Yann GAUDIN (avatar)

Yann GAUDIN

Lanceur d'alertes

Abonné·e de Mediapart

72 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 septembre 2024

Yann GAUDIN (avatar)

Yann GAUDIN

Lanceur d'alertes

Abonné·e de Mediapart

France Travail : les fraudes du service fraudes

C'est pour le moins un comble : le service dit de "prévention et lutte contre la fraude" de France Travail ne respecte pas lui-même certaines obligations légales. Ce qui est d'autant plus inacceptable qu'un usager qui fait l'objet d'une demande de preuves vivra forcément très mal cette inculpation très menaçante.

Yann GAUDIN (avatar)

Yann GAUDIN

Lanceur d'alertes

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Commençons par lister les 4 grands types de suspicion de fraude qui peuvent déclencher un contrôle : les revenus professionnels dissimulés, les contrats fictifs, l'absence de subordination lors d'un contrat salarié et l'omission de déclaration d'une absence prolongée de votre domicile.

Concernant les revenus professionnels dissimulés, il s'agit par exemple de reprendre un emploi salarié sans le déclarer à France Travail pour cumuler la rémunération avec les allocations chômage, mais ça peut également concerner un entrepreneur qui ne déclare pas sa création d'entreprise et les revenus qui en découlent. Avec le croisement des fichiers administratifs et la Déclaration Sociale Nominative (DSN) devenue obligatoire pour tous les employeurs, il est toutefois désormais très difficile de se livrer à cette fraude sans être très rapidement débusqué.

Concernant les contrats fictifs le principe est simple : France Travail vous soupçonne d'avoir utilisé ou tenté d'utiliser, pour obtenir des droits aux allocations chômage, des attestations Unédic pour un travail qui n'a en réalité jamais existé. Ce peut être une escroquerie isolée, montée entre un individu et un employeur de son entourage qui va créer une attestation fictive avec bulletins de salaire fictifs, mais ça peut relever aussi d'une escroquerie à échelle industrielle de "vendeurs" de faux documents, ce sont les fameux "kits Assédic" qui firent notamment l'objet d'un rapport parlementaire en 2006. Chez les intermittents du spectacle, le fait d'avoir beaucoup de contrats avec des particuliers employeurs et donc des cachets enregistrés via le service GUSO de France Travail peut vous exposer à un contrôle sur l'existence réelle des spectacles en question.

Concernant l'absence de subordination, le contrôle s'appelle "étude mandataire" : France Travail va examiner si vous aviez réellement la qualité de salarié·e, c'est-à-dire si vous étiez réellement subordonné·e sous les ordres et le contrôle d'un employeur. Un mandataire social c'est une personne qui gère l'entreprise, qui décide de son fonctionnement et qui acte à ce titre les embauches. Pour faire simple, on ne peut pas s'auto-signer un contrat de travail entre soi-même et soi-même pour ensuite bénéficier des allocations chômage. Vous pouvez par exemple être sanctionné·e s'il est établi que vous étiez salarié·e par votre conjoint·e mais que vous preniez des décisions sur le fonctionnement de l'entreprise ou, à tout le moins, que vous ne rapportez aucune preuve que votre conjoint·e vous donnait des ordres et contrôlait la bonne exécution de votre contrat de travail. L'étude mandataire est également courante chez les artistes du spectacle rémunérés par une association dont ils gèrent en réalité le fonctionnement. Sachez qu'il existe la possibilité de demander en amont à France Travail si votre fonction relève ou non d'un contrat de travail salarié, la validation par France Travail servira alors de quitus pour vous protéger par la suite lorsque vous demanderez des allocations chômage.

Enfin concernant l'omission de déclaration d'une absence prolongée de votre domicile, il s'agit de vérifier si vous avez respecté l'obligation légale de déclarer toute absence de votre domicile sur plus de 7 jours consécutifs et vous avez le droit en tout à 35 jours d'absence par année civile. Toutefois, comme l'indique notamment France Travail spectacle sur Facebook, cette obligation de déclaration ne concerne pas les absences pour exécuter un contrat de travail loin de chez vous, et les contrôles portent essentiellement sur les séjours à l'étranger.

Que risquez-vous si le contrôle conclut à une fraude ?

Vous risquez d'abord de devoir rembourser une grosse, très grosse somme d'argent : les allocations chômage versées indûment et potentiellement sur plusieurs années. En cas de fraude ou de fausse déclaration, France Travail peut remonter jusqu'à 10 ans. Par usage, l'institution se "limite" souvent à 2 ou 3 années de trop-perçu, ce qui toutefois se chiffre généralement en dizaines de milliers d'euros. Pour les absences prolongées de votre domicile, France Travail demande le remboursement des allocations versées sur la période concernée (sans vous faire cadeau des 35 jours autorisés).

Vous risquez ensuite une éventuelle sanction administrative par l'institution, à savoir une radiation d'une durée de 2 à 12 mois avec amputation partielle ou suppression totale des allocations chômage qu'il vous restait.

Enfin vous risquez une éventuelle poursuite pénale pouvant aboutir à une peine d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros.

De quoi être évidemment placé·e dans un état d'extrême angoisse lorsque France Travail vous annonce un contrôle et ce, même si à première vue vous estimez n'avoir commis aucune faute.

Qu'est-ce qui déclenche un contrôle du service fraudes ?

Il peut y avoir diverses origines du déclenchement d'un contrôle : le signalement d'un conseiller qui trouve un élément douteux dans un dossier, la bonne vieille dénonciation d'un tiers, le croisement algorithmique du fichier des employeurs et du fichier des demandeurs d'emploi, la vérification de tous les dossiers liés à un employeur frauduleux, une adresse IP à l'étranger lorsque l'usager procède à son actualisation mensuelle, le fait pour un intermittent du spectacle de faire toutes ses heures avec un seul et même employeur ou, comme précité, le fait d'être régulièrement engagé comme artiste par des employeurs particuliers. Mais vous ne saurez jamais ce qui a déclenché le contrôle, car France Travail n'a aucune obligation de vous le dévoiler. En revanche l'institution a d'autres obligations et toutes ne sont pas respectées.

Les infractions de France Travail en matière de contrôle pour fraude

Illustration 1

Image : Pixabay

L'infraction la plus problématique est, au déclenchement du contrôle pour fraude, la suspension immédiate de l'indemnisation de l'allocataire ou le refus d'ouvrir immédiatement ses nouveaux droits aux allocations chômage. Jusqu'à novembre 2019, le règlement d'assurance chômage prévoyait dans son article 25 que le paiement par Pôle emploi puisse être interrompu lorsqu'était détectée une déclaration inexacte ou une attestation mensongère ayant eu pour effet d'entraîner le versement d'allocations indues. En revanche le règlement ne prévoyait pas qu'une demande d'allocations puisse être bloquée par un contrôle dès lors que toutes les pièces nécessaires à l'examen de droits étaient bien fournies par l'usager. Or non seulement Pôle emploi ne se gênait pas pour faire traîner une ouverture de nouveaux droits, mais comme un contrôle pour fraude dure très souvent plusieurs mois, des allocataires se voyaient ainsi privés de tout revenu de subsistance avant que l'indemnisation reprenne enfin (avec versements rétroactifs) si le contrôle concluait à l'absence de fraude.

Mais désormais, depuis l'entrée en vigueur du décret d'assurance chômage de 2019, l'article 25 ne prévoit plus l'interruption d'indemnisation à l'étape de la simple "détection", qui n'est que suspicion, donc France Travail n'a plus le droit de bloquer plusieurs mois votre revenu de subsistance le temps du contrôle. Et lors d'une demande d'allocations, d'un rechargement de droits ou, pour les intermittents du spectacle, d'un réexamen en fin de droits, si vous réunissez toutes les pièces nécessaires à justifier des conditions d'ouverture de droits, France Travail n'a toujours pas l'autorisation de bloquer l'ouverture des droits sur la simple suspicion d'un document frauduleux. Problème : l'institution a maintenu sa pratique de "sanction provisoire" en violation totale avec la présomption d'innocence. France Travail doit obligatoirement avoir officiellement conclut à la fraude pour procéder à la notification du trop-perçu prévue par l'article 27.

Une autre infraction repose sur la rédaction du tout premier courrier qui vous est adressé par le service fraudes pour vous annoncer un contrôle et vous demander de communiquer plusieurs types de documents.

Ce courrier, qui vous est clairement adressé par le service de prévention et lutte contre la fraude (nous reviendrons sur cet intitulé) ou, de manière plus sibylline, par un auditeur assermenté, vous annonce une "opération de vérification". Comme on vous demande d'autres pièces que les documents officiels ordinaires servant à ouvrir des droits, il y a donc déjà ce qu'on appelle une "sujétion" préalable, autrement dit une obligation complémentaire qui vous est imposée en vue d'une éventuelle autre décision à venir de l'institution concernant vos droits. Or depuis 2016 France Travail a dans ce cas l'obligation, au regard de l'article L212-2 du Code des relations entre le public et l'administration (CRPC), de motiver sa demande, c'est-à-dire de vous expliquer clairement pourquoi vous faites l'objet d'un contrôle. Et ce avec références juridiques à l'appui comme le prévoit l'article L211-5 du CRPC (cf. cet autre article du blog), pour que vous sachiez ce que vous encourez si la fraude est avérée. Mais rien de tout ça sur ce premier courrier du service fraudes.

Ce courrier vous met la pression sur la demande de documents en vous indiquant un délai maximum de 10 ou 15 jours pour communiquer les pièces demandées mais le courrier ne cite aucune référence juridique à l'appui de ce délai et pour cause : il n'existe aucune référence juridique vous obligeant à fournir les documents demandés, donc évidemment aucun délai limite pour les communiquer.

En revanche le courrier vous rappelle que si vous ne communiquez pas les documents demandés, les agents assermentés de France Travail pourront se les procurer eux-mêmes dans le cadre d'un droit de communication institué en 2021. En effet, France Travail peut par exemple demander à votre banque de lui communiquer vos relevés de compte mais seulement sur une période de maximum 18 mois (en continu ou discontinu), idem pour vos factures d'électricité qui peuvent par exemple démontrer une absence prolongée de domicile, nous avions d'ailleurs publié sur ce blog un article sur cette faculté nouvelle d'enquêter à votre sujet ainsi qu'un autre article sur l'impact du compteur Linky en cas d'absence non-déclarée. Si vous ne communiquez pas au service fraudes tous les documents demandés - sachant qu'il n'est pas rare qu'ils vous demandent des documents sur une période supérieure à 18 mois ou des documents qu'ils ne pourront pas se procurer par leur droit de communication (comme votre passeport par exemple) - ils devront statuer sur votre sort à partir des preuves qu'ils auront pu se procurer légalement, car comme le rappelle l'article L123-2 du CRPC : "En cas de contestation, la preuve de la mauvaise foi et de la fraude incombe à l'administration."

Un autre aspect de certains courriers relève davantage de la roublardise que de la fraude : en cas d'étude mandataire, pour savoir si vous n'êtes pas en réalité le vrai gérant de la structure censée vous salarier, on vous demande parfois des documents que vous n'êtes pas censé·e détenir si vous n'êtes justement que salarié·e, par exemple les documents de délégation de signature ou de délégation bancaire au sein de la structure, ou encore les contrats passés entre votre employeur et des clients. Tout ce que vous n'êtes pas censé·e détenir comme documents, c'est à votre employeur de les communiquer au service fraudes.

En matière de données personnelles détenues par France Travail, vous y avez un droit d'accès dans le cadre du RGPD, le règlement général de l'Union Européenne sur la protection des données. Autrement dit, votre dossier intégral vous appartient et les modalités de votre droit d'accès sont présentées dans une instruction de l'institution. Problème : les communications entre vous et le service fraudes ne sont pas archivées dans votre dossier France Travail, ni les éventuels documents à votre sujet que ce serait procuré le service fraudes dans le cadre d'un contrôle. Là encore, il y a clairement infraction.

Enfin dernier point, un manquement qui relève de l'imposture : comme vu plus haut, le service fraudes s'appelle officiellement service de prévention et de lutte contre la fraude, de son petit nom "SPF". L'article L5312-13-2 du Code du travail les nomme d'ailleurs Les agents chargés de la prévention des fraudes. Problème : ce service n'effectue jamais d'actions de prévention, d'aucune sorte. Ce qu'a d'ailleurs avoué en substance le service des affaires juridiques de France Travail en janvier 2024. Ces actions pourraient pourtant prendre la forme par exemple d'un e-mailing auprès de tous les usagers concernant telle ou telle fraude en particulier, un guide à l'attention du public détaillant les types de fraudes et les risques encourus, des affiches qu'on pourrait trouver à l'accueil des agences, etc. La prévention, ce pourrait être aussi pour des fraudes légères et relevant manifestement davantage de l'erreur que de l'intentionnalité, un avertissement à l'occasion d'un premier contrôle. Par exemple, la règle de déclaration d'absence de plus de 7 jours existe dans la loi depuis 1992 mais ce n'est que depuis quelques petites années que les agences communiquent ici ou là de manière proactive auprès des usagers, dès lors cette règle est encore ignorée d'un grand nombre d'usagers, or sanctionner un usager sans lui avoir au préalable expliqué la règle du jeu, ça n'est pas franchement très loyal de la part de l'institution et ça lui est même opposable dès lors qu'il lui incombe, notamment par l'existence même d'un service dit de "prévention", d'effectuer un maximum de démarches d'information sur les règles les plus communes.

Vous voilà donc désormais alertés sur tous les aspects de ce qu'il convient d'appeler la répression des fraudes par France Travail, pour mieux vous défendre et surtout mieux vous y préparer. Car comme dit la locution latine si vis pacem, para bellum : si tu veux la paix, prépare la guerre.

***

Pour appeler le Ministère du travail à une sécurisation des services de France Travail, vous pouvez participer en quelques secondes à deux actions :

Une pétition : https://www.change.org/p/pour-le-plein-respect-de-nos-droits-par-france-travail

Un recensement des victimes de Pôle emploi / France Travail : https://www.labonneetoile.fr/recensement-des-victimes

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.