Chacun, dans l'assemblée où il est élu, a travaillé dans une commission d'enquête parlementaire ayant publié un rapport visant à dénoncer ces pratiques illégales et attentatoires aux principes démocratiques et républicains.

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Cette évasion fiscale est évaluée entre 60 et 80 milliards d'euros (ce qui correspond au déficit budgétaire annuel : au cas où ces détournements étaient stoppés, la dette cesserait de croître). A l'échelle des 28 États européens (Grande-Gretagne compris), cela représente 1000 Mds€ (le total des richesses mondiales cachées dans des paradis fiscaux serait compris entre 21 et 32 000 Mds de dollars, soit à peine moins en euro). La BNP a 13 filiales dans les paradis fiscaux, le Crédit agricole aussi, pourtant Nicolas Sarkozy avait annoncé, péremptoire, la fin des paradis fiscaux. Or les scandales se sont multipliés : LuxLeaks, SwissLeaks, FootballLeaks, Panama Papers (l'affaire Cahuzac n'étant qu'une goutte d'eau dans cet océan).
Trumping fiscal
La Finance a pris le pouvoir en Europe et dans le monde. L'Irlande, membre de l'UE, taxe les profits à 12,5 %, Jersey à 0 % (un des auteurs s'y est rendu : 25 % des salariés de l'île sont dans la Finance), Bermudes à 0 %, îles Caïmans (où un seul immeuble accueille 12000 sociétés) : ces derniers marigots, refuges pour crocodiles, ne sont qu'à quelques encablures de Haïti, où une population végète, victime des cataclysmes. La City de Londres, plus grande place financière au monde ("la plus grande blanchisseuse"), est en connexion étroite avec ces îles spéculatives : le Brexit ne l'affaiblit en aucune façon. La City se porte bien. Aux Usa, certains états font du dumping fiscal, comme le Delaware (50 % des sociétés cotées à la bourse de Wall Street). L'OM est géré désormais par un financier qui a ses comptes dans cet état et, comme par hasard, Donald Trump installe ses sociétés justement dans le Delaware. Car le business trône à la Maison Blanche : Trump fait des USA un paradis fiscal, il déstabilise le monde en faisant de la Grande-Bretagne un cheval de Troie, alors qu'elle a déjà nombre de paradis fiscaux à sa botte (pilotés par la City de Londres). Et nos deux députés communistes de noter que Poutine est présent à la City, et qu'il s'acoquine avec Trump pour déstabiliser l'Europe afin de nourrir la guerre commerciale qui s'annonce entre la Chine et les USA.

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Trading à la pico-seconde
7000 transactions se font le temps d'un clin d'œil (en un pico-seconde, soit 10-12 ). Et cependant, mine de rien, elles laissent des traces : donc, une taxation sur toutes ces transactions est possible.
Les auteurs proposent 150 pistes d'actions pour lutter contre ces fraudes. D'abord, ils réclament que saute le verrou de Bercy qui laisse à l'appréciation du ministère des finances la possibilité ou non de poursuivre les délinquants fiscaux (légalement, Cahuzac était le seul à pouvoir décider des poursuites… à son encontre). A noter qu'actuellement, aucun fraudeur n'est en prison. La famille Wildenstein, immensément fortunée, ayant dissimulé son patrimoine, devait 500 millions d'euros d'impôts : elle a bénéficié d'une relaxe générale récemment sous prétexte que la loi est imprécise, alors même que le parquet réclamait de la prison ferme. Pendant ce temps, le clampin moyen paye 10 % d'amende pour paiement en retard de ses impôts.
Et les fortunes s'accroissent [cf. le palmarès annuel de Challenges]. Comme chaque année, à l'approche du Forum de Davos, Oxfam a annoncé que 8 multimilliardaires possédaient une fortune équivalente au patrimoine de la moitié de l'humanité la moins fortunée (3,5 milliards d'humains). Ils tiendraient dans une voiturette de golf, alors que l'an dernier ils étaient une trentaine et tenaient dans un bus Macron. En 2010, ils étaient 388. Dans quelques temps, il n'y en aura plus qu'un qui possèdera la moitié de la terre (les autres possèdant une bonne partie de l'autre moitié).
La question qu'on peut se poser : que font-ils de tout ce fric ? Nicolas Forissier, ancien auditeur interne de la banque suisse UBS, qui a refusé les magouilles qu'on lui imposait, répond que c'est digne de l'école maternelle : un type a un yacht de 102 mètres de long, celui de son copain fait 122 mètres, alors il n'a de cesse d'en acheter un de 123 mètres. Un jour, Jean-Louis Beffa, un ancien ponte du CAC40, a confié à nos deux Dupont du fisc qu'il faut toujours faire un ROI (return on investissement), à n'importe quel prix, y compris en jetant à la rue des salariés, pour être toujours le premier du monde en son domaine.

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L'exploitation du thème de la dette publique française est aussi dénoncée : comme François Lenglet, de France 2 (hué par l'assistance) qui se permet de dire que chaque bébé qui naît porte sur lui une dette de 30 000 euros, sans jamais dire combien ce même bébé a en crédit si l'on parvenait à rapatrier l'argent de l'évasion fiscale. "La dette est une construction pour que les peuples acceptent l'austérité" (1).
Certains pensent que l'on va dans le mur avec les excès de l'oligarchie financière, c'est pourquoi des acteurs venus du monde de la finance commencent à s'en désolidariser et à dénoncer un capitalisme destructeur. Quitte à proposer un "capitalisme acceptable" pour l'humanité, comme l'économiste américain Joseph Stiglitz.
Alain et Éric Bocquet militent pour que, lors de la passation des marchés publics, dans les appels d'offre, soient incluses des clauses restrictives : comme pour l'insertion professionnelle, l'insertion environnementale, on ajouterait une exigence sur la provenance des capitaux et les conditions de la fiscalité.
Par ailleurs, à l'image de la COP 21 sur le climat et les trous dans la couche d'ozone, les frères Bocquet lancent l'idée d'une COP de la Finance mondiale et de la Fiscalité, réunissant au Burundi, dans le pays le plus pauvre du monde, États, experts, associations, ONG autour d'une même table. Cette idée fait son chemin : le Conseil économique social et environnemental la reprend à son compte. Et le jeudi 2 février, à l'Assemblée nationale, une proposition de résolution a été présentée par Alain Bocquet en vue de cette COP fiscale.
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(1) Emmanuel Macron, lors de son discours à Lyon le 4 février, a utilisé ce thème de la dette et du pôvre bébé perclus de dettes : "la génération qui naîtra dans quelques mois, elle naîtra avec une dette équivalente à ce que notre pays produit chaque année". Pour bien marquer les esprits. Sans ajouter que ce bébé naîtra dans une famille endettée pour un montant bien plus élevé que ce qu'elle gagne en une année. Mais ça, il ne faut pas le dire. Car cet endettement-là fait marcher la machine à finance, comme la dette publique d'ailleurs, puisque les créanciers empochent autour de 45 milliards € par an. Or la dette, agitée de temps à autre comme un hochet au nez du petit peuple affolé, est constituée pour l'essentiel :
- par les sommes exorbitantes que l'État (c'est-à-dire nous) a versé aux banques, engagées dans des produits financiers toxiques, après la crise des subprimes, dont la responsabilité incombe sans discussion aux arnaqueurs de la Finance.
- par les cadeaux fiscaux depuis des années qui plombent le budget de l'État et créent du déficit budgétaire.
- par les intérêts exorbitants appliqués sur les emprunts (si les taux sont aujourd'hui à des taux très bas, ce ne fut pas toujours le cas).
[voir : CAC, Collectif pour un audit citoyen de la dette publique http://www.audit-citoyen.org/wp-content/uploads/2014/05/note-dette.pdf]

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La devise des frères Bocquet : "L'argent doit devenir le nerf de la paix". Lors de la présentation de leur livre à Auch (Gers) le 28 janvier dernier, à l'invitation du PCF [Photos YF]
Le livre :

Dans Sans domicile fisc, les frères Bocquet décrivent la finance internationale, les manœuvres pour échapper au fisc, les lanceurs d'alerte et les moyens d'agir. Après la préface de Jean Ziegler, ils citent des acteurs comme Eva Joly, Jean Gadrey ou l'ancien magistrat Éric de Montgolfier. Et même le Pape François quand, à propos de l'argent, il le qualifie de "fumier du diable" : "Quand le capital est érigé en idole et commande toutes les options des êtres humains, quand l'avidité pour l'argent oriente tout le système socio-économique, cela ruine la société, condamne l'homme, le transforme en esclave, détruit la fraternité entre les hommes, oppose les peuples les uns aux autres, et comme nous le voyons, met en danger notre maison commune" (en Bolivie, le 9 juillet 2015). Ils citent aussi Henry Morgenthau, secrétaire d'État du Trésor du président américain Roosevelt qui disait : "L'impôt est le prix à payer pour une société civilisée, trop de citoyens veulent la civilisation au rabais". Trop d'individus, effectivement, veulent ubériser la société, veulent réduire la fonction de l'État, car l'État légifère, protège, contrôle, régule (en principe).
Les auteurs se réfèrent également aux nombreux livres parus ces dernières années sur ce sujet : impossible d'en dresser la liste ici tellement elle est longue. Tous à charge, que ce soit Le Loup dans la bergerie, d'Eva Joly, Les banksters, de Marc Roche, Tentative d'évasion (fiscale), du couple Pinçon-Charlot, Ces 600 milliards qui manquent à la Frace, d'Antoine Peillon ou Le Sens des affaires, de fabrice Arfi.
Leur livre est une bonne mise à disposition du grand public des données accumulées dans les rapports parlementaires que le citoyen, malheureusement, n'a pas le réflexe de consulter. Ce livre est une arme pour la lutte. A noter que les rapports parlementaires sur la fraude fiscale ont été adoptés à l'unanimité !
Voir bonnes feuilles sur PublicSénat : ici
Les rapports :
Sénat :
. Rapport de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales (860 pages)
http://www.senat.fr/rap/r11-673-1/r11-673-11.pdf
. Rapport sur le rôle des banques et acteurs financiers dan sl'évasion des ressoruces financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre (318 pages)
http://www.senat.fr/rap/r13-087-1/r13-087-11.pd
Assemblée nationale :
. Rapport d'information sur la lutte contre paradis fiscaux : si l'on passait des paroles aux actes
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1423.asp
Billet n° 305
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200. Le billet n°300 explique l'esprit qui anime la tenue de ce blog, les commentaires qu'il suscite et les règles que je me suis fixées.