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Billet de blog 23 mai 2017

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Marx, Maryam Madjidi et la poupée

Actualité de l'Iran : élection présidentielle, cinéma, littérature. En ce mois de mai, Maryam Madjidi a reçu le prix Goncourt du premier roman. Rencontre avec l'auteur de "Marx et la poupée".

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Illustration 1
François Busnel [capture d'écran]

Maryam Madjidi était invitée de François Busnel, à La Grande Librairie sur France 5, en direct, le 16 mars dernier. Le lendemain, elle était présente à Auch, dans le Gers, à l'initiative d'une autre grande librairie, celle des Petits Papiers. Malgré sa prestation télévisée impromptue de la veille, elle avait tenu à respecter son engagement à venir ainsi aux fins fonds de la province. Evidemment heureuse du succès de son livre. Sans savoir, bien sûr, qu'elle obtiendrait peu après le prix Goncourt du premier roman.

Illustration 2
[capture d'écran]

Roman, ce n'est pas tout à fait le mot. Mais ce n'est pas non plus un récit. Son roman parle d'elle, le prénom n'est pas modifié, et quand elle nous évoque le personnage elle ne cesse de passer de la troisième à la première personne, et vice versa.

Née en Iran, elle décrit la façon dont elle a vécu cet exil à l'âge de six ans. A ce moment-là, avec sa mère, elle rejoint son père déjà réfugié à Paris. La famille vit alors dans des conditions plus que précaires. Elle nous parle avec émotion de "son" pays, qu'elle a pourtant voulu ignorer quand, enfant, on lui demandait de parler persan, de ne pas trop se franciser. Puis, avec l'âge, elle a voulu retourner aux sources. Replonger dans cet Iran, "pays  paradoxal, contrasté, fait de violences et de douceur, qui a fait l'objet, tout au long de son histoire, d'invasions mais a su sauvegarder sa langue, le persan".

Et cette langue, mise un temps sous le boisseau, Maryam la parle : elle nous lit quelques passages de son livre, poèmes écrits en persan, poésie du grand Roumi*, tant vénéré par les Iraniens. Comme dans tant de pays, la langue est un étendard. Maryam confie que certains vieux refusent même de saluer en disant "Salam", contestant qu'on aille chercher des mots arabes inutiles. Sa grand-mère adorait la poésie, sa mère également, tandis que son père est calligraphe.

Elle-même a non seulement une parfaite maîtrise du français, que son ouvrage démontre, mais elle déclare que sa "véritable patrie ce n'est pas la France, mais la langue française". Dans son enfance, la question de la langue a joué un grand rôle : sa mère, traumatisée par l'exil, ne parlait plus, et Maryam ne s'exprimait qu'en français. Le père craignait plus que tout que l'enfant ne puisse plus échanger avec ses parents. Et aujourd'hui, elle enseigne au sein d'une antenne de la Croix-Rouge le français à des mineurs isolés étrangers (Pakistanais, Afghans).

Illustration 3
La Grande Librairie, France 5, en présence de Laurent Gaudé [capture d'écran]

Elle se sent tiraillée entre la France et l'Iran, "on nous sommes de choisir, de choisir une identité" alors même qu'elle voudrait dépasser cette obligation, et être "citoyenne du monde" (elle a vécu quatre ans à Pékin, mais aussi à Istanbul, au Cambodge, au Vietnam, en Inde).  Elle refuse les injonctions d'intégration (terme trop fort selon elle), a fortiori d'assimilation. Ce qui ne l'empêche pas de se moquer des orientalistes, c'est-à-dire d'elle-même, car elle ne craint pas la dérision à son propos. Y compris pour décrire son engouement pour l'Iran lors de son tout premier voyage : tout était beau, elle trouvait des excuses à tout (le voile, l'interdiction de l'alcool). Elle prétendait qu'à Téhéran avaient lieu les plus belles fêtes. Un peu, dit-elle, comme lorsque l'on trouve les qualités à un amoureux : "il est bête ? Non, seulement naïf". Or aujourd'hui, quand elle retourne à Téhéran, elle ne retient que le négatif, et ne tient pas quinze jours. Désormais, elle fait la part des choses, mais sait qu'elle ne vivra jamais dans ce pays.

Elle n'avait pas accepté que l'éditeur lui impose un titre, alors, car elle a du caractère, elle a décidé de lui proposer trente titres. Parmi eux, il y avait "Déterrée", qu'elle aimait bien, mais aussi "Un campement dans le désert".  Elle avait pensé aussi à La poupée et Marx : l'éditeur a retenu ce titre mais en l'inversant, meilleure sonorité. Éditeur qui a de l'humour puisque, chose unique, tous les titres auxquels nous avons échappé sont publiés au dos de la jaquette ! Une traduction en arabe est envisagée. Il ne sera pas officiellement diffusé en Iran, mais pourrait l'être sous le manteau. On trouve les livres interdits, même rares, chez des libraires qui savent où les trouver.

 Elle  explique que ce sont les libraires qui ont fait le succès de son livre. Ce sont des passeurs. Elle a d'autres projets en tête, car elle n'a évoqué que son premier retour en Iran. Mais le succès et la promotion l'empêchent de se consacrer à son prochain ouvrage.

Illustration 4

Marx et la poupée

C'est un récit qui balance sans cesse entre le passé, l'enfance, la construction d'une personnalité et le présent récent d'une jeune adulte qui se cherche, qui expérimente, qui a une faim de connaître et de découvrir. Des personnages forts apparaissent, comme ce jeune homme, Abbâs, "le seul qui s'intéresse à moi", parmi tous ces anonymes qui fréquentent la maison paternelle à Téhéran pour des réunions politiques clandestines.  "Ces yeux brillent quant il sourit et même quand il ne sourit pas. Il a le regard des illuminés. Abbâs, c'est une étoile filante : il n'aura pas une longue vie parce que son cœur, un jour, ne pourra plus contenir tout cet amour à donner. Un jour, son cœur explosera et j'espère que le monde sera éclaboussé de son amour." Arrêté, il a été fusillé en prison. Son père est mort d'une crise cardiaque, sa mère est devenue folle.

Illustration 5

Son écriture virevolte entre poésie, humour, fraîcheur, tragédie. Son texte joue sur l'exotisme, ce pays lointain qui nous fascine, qu'elle quitte, qu'elle rejoint, mais aussi sur l'évolution psychologique d'une fillette, d'une jeune fille écartelée entre deux mondes ("elle se souvient et regrette"). On passe de la première dent de lait arrachée aux bombardiers qui vont se perdre à la frontière irakienne, sans autre forme de procès. Ce mélange, finalement, est bien réaliste. Un chauffeur de taxi à Téhéran lui lit un poème de Hâfez (XIVème siècle) qu'il résume ainsi : "Bois, car si tu as l'œil, tu verras que tous les chefs religieux sont hypocrites. Hâfez, enivre-toi, sois intelligent et heureux, mais ne tombe pas dans le piège de l'hypocrisie comme ceux-là qui ont sali le Coran".

Et d'ajouter : "Ma petite dame, la seule chose que nous avons su préserver, c'est notre poésie et c'est la seule chose à sauver de l'Iran".

. Le Nouvel Attila éditeur, 2017.

Illustration 6

________

* Roumi, poète mystique persan, né au début du XIIIème siècle dans le Khorasan (région perse de l'actuel Afghanistan) a influencé le soufisme. Il est mort d'ailleurs dans la capitale des derviches tourneurs, Konya, dans l'actuelle Turquie.

Konya, mausolée de Mevlana, surnom de Roumi ou Djalâl ad-Dîn Rûmî, signifiant "notre maître" [Photos Yves Faucoup].

Illustration 7
[Ph. YF]

Billet n° 322

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