Comme vous le savez, le secteur du spectacle est probablement le plus durement touché par la crise sanitaire actuelle.
Dès le 1er mars, les premières restrictions de rassemblements faisaient tomber en cascade de nombreux événements culturels et le secteur sera probablement l'un des derniers pour lequel toutes les contraintes seront levées. Et comme vous le savez aussi, il n'y a pour le moment aucune échéance en perspective pour un retour à la normale, loin s'en faut !
L'activité audiovisuelle a pu reprendre doucement depuis juillet mais la nouvelle séquence pandémique en cours fait planer à nouveau la menace d'arrêts de tournages. Quant au spectacle vivant, l'activité est toujours très réduite et menacée aussi d'un nouvel arrêt quasi-complet dans les zones rouges.
Les conséquences sont désastreuses, bien au-delà des seuls acteurs culturels car on commence à mesurer les milliards d'euros perdus en activités périphériques : hôtellerie, restauration, commerces, transport, ... Sans compter la diminution du bien-être des citoyens privés de sorties culturelles, ce qui impacte évidemment la productivité au travail. Et sans compter les dégâts en matière de paix sociale, en l'absence de ces moments d'apaisement, de lien et de mixité que sont les événements culturels.
L'heure n'est donc plus au chipotage sur le milliard d'euros que coûterait le régime de l'intermittence du spectacle, on comprend aujourd'hui que ce secteur apporte énormément plus d'argent à notre économie nationale qu'il n'en coûte. D'ailleurs la prolongation des allocations Pôle emploi jusqu'au 31 août 2021 pour les 120 000 intermittents du spectacle indemnisés au moment du confinement n'a pas fait débat. Au passage on peut toutefois déplorer que d'autres acteurs du secteur n'ont pas bénéficié de mesure de secours, par exemple les professionnels du catering à savoir la restauration mobile sur les lieux de tournages ou de spectacle.
Mais lorsqu'on parle d'année blanche pour les intermittents du spectacle, ça ne signifie aucunement qu'ils peuvent ne pas travailler du tout d'ici le 31 août 2021, le compte à rebours est lancé pour cumuler les heures de travail nécessaires au renouvellement des droits le 1er septembre 2021...
Le marché du travail c'est comme un gâteau à se partager pour les actifs, et le gâteau pour le secteur du spectacle - en particulier celui du spectacle vivant - est actuellement tout riquiqui... Et c'est là que Pôle emploi décide brutalement de réduire encore un peu plus le gâteau !
En effet, le 31 août dernier, un directeur de service de Pôle emploi a envoyé un courrier stupéfiant à des milliers d'artistes de toute la France.
Posons la situation : parmi les artistes du spectacle vivant, il y a notamment beaucoup de musiciens qui se produisent dans les bars & restaurants et en ce moment il s'agit bien là d'une des seules possibilités pour ces professionnels de travailler. Pour payer les artistes voire des techniciens, les bars & restaurants passent par un service en ligne de Pôle emploi, le GUSO, qui permet d'effectuer toutes les déclarations sociales à partir d'un formulaire unique mais cette tâche administrative rebute certains gérants. Par ailleurs lorsqu'un bar ou un restaurant organise plus de 6 spectacles par an il y a une démarche administrative supplémentaire à réaliser : ils doivent obtenir du Ministère de la culture une licence spécifique après avoir suivi une formation qui coûte plusieurs centaines d'euros.
Heureusement il existe une solution alternative très simple : acheter un spectacle à une société de production et c'est la société de production qui va elle-même rémunérer les professionnels du plateau artistique. D'ailleurs pour les artistes renommés qui se produisent dans des salles de spectacle, en général la salle achète le spectacle à la société de production de ces artistes.
Mais pour les musiciens qui ne font pas encore de "grosses scènes", il faut généralement commencer par les bars & restaurants. Ainsi de nombreux musiciens sont régulièrement payés via le GUSO par ces employeurs dont l'activité principale n'est pas le spectacle, mais quand un bar ou un restaurant ne peut plus passer par le GUSO faute de licence, la seule solution pour les musiciens est alors de recourir à une société de production qu'on peut définir comme "occasionnelle" et il en existe plusieurs en France dont la société SMart.
La société SMart est une entreprise du spectacle et dispose à ce titre de la licence correspondant à son activité. Non seulement elle gère la paye des artistes qui se produisent dans les bars & restaurants mais elle leur apporte tous les services et garanties contractuelles qu'on retrouve avec n'importe quelle autre société de production.
Seulement voilà : Pôle emploi n'aime pas SMart et lui fait des misères depuis des années puisque la structure de production a dû se défendre juridiquement en 2013 avec succès. Le vieux soupçon que porte Pôle emploi sur SMart et sur toutes les autres structures de production occasionnelle de spectacles, c'est de rémunérer des artistes pour des spectacles fictifs, autrement dit des musiciens qui inventeraient de fausses dates de spectacles pour toucher les cachets qui leur manquent afin de renouveler leurs droits au régime intermittent.
Oui ce type de fraude existe et la direction de SMart reconnaît d'ailleurs volontiers qu'elle s'est faite abusée par certains artistes, mais SMart est une entreprise coopérative d'ampleur et installée depuis de nombreuses années, cette entreprise n'a donc évidemment aucun intérêt à couvrir voire encourager les pratiques frauduleuses et dès qu'ils ont connaissance de ce genre d'agissement, ils prennent immédiatement la décision de rupture définitive du contrat avec l'artiste en question.
Et c'est justement là où Pôle emploi se trompe lourdement : il est bien plus facile pour un artiste de frauder en inventant une fausse date de concert, par exemple un concert fictif chez un particulier, en passant par le propre service de Pôle emploi : le GUSO !
Or une étape vient d'être franchie par Pôle emploi dans sa cabale contre les structures de production occasionnelle puisqu'un courrier a été adressée le 31 août aux 4 000 artistes et techniciens clients de SMart pour leur annoncer qu'à compter du 1er octobre 2020, plus aucun contrat avec SMart ne serait comptabilisé pour l'intermittence. Et ce, sans aucune décision juridique à l'appui.
Evidemment, c'est donc une nouvelle séquence judiciaire qui s'annonce entre SMart - avec probablement d'autres structures à la même activité - et Pôle emploi. Une pétition est également en ligne pour dénoncer ce méfait du service public. En attendant ces sont des milliers d'artistes et techniciens qui se voient là plongés dans une angoisse encore un peu plus virulente quant à leur espoir de renouveler leur intermittence au 1er septembre 2021.
Pire : en s'opposant illégalement à la solution de la production occasionnelle, Pôle emploi encourage les artistes et techniciens à se faire rémunérer de la main à la main par les bars & restaurants, autrement dit Pôle emploi encourage le travail dissimulé ! Au "mieux", Pôle emploi va décourager des musiciens et techniciens de travailler, ce qui est évidemment absurde puisque c'est exactement l'inverse de la mission de l'institution qui est payée par l'ensemble des citoyens français.
Le Gouvernement serait donc bien inspiré de recadrer très vite Pôle emploi, en tout cas recadrer ce directeur à l'origine de la missive très malvenue. En attendant, il y a fort heureusement des dispositifs exceptionnels pour soutenir l'activité des professionnels du spectacle vivant comme la mesure du GIP Cafés Cultures qui a augmenté le montant des subventions aux cachets d'artistes qui justement se produisent dans les bars & restaurants.
Certains mettent tout en œuvre pour aider les artistes et techniciens du spectacle, d'autres pas.
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