Parmi toutes les ONG écolos, la Criirad bénéficie d’une réputation de sérieux scientifique qui, comme nous allons l’envisager ici, est parfaitement usurpée. En réalité, si à propos du nucléaire et de la radioactivité la Criirad apparaît comme moins illuminée que le Criirem ou les Robin des Toits dans leur domaine des ondes électro-magnétiques, son action ne vaut en fait pas franchement mieux que celle du lobby Génération Futures en ce qui concerne les pesticides. Dans tous les cas, ces lanceurs de fausses alertes à haute teneur idéologique – et éventuellement à intérêts bien compris, dans le cas de Générations Futures - nuisent à la compréhension des enjeux et par ricochet à la santé publique.
La Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité est née en mai 1986 au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, à l’initiative notamment de la militante écologiste drômoise Michèle Rivasi. Celle-ci inaugurait là, depuis son agrégation de biologie, une longue carrière de contestation du consensus scientifique ou de diffusion de peurs obscurantistes dans de nombreux domaines : ondes électro-magnétiques et électro-hypersensibilité, homéopathie et autres pseudo-médecines, OGM, antidépresseurs, amalgames dentaires, etc. Elle a fini sa triste carrière comme elle l’avait commencée, en devenant une figure de proue du mouvement antivax, puisque c’est elle qui a voulu introduire l’escroc Wakefield au Parlement européen, comme je le révélais en 2017 dans un billet de blog censuré par Médiapart. Parmi d’autres problèmes de santé réellement existants, la rougeole lui doit sans doute beaucoup. Guidée par son tropisme réactionnaire et antiscience Michèle Rivasi n’a jamais reculé devant aucun compagnonnage déguelasse, comme lorsqu’elle tenait tribune sur la « santé » aux côtés du catho intégriste anticontraception et antivax Henri Joyeux, ou lorsqu’elle allait déverser son aversion pour les pesticides sur le plateaux de la chaîne d’extrême-droite TV Libertés (voir ici). Elle a fini par copréfacer pendant la pandémie de COVID un livre complotiste aux côtés de l’exaltée Martine Wonner et d’une député RN, un ouvrage publié dans une maison d’édition spécialisée dans l’ésotérisme. Cette proximité récurrente avec l’extrême droite a dû un peu déteindre, comme lorsque Rivasi faisait l’éloge de Frontex pour empêcher les migrants de venir en Europe.
Il se dit qu’à la Criirad, on aurait été un peu gênés aux entournures par l’évolution – qui en réalité n’en est pas une – de son ancienne présidente fondatrice, et que « non non on ne peut pas associer la Criirad à ce que Rivasi est devenue ». Tu parles, Charles ! La Criirad a tellement peu pris ses distances avec l’évolution de Rivasi que l’actuel président de l'association, Bruno Chareyron, vient d’intégrer le jury d’un prix des « lanceurs d’alerte » au nom assez évocateur :

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Ce qui est cocasse, c’est que ce prix récompenserait ceux qui se lèvent face aux "fabricants de mensonges » et aux « prophètes de l’ ignorance ». Il va donc falloir commencer par récompenser ceux qui se sont levés face à Michèle Rivasi, voire face à la Criirad, qui illustrent assez bien ces pratiques de mensonge et de fabrique de l’ignorance.
Car l’acte de naissance de la Criirad est un gros mensonge autour du dit « nuage de Tchernobyl ».
En effet, loin de s’élever héroïquement face à un immense mensonge des autorités, la Criirad est – avec le journal Libération et l’inénarrable Noël Mamère – directement à l’origine de la légende urbaine selon laquelle les autorités françaises auraient caché le passage du « nuage » de Tchernobyl sur la France. Les archives à ce sujet sont très claires, et cela a déjà été démontré plein de fois (par exemple ici, là, là ou bien en vidéo très complète ici) : les autorités chargées de la radioprotection n’ont en 1986 rien caché du tout et ont au contraire plutôt bien évalué la situation. L’idée qu’il y aurait eu un grand mensonge d’Etat est précisément… un mensonge. Un mensonge sur lequel a reposé l’entièreté de la raison d’être de la Criirad, qui prétendait rétablir elle-même la vérité soit-disant cachée, parce que selon elle on ne saurait faire confiance aux experts du service public. Comme ses collègues antinucléaires aussi fanatiques qu’elle, la Criirad a poursuivi de sa vindicte et jusqu’au tribunal le professeur Pellerin, qui était en 1986 à la tête du SCPRI, le Service centrale de protection contre les rayonnements ionisants. En 2012, à la suite de la Cour d’Appel de Paris, la Cour de Cassation déboutait la Criirad qui s’acharnait contre Pellerin mais aussi contre l’évidence en le blâmant pour n’avoir pas averti d’une supposée augmentation des cancers de la thyroïde suite au passage du « nuage » - un phénomène qui pour le territoire français n’a jamais existé ailleurs que dans l’imaginaire des antinucléaires ( voir à ce sujet l’article de 2013 de Nicolas Gauvrit et Jérôme Quirant Tchernobyl : l’enquête corse complètement fumeuse…)
En 2011, au moment de Fukushima, la Criirad avait nettement moins à se mettre sous la dent pour affoler la population française ; parce que, quand même, le Japon, c’est encore plus loin que l’Ukraine. N’empêche qu’ils ont quand même essayé, et ils ont pondu un communiqué pour expliquer que l’IRSN – l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire – avait sous-estimé les résidus de résidus d’iode radioactif gazeux présents dans notre bon air français. Nos travailleurs qualifiés du service public de l’expertise dans ce domaine avaient alors bien voulu prendre de leur temps, qu’on imagine pourtant précieux à ce moment-là, pour répondre aux accusations des militants et corriger les erreurs de la Criirad dans un document qui se conclue ainsi :
« L’IRSN considère que les critiques délibérées et infondées de la CRIIRAD sont destinées à porter atteinte à la crédibilité technique de l’IRSN et à remettre en question le statut d’expert de cet organisme pour évaluer les risques en cas d’accident et aider les autorités à protéger les populations exposées à des rejets radioactifs. Au-delà de l’attaque portée sur l’IRSN en tant qu’institution publique, ces critiques portent également atteinte au professionnalisme des personnels de l’IRSN qui se sont fortement engagés au cours de la crise japonaise pour informer au mieux les pouvoirs publics, les élus, les parties prenantes et le grand public, en respectant les meilleures pratiques scientifiques en matière de mesures environnementales.
Par ailleurs, les propos de la CRIIRAD accusant l’IRSN d’avoir sous-évalué notablement l’impact de la contamination radioactive de l’air en France après l’accident de Fukushima sont irresponsables car ils auraient pu avoir pour conséquence de générer une inquiétude de la population pourtant totalement infondée.
Dans sa lettre du 9 juin, la CRIIRAD tire de ses analyses critiques la conclusion que l’IRSN serait coupable de dysfonctionnements graves dans l’évaluation des risques en cas de situation accidentelle future impactant la France et exige des garanties pour prévenir ces dysfonctionnements. L’IRSN tient à rappeler qu’il a animé un important travail collectif sur l’évaluation des conséquences radiologiques et dosimétriques en situation post-accidentelle et sur les hypothèses à retenir pour les évaluations prédictives des conséquences, dans le cadre des travaux du CODIRPA. Ces travaux, auxquels la CRIIRAD a toujours refusé de participer, ont donné lieu à deux rapports publiés en 2010. Ils émettent des recommandations d’ordre technique, méthodologique et organisationnel, élaborées dans un cadre pluraliste qui a permis à chaque partie prenante, y compris associative, d’exprimer son point de vue. Dans ces conditions, l’IRSN considère que la CRIIRAD n’a aucune légitimité à émettre des revendications de garanties telles qu’elle l’exprime dans sa lettre du 9 juin. »
Gardez en tête ces dernières lignes pour la conclusion de ce billet, qui portera sur ce que la dite « science citoyenne » fait au service public de l’expertise scientifique, sur la manière dont elle favorise le morcellement des points de vue en fonction d’intérêts privés ou idéologiques et sur la façon dont elle veut le beurre et l’argent du beurre en réclamant une légitimité scientifique tout en s’exonérant du cadre collectif de la confrontation avec les pairs (si tant est que l’on veuille bien accorder le statut de « pairs » aux lobbyistes privés des ONG environnementales). Sur la dérive de la « science participative » à laquelle les institutions compétentes acceptent de faire une place en se tirant ainsi parfois une balle dans le pied, voir ce communiqué de l’AFIS en 2015.
N'ayant pas grand-chose à faire pour s'occuper depuis Fukushima en 2011, la Criirad vient de choisir de reprendre à son compte les méthodes de l’asso anti-pesticides Générations Futures, qui sont en effet médiatiquement très porteuses. De la même manière que le lobby du bio incarné par Générations Futures lance des alertes bidons en signalant des traces de pesticides - dans les cheveux des enfants, dans l’urine des stars ou directement sur les légumes - sans jamais donner de chiffre de référence en ce qui concerne les quantités concernées et les seuils de dangerosité, la Criirad vient de lancer avec le soutien complice de Médiapart une petite campagne sur la présence de tritium dans l’eau. Bien évidemment, puisque que le but est d’insinuer et de faire peur plutôt que d’informer, les terribles « dépassements de seuil » dénoncés ne sont jamais rapportés aux seuils de dangerosité, et Médiapart en rajoute même une couche en titrant : « Nucléaire : il y a des atomes radioactifs dans votre verre d’eau ». Comme le précise le communiqué de l’AFIS sur cette campagne de désinformation, « ce titre témoigne de l’inculture scientifique des auteurs : même sans activité humaine, il y a toujours dans l’eau des éléments radioactifs, dont la nature dépend des couches géologiques traversées. De même, le corps humain est naturellement radioactif du fait de la présence entre autres de carbone 14 et de potassium 40 dans l’environnement. Mais la formulation du titre est de nature à susciter l’angoisse, ce qui est peut-être l’objectif recherché. »
Enfin, sans trop verser dans le déshonneur par association, on peut quand même préciser que les fréquentations de la Criirad en disent aussi beaucoup à propos d’elle. En effet, si les militants de l’association évitent les réunions de travail sur la méthodologie proposés par l’IRSN – voir plus haut - , ils ne manqueraient pour rien au monde les divers salons du bio, du bien-être et de l’ésotérisme, comme en témoigne leur page Facebook :

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Ainsi, la Criirad aura pu présenter son expertise scientifique aux côtés de ses confrères du Mouvement de l’agriculture biodynamique, mais aussi de gémmothérapeutes, naturopathes, accupresseurs et autres réflexiologues plantaires (foire bio Genepi 2024). A une autre occasion, les antinucléaires de la Criirad, dans le cadre du partage d’expérience entre pairs, ont pu découvrir à leur profit la « danse biodynamique » mais aussi apprendre à « soulager les douleurs naturellement » (festival L’avenir au naturel 2024). Ailleurs, en échange de son expertise en matière d’utilisation d’un compteur geiger, le criiradeux a pu en retour « Elaborer son huile de soin » et même « Découvrir la gemmothérapie » (L’Aude a la bio 2024). Dans tous ces espaces, la Criirad a pu sans souci cohabiter avec une foultitude de vendeurs de poudre de perlipimpin et autres charlatans divers et variés venus monnayer leur came de « prophètes de l’ignorance » et de « fabricants de mensonges », comme on dit dans le jury du prix Michèle Rivasi. On se demande pourquoi les lanceurs de plein d’alertes de la Criirad, qui se placent sur le terrain de la science et de la sécurité sanitaire, n’en lancent jamais une à propos de tous leurs collègues qu’ils fréquentent dans ce genre de salons ésotériques. Avec comme point d’orgue celui de la Marjolaine, où la Criirad est présente chaque année et où « la vie en bio » se traduit par des conférences sur la « dentisterie holistique », les « accords parfaits de l’aromathérapie », la manière d’ « être soi à l’aide des plantes » ou l’art de « détoxifier et minéraliser son organisme grâce au jus de légumes », sans oublier « l’ « approche naturopathique holistique et quantique de la santé » ou bien encore « Comment détecter les dysfonctionnements de nos organes en observant notre visage et ses traits » (édition 2024). A force, on va finir par penser que la Criirad est parfaitement à se place dans ce genre de salons.
En conclusion, on ne peut que regretter une nouvelle fois l’omniprésence médiatique de la Criirad sur les questions liées au nucléaire, comme si cette association militante était le moins du monde une autorité sur le sujet. Les ONG "scientifiques" ont le vent en poupe, et il est fréquent de voir des journalistes incompétents sur un sujet faire appel aux sombres lumières de Générations Futures plutôt qu’à celles de l’ANSES, ou bien encore à la Criirad en lieu et place de l’IRSN. Ce déplorable phénomène correspond à une forme de privatisation de l’information scientifique au profit de groupes de pression animés par le souci de diffuser leur idéologie plutôt que par celui d’informer sur la base du consensus scientifique. L’affaiblissement du service public et de l’authentique expertise scientifique incarnés par le succès d’une association comme la Criirad n’est pas le moindre des paradoxes d’une dynamique pourtant portée par des gens qui se pensent généralement « de gauche ». La Criirad, comme ses successeurs du Criigen ou du Criirem, se veut un centre de « recherches » qui est là aussi paradoxalement fier d’être « indépendant ». Méfions-nous de cette revendication d’ « indépendance » si fièrement brandie. En politique, les « Indépendants » sont souvent ceux qui ne veulent pas se la jouer collectif, soit des gens de droite. En matière de science, c’est un peu pareil : le processus de validation de travaux et analyses proposées est éminemment collectif, et l’ « indépendant » est plutôt celui qui se soustrait à la rigueur de la règle commune. Ainsi, les époux Bourguignon sont effectivement des agronomes « indépendants » : ils fonctionnent en dehors de la recherche commune, ce qui leur permet de développer leurs vérités alternatives privatisées, en ce qu’elles n’ont pas pour but de convaincre la communauté scientifique prise globalement mais plutôt de s’adresser à leur public de niche convaincu d’avance.
Dans le domaine du nucléaire, la Criirad fonctionne un peu de la même manière : elle est effectivement très indépendante.
De la science.
Yann Kindo