Rapport sur les riches en France
- 9 juin 2020
- Par YVES FAUCOUP
- Blog : Social en question

On est prévenu : il ne s’agit pas d’un « brûlot anti-élite ». Sauf qu’un observatoire qui étudie les inégalités ne peut pas décrire que les pauvres (qui sont déjà l’objet de très nombreuses recherches, enquêtes, reportages). Il faut bien reconnaître qu’à une époque, les Pinçon-Charlot étaient bien les seuls (sociologues) à travailler sur les classes aisées (avec toute la difficulté et les ambiguïtés pour approcher ces gens-là). S’il existe un seuil de pauvreté (la moitié du revenu médian), il n’y a pas encore un seuil de richesse (sinon celui qu’a défini l’Observatoire, à savoir le double du revenu médian c’est-à-dire 3 500 euros nets après impôts). Cet ouvrage, unique en son genre, pourrait contribuer à préciser l’impact d’un tel seuil de richesse sur l'impôt et la législation sociale, en fournissant un document d’ensemble sur le sujet.
Dans notre société libérale, la richesse n’est pas une question. Par ailleurs, ce sont les riches qui détiennent l’information sur leur fortune, ce qui leur permet d’en faire la rétention. Pourtant, si l’on veut débattre de la répartition des richesses il faut bien disposer de toutes les données.
L'Observatoire a une approche particulièrement argumentée et correcte de la question des inégalités, comme lorsqu’il émet des réserves sur un seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian (préférant 50 %). Là, dans ce rapport, les auteurs précisent avec force que pour eux les riches ce ne sont pas seulement les 1 %. Ne prendre en compte que les ultra-riches, c’est considérer que les 99 % autres seraient tous classes populaires et classes moyennes. D’où le choix de considérer que les gens aisés sont les 10 % du haut de la pyramide. Cependant, les auteurs ne veulent pas imposer leur vision des choses, ils lancent un débat. Ils ne cultivent ni une haine contre les riches, ni un culte pour les pauvres : il s’agit juste de savoir comment faire pour qu’il n’y ait plus de richesses exorbitantes, indécentes, et que la répartition des richesses soit améliorée : « on ne peut pas à la fois déplorer le dénuement des uns sans mettre en cause les privilèges dont jouissent les autres ».
Le revenu médian est établi à 1 735 euros, ce qui conduit Anne Brunner et Louis Maurin à évaluer à 5 millions le nombre de personnes vivant au-dessus du seuil de richesse (le double du revenu médian soit 3470 euros exactement, après impôt, pour une personne seule), ce qui représente 8,2 % de la population, tandis que le taux de pauvreté s’établit à 8 % (à la moitié du revenu médian, soit 867 euros par mois pour une personne seule). Évidemment, le niveau moyen des 1 % les plus riches est nettement plus élevé puisqu’il s’établit à 15 000 euros mensuels.

Pendant les Trente Glorieuses (1945-1975), les inégalités stagnaient, mais depuis elles sont reparties à la hausse. Ces dernières années, le nombre de grandes fortunes augmente : non seulement ils gagnent plus, mais leur patrimoine s’accroît. C’est encore plus vrai depuis l’élection présidentielle : si on manque de chiffres pour le moment, on sait que 5 milliards d’euros manquent au budget de l’État, redistribués aux plus riches par la réduction de l’ISF et la baisse de l’impôt sur le capital.
![Yacht dans le bassin d'Arcachon [Ph. YF] Yacht dans le bassin d'Arcachon [Ph. YF]](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2020/06/09/dscn7099.jpg?width=1830&height=876&width_format=pixel&height_format=pixel)
Les auteurs rappellent que l’Insee se fonde sur ces équivalences pour déterminer les besoins par ménage : 1 part pour une personne seule, 0,5 part pour le deuxième adulte et chaque enfant de plus de 14 ans, 0,3 part pour chaque enfant de moins de 14 ans. On le comprend, c’est une convention, qui ne recouvre pas forcément la réalité.
Le rapport fourmille de tableaux, de graphes qui illustrent avantageusement les démonstrations. On a même un état des revenus annuels des plus riches footballeurs (entre 14 et 33 M€) ou des stars de cinéma (entre 1 et 2 M€). Il se penche sur le sens du mot riche, sur les signes extérieurs de richesse et dresse un portrait-robot des plus fortunés.

Lors de la présentation du rapport en visio-conférence ce mardi 9 juin, animée par Anne Brunner et Louis Maurin, ce dernier précisait bien que ce seuil de richesse n’est pas un plafond de pauvreté mais « un minimum » à partir duquel on peut dire que les citoyens sont riches (ou alors les mots n'ont pas de sens). L’impôt sur le revenu peut très bien commencer à s’appliquer très progressivement à partir du revenu médian, sans attendre ce seuil de richesse. Interrogé sur le revenu de base, il a renvoyé à son dernier article sur le sujet, considérant que l’urgence est de réduire les inégalités, de mettre en œuvre réellement, concrètement, rapidement ce qui contribuera à atténuer l’écart entre riches et pauvres dans le pays. Il a indiqué que l’Insee ne parle pas de riches, car apparemment ça n’intéresse ni les chercheurs, ni la presse : et pourtant, des plafonds de revenus sont sans cesse utilisés par la législation sociale. En insistant sur ce seuil de richesse, ce rapport changera peut-être la donne.
En Europe, les riches français sont parmi les plus riches (juste après les Suisses), ce qui prouve que toute la thèse de la fuite des riches à cause des impôts n’est que pure propagande : selon Louis Maurin, il arrive que les riches français avouent eux-mêmes clairement que leur intérêt est de vivre en France, pour de très nombreuses raisons, et que ce ne sont pas des impôts un peu plus élevés qu’ailleurs qui vont les pousser à quitter le pays.
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. Rapport sur les riches en France, sous la direction d’Anne Brunner et Louis Marin, éd. Observatoire des inégalités, 104 pages, juin 2020. Accessible sur le site : www.inegalites.fr (10 € + frais d’envoi). Cette publication a été possible grâce à plus de 1000 personnes qui se sont mobilisées pour son financement participatif.
. voir par ailleurs l’article de Louis Maurin, Pour en finir avec le revenu universel : « Il est temps de sortir du piège du revenu universel, qui en dit long sur le niveau de réflexion actuel sur la redistribution de la richesse notamment à gauche. La crise actuelle appelle des mesures rapides et fortes, pas des spéculations sans fin sur de l’argent magique. Il faut que les partisans du revenu universel qui œuvrent sincèrement pour le progrès social comprennent que s’il est universel, c’est un revenu pour les riches. Le débat devrait porter sur le montant du minimum pour les plus modestes et sur la manière dont on redistribue la richesse dans la société, pour que chacun puisse vivre mieux et que soient offerts à tous des services publics modernes de qualité ».
. Louis Maurin a publié un article dans Alternatives économiques du 1er novembre 1997 intitulé Qui est riche en France ? dans lequel il évoquait déjà un "seuil de richesse".
Billet n° 557 : Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique.
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