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Billet de blog 19 février 2025

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« Gens du Voyage » : la Commission européenne contre le racisme épingle la France

La Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance (ECRI) épingle la France pour son non-respect de ses engagements en matière d’égalité, d’inclusion et de participation des Gens du voyage. Ce constat illustre une paralysie d’État, où l’inaction se conjugue à un débat politique étouffé par l'antitsiganisme et le populisme, empêchant toute avancée vers des réformes justes et nécessaires.

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Dans ses conclusions du 19 février 2025, l'ECRI critique une nouvelle fois la France pour l'insuffisance de son action, malgré l'adoption en 2022 d'une stratégie nationale visant à lutter contre l’antitsiganisme et promouvoir l’inclusion des Gens du voyage et des personnes considérées comme Roms, dans le respect des lois de la République. Force est de constater que les avancées restent limitées. Cette stratégie, prévue pour la période 2020-2030, ambitionne de corriger des discriminations structurelles persistantes et répond aux recommandations de l’ECRI concernant les "Gens du voyage". Parmi ces recommandations, la reconnaissance de la caravane comme un logement à part entière et la révision du régime dérogatoire encadrant leur stationnement demeurent des enjeux cruciaux, sur lesquels les progrès tardent à se concrétiser, voire même à démarrer.

Car le problème est double. D’une part, l’absence de statut de logement pour la caravane crée des formes d’injustices pour les Voyageurs. Ceux qui paient l’équivalent d’un loyer sur les aires d’accueil n’ont pourtant pas accès aux aides au logement, au Fonds de Solidarité Logement, au chèque énergie, etc. Mais encore beaucoup d'autres inégalités insoupçonnées, par exemple, les assureurs n'ont pas l'obligation de proposer des contrats pour les caravanes d'habitation (puisque le code des assurances ne les y oblige pas). Pire, cela permet aux collectivités et aux gestionnaires d’aires d'accueil, d’adopter une interprétation restrictive de la trêve hivernale, excluant systématiquement les Voyageurs de cette protection. Conséquence directe : des expulsions d’aires d’accueil ou des coupures de fluides en plein hiver, au mépris des droits fondamentaux. L’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens (ANGVC) a ainsi obtenu en 2022 l’annulation des règlements intérieurs des aires d’accueil de Paris qui autorisaient les coupures de fluides toute l’année et le défenseur des droits est venu affirmer cette position dans une décision de 2024. L'absence de statut de logement peut enfin entrainer des situations dramatiques, puisqu'elle complique par exemple sensiblement l’obtention du droit de garde d’un enfant dans le cadre de certaines procédures.

D’autre part, l’interdiction de stationner hors des aires d’accueil constitue une autre injustice majeure. Dans un contexte où seuls 26 départements sur 95 respectent leurs obligations en matière de création d’aires et où les solutions d’habitat pour les "Gens du voyage sédentaires" (la persistance de cette dénomination administrative à de quoi nous interroger) sont quasi inexistantes, la majorité des Voyageurs se retrouvent contraints de vivre dans des aires prévues à l’origine pour un accueil temporaire. Résultat : des familles vivent en permanence sur des aires souvent situés à proximité d’installations polluantes, exposées à des expulsions répétées et privées de toute stabilité résidentielle.

Cette situation est d’autant plus critique que l’accès à la propriété foncière est rendue très difficile pour les Voyageurs. Malgré la loi ALUR de 2014, qui devait garantir une prise en compte des différents types d’habitat, la majorité des collectivités interdisent dans leurs documents d’urbanisme le stationnement des caravanes, y compris sur des terrains privés, créant ainsi d'immenses interdictions de territoire. La plupart des Voyageurs doivent alors compter sur la tolérance administrative, entamer de longues procédures judiciaires ou, dans le meilleur des cas, bénéficier d’une autorisation temporaire de stationnement de trois mois, bien insuffisante pour habiter dans son terrain.

Face à ces constats, l’ECRI souligne que la France est loin de remplir ses engagements. Malgré la Stratégie nationale 2020-2030 pour l’inclusion des Gens du voyage, aucune avancée concrète n’a vu le jour. Un groupe de travail a bien été mis en place au sein de la Commission nationale consultative des Gens du voyage (CNCGDV) depuis 2022, mais les autorités invoquent la complexité des réformes pour justifier l’absence d’évolution.

Le débat politique sur cette question est atone. À droite, la peur de la « cabanisation » prime, tandis qu’à gauche, on craint la précarisation du logement. Entre ces deux écueils, ceux qui vivent en habitat mobile restent dans une zone grise où leurs droits ne sont ni garantis ni respectés. L’ECRI rappelle ainsi que l’égalité de traitement ne doit pas être conditionnée à des considérations administratives.

La paralysie persiste, alimentée par la peur d’ouvrir un débat sur la résidence mobile qui pourrait cristalliser les tensions et exacerber les préjugés contre les "Gens du voyage". Beaucoup redoutent qu’un tel débat ne se traduise par un durcissement législatif, aggravant encore ces situations. Pourtant, le silence n’empêche en rien cette dérive, bien au contraire : en renonçant à défendre activement ces droits, on laisse le champ libre aux partisans d’une ligne dure. De fait, de nouvelles propositions de loi visant à renforcer la répression des "Gens du voyage" émergent en ce moment même, tandis que les discours gouvernementaux n’ont jamais été aussi hostiles depuis la suppression, en 2017, des régimes discriminatoires imposant les carnets et livrets de circulation. L’inaction par crainte d’une régression n’empêche pas cette régression d’avoir lieu ; au contraire, elle l’accélère en laissant se structurer un discours sécuritaire sans aucune opposition.

L’urgence est donc de replacer cette question au cœur des luttes émancipatrices, en l’inscrivant dans une démarche de justice sociale, environnementale et antiraciste. Il est temps d’initier une nouvelle dynamique volontariste pour garantir les droits fondamentaux de toutes les personnes vivant en habitat léger, qu’il soit mobile ou non, qu’elles soient identifiées comme Gens du voyage ou non. La mise en œuvre des recommandations de l’ECRI est une nécessité impérieuse, mais elle ne saurait suffire à elle seule. Pour aller plus loin, la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’habitat léger et mobile constituerait un premier pas essentiel. Car il ne s’agit pas seulement d’aménager l’existant, mais bien de repenser un modèle, à la hauteur des enjeux.

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