.
Lorsque l’on ne comprend pas ce que veut dire un enfant, il est important de lui témoigner de l’intérêt en lui disant ce que l’on en a compris. Ce qui est important, pour l’enfant, c’est quelles conséquences pratiques cette incompréhension va avoir dans les décisions de l’adulte le concernant.
Par exemple, un enfant peut vouloir à tout prix répondre positivement à une invitation d’anniversaire émanant d’un autre enfant qu’il déteste. Il peut ne pas avoir envie de dévoiler ses raisons à ses parents (il peut vouloir y aller parce que la petite fille dont il est secrètement amoureux y sera). Le principal alors pour lui n’est donc pas d’être compris mais que sa décision soit respectée.
Un enfant peut dire quelque chose du style : « les dinosaures mangent de l’herbe parce qu’ils sont carnivores ». Si l’adulte ne dévalorise pas cet énoncé mais en en discute avec lui pour comprendre ce que l’enfant veut dire il peut se rendre compte qu’il s’agit d’un raccourci : « les dinosaures - parce qu’ils sont carnivores - mangent des herbivores ce qui fait que par conséquent ils mangent de l’herbe… ». Ainsi ce qui, de prime abord paraissait être un contresens par rapport à la définition du mot « carnivore » se révèle être le résultat d’un raisonnement et, au final, un jeu de mots de l’enfant.
S’il est nécessaire que l’adulte comprenne ce que dit l’enfant lorsque cela a une incidence concrète dans la vie réelle comme, par exemple, quelque chose qui risquerait de mettre en jeu des questions de sécurité ou de créer des malentendus ou des injustices, il peut aussi être préférable de ne pas trop insister pour ne pas placer l’enfant dans une situation qu’il pourrait percevoir comme dévalorisante. Il vaut mieux alors que l’adulte dise à l’enfant : « pour l’instant je ne comprends pas ce que tu me dis mais je vais y réfléchir ».
Il arrive souvent qu’un adulte ne comprenne pas sur le moment les réactions et les explications de celles-ci données par un enfant mais qu’en y repensant plus tard il en trouve la raison. Les enfants apprécient que les adultes leur disent : « tu sais, j’ai réfléchi à ce que tu m’as dit et je crois avoir compris tes explications… » parce que le fait qu’un adulte prenne la peine de les comprendre a postériori représente pour eux la preuve que ce qu’ils pensent, ressentent, expriment a une vraie valeur pour cet adulte.
Quand un enfant n’a pas encore les mots pour s’exprimer il est nécessaire d’exprimer à voix hautes nos hypothèses tout en agissant. Par exemple une bébé de quatre mois pleurait : sa mère lui a posé des questions tout en recherchant concrètement quelle pouvait être la cause de ses pleurs et en faisant diverses propositions concrètes de solutions ; quand sa mère lui a demandé: « tu as fait caca ? Ta couche te gène ? », la petite s’est immédiatement arrêtée de pleurer et s’est mise à gazouiller joyeusement. Effectivement, vérification faite, la couche, à laquelle personne n’avait songé en premier parce qu’elle venait juste d’être changée, était souillée.
S’en est suivie une discussion sur ce qu’une enfant de cette âge pouvait comprendre des mots prononcés il a été émis l’hypothèse que – au-delà du sens des mots – c’est leur son et leur répétition en situation concrète qui font sens. « Pipi », « caca », répétés spontanément aux moments du change ont des sonorités particulièrement bien choisies pour être facilement mémorisable dans une situation où le bien-être physique de l’enfant est en jeu. Ce qui peut amener un bébé à faire le rapprochement entre ces sons et le contexte très concret dans lequel ils sont utilisés : le bébé pourrait se dire : « je ne comprends rien à ce que tu me dis mais je sais que tu vas t’occuper de mon caca ».
………………..
Du coup, avec l’intervention de cette jeune mère dans la discussion et les échanges qui ont suivi - dont je ne peux rendre la drôlerie (jeu de mot par exemple entre « je vais m’occuper de ton cas » et « je vais m’occuper de ton caca ») car celle-ci n’existe vraiment qu’en situation –, j’en reviens à ce que j’ai écrit plus haut au sujet du texte d’Anatole France : les centres d’intérêts des enfants et ceux des adultes ne sont pas identiques et leurs compréhensions du monde sont extrêmement différentes.
De leurs points de vue respectifs aucun n’a entièrement tort et aucun n’a entièrement raison. Cependant, seule la maturité adulte permet de comprendre cela pleinement. Pour le tout petit enfant c’est impossible et pour le plus grand c’est tout juste le début d’un cheminement.