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Portfolio 18 décembre 2022

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Cinq seul-en-scène qui ont fait 2022

Le seul-en-scène, exercice singulier et spécifique au théâtre, mérite une place à part tant sa réussite repose sur la performance de son interprète qui est aussi souvent son propre auteur, parfois même son metteur en scène. Voici les cinq soli qui ont fait mon année théâtrale. Palmarès arbitraire et éminemment subjectif.

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  1. Illustration 1
    © Victor Tonelli

    Girls & Boys, Dennis Kelly, Chloé Dabert (vu au Théâtre du Rond-Point, Paris)

    La comédienne et metteuse en scène Chloé Dabert, à la direction de la Comédie de Reims depuis janvier 2019, signe avec « Girls and boys » sa première création à la tête de l’institution champenoise, portée à bout de bras par l’épatante Bénédicte Cerutti, femme inébranlable, qui en rassemblant ses souvenirs, tente de sortir de la nuit. Ce monologue dénonçant la violence de la société libérale en même temps que la domination masculine dans une frontalité qui ne laisse aucune échappatoire possible au public; est le troisième texte du dramaturge britannique Dennis Kelly que Dabert crée, après « Orphelins » à Lorient en 2013 et « L’abatage rituel de Gorges Mastromas » à Angers en 2017, déjà avec Bénédicte Cerutti.

    Nul d’ogre ici : l’acte d’horreur inouïe est bien inhérent à l’humanité. Cette banalité du mal vient rappeler de la plus horrible des manières ce que le patriarcat, systémique et globalisé, fait aux êtres, aux couples, aux familles, à ceux qui paraissent heureux, émancipés, égalitaires et qui pourtant n’échappent pas à la règle. La cruauté ordinaire des relations humaines se raconte à l’aune des désordres de notre société. Derrière les portes coulissantes qui ferment la scène errent les fantômes innocents de la domination masculine.

  2. Illustration 2
    © Herman Sorgeloos

    Danses pour une actrice (Jolente de Keersmaeker), Jérôme Bel (vu au Théâtre de la Bastille, Paris)

    Après Valérie Dreville, le chorégraphe Jérôme Bel propose un solo à Jolente de Keersmaeker, cofondatrice du tg STAN, qui va incarner plusieurs danses issues de la modernité sur la seule puissance de son imaginaire. Dans « Danses pour une actrice (Jolente de Keersmaeker) », Jolente de Keersmaeker performe la feuille de salle du spectacle qu’elle s’apprête à jouer. « Vous avez sans doute remarqué qu’on ne vous a pas distribué de programme ce soir » dit-elle à l’adresse du public. « En effet, pour des raisons d'écologie, la Compagnie Jérôme Bel a décidé de ne plus en imprimer. Je vais donc ‘performer le programme pour vous’ ». C’est avec une réelle conscience de l’urgence climatique – la Compagnie Jérôme Bel ne prend plus non plus l’avion pour ses déplacements – et une bonne dose d’humour à contretemps que le spectacle commence. Jérôme Bel contacte la comédienne flamande en septembre 2019, alors que le tg STAN joue à Paris, pour lui exposer sa volonté de créer une pièce chorégraphique destinée à une actrice. Il lui propose d’interpréter, non pas un personnage tiré du répertoire théâtral comme elle en a l’habitude, mais une pièce issue du répertoire de la danse moderne. On est bluffé par l’engagement total de Jolente de Keersmaeker qui ira jusqu’au bout de ses forces physiques pour interpréter ces danses en mobilisant sa faculté d’imagination, déployant des trésors d’expressivité pour arriver à ses fins.

  3. Illustration 3
    © Pascal Aimar

    Grès (Tentative de sédimentation), Guillaume Cayet (vu à Théâtre-Ouvert, Paris)

    En suivant la trajectoire d’un vigile devenu manifestant, Guillaume Cayet interroge, pour sa première mise en scène, le moment de bascule, quand l'humiliation se transforme en colère, quand le corps décide de passer à l'action. « Grès (tentative de sédimentation) », monologue musical, raconte, tel un long cri, la tragédie d'un homme ordinaire prenant conscience des inégalités sociales.

    Dans un monde à l’agonie, les « comme lui » sont asphyxiés en premier. Conditionnés par la fabrique de la honte, ils ont appris à ne pas dépasser les limites de leur rang social : le narrateur n’est « pas quelqu’un qui dérange ». Il refuse toute circonstance atténuante aux précaires ayant commis une infraction. « Les comme moi n’ont pas le privilège du regard »dit-il. Le licenciement de sa femme est, pour lui, le déclencheur d’une prise de conscience des inégalités sociales, son point de bascule. Désormais rien ne sera comme avant. Il n’a plus peur. Le récit du réel prendra des allures de conte fantastique servant de métaphore au déni du narrateur. Le coupable n’est pas celui que l’on croit. La trajectoire intime conduit à une métamorphose plus kafkaïenne qu’ovidienne.

  4. Illustration 4
    © Jérémie Levy

    Angela Davis. Une histoire des États-Unis, Faustine Nauguès, Paul Desveaux (vu au Théâtre de Paris-Villette)

    Seule en scène, la comédienne Astrid Bayiha campe magistralement la militante du mouvement des droits civiques, membre du Black Panther Party et professeure de philosophie, et retrace, à travers son parcours, une histoire récente des États-Unis. Paul Desveaux met en scène le texte de Faustine Noguès dont la rage poétique répond à la puissance incantatoire de la musique de Blade MC Alimbaye.

    Face aux spectateurs, elle raconte son histoire, détaille son parcours et les circonstances qui ont fait sa renommée. Derrière elle défilent des images qui appartiennent à l’histoire : les émeutes de Watts, les visages des quatre fillettes tuées en 1963 dans l’attentat raciste de l’église de la 16è rue à Birmingham en Alabama, les iconiques poings levés, gantés de cuir noir, de Tommie Smith et John Carlos sur le podium du 200 m des jeux Olympiques de Mexico en 1968. Sa propre histoire la dépasse pour incarner en creux celle des Etats-Unis, le négatif ou l’autre face de celle, officielle, écrite par les tenants du pouvoir.

  5. Illustration 5
    © Christophe Reynaud de Lage

    Le consentement, Vanessa Springora, Sébastien Davis (vu au Théâtre de la ville, Espace Pierre Cardin, Paris)

    « Depuis tant d’années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’en- fermer dans un livre. » Accompagnée du musicien Pierre Belleville légèrement en retrait côté jardin, c’est seule en scène que Ludivine Sagnier fait sien le récit de Vanessa Springora pour incarner avec force et justesse une jeune fille mineure sous l'emprise d'un écrivain célèbre et quadragénaire et face au silence d'une société complice, aveuglée par la célébrité. Si l'écriture est une arme, le théâtre est ici envisagé comme lieu de fiction d’où peut jaillir la vérité. 

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