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"Le Secret de la chambre noire"
Film du japonais Kiyoshi Kurosawa. Depuis la mort de sa femme dans des conditions troubles qui l'impliquent certainement, Stéphane (Olivier Gourmet), ancien photographe célèbre, ne fait plus la différence entre les vivants et les morts. Il ne cesse de photographier sa fille Marie

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(Constance Rousseau) dans une longue robe bleue. Il utilise un daguerréotype gigantesque avec plaques argentiques permettant des impressions de son personnage en pied, grandeur nature. Il cherche à reproduire des modèles qui datent de 170 ans. Les temps de pause, ne fixant que ce qui est immuable, doivent être très longs. Pour que le modèle demeure immobile, il est attaché à un véritable instrument de torture (qui aurait réellement existé selon Kurosawa). Marie, qui tolère la cruauté de son père, se réfugie dans la connaissance des plantes, pas seulement pour leur beauté mais aussi pour leur humilité.

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Stéphane recrute un assistant : Jean Malassis, interprété par Tahar Rahim, qui plonge dans cet univers lugubre. Kurosawa cultive son goût pour les fantômes, mais, dans Vers l'autre rive, les morts revenaient par amour, et pour vivre ce qu'ils n'avaient pas vécu. Ici, c'est mitigé : l'une revient pour harceler car elle a des raisons de se venger, l'autre revient par amour, pour s'assurer que "tout va bien", tout en réglant des comptes avec son père.
Les acteurs sont superbes : Olivier Gourmet, bourru, autoritaire et désespéré ; Tahar Rahim, soucieux des autres, spontané, timide, mais dans ce monde perturbé, malgré son réalisme, on ne sait plus s'il est dans le réel. Constance Rousseau, beauté diaphane, regard ingénu et inquiétant tout à la fois, débordant d'une tristesse solaire.

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Lors d'une projection à Auch, Constance Rousseau, petite jeune femme réservée, confirme que son personnage est "entre l'extase et la douleur". Elle confie que la seule scène d'amour, chaste, a été demandée par les acteurs eux-mêmes, Constance et Tahar, au réalisateur qui ne l'avait pas prévue au scénario, mais qui a reconnu qu'elle était nécessaire, tout en n'osant pas le leur demander. Le réalisateur ne parlant ni français ni anglais, les consignes étaient transmises par un traducteur, ce qui contraint toujours à aller à l'essentiel, sans tergiversations. Film à voir, pour le mystère qui y règne, pour le suspens et la tension qui l'imprègnent.
. Très belle musique de Grégoire Hetzel, qui parcourt tout le film.
. Bande-annonce :
. Sortie en salle le 8 mars. Vu en avant-première à Auch (Gers) le 6 mars, en présence de l'actrice principale, Constance Rousseau.
"Noces"
Film de Stephan Streker. L'histoire se déroule en Belgique, au sein de la diaspora pakistanaise. Zahira, jolie jeune fille, élégante, rebelle, est attachée à son milieu, à sa famille, y compris aux rites de l'islam. Mais elle aspire à vivre libre, et est totalement en phase avec ses ami-e-s de son âge (quitte à instrumentaliser sa religion pour refuser des garçons trop insistants). Sauf que ses parents veulent la marier à un jeune homme vivant encore au Pakistan. Son refus catégorique va les plonger dans un profond désespoir. Souffrant de la souffrance des siens, elle fait un pas, accepte une sorte de mariage à distance, façon Skype, quelque peu virtuel pour elle (remarque cocasse de la mère, traditionaliste : "il faut bien vivre avec son temps"). Ce mariage est bien réel, et on ne laissera pas fuir l'effrontée.
Les institutions n'acceptent pas la violence qui règne dans cette famille, la police est saisie, mais Zahira protège ses proches. Des amis "belges de souche" cherchent à s'entremettre, en vain. Le père redoute que sa fille, si elle ne se marie pas très vite, devienne célibataire : ce serait un déshonneur pour lui. Il constate que quinze femmes seules demeurent dans sa rue, "malheureuses" selon lui : "faites ce que vous voulez avec vos femmes célibataires", mais laissez-moi agir selon mes principes. Toute la famille se ligue contre Zahira, y compris sa sœur, moderne, qui revient d'Espagne pour la convaincre que c'est le lot des femmes de subir l'injustice : la révolte ne serait justifiée que si vraiment on peut changer les choses.
La jeune actrice Lina El Arabi joue à la perfection. Son regard noir dit toute sa détermination. Son frère Amir est interprété par Sébastien Houbani : il exprime très bien sa déchirure entre un amour sans doute sincère pour sa sœur et son refus viscéral qu'elle transgresse la tradition, d'autant plus qu'il constate que cela brise son père. Film éprouvant, abrupte, presque sans musique, d'où l'on sort abasourdi par tant d'amour et de haine mêlés.
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. Il fallait s'y attendre : des sites de la droite extrême tirent de ce film la conclusion qu'il importe plus que jamais de n'accepter aucune compromission avec l'islam.
. Le réalisateur, interviewé par Ciné 32 lors de son Festival Indépendance(s) & Création à Auch(octobre 2016), déclare, lui, qu'il espère que son film permette de se poser plus de questions : d'un point philosophique, la question, dans la mesure où elle "ouvre" le champ des possibles, est préférable aux réponses enfermantes. https://youtu.be/QKIQvvn40Ps (comprenant des extraits de la bande-annonce).
. Bande-annonce :
"Loving"
Film réalisé par l'Américain Jeff Nichols : il retrace une histoire réelle (d'amour), celle d'un couple mixte, Richard Loving (c'est son nom) et de sa femme Mildred, contraint, en 1958, à se marier dans l'État de Columbia pour échapper à l'interdiction des unions interraciales qui règne en Virginie. Persécutés et arrêtés par la police et la justice, condamnés à des amendes, ils doivent quitter leur État pour s'installer à Washington. L'affaire intéresse des avocats menant la lutte pour les droits civiques. Des manifestations sont organisées devant le Memorial Lincoln en soutien à ce couple. Une longue procédure s'engage et se conclut par une victoire : en 1967, un arrêt de la Cour Suprême déclare que la loi de Virginie n'est pas conforme à la Constitution.
La force qui unit ce couple est particulièrement touchante. On s'attache à ce grand costaud blond, sensible mais entêté, et cette femme fluette et de caractère, qu'il appelle Brindille. Les acteurs sont magnifiques de vérité (Joel Edgerton et Ruth Negga). Ce que ce film émouvant donne à voir c'est une Amérique donneuse de leçons, gangrenée par le racisme dans ce Sud sûr de lui et dominateur. Avec des arguments du style : "le moineau se mélange pas au rouge-gorge", "c'est la loi de Dieu". Et pas seulement de la part de ces hommes à la nuque raide, adeptes du KKK, mais aussi de celle d'un juge, descendant de cette caste esclavagiste, qui considère que les races doivent rester séparer et que c'est bien pour cela qu'il y a des continents différents !
. Le film suit d'assez près l'histoire vraie (y compris lorsqu'un photographe de presse s'introduit "amicalement" chez eux pour prendre des photos à leur insu). Voir affaire Loving sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Loving_v._Virginia
. Sortie en salle le 15 février. Film vu en avant-première au Festival Indépendance(s) & Création de Ciné32, à Auch (Gers) en octobre 2016.
"Manchester by the sea"
Quand on sort de ce film de Kenneth Lonergan (américain), on reste hanté par la solitude de cet homme, Lee, la trentaine, frappé par le malheur, pétri de culpabilité, cherchant à se sauver par la fuite. Et pourtant, la mort de son frère le conduit à se soucier de la situation de son neveu Patrick, 16 ans, qui aspire, lui, à une totale liberté. De cet affrontement incessant entre ces deux hommes, surgit quelque chose qui ressemble bien à de l'attachement. C'est le cœur serré qu'on se laisse embarquer dans ce récit qui se déroule finement, sans pathos : Casey Affleck joue tout en retenue, pour exprimer cette volonté de neutraliser le chagrin, et le jeune Lucas Hedges, dans ses provocations adolescentes, par son jeu crédible, nous laisserait presque croire que l'on assiste à un documentaire. Quel phénomène, cette Amérique, tout autant capable de produire du cinéma clinquant que des films tout en subtilité.
. J'ai déjà présenté sur mon compte Facebook Loving et Manchester by the sea.
Billet n° 309
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[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200. Le billet n°300 explique l'esprit qui anime la tenue de ce blog, les commentaires qu'il suscite et les règles que je me suis fixées.