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Billet de blog 16 juin 2023

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Sénégal : Un dialogue de sourds ?

En réponse à la publication de vidéos, entre autres commentées sur les chaînes de télévisions étrangères (voir le lien en bas de l'article), le pouvoir sénégalais semble avoir entamé une fuite en avant et opté pour un argumentaire complotiste. Des « forces occultes étrangères » seraient à la manœuvre.

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L'Obs du 14 juin 2023

La Une du quotidien sénégalais L’Obs donnait ce mercredi le ton, avec un titre dramatique qui rappelle le cinéma d’Henri Verneuil : « Peur sur la ville », et une succession de palabres effrayantes : terroristes, financements étrangers, forces occultes, appel à l’insurrection et autres « réelles menaces ». Sauf qu’en lisant la suite, annoncée sur 3 pages, le lecteur curieux de savoir quelle est précisément la réalité de ces menaces restera sur sa faim.

La page 5 dresse l’inventaire des dégâts causés à l’Université Cheikh Anta Diop par les « incendiaires ». Curieusement, pas un mot sur l’identité ni la provenance de ces manifestants incendiaires, l’article se contentant de donner la parole aux étudiants lésés. Un triste état des lieux, sans doute destiné à convaincre le lecteur que les manifestants ne sont que des barbares, et non des étudiants.

Passons donc à la page 6, dont le titre fait espérer quelques révélations, car il reprend tous les vocables terrifiants de la Une. Après un long exposé sur l’exemplarité de la démocratie et la stabilité politique légendaire du Sénégal, L’Obs s’engouffre dans la thèse d’une tentative de déstabilisation du pays par le Qatar, dont l’argent « inonderait le Sénégal pour convaincre à soutenir le leader de Pastef » (parti d’Ousmane Sonko, la bête noire du président). Suit un énoncé de prétendues intentions de l’opposant, qui serait proche des mouvements djihadistes terroristes et des frères musulmans et qui voudrait faire du Sénégal une dictature islamiste dont un des objectifs serait de mettre la main sur les (nouvelles) ressources pétrolières et gazières du Sénégal. Mais à nouveau, pas le moindre indice concret quant à ces financements étrangers. Le Qatar, pointé du doigt, a en effet signé des accords de coopération en 2017 … avec le président du Sénégal Macky Sall, voir Le Sénégal et le Qatar signent trois accords de coopération (africa24monde.com), qui veut d’ailleurs poursuivre dans cette voie en 2023, conduisant en personne les négociations, voir Le Qatar veut faire du Sénégal un de ses partenaires privilégiés en Afrique de l’Ouest (agenceecofin.com). La suite de l’article ne fait que rappeler les déclarations du ministre de l’Intérieur faisant état de ces mystérieuses « forces occultes étrangères », mais sans y ajouter l’ombre du début d’un détail. Ces mots ne font qu’inonder les médias, et le pouvoir ne semble compter que sur eux pour instaurer la « Peur sur le Sénégal ». Deux autres articles meublent le reste de la page. Un premier sur le nombre des manifestants arrêtés et des informations judiciaires ouvertes, qui ne nous apprend rien de plus. Le dernier, intitulé « C’est quoi le terrorisme », est juste un cours d’instruction civique pour les nuls. On nous y explique que le terrorisme, c’est entre autres « troubler l’ordre public » et « détruire les biens appartenant à l’État », pour conclure que les manifestants sont donc des terroristes.

La page 7 s’emploie à présenter Sonko comme un dangereux personnage qui appellerait à l’insurrection et au meurtre du président, mais là aussi sans citer avec précision la moindre source orale ou écrite de ces accusations, partant peut-être du principe qu’à force de répéter un mensonge, il finit par devenir une vérité.

Faire peur : telle semble donc être à ce jour la réponse du pouvoir aux préoccupations d’une populations exsangue, qui ne supporte plus la situation économique, éducative, sanitaire, sociale et politique catastrophique dans laquelle s’enfonce chaque jour un peu plus le pays.

Le 25 juin prochain, le président doit prendre la parole : de ses déclarations, notamment sur une éventuelle candidature à un troisième mandat contraire à la constitution, dépendra l’avenir d’un pays qui, avant son arrivée, était en effet, malgré toutes ses imperfections, un pays stable et démocratique. En France, le problème est l’immigré (noir, arabe et surtout musulman). Au Sénégal, c’est le peuple, qui refuse d’avaler les sornettes d’un pouvoir sourd et aveugle. La solution ne pourra venir que d’un alignement des planètes, aujourd’hui encore difficilement envisageable : un peuple qui devra s’apaiser et un pouvoir qui devra l’écouter, l’un n’allant pas sans l’autre.

Amitiés fraternelles.

Lien vidéo France24 : Sénégal : des nervis armés ont-ils sévi lors des récentes manifestations ? • FRANCE 24 - YouTube

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