Le message de paix avec la nature des peuples autochtones de Colombie
Tchendukua accompagne des peuples autochtones en Colombie, qui défendent leurs terres et prônent un autre rapport au vivant. Parmi eux, les Kogis venus en France pour un dialogue entre connaissance ancestrale et savoir scientifique afin de soigner ensemble la terre. Rencontre avec Cédric Villani, mathématicien, qui s’est rendu sur leur territoire, et Lise Fabbro, chargée de mission de Tchendukua.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
[Photo Eric Julien, directeur de Tchendukua, Ici et Ailleurs]
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Tchendukua et les Kogis
Tchendukua est une association qui a été créée par Éric Julien en 1997, géographe et consultant en entreprise, qui effectua en 1985 un voyage en Colombie, dans la région de Santa Marta dans la Sierra Nevada, à l’extrême nord de la Colombie. Atteint au cours du voyage d’un œdème pulmonaire, il est soigné efficacement par les Kogis, peuple autochtone de la région. "Kaggabas" est la façon dont ils se nomment eux-mêmes, "Kogis" la manière dont ils sont désignés par les non-Kogis. C’est pour cela que Tchendukua continue de parler des Kogis. En guise de remerciement, il décide, dix ans plus tard, de fonder Tchendukua (c’est le nom d’un village qui signifie là où converge la pensée) sous-titrée Ici & Ailleurs. Ils lui expliquèrent plus tard qu’ils n’avaient pas voulu le laisser mort dans la montagne… pour ne pas la polluer.
Eric Julien, en Colombie [Photo Lise Fabbro]
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Le but est d’accompagner les Kogis à préserver leur autonomie afin qu’ils soient maîtres de leur vie et de leur futur. Cela passe par la préservation de leur culture qui consiste, à la différence de nos sociétés, en une harmonie parfaite entre nature et culture, en un lien spirituel entre eux et la vie qui les entoure ; par la reconstitution de la biodiversité ; par la zigoneshi, c’est-à-dire la fraternité, l’entraide : entre eux d'une part, entre eux et la nature environnante d'autre part. Enfin, un aspect crucial de sauvegarde de ce peuple est de pouvoir demeurer sur leurs terres, menacées sans cesse par des prédateurs qui cherchent à les accaparer. Ce que fait Tchendukua c’est d’acquérir des terres (2472 hectares depuis 25 ans) et de les restituer aux Kogis. Près de 60 familles ont pu se réinstaller sur leurs terres ancestrales et 1200 hectares de forêts ont été régénérés. L'objectif de l'association Tchendukua - Ici & Ailleurs est la protection et la conservation de l'environnement et du patrimoine culturel de l'humanité. Ces rachats de terres permettent d’élargir le territoire des réserves indigènes et de récupérer des terres appartenant à des non-indigènes. Mais cette action essentielle est accompagnée d’autres actions : de régénération pour la préservation de la végétation et des sources d’eau, de pédagogie, de formations des leaders et de dialogue en vue de la construction des savoirs.
Luis Napoleón Torres qui sauva Eric Julien en 1985. Il fut assassiné par une milice complice de l’armée colombienne en 1990 [Photo datant de 1971, prise par Claude Simonutti qui me l’a aimablement communiquée]
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Cette région de Colombie est considérée par les Kogis comme étant le « cœur du monde ». Ses particularités géographiques, diversité de climats, glaciers, lacs, zones humides, déserts, forêts humides, des déserts et la mer des Caraïbes, font de ce lieu le premier hot spot de biodiversité de la planète ! Une ligne noire invisible l’entoure. Elle relie les sites de valeur, à travers lesquels les Kogis organisent les territoires et leur société.
Outre Éric Julien, l’association compte trois salariés en France : Jacqueline Bac, Pauline Thiériot et Lise Fabbro. Cette dernière réside dans le Gers, je l'ai rencontrée récemment pour qu’elle m’éclaire sur Tchendukua.
Les valeurs d’un peuple autochtone
En 1991, la nouvelle constitution colombienne a reconnu le droit des peuples autochtones à s’organiser selon leurs lois et coutumes sur leur propre territoire. Ils doivent, selon la loi en vigueur, désigner un gouverneur, alors que ce n’est pas leur type d’organisation traditionnelle. En réalité, les décisions sont prises par les Mamas et les Sagas (autorités traditionnelles hommes et femmes) et le gouverneur ne fait qu’entériner ces décisions.
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En 2009, l’ancien gouverneur a demandé à Tchendukua que les Kogis puissent entrer en dialogue avec nos sociétés et nos scientifiques, afin que leur communauté puisse communiquer au monde leur rapport au territoire, à la "nature" et de trouver des manières communes de soigner la terre. Le grand projet d’Éric Julien est de tenter de créer des ponts entre nos sociétés et la leur. Ainsi, en 2018, un premier projet, intitulé Diagnostic croisé de santé territoriale, a consisté à rassembler historiens, géographes, anthropologues, naturalistes avec quatre Kogis afin d’établir un diagnostic croisé de la santé du Haut-Diois (dans la Drôme) : quels sont les grands équilibres d’un territoire ? Comment peut-on établir un lien entre "santé territoriale", "santé humaine" et "santé sociétale" ? Ce fut une belle réussite : l’expérience a été couverte par l’Agence Française de Développement (AFD, groupe public qui finance et accompagne de nombreux projets de transition dans le domaine du climat, de l’éducation, de la santé), par We Demain (agence indépendante qui soutient des initiatives innovantes et publie un magazine au titre éponyme) et France Culture.
La démarche de Tchendukua consiste à respecter le mode de vie et de pensée des Kogis : il s’agit ni, bien sûr, d’imposer les nôtres, ni de tenter de s’accaparer leurs savoirs. Par exemple, il existe une pratique traditionnelle chez les Kogis qui consiste à ce qu’un enfant suive une formation initiatique longue, de 9 à 18 ans, en restant essentiellement dans le noir, dans un habitat spécifique, la Nuhé, avec des individus qui les instruisent et leur transmettent des savoirs secrets. Ils acquièrent alors une sensibilité et une lecture de l’invisible à laquelle nous n’avons pas accès. On n’en sait pas davantage sur cette tradition et le but n’est pas d’en savoir plus. Le gouverneur des Kogis dit avec humour : « arrêter de m’envoyer des perdus spirituels qui veulent trouver des plantes hallucinogènes ou leur chemin de vie ». Cette façon de faire, envahissante, est destructrice de leur société.
[Photo Eric Julien]
Ces peuples n’ont pas connu de ruptures historiques : depuis 2000 ans, ils vivent de la même façon, alors qu’autour d’eux des projets d’extraction pullulent (charbon, émeraude, or) prévoyant la destruction de leurs sites "de valeur". Certains n’excluent pas que ces sites de valeur (que nous pourrions appelés "sacrés") aient été édifiés là parce qu’ils en connaissaient les richesses souterraines. Malgré la protection assurée par la Constitution, ces sites sont menacés car l’État a autorisé des extractions.
Proche de la Sierra Nevada, le peuple Wayuu, à la frontière avec le Venezuela, n’a plus accès à l’eau à cause de la mine de charbon la plus grande au monde, ElCerrejόn, qui appartient à trois multinationales et qui a déboisé 60 000 hectares et pratiqué des explosions qui ont provoqué des mini-tremblements de terre.
Le travail de Tchendukua consiste à soutenir la gestion et la récupération environnementale et culturelle des territoires. Les projets sont soutenus par l’AFD (Agence Française de Développement), des villes solidaires, des régions, des petites communes, des fondations privées hébergées à la Fondation de France, des dons, et des cotisations des adhérents.
L’association s’investit d’autant plus dans cette action humanitaire qu’elle prône les valeurs des peuples autochtones de la Sierra Nevada de Santa Marta, et leur façon d’être au monde : créer des liens de proximité, faire son jardin, privilégier la mobilité douce, agir avec une conscience écologique.
Shikwakala, soigner ensemble la Terre et chercher la paix du territoire
Scientifiques, experts et délégation kogi sur les orteils du Rhône [Photo Perrin Remonte]
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« Chercher la paix du territoire » ( Arregocés Conchacala)
Shikwakala : ce terme signifie « les trames invisibles qui maintiennent vivantes les composantes du monde ». Ces trames relient les êtres vivants entre eux, tous interdépendants, et permettent l’harmonie du monde. En ce moment, du 25 septembre au 18 octobre, un diagnostic croisé (le second) est en cours (diagnostic terrains, conférences et ateliers ouverts au public) dans le bassin du Rhône, de Genève à Lausanne, en passant par Lyon-Villeurbanne, Grenoble (rencontre avec 700 élèves du lycée Mounier), en Auvergne (sur le site de Rophin avec les physiciens du CNRS), avant un saut en Corse et un passage en Île-de-France.
Délégation kogi aux sources du Rhône, septembre 2023 [Photo Xavier Liberman]
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Pour cette action de grande envergure (appelée Shikwakala), Lise Fabbro, chargée de projets à Tchendukua, était présente sur tout le parcours. Arregocés Conchacala Zabalata, gouverneur du peuple Kogis, participe avec quatre autre Kogis à ce déplacement en terre européenne. L’enjeu est aussi de donner de la visibilité et de valoriser les connaissances du peuple kogi, y compris au niveau institutionnel, afin que leurs droits soient mieux respectés chez eux, dans la Sierra. Plusieurs maires (Genève, Lyon, Villeurbanne, Grenoble, Boulogne…) ont accepté la rencontre, souhaitant tisser des liens et s’inspirer de la pensée kogi dans la manière d’appréhender le territoire. La ville de Villeurbanne est particulièrement impliquée : le diagnostic des Kogis viendra nourrir sa réflexion sur sa stratégie biodiversité et sur l’aménagement du Parc naturel urbain de la Feyssine.
Sur les lônes du Rhône, octobre 2023 [Alain Roux]
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Lise conclut : « J’ai beaucoup de gratitude pour les peuples autochtones. Grâce à eux, je vois le territoire autrement. Arregocés Conchacala, gouverneur du peuple kogi insiste sur le fait qu’ils ne sont pas venus en Europe pour convaincre, mais pour offrir leur vision du monde et demander la paix avec le territoire». Elle précise quelques recommandations duplicables sur d’autres territoires que justifie cette vision du monde, parmi lesquelles : « inviter les politiques à régénérer les espèces natives ; retrouver les connaissances oubliées de nos peuples autochtones ; rechercher les noms indigènes des lieux, les toponymies anciennes ; faire la paix avec la nature et avec les humains ; inviter les jeunes à pratiquer le territoire, les montagnes, et s'éloigner de leurs écrans. Pour eux, les montagnes sont des personnes, des États, qui dicteraient des lois intangibles. Ils et elles appellent à freiner le tourisme de masse et à valoriser les indicateurs de santé territoriale, pour mieux protéger les sites de haute valeur, retrouver l'ADN et la mémoire des lieux. Le peuple kogi cultive une connexion avec la nature, qu’il considère comme une entité vivante. La compréhension des dynamiques de notre territoire est un enjeu essentiel pour sa préservation et sa résilience ».
Le voyage des scientifiques : immersion dans la diversité du vivant
En avril 2023, six scientifiques ont effectué avec l’équipe de Tchendukua un voyage en Colombie : outre Cédric Villani (voir entretien ci-après), Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, naturalistes, Céline Léandri, archéologue, Nathalie Michel, physicienne, Emma Haziza, hydrologue. Dans la lettre Ici et Ailleurs, chacun a témoigné, en lien avec sa spécialité, de l’importance de cette démarche. Dans la vallée de Mendihuaca, ils ont pu constater les dégâts causés par les fumigations menées par le Plan Colombia provoquant la destruction et la pollution des cultures vivrières des Kogis.
Je rencontre Cédric Villani à Fleurance, dans le Gers, où il doit intervenir le soir même pour présenter Blaise Pascal, « mathématicien du cœur et premier entrepreneur de la Tech », dans le cadre du 33ème Festival d’astronomie de Fleurance. Au cours d’un exposé brillant, didactique, drôle, espiègle, passionnant donc, il conquiert l’auditoire en causant de géométrie euclidienne et de l’inventeur de la pascaline, première machine à calculer au monde.
Une délégation de scientifiques dont Cédric Villani, mathématicien, Emma Haziza, hydrologue, et l'équipe de Tchendukua reçus en territoire kogi, avril 2023 [Photo Eric Julien]
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Je l’interroge pour connaître les raisons qui l’ont conduit à participer à ce voyage en Sierra Nevada, à Santa Marta, en avril 2023. Il m’invoque le fait qu’il fait preuve d’une « curiosité très développée » et qu’il a reçu avec intérêt la proposition d’Éric Julien de participer à une expédition de scientifiques auprès des Kogis avec l’association Tchendukua. Il avait auparavant approché ces questions des cultures autochtones, ayant rencontré le chef des Yanomami, Davi Kopenawa, avec la photographe Claudia Andjuar. Il s’est rendu à l’été 2018, à l’invitation d’Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier et Bruce Albert, sur le territoire des Yanomami (à cheval sur le Brésil et le Venezuela) pour rencontrer des artistes, qui ont été exposés à la Fondation Cartier. Par ailleurs, au cours de sa carrière internationale, il a rencontré aux USA des représentants des peuples premiers ainsi que lors d’une Conférence sur le climat.
Territoire kogi, avril 2023 [Photo Eric Julien]
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« Éric m’a aiguillonné sur la capacité des Kogis à savoir que des étoiles, invisibles à l’œil nu, existent, mais je n’en avais rien à faire : ce sont les coutumes, les traditions de ce peuple qui m’intéressaient, les fils de la connaissance, comment ont-ils accédé au savoir alors qu’ils n’ont qu’une transmission orale, non écrite, et comment ils s’interrogent par rapport à ce savoir. Voilà ce qui était fascinant ». Ce qui conduisait à se demander ce qu’est un savoir : « un bouquin, quelques phrases, ce que l’on enseigne ? ». S’ajoutait à cela un engagement écologique ces dernières années [Génération écologie]. Dans sa fonction de député [à l’époque LREM], l’approche des questions agricoles a été sa plus « grande découverte ». Il a été amené à traiter de l’élevage, du commerce international, des pesticides : « en arrivant à Santa Marta, c’était la version XXL, ce n’était pas le problème de la FNSEA mais le risque [pour les autochtones] de se prendre une balle dans la tête. Ce sont des centaines de milliers d’hectares spoliés, pris par la force. Le sujet c’est la survie. Pour un politique comme moi qui a bossé sur les lois, sur la Constitution (un peuple, une langue), c’était se retrouver sur un territoire où il y a 64 peuples reconnus, identifiés, avec une diversité de langues extraordinaire ».
« J’étais déjà allé dans la forêt tropicale mais là c’était pour plus longtemps, c’était concret, c’était se confronter à une question de survie, retrouver les réflexes inscrits dans l’organisme. Élisée Reclus est mon héros personnel, pour son engagement en faveur des animaux, son militantisme pour le végétarisme, sa reconnaissance des droits des femmes. Il a écrit des textes formidables sur ces sujets. Rien à envier aux antispécistes d’aujourd’hui. Eh bien, il a fait un grand voyage et s’est rendu… à Santa Marta (1) ».
Délégation de scientifiques en territoire kogi, avril 2023 [Photo Pauline Thiériot, chargée de mission à Tchendukua]
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« Dans le Chako, à un moment vous dites adieu au monde qu’on connaît : on est ailleurs. Pays de contraste où on passe du Coca ou du MacDo à l’armoire de Narnia. Comment un tel pays peut tenir, avec des taux de mortalité très disparates. La Constitution est bafouée, car elle reconnait l’accès libre des peuples autochtones à leurs sites « sacrés » ou sites « de valeur » mais ce n’est pas respecté. Un véritable racisme est exercé à leur encontre. Un écologiste croit autant à la diversité des cultures qu’à la diversité du vivant. Il y a des langues à préserver ».
Pour Cédric Villani, quand six scientifiques arrivent à Paris ou à Berlin, c’est un non-événement, mais ici, ce fut « un accueil fantastique ».
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(1) Élisée Reclus, Voyage à la Sierra Nevada de Sainte Marthe, Paysages de la nature tropicale. Le livre original est en accès libre sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France [ici], une version papier de l’original a été publié par Gallica et Hachette. L’ouvrage, malgré son titre, porte sur une zone bien plus large que la Sierra Nevada de Santa Maria, mais l’auteur dit sa fascination pour cette région : selon lui, tout est rythmique, dans ce monde à part, « il est doux de contempler cet admirable tableau ! On regarde, on regarde sans cesse, et l’on ne sent point les heures s’envoler. Le soir surtout, quand le bord inférieur du soleil commence à plonger dans la mer et que l’eau tranquille vient soupirer au pied des falaises, la plaine verte, les vallées obscures de la Sierra, les nuages roses et les sommets lointains, saupoudrés d’une poussière de feu, présentent un spectacle si beau qu’on cesse de vivre par la pensée et qu’on ne sent plus que la volupté de voir».
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Rencontre avec Lise Fabbro : « Agis dans ton lieu et pense avec le monde »
Lise Fabbro [Ph. YF]
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Je rencontre Lise chez elle, dans son village, qui, à l’initiative de son maire Michel Soriano, est une commune pour la paix et la laïcité (voir mon article Un village pour la paix). De chez elle, on peut admirer les vallons, prés, champs et bois, qui ondulent à perte de vue.
Je l’interroge alors sur les raisons qui l’ont fait entrer dans cette association : « Après une licence en droit et un intérêt pour l’anthropologie juridique, après SciencesPo Grenoble (option écologie politique), j’ai effectué deux stages en Amérique du Sud. Pour le premier, j’ai passé 8 mois à Carthagène sur la côte caraïbe. J’ai participé, avec des avocats et des politistes, à la réalisation d’un livre didactique de droit ethnique pour la communauté Zénu et plusieurs conseils communautaires afro descendants des départements de Bolivar et Sucre, dans un but de simplification juridique.
En Colombie, les afro-descendants, descendants d’esclaves, sont plus nombreux (10 %) que les populations indigènes (3,5 %). Ces dernières sont mal représentées car elles ne bénéficient d’aucun accompagnement pour les aider à se constituer en communauté et faire valoir leurs droits. De leur côté, un grand pourcentage des afro-colombiens ne se reconnaissent pas Afros mais Blancs ou métis. Or pour faire communauté, il faut se faire reconnaître : alors seulement des subventions sont accordées pour créer des écoles, des centres de santé, et un conseil communautaire par localité. Si un projet d’extraction par exemple est envisagé, le conseil communautaire ou le cabildo indigène doit se prononcer. S’il n’y a pas de communautés déclarées, alors les spéculateurs ont le champ libre. Des exploitants achètent des communautés pour avoir gain de cause : des juristes aident ces dernières pour qu’elles ne soient pas ainsi abusées.
La délégation kogi à Genève [Photo Alexandre Bouchet]
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Après l’obtention de son master, Lise est revenue en Colombie où elle a travaillé bénévolement pour une ONG colombienne qui créait le premier réseau d’AMAP [association pour le maintien d’une agriculture paysanne] à Bogota, tout en donnant des cours de français et de yoga pour vivre. C’est alors que Tchendukua lui a proposé un service civique puis un emploi, chargée de projets en France : sensibilisation aux peuples autochtones, avec interventions dans les écoles, les lycées et les universités sur tout le territoire, à la demande des enseignants. Elle assure une veille politique journalière, elle gère le site de l’association et participe à la rédaction de lettres d’information mensuelle. Elle collecte tout ce qui est réalisé sur le terrain (dans la Sierra Nevada) afin d’en informer les partenaires et financeurs. Elle intervient aussi dans les établissements scolaires pour sensibiliser les jeunes générations. Pauline Thiériot est en charge du suivi des projets en Colombie, mais elles sont amenées à se relayer sur leurs missions.
Aux sources du Rhône [Photo Lise Fabbro]
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Je connais les engagements locaux de Lise, sa participation à des groupes musicaux, qui se produisent lors de fêtes souvent associées à des projets solidaires. Je sais qu’elle vit à la campagne, qu’elle ne roule qu’en vélo (elle rejoint le chef-lieu par les chemins, une demi-heure au lieu des dix minutes en voiture).
« Ma vie est à la campagne, avant tout. Ce qui me plaît c’est ce rapport au vivant. Apprendre à cultiver le jardin avec la lune. Pratiquer le territoire. M’impliquer davantage localement. On a perdu la pensée systémique, à la différence de ces peuples. Edouard Glissant dit : « agis dans ton lieu et pense avec le monde ». La formation de SciencesPo m’a permis d’avoir une lecture globale des enjeux.
La musique est au cœur de ma vie. Mon grand-père était agriculteur et organiste. Depuis petite, je vis la musique comme lieu de partage et de communication avec l’autre. La musique, outil d’expression créative, « est l’expression la plus haute de la transmission » pour les Kogis. L’agriculture et la culture c’est la même chose : par exemple pour les Kogis, la musique permet de libérer les pensées négatives. »
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. site de Tchendukua, très bien fait, fourmillant d’informations : ici.
. Tchendukua vit des cotisations et des dons : les actions que mène cette association nécessitent des moyens financiers. Des dons peuvent lui être adressés : ici.
. Je remercie l'équipe de Tchendukua, en particulier Lise Fabbro, pour les informations fournies m'ayant permis de publier cet article ainsi que celles et ceux qui ont réalisé les photos créditées reproduites ici.
Délégation kogi aux lônes du Rhône [Photo Alain Roux]
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