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Billet de blog 30 août 2024

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Pourquoi les conseillers France Travail ne font pas correctement leur travail ?

Dans l'appellation "vie professionnelle" il y a le mot "vie" qui renvoie à la santé, à l'épanouissement, aux relations sociales et aux revenus, autant d'éléments que devraient maîtriser les conseillers emploi de France Travail pour être de véritables partenaires au service de chaque personne privée d'emploi, pour accompagner vers un avenir durable dans l'activité professionnelle.

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En préambule, comme pour les conseillers indemnisation, qu'on se le dise : les dysfonctionnement observés dans le travail des conseillers emploi ne sont principalement pas de leur faute mais bien de la responsabilité de l'organisation.

Illustration 1

Image : Yann Gaudin

Les conseillers emploi sont chargés du 1er contact de l'usager avec France Travail, lors de l'inscription, pour établir le profil professionnel de la personne privée d'emploi (sa formation, son expérience, ses compétences, son projet) et lui présenter les formalités liées à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi. N'espérez pas lors de cet entretien d'inscription des informations personnalisées sur votre indemnisation, les conseillers emploi ne sont pas formés pour ça. Ensuite les conseillers emploi effectuent des entretiens périodiques pour faire le point sur les démarches engagées et définir des actions nouvelles, par exemple une entrée en formation, sachant qu'à tout moment les conseillers peuvent évidemment proposer des opportunités d'emploi identifiées comme pouvant correspondre au profil de la personne. Les conseillers emploi animent aussi de temps en temps des réunions thématiques pour les usagers, enfin ce sont ces conseillers qui sont postés en réception à l'accueil des agences (et ça pose problème comme nous allons le voir).

Selon le rapport d'activité de Pôle emploi pour 2022, il y avait alors 23 800 conseillers référents donc si on retire les 7 000 conseillers indemnisation, il y aurait près de 17 000 conseillers emploi (ils étaient un peu plus de 15 000 lors d'un audit de la Cour des comptes en 2018). A fin juillet 2024 il y avait un peu plus de 6,1 millions de personnes inscrites à France Travail mais toutes ne sont pas à accompagner personnellement puisqu'il y a des personnes en cours de formation, des personnes qui restent inscrites mais travaillent au moins 78 heures chaque mois, d'autres qui sont entrepreneuses et dont le maintien de l'inscription est avant tout administratif, etc. Si on ne retient que la catégorie A des demandeurs d'emploi, à savoir les personnes qui n'ont pas du tout travaillé dans le mois, on tombe à 3 millions de personnes. On peut donc considérer que chaque conseiller emploi doit réellement s'occuper d'à peine 200 usagers chacun en moyenne. Chez France Travail on appelle ça le "portefeuille" de demandeurs d'emploi et on entend parfois dire qu'il atteint pour certains conseillers près de 1 000 usagers mais ce type de très gros portefeuille est essentiellement composé d'usagers qui travaillent et n'ont pas vraiment besoin des services de leur conseiller emploi.


200 usagers par conseiller emploi, est-ce beaucoup ? Tout dépend des services qu'on apporte aux usagers.


Beaucoup de chômeurs en ont fait l'expérience et les conclusions écrites des entretiens en témoignent : les conseillers emploi se contentent surtout en réalité de récolement, à savoir rédiger quelques notes sur les démarches effectuées, et de prescriptions souvent forcées pour des prestations chez des sous-traitants privés, que la CGT appelle "vautours de l'emploi", prestations dont l'utilité semble très contestable au regard des nombreux témoignages exprimés sur internet. Si le travail d'un conseiller emploi se limite à du tapotage sur clavier et quelques clics de souris, alors les 17 000 postes coûtent beaucoup trop cher à la nation pour bien peu de valeur ajoutée.

Et les conseillers emploi ne sont pas du tout heureux de cette situation, comme l'a notamment révélé une étude récente, car non seulement eux aussi sont forcés par leur hiérarchie à prescrire à la chaîne sans vraiment se soucier des besoins de l'usager, mais surtout on ne forme pas ces conseillers à la finalité réelle de leur métier.

Dans l'accompagnement des personnes privées d'emploi, il y a deux aspects essentiels : la psychologie et l'économie sociale & familiale. Or les conseillers emploi ne sont tout simplement formés ni à l'un, ni à l'autre de ces deux aspects.

La psychologie est un aspect essentiel car une personne privée d'emploi est souvent déçue, parfois même traumatisée par ses expériences passées et en particulier la toute dernière. C'est une personne exposée au manque de confiance, la confiance en soi et la confiance dans son avenir. C'est une personne blessée par son image sociale, l'image du chômeur fainéant, inutile à la société et profiteur d'argent public, une opprobre odieusement accentuée ces derniers temps par des personnalités politiques aussi manipulatrices qu'irresponsables. Enfin c'est évidemment une personne inquiète voire très angoissée par le manque d'argent pour la subsistance au quotidien, la sienne et celle de sa famille le cas échéant. Mais depuis maintenant 20 ans la psychologie est totalement absente du parcours de formation d'un conseiller emploi de France Travail, et cette compétence n'apparaît nulle part dans leur fiche de poste pourtant très détaillée. Dès lors, ces conseillers emploi risquent tous les jours d'aggraver la santé psychique d'un usager et de compromettre ainsi le retour rapide et durable à l'activité professionnelle, tout l'inverse de leur mission.

L'économie sociale & familiale est également un aspect essentiel car il faut que l'usager puisse évaluer ce qu'il gagne, en argent, à occuper un emploi plutôt qu'à rester sans activité. Surtout que si l'aspect psychologique n'a pas été pris en charge, un chômeur peut facilement se dire "A quoi bon retourner souffrir au travail si c'est pour ne rien gagner voire perdre de l'argent ?" et c'est bien souvent, voire systématiquement, un mauvais calcul. Mais pour en convaincre l'usager, il faut non seulement lui présenter les différentes aides de France Travail (complément d'ARE en plus de 70% du salaire repris, aides pour le 1er mois de reprise d'emploi, aide à la garde d'enfants) mais également les aides de la CAF dont évidemment la prime d'activité, la prise en charge obligatoire par les employeurs de 50% du coût en transport en commun, la mutuelle obligatoire par l'employeur, le montant des indemnités journalières de la CPAM en cas de maternité ou d'arrêt maladie, le montant de la future retraite et l'âge de départ qu'un emploi dit "pénible" peut avancer, etc. Or les conseillers emploi ne sont pas du tout formés à faire avec l'usager une simulation personnalisée intégrant l'ensemble des gains liés à la reprise d'emploi.

Evidemment le travail avec l'usager sur sa psychologie et sur son budget nécessiterait du temps, bien plus de temps que des échanges bâclés par téléphone. Et si ce travail était fait, là oui 200 usagers par conseiller pourrait être une charge lourde conduisant à envisager un renfort d'effectif.

On pourrait d'ailleurs ajouter un 3ème aspect pour rassurer l'usager sur son futur parcours en emploi : les droits du salarié et les solutions de résolution d'un conflit au travail. Cet aspect pourrait éventuellement être sous-traité, pas auprès d'entreprises commerciales mais auprès d'organisations syndicales qui pourraient animer régulièrement des réunions dans les agences France Travail. Car si les conseillers France Travail ont pour mission le retour à l'emploi, ils devraient avoir aussi pour mission d'éviter le retour à France Travail, donc éviter la rupture prématurée des contrats de travail.

Non seulement les conseillers emploi ne sont pas, pour le moment, compétents pour ces 3 aspects, mais on leur prête une compétence qui n'a jamais été et ne sera jamais à leur portée : le placement des demandeurs d'emploi, autrement dit trouver un travail aux demandeurs d'emploi. Pourtant jusque dans la sémantique interne à France Travail les conseillers emploi sont parfois appelés conseillers placement, mais jamais un conseiller emploi ne forcera un employeur à embaucher n'importe quel usager, le mieux qu'un conseiller emploi puisse faire est de décrocher son téléphone pour convaincre un employeur de recevoir l'usager à un entretien d'embauche.

En revanche, eux les conseillers emploi sont placés de force par leur hiérarchie à un poste qui les met en danger : le poste d'accueil en agence. Car la très grande majorité des usagers qui passent spontanément à l'accueil chaque matin viennent pour des problèmes d'indemnisation, or depuis des années maintenant la direction de Pôle emploi / France Travail ne met à l'accueil que des conseillers emploi, qui forcément ne peuvent satisfaire les usagers et les mettent parfois dans une rage telle que des violences se produisent.

L'effectif total de France Travail c'est 59 491 salariés pour une masse salariale en 2024 prévue à 3,8 milliards d'euros, les 17 000 conseillers emploi nous coûtent donc environ 90 millions d'euros chaque mois. Vous savez maintenant comment cette dépense pourrait nous être bien plus utile.

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Pour demander la sécurisation des services de France Travail : pétition en ligne

Pour soutenir l'auteur : cagnotte en ligne

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