La MDMA est la molécule de l’ecstasy. C’est une vieille substance (synthétisée en 1912, non ça n’était pas utilisé comme coupe-faim), mais son usage (thérapeutique comme festif) commence en fait au début des années 1970. Ses effets provoquent un intense sentiment de bien-être.
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Alors d’abord, pour une histoire de la découverte de la MDMA, j’ai précédemment écrit un autre billet ; les citations que je vais utiliser sont issues du livre du psychiatre Torsten Passie : History of MDMA. Les photos quant à elles illustrent la culture club et les raves des années 80-90. Certaines peuvent être retrouvées sur les sites British Culture Archive ou Museum of Youth Culture (suivez-les sur Insta, c’est génial), et il y a aussi ce site qui est une archive de flyers de soirées raves de cette époque, une pépite.
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Toutes les substances psychotropes ont été employées pour danser et faire la fête, mais aucune n’a une histoire aussi intimement liée à cette activité que la MDMA.💊💃🕺
Comme l’explique Passie, « elle génère un état d’euphorie orienté vers le corps, avec des sensations agréables, surtout si elle est associée à une musique spécifique qui déclenche ses effets stimulants et sensoriels. [Elle] rend les couleurs, les sons, les odeurs, les goûts et les sensations tactiles plus vifs et plus intenses. [...] Les raveurs rapportent parfois que leur vision d’eux-mêmes, de leurs relations et du monde a été modifiée par “l’amour inconditionnel” qu’ils ont éprouvé dans les raves. Cette expérience est synonyme de liberté et de communion avec les autres. »
La MDMA donne envie de danser. Or, comme l’a montré en 2024 une méta-analyse de 218 études menées sur plus de 14 000 sujets, la danse est le meilleur anti-dépresseur qui soit, bien plus efficace que les médicaments anti-dépresseurs ou toute autre activité. Alors une substance qui en elle-même a des propriétés anti-dépressive et qui fait danser les gens pendant des heures, vous imaginez ? J’ai raconté dans un précédent post comment la substance avait d’ailleurs été utilisée pendant le pic de l’épidémie de SIDA pour supporter le deuil des personnes qui mourraient en masse dans la communauté LGBTQIA+. Florian Gaité a aussi écrit un petit article très intéressant sur l’aspect politique de l’épuisement dans la danse.
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Ce qui frappe dans les photos des clubs des années 80 et début 90, c’est la diversité : des gens de toutes les couleurs, de tous les âges, de toutes les classes sociales, de toutes les sexualités, qui font la fête ensemble.
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Alors pour raconter l’histoire de la MD dans ce contexte, on va suivre Michael Clegg, un entrepreneur texan et un ancien étudiant en théologie. Pourquoi me direz-vous ? Eh bien parce qu’il est très largement à l’origine de la diffusion de la substance. C’est aussi lui qui lui a donné son nom : ecstasy. Dans les années 1970, il a abandonné le catholicisme et s’est tourné vers le yoga, le zen et les traditions orientales. La photo là, c’est lui avant tout ça :
Il essaye la MDMA en 1978 à Cancun, et c’est la révélation : « C’était une expérience cosmique. J’ai eu l’impression de recevoir une mission, parce que c’était une expérience tellement spirituelle... d’apporter cela au monde et à un prix abordable. [...] Je me suis embarqué dans une mission pour sauver le monde grâce à ce miracle mood enhancer » (Je ne traduis pas c’est intraduisible ou moche ^^, mood = humeur, enhancer = augmentateur).
Il commence à la distribuer gratuitement à Dallas avec ses potes pendant deux ans. Il organise des soirées un peu type « méditation améliorée », vécue comme religieuse : « Nous appelions ça une “expérience d’extase”. C’est à ce moment-là que j’ai donné à cette drogue le nom d’ecstasy. »
Progressivement, de plus en plus de personnes lui en demandent, mais pour aller en boîte de nuit. « Quand elle y est entré, les ventes ont explosé, parce que les gens dansaient et faisaient la fête avec. Ce n’était pas notre intention première, mais c’est ainsi que la majorité des gens veulent en faire l’expérience. » Il reconnaît que « Lorsque vous êtes sous l’emprise de la substance et que vous entendez de la musique [...] vous vous sentez tellement heureux et votre corps se sent tellement bien que vous avez envie de danser. C’est l’expression la plus naturelle qui soit. »
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Au début des années 1980, on estime que près de 30 000 pilules d’ecstasy sont consommées chaque mois aux États-Unis.
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Clegg se fournit d’abord auprès des chimistes underground du Texas Group, puis comprend qu’il va falloir passer à l’étape supérieure : produire lui-même son ecstasy. Il en trouve la recette, publiée par le chimiste Sasha Shulgin. Des sources affirment que Clegg aurait parlé directement à Shulgin, qui se serait inquiété du projet et aurait envoyé des amis discuter avec lui : « Écoute, est-ce que tu peux au moins ralentir un peu, parce que nous on essaye de faire avancer la recherche, ça a beaucoup de potentiel thérapeutique et il disait, ouais, ouais, je sais que c’est génial, mais ça va être comme le LSD, ça va être interdit... »
Fin 1983, le groupe de Clegg a un laboratoire à Santa Rosa, en Californie, où ils la fabriquent au kilogramme. La consommation est d’autant plus encouragée au Texas que l’université a banni l’alcool des campus « faisant par inadvertance de la MDMA la seule substance psychotrope légale que les étudiants pouvaient utiliser. »
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L’usage de l’ecstasy participe à l’émergence de la House, venue de Chicago, et de la Techno, venue de Detroit. Un documentaire - super bien - en français qui raconte cette histoire : Off the record, sur le DJ Laurent Garnier. Il n’est plus sur Arte mais vous saurez le trouver ailleurs ! Un autre mais en anglais ici, moins sur la MD que sur la musique elle-même.
De nouveaux équipements de mixage permettent de créer des transitions fluides entre les morceaux afin de créer une bande sonore ininterrompue, et la MDMA donne de l’énergie aux gens qui peuvent ainsi danser pendant de très longues périodes. Le volume et les rythmes très puissants font que la musique est perçue par l’ensemble du corps aussi intensément que par les oreilles.
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Le logo du smiley jaune est adopté par le mouvement du Second Summer of Love à la fin des années 1980, lié à l’acid house (Phuture en est un des premiers morceaux, en 1987), et apparait sur de nombreux cachets d’ecstasy mais aussi de flyers.
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D’autres flyers font aussi référence à l’ecstasy ou à ses symboles (comme le cœur : c’est la « drogue de l’amour », « all night » ou la mention des effets lumineux). Sur d’autres, le terme « extatic » et l’idée de liberté.
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L’usage de la substance ne donne pas lieu à des risques particuliers : entre 1977-80 les USA enregistrent quatre urgences médicales impliquant la MDMA. Au cours de la période 1981-3, aucune. L’un des effets secondaires principaux de la substance, c’est le bruxisme : les gens serrent les dents. Du coup, ils se baladent avec des sifflets, des sucettes ou des tétines dans la bouche : RDR (Réduction des Risques). Sur les photos suivantes, on est dans les années 90, et le style vestimentaire a évolué ! Les soirées électro sont aussi de plus en plus... Blanches. Et je ne parle pas des tenues cette fois.
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J’adore cette série de quatre photos en noir et blanc, qui présentent tous les éléments de la fête avec MDMA : béatitude, yeux écarquillés, sifflet, danse intense, kiff.
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Au Starck Club de Dallas, ouvert en 1984 et designé par Philippe Starck, le DJ Kerry Jaggers estime qu’à cette époque, environ 70 % des clubbeurs prenaient de l’ecstasy, considérée « sans culpabilité ni stigmatisation », au contraire des autres produits. Les cachets sont vendus au bar.
Mais le 1er juillet 1985, la MDMA devient illégale aux US. Quelques jours avant, le Starck Club organise une « fête d’adieu à l’Ecstasy ». La salle était comble, se souvient Jaggers, mais la foule était très mélancolique. Le magazine américain Life publie la photo de ce barman d’un autre club de Dallas, indiquant qu’il ne peut plus fournir d’ecstasy. La légende explique qu’il en vendait jusqu’à la nuit précédente deux comprimés toutes les 15 minutes.
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En septembre 1986, le Starck Club fait l’objet d’une descente de police. 36 personnes sont arrêtées pour possession de MDMA. Le club ne s’en est jamais remis et a finalement fermé ses portes en 1988.
Début 85, Clegg est informé que la MDMA va être interdite ; il va alors intensifier sa production pour en diffuser autant que possible avant l’interdiction. On estime que plus de deux millions de doses ont été produites au cours des trois mois précédant son classement ! Une fois la MDMA interdite aux États-Unis, Clegg et ses associés s’installent au Mexique, puis au Panama et au Brésil. En mars 1993, alors que son avion s’arrête pour faire le plein en Californie, Clegg est arrêté par la DEA. Il est condamné à trois ans de prison. Un petit reportage sur lui de 4 minutes (en anglais) est dispo sur YouTube. Non mais regardez moi cette bouille ! Pensez à lui la prochaine fois que vous prendrez de la MD, c’est en un sens un peu grâce à lui !
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Entre temps, la substance s’est diffusée en Europe et notamment en Angleterre, dont est issue la majorité des photos présentées ici. Là, elle va donner lieu au mouvement des Rave Party, dont on reparlera une prochaine fois. Pour des infos importantes de Réduction des Risques sur cette substance (parce que même si c’est peu dangereux, c’est quand même pas un bonbon), rendez-vous, par exemple, sur le super site de Drugz, et pour retrouver d’autres contenus sur ces thématiques, ils sont listés sur mon site et il y en a de plus en plus sur ce blog =)
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