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Billet de blog 25 août 2024

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Obscurantisme transphobe - partie 1 : un schéma historique qui se répète

Le parti Les Républicains cherche à interdire les soins d'affirmation de genre en France. Il se base sur des lois du parti de Trump aux États-Unis. En reproduisant un schéma institutionnalisé par des nazis. Et malheureusement, non, ce n'est pas un point Godwin. L'idée de ce billet est de décortiquer ce schéma avant que la proposition de loi n'arrive à l'Assemblée Nationale.

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Début mai, Mediapart avait réalisé une série d'articles sur la fabrique d'une panique suite aux propositions de loi transphobes de LR et du Rassemblement National. Et une vidéo était sortie à ce sujet à propos de l'inspiration étasunienne.

Afin de pouvoir comprendre comment fonctionnent ces nouvelles offensives transphobes, il convient d'avoir une approche historique. L'histoire ne se répète jamais mais les schémas de manipulation anti-scientifiques le peuvent.

En 2023, sur le blog de Mediapart, un collectif de responsables d'associations de personnes trans, de juristes, de médecins, de psychanalystes avaient republié une tribune faisant le parallèle entre les attaques des années 2020 contre les personnes trans et celles des années 80. Cet article vise à compléter ce texte sur le plan historique.

La parole aux historiennes et historiens

L'historien contemporanéiste spécialiste des questions gays et queers sous la République de Weimar et le régime nazi, Laurie Marhoefer, affirme que « Les attaques contre les personnes trans ne sont pas une nouveauté - Beaucoup d’entre elles sont directement tirées du playbook nazi ».

Pour avoir une idée plus précise de ce qu'il entend par là, on peut compléter avec Jake Newsome, chercheur et auteur sur l’histoire LGBTQ+ allemande et américaine : « Certaines de ces idées sont issues d’un modèle presque copié-collé de l’extrême droite. Beaucoup des arguments utilisés aujourd’hui par la droite américaine sont presque identiques à ceux utilisés par le parti nazi en Allemagne dans les années 1930 : par exemple, cette idée selon laquelle les personnes transgenres sont une menace pour la jeunesse, qu’elles vont corrompre les jeunes ou essayer de les inciter à adopter un mode de vie ».

Une idéologie ultraconservatrice qui peut séduire plusieurs bords politiques

En un siècle, la droite et l'extrême droite n'ont jamais pu justifier scientifiquement leurs mesures anti-trans. Ni dans les années 30, ni dans les années 70, ni aujourd'hui. Elles ont donc utilisé une arme pseudoscientifique.

L'essentialisation du "déterminisme biologique" contre les personnes trans est une dérive pseudobiologique de la Théorie de l'Évolution de Darwin. Il s'agit de la base idéologique du "biologisme", une idéologie ultraconservatrice.

Et malheureusement, le darwinisme social n'était pas considéré comme une pseudoscience durant les années 1920-1930. Il a biaisé des discours socialistes également à l'époque.

Comment le schéma fonctionne ?

On peut décrire le processus qui est à l'œuvre. À chaque période, cela se fait dans un certain contexte. Juste après des avancées significatives dans le domaine des soins d'affirmation de genre.

  • L'étape 1 consiste à trouver une pseudoscience basée sur l'essentialisation du déterminisme biologique anti-trans et conforme aux idées du biologisme. Dans les années 1930, les nazis se sont servis du darwinisme social pour justifier le génocide des populations juives et roms, mais aussi pour attaquer d'autres victimes de l'Holocauste (si on prend la définition au sens large), comme les homosexuels, les bisexuels ou les personnes trans par exemple. Plusieurs historiennes et historiens se posent aujourd'hui la question d'un génocide perpétré contre la communauté LGBTQIA+. Dans les années 1970, c'est la sociobiologie, l'héritage de la première, qui a été mise en avant. Aujourd'hui, il s'agit de la psychologie évolutionniste.
  • L'étape 2 vise à développer des théories conspirationnistes selon lesquelles les opérations seraient un complot contre la biologie visant à pervertir l'humanité, justifiant la "protection" des enfants. Au milieu des années 30, une femme trans allemande avait été arrêtée par la Gestapo. Sur le rapport, l'officier avait indiqué qu'elle était un "danger pour la jeunesse". Aujourd'hui, la même théorie absurde est développée par des mouvements politiques de droite à extrême droite (Parents Vigilants en France par exemple).
  • L'étape 3 consiste en un rejet des recherches scientifiques (biologie, sociologie, histoire etc.). Dans les années 1930, cela s'est fait par le rejet des avancées pionnières de la République de Weimar, la fermeture de l'Institut de sexologie et un autodafé ayant brûlé plusieurs ouvrages scientifiques sur les questions LGBTQIA+ lors de l'autodafé du 10 mai 1933. Dans les années 1970, des pseudomédecins ont publié un rapport hétéronormatif pour décribiliser les personnes trans. Aujourd'hui, les rapports biaisés CASS et de LR visent à inciter des médecins/parents à écarter les enfants et adolescentEs des décisions.
  • L'étape 4 est d'appliquer des mesures visant à supprimer les soins d'affirmation de genre et à établir des programmes de thérapies de conversion et de détransition. S'ajoutent des sanctions différentes suivant les périodes. Dans les années 1930, il pouvait arriver que des personnes trans soient envoyées en camp de concentration et portent le triangle rose en raison de leur "travestisme". Aujourd'hui, certains partis au pouvoir censurent des livres qui parlent de questions LGBTQIA+ (en Floride par exemple).

Ce processus abject a pour but de discriminer, psychiatriser voire tuer des personnes trans (enfants, adolescentEs, adultes).

Afin de conclure, cela fait un siècle que les soins d'affirmation de genre existent et plus de 90 ans que des mouvements conservateurs cherchent à les supprimer. Ce schéma obscurantiste transphobe répond à la même idéologie, à des pseudosciences similaires, à des théories du complot remises au goût de l'époque et à des mesures ayant les mêmes bases suivant les périodes.
La méconnaissance de ce schéma provient d'un manque de sensibilisation autour de l'histoire LGBTQIA+. Mais aussi d'une mémoire malmenée au fil des décennies, une mémoire qui a failli disparaître dans les flammes ou à la poubelle (littéralement dans les deux cas).

Bien qu'il soit un pionnier sur les études trans, Magnus Hirschfeld diffusait des idées liées au racisme, au sexisme et à l'eugénisme à l'Institut entre autres. Une partie de ses recherches a été remise en question après guerre.

Références
"Why We Need the Pink Triangle in the Era of “Don’t Say Gay”', Jake Newsome. Dans  Nursing Clio. 22 août 2022. 

 https://www.thepinknews.com/2024/03/14/trans-history-wwii-nazi-germany-nazis-transgender-magnus-hirschfeld/
"L’éradication des « abstractions talmudiques » : l’antisémitisme, la transmisogynie et le projet nazi". Joni Alizah Cohen (anglais/original). Sophie Coudray (français- traduction). Blog Éditions Verso pour le colloque Historical Materialism. Novembre 2018.
"Historians are learning more about how the Nazis targeted trans people", Laurie Marhoefer. Dans Conversation. 6 juin 2023.
"Eldorado: Le cabaret honni des nazis", documentaire de Benjamin Cantu (réal.), Film Base Berlin (2023) 
"LGBTQIA+ L'histoire de l'Institut de sexologie détruit par les nazis", article de Pauline Petit, Radio France (12/06/2023)

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