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Plusieurs enfants sont filmés, le plus souvent à l'hôpital (Necker, Robert Debré, Toulouse) : ils ont entre 6 et 9 ans et se prénomment Charles, Imad, Camille, Tugdual, Jason ou Ambre. Ils sont atteints de maladies graves, certains ne survivront pas. Les soins sont contraignants et si ces gamins veulent montrer leur résistance, il n'empêche que la souffrance se lit sur leurs visages. La caméra n'épargne pas les spectateurs, ni les plaies, ni les étouffements, ni les longues dialyses, ni les corsets. "La morphine, ça évacue la douleur, mais ça fatigue", confie un enfant, qui ajoute qu'elle ne fait pas effet longtemps : "c'est pas grave, c'est la vie" ! Mais ils rient, plaisantent, courent dans les couloirs, même si ce doit être en clopinant ou en trimbalant un sac à dos avec appareil respiratoire. Ils sont comme tous les enfants mais émerge d'eux comme une part d'adulte. Parce que confrontés à la mort ?
Un gamin nous dit : "quand on est malade, ça n'empêche pas d'être heureux. Quand un ami meurt, on est triste pendant longtemps, mais ça n'empêche pas d'être heureux". Il observe un temps de réflexion puis ajoute, dans un mélange de fatalisme et d'espérance : "Rien n'empêche d'être heureux" ! Ou celui qui déclare : "quand je serai mort, je serai plus malade". L'un d'entre eux, Imad, vient d'Algérie, ses parents l'assistent, sa mère porte le voile. Face à l'angoisse qui l'étreint, on est bien loin des obsessions virales à propos de ce bout d'étoffe (1).
Agrandissement : Illustration 3
Camille, un garçonnet au crâne rasé, toujours drôle, se présente à la caméra : "Ma petite sœur a un an et demi, mon père 30 ans et demi, ma mère 35 ans et demi et moi 5 ans et demi. C'est la famille et demi". La réalisatrice nous apprend lors du débat que Camille est décédé six mois plus tard.
La caméra filme, capte des instants précieux, sans jamais qu'une question ne soit posée. Évidemment, il se dégage de ce film une tension permanente qui produit une intense émotion. En tout cas, c'est ce que j'ai éprouvé, mais je sais que des spectateurs ont été gênés par une exploitation excessive de la sensibilité, au détriment d'un autre propos qui pouvait être tenu sur cette question de la souffrance des enfants.
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(1) Le jour de la projection, on apprend que cet enfant, bénéficiant d'un rein donné par son père, a été opéré trois jours auparavant. L'opération s'est bien passée.
"Ils nous donnent des leçons"
Agrandissement : Illustration 4
Anne-Dauphine Julliand a fait des études de journalisme. Elle à publié un ouvrage en 2011, Deux petits pas sur le sable mouillé, dans lequel elle évoque la maladie et la mort de sa fille Thaïs, atteinte d'une maladie génétique grave. En 2013, elle a raconté la vie de la famille quatre ans après cette disparition (Une journée particulière). C'est cette histoire personnelle qui l'a conduite à filmer la condition de ces enfants hospitalisés avec une sorte de parallèle entre l'attitude combattive de Thaïs, la réaction optimiste qu'a eu le couple face à ce destin cruel (un autre enfant du couple est porteur de la même maladie) et celle, sereine, qu'adoptent ces enfants devant ce que nous percevons comme une injustice incommensurable.
Elle a travaillé sur ce projet pendant trois ans, puis a tourné tout une année, produisant 110 heures de rushs. Du coup, le montage a duré 5 mois. Elle voulait donner la parole aux enfants, recueillir leur conception de la vie, les rencontrer séparément puis ensemble. On voit qu'ils ne se focalisent pas sur leur problème mais ont le souci des autres. Elle se dit "très fière de ces enfants", qui ont tant donné face à la caméra. Si certaines scènes entrent dans leur intimité, c'est qu'ils l'ont demandé. Charles a dit : "si vous voulez filmer ma vie, ce n'est pas seulement l'école, mais aussi le bain". Il faut noter que ce sont des enfants qui vivent dans des familles aimantes, attentionnées, bouleversées par ce qu'il advient à leur enfant et mobilisant ciel et terre. Anne-Dauphine Julliand n'a pas souhaité aller plus loin, par exemple sur les effets que la maladie peut avoir sur l'ensemble de la famille. Elle a choisi de rester à hauteur des enfants, considérant qu'"ils nous donnent des leçons sans s'en enorgueillir".
. Le film Les Mistrals gagnants a été projeté, en avant première, au Festival Indépendance(s) & Création de Ciné 32, dans le Gers, à Auch en octobre 2016. C'est à cette occasion que la réalisatrice s'est exprimée sur sa démarche auprès du public du Festival : je me fais l'écho ci-dessus de son intervention.
. Une des plus grosses fortunes de France finance ce documentaire : la Fondation Bettencourt-Schuller qui cherche à redorer le blason de la famille Bettencourt par ce genre de soutien, comme lorsqu'elle sponsorise Yann-Artus Bertrand. Tout en bénéficiant, pour ce faire, d'importants avantages fiscaux.
Billet n° 303
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[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200. Le billet n°300 explique l'esprit qui anime la tenue de ce blog, les commentaires qu'il suscite et les règles que je me suis fixées.]