Tout d'abord, je voudrais commencer par un mot pour dire à quel point je suis effondrée de cette semaine et de la mort de toutes ces victimes civiles. Aucun.e civil.e où qu'iel soit ne devrait payer le prix de la folie humaine. Je ne ferai jamais de distinction entre les êtres humains. Je ne supporte pas non plus l'idée même que des morts soient méritées ou soient justifiées. Je me limiterai à écrire cela car je pense que parfois il faut savoir ne pas rentrer dans certains débats, bien planqué derrière un ordinateur. Le monde est complexe, il n'est pas manichéen mais encore une fois, rien, absolument rien ne justifie la mort d'hommes, de femmes et d'enfants.
Avis à ceux qui me liront : ce billet ne s'adresse pas aux gentils commentaires, à ceux envoyés en MP de manière délicate et bienveillante. Merci à eux. Ici, je vise uniquement les militants agressifs de la "grammar police".
Après ces quelques mots, je vous emmène dans un tout autre registre. Avant d'entrer dans le vif du sujet du billet de ce jour, je voulais écrire quelques mots pour expliquer en chiffres ce qu'implique mes billets. Les chiffres sont parfois plus parlants que les mots et puis je pense qu'il est important de donner une dimension concrète aux choses que nous faisons. Un de mes billets c'est en moyenne 15 à 20 heures de travail d'écriture (sans compter le travail de préparation) donc jusqu'à 2 jours de travail à temps complet par semaine, en plus de mes autres activités, et ce de manière non rémunérée. Dans ce laps de temps, j'écris entre 9 à 12 pages A4 que je remanie une à deux fois. Je publie au final entre 7 à 10 pages A4. Cela représente une moyenne de 5.000 à parfois plus de 6.000 mots. Pour donner un exemple, le dernier billet avait plus de 6.250 mots. Il est d'usage de considérer qu'un roman débute à 50.000 mots, donc chaque billet représente chaque semaine 10% d'un roman. Sur ce, je me relis et je fais relire une fois finie par une tierce personne, diplômée d'une école de journalisme, français souchien et a priori certainement aussi analphabète que moi. Salutations amicales de sa part. Donc tout cela en deux jours afin de pouvoir publier au moins un billet par semaine. Et là c'est le drame. Il y a des fôteuh (sic).

Mon dernier billet a déclenché d'ailleurs nombre de commentaires non pas sur le fond mais sur la forme. J'en ai eu un particulièrement gratiné qui m'a conseillé d'apprendre le français. S'adresse-t-il à l'élève Dumitrescu, fille d'immigrés élevée au bon grain de la République à coup d'Ysengrin, Goupil et autre Roman de Renart ? En tout cas, sa fureur contre ces illettrés au nom ayant le mauvais goût de finir en CU, m'a inspiré ce billet. Ce cher monsieur n'est ni le premier ni le dernier qui trouve pertinent d'analyser l'emballage cadeau plutôt que le cadeau. Les Anglais ont trouvé un nom à cela : grammar nazi ou grammar police. Comme je n'aime pas utiliser le terme nazi à tout bout de champs, je vais m'abstenir ici. Par contre, le terme de police est mieux adapté. Sauf que. C'est une police sauvage qui obéit aveuglément à ce qu'ils ont appris au cours de CE et CM, n'hésitant pas à user de racisme, de sexisme, de mépris social, de validisme au nom de pseudos règles qu'ils disent protéger. C'est donc avec grand plaisir que je vais m'évertuer à les renvoyer sur les bancs de l'école car je pense qu'ils ont assez sévi ici ou ailleurs sur le net. Halte à la grammar police, il est temps que la honte change de camp. Vautrons-nous avec plaisir dans la faute, délectons-nous de nos faux accords, faisons l'éloge de l'imparfait, du subjonctif ou pas, demandons-nous s'il faut hêtre ou ne pas être, faisons saigner les yeux des grammar policiers.

Un autre commentateur a justement souligné que l'orthographe était appelée la science des ânes. C'est un adage scolaire qui vise en fait l'écriture car, à l'époque de la plume, nombre d'élèves devait leurs bonnes notes, non pas à leur savoir mais à l'esthétique du lié et du délié. C'est la raison pour laquelle sur les RS vous aurez régulièrement quelqu'un qui va mettre une photo d'une lettre ou d'un cahier de papy ou mamie avec une écriture soigneuse et esthétique. Immanquablement, vous aurez des commentaires vantant la qualité de l'enseignement de l'époque omettant de s'intéresser au contenu du dit cahier ou de la dite lettre qui est le plus souvent vide. Par contre, la calligraphie est belle. Soit.

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Pour revenir à l'expression dont j'ai recherché les origines, j'ai trouvé cette référence à Victor Hugo qui aurait dit que l'orthographe est la science des sots. Nous avons abandonné ici les ânes et leur bonnet. A priori, la véritable origine n'est pas Hugo mais Stendhal qui aurait écrit en 1804 à sa sœur, Pauline Beyle :
« Tu vois par mes lettres le cas que je fais des fautes contre le français et l'orthographe, divinités des sots. »
J'ai donc été cherché la source de ceci et je vous ai trouvé un lien où vous pouvez télécharger les lettres de Stendhal.
Il y en a tellement des fautes que vous avez en page 18 le bas de page qui indique : « Nous avons respecté les fautes d'orthographe et les barbarismes de cette lettre. ». La citation que j'ai trouvée se trouve en page 88 et voilà ce que nous dit cet analphabète de Stendhal :
« Une lettre par semaine ! Ce qui te viendra ; point de préparation, des fautes d'orthographe, j'en fais beaucoup et je les aime ; je vois qu'on n'a point fait de brouillon, et rien de bête comme les lettres à brouillon. Celles que l'on prépare le sont un peu moins. »
Diantre, ce cuistre de Stendhal ose non seulement avouer qu'il fait des fautes mais, crime de lèse-majesté suprême, il ose dire qu'il les aime. La France va mal. Très mal. C'était certainement mieux avant. Avant Stendhal.

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En fait pas vraiment, car c'était les moines qui retranscrivaient et malgré leur odeur de sainteté, ces derniers faisaient eux aussi des fautes. Histoire de vous faire rire un peu, je vous mets ce lien Topito qui fait référence à l'ouvrage d'Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, deux Belges qui savent rire des fautes et nous pointent les incohérences de la langue.
On retrouve ces deux auteurs dans une interview (Je vous vois arriver là. Vous préférez entrevue ?) du sites revues.be dont je vous cite un extrait :
« La peur de faire des fautes est constitutive même du rapport global du francophone à sa propre langue. Depuis tout petit, un des premiers exercices qu'on fait à l'école c'est la dictée, on n’apprend pas à parler ni à écrire. On apprend que la manière dont on parle ou dont on écrit est souvent fautive par rapport aux normes standards que l'école définit et donc on grandit dans la peur de la faute.
Ou alors quand on est plus chanceux, on grandit dans le flicage de ses petits camarades en se valorisant sur ses compétences orthographiques. »

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Arnaud Hoedt et Jérôme Piron mettent le doigt sur un problème structurel : nous grandissons dans la peur de la faute. À aucun moment, nous n'avons peur de ce que nous disons, on le constate sur les RS, mais de comment nous le disons et surtout de comment nous l'écrivons. Ce n'est donc pas le sens qui prédomine mais bien cette fameuse orthographe. Nous devenons les gardiens du temple et nous n'hésitons pas à pointer du doigt l'infâme qui saccage le lieu sacré. C'est devenu une habitude au point qu'il y a des sites comme Bescherelle ta mère qui se sont créés.
Vous allez y trouver un mur de la honte où l'on va épingler ceux que l'on juge indignes, sans aucune forme de procès. Seuls torts de ces condamnés : ils ont fait une ou plusieurs fautes. D'ailleurs ne dit-on pas massacrer la langue ? C'est un vocabulaire bien guerrier pour si peu. C'est devenu un véritable sport que de chercher la ou les fautes des textes un peu comme le fameux Où est Charlie ?.

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On ne s’intéresse plus au contenu ou au propos. On considère d'office que ce dernier serait discrédité par la ou les fautes, telles des taches indélébiles sur une chemise immaculée. Il y a une assimilation malsaine et surtout erronée qui se fait entre savoir et fautes d'orthographes. On peut très bien connaître les règles par cœur mais quand on va vite, quand l'idée fuse, la faute arrive facilement. C'est le cas de Stendhal mais aussi de plein de personnes. Ce n'est absolument pas lié au savoir, à la compétence et à une quelconque intelligence. La grammaire et l'orthographe sont des apprentissages scolaires qui demandent l'application du savoir par-coeur. Le par-coeur c'est bête et méchant. Développer la réflexion, l'analyse, savoir comprendre une information, la transmettre, etc demandent déjà plus de compétences que d'appliquer une simple règle édictée un jour et qui en fin de compte peut-être remise en question, on verra ce dernier point un peu plus loin d'ailleurs. Mais la grammar police pense que sa lutte est d'une importance cruciale. Au point que ces flics du web s’octroient le droit de qualifier l'intelligence et les compétences d'autrui juste sur une mauvaise conjugaison. Combien de personnes n'osent pas s'exprimer car elles ont une orthographe imprécise ? Combien de personnes se sont senties honteuses et on été publiquement humiliées pour cela ? Combien de personnes se sont fait répondre "Bescherelle ta mère" dans un post, un tweet ou tout autre commentaire sur les réseaux ? Mais de quel droit ? Depuis quand doit-on accepter et supporter cette domination virtuelle par des gens qui n'ont absolument rien à dire à part vous rajouter un ER ou un S à la fin d'un verbe ? Je pense que c'est une discrimination et une violence sociale dont on parle bien trop peu et à qui il est temps de tordre le coup. Cette discrimination est de surcroît basée sur un schéma erroné, empreint de bourgeoisie de pacotille. Et on le constate avec l'affaire judiciaire suivante.
En 1991, le corps sans vie de Ghislaine Marchal est découvert à son domicile. Dans le couloir, on découvre une inscription écrite en lettres de sang "Omar m'a tuer." Mais est-ce vraiment Ghislaine Marchal qui a écrit cela ou bien l'agresseur qui a voulu faire inculper le jardinier, Omar Raddad. Car cette phrase interroge pour une raison : la faute qu'elle contient.

Le débat médiatique s'est fortement concentré sur cet aspect de l'affaire au point où cette inscription est rentrée dans le langage populaire. "Telle chose m'a tueR" ou "Untel m'a tueR". On présage et ce à tort que Mme Marchal issue de la bourgeoisie et cultivée était censée ne pas faire de fautes. Or, après analyse de documents saisis à son domicile, les enquêteurs ont pu constater qu'elle faisait couramment des fautes d'orthographe et de conjugaison. C'est là qu'on voit l'image d’Épinal : la bourgeoisie ou l'intellectuel sont considérés exempts de fautes alors que l'ouvrier ou l'immigré sont censés être moins cultivés donc analphabètes donc ils doivent aller apprendre le français. Au moment du procès, il n'a pas été clairement établi que ce c'était Mme Marchal qui avait écrit ou pas cette phrase. Ceci ne nous dit pas si Omar Raddad est innocent comme il le clame toujours à ce jour ou pas. L'enquête contient bien d'autres éléments que cette unique phrase et je ne suis pas experte pour donner ici mon avis. Je note juste que le public a pris position à cause de cette faute et pas des autres éléments du dossier. La bourgeoisie ne fait pas de faute. C'est faux et cela a été démontré au procès. Mais le ver est dans la pomme de la pensée. On étiquette. On classe. On met dans des cases. C'est facile et simpliste. Le Rom est voleur. L'immigré est assassin. L'ouvrier est analphabète. Le bourgeois est cultivé. Ça fleure bon l'extrême droite et on se rend compte que le grammar fasciste tient quand même d'un fascisme de la pensée plus que d'un humanisme.
Dans cet exemple on voit clairement que l'orthographe vient se positionner comme un outil de marquage social. C'est d'ailleurs un des enjeux de nos amis réactionnaires d'ED qui sont fort pointilleux sur notre belle langue mais beaucoup moins pointilleux sur leur culture générale qui est en jachère depuis fort longtemps. Un de leur combat c'est bien entendu l'écriture inclusive qui nuirait au texte. Fichtre, Diantre, Damnation, ôtez celleux de mon regard qui ne saurait supporter un tel affront.
Mais le camouflet ne vient pas de là où ils le pensent. C'est Victor Hugo qui leur assène dans sa préface de Cromwell :
« Notre Dame la grammaire mène l’autre aux lisières ; celle-ci tient en laisse la grammaire. Elle peut oser, hasarder, créer, inventer son style : elle en a le droit. Car, bien qu’en aient dit certains hommes qui n’avaient pas songé à ce qu’ils disaient, et parmi lesquels il faut ranger notamment celui qui écrit ces lignes, la langue française n’est pas fixée et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. L’esprit humain est toujours en marche, ou, si l’on veut, en mouvement, et les langues avec lui. Les choses sont ainsi. Quand le corps change, comment l’habit ne changerait-il pas ? Le français du dix-neuvième siècle ne peut pas plus être le français du dix-huitième, que celui-ci n’est le français du dix-septième, que le français du dix-septième n’est celui du seizième. La langue de Montaigne n’est plus celle de Rabelais, la langue de Pascal n’est plus celle de Montaigne, la langue de Montesquieu n’est plus celle de Pascal. Chacune de ces quatre langues, prise en soi, est admirable, parce qu’elle est originale. Toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées. Les langues sont comme la mer, elles oscillent sans cesse. À certains temps, elles quittent un rivage du monde de la pensée et en envahissent un autre. Tout ce que leur flot déserte ainsi sèche et s’efface du sol. C’est de cette façon que des idées s’éteignent, que des mots s’en vont. Il en est des idiomes humains comme de tout. Chaque siècle y apporte et en emporte quelque chose. Qu’y faire ? cela est fatal. C’est donc en vain que l’on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée. C’est en vain que nos Josués littéraires crient à la langue de s’arrêter ; les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent. — Voilà pourquoi le français de certaine école contemporaine est une langue morte. »

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Voilà, Messieurs, Dames, Victor Hugo vous conchiait et vous conchie toujours d'une bien fort belle manière. La langue pour ne point mourir se doit d'être vivante et pour cela elle s'adapte à son époque et à ceux qui la font et la vivent. L'écriture inclusive est le reflet de notre évolution. C'est justement cette évolution qui fait que le français est une langue vivante et bien vivante. La volonté populaire malaxe le langage. Des fautes sont rentrées dans les dictionnaires tel ce clôturer qui a remisé au placard le clore. Que cela nous plaise ou nous déplaise, le français avance, change, se modifie au gré de sa population. C'est l'humain.e qui crée la langue et non pas la langue qui crée l'humain.e. Vos yeux peuvent bien saigner, la langue, elle, se délie. D'ailleurs, j'aime beaucoup cette comparaison de Hugo avec Josuée qui mène le peuple. Les Josuées littéraires donnent la dimension un peu mystique de ces individus méprisants, réactionnaires à chaque époque de l'Histoire, croyant mener le peuple de France vers la sainte Orthographe. C'est une croisade et comme toute croisade, c'est une ignominie car cela signifie la domination de certains sur d'autres. Une langue n'est pas un outil de domination mais un outil d'émancipation. Ces gens réduisent à zéro tout effort pour faire aimer le verbe et le faire manier avec aisance. Ils sont nuisibles au possible.
Pour revenir au marqueur social de l'orthographe, on pense et ce à tort que cela est signe de mauvaise éducation. Dans les "naufragés" de l'orthographe, on trouve également les malgré-eux, ceux qui souffrent de dysorthographie et/ou de dyslexie. Imposer une orthographe impeccable c'est aussi faire montre d'un validisme insupportable. Dans le cas de la dysorthographie (trouble de l’acquisition de l’expression écrite), à ne pas confondre avec la dyslexie que j'aborderai ensuite, la personne commet des erreurs orthographiques, de conjugaison, de grammaire, d’analyse et tout ce qui va avec (erreur d'homophones, de découpage, etc.). Ceci peut être dû à de nombreuse causes dont génétique, neurologique et peut-être associé à d'autres troubles dys tel que la dyspraxie.
Vous avez également la dyslexie qui est un trouble de la lecture avec inversion des sons tel que talbe et table ou confusion des mots tels que aime ou amie. On voit bien ici que de nombreux facteurs peuvent intervenir lors de l'apprentissage et ne remettent absolument pas en question l'intelligence ou les capacités cognitives de la personne. Écrire avec des fautes ne fait pas de vous un idiot. D'ailleurs, cela fait des années que les professeurs essaient d'aider ces élèves et que malgré tout la pédagogie, bon gré mal gré, a évolué. Enfant j'était dyspraxique. Cela s'est grandement amélioré avec l'âge mais je garde ce souvenir odieux de l'enseignement de l'époque où on m'enlevait un point ou deux car j'avais, je cite, « une écriture de cochon ». Dans les années 80, on était plus proche de 1900 que de 2023. La sciences des ânes était une réalité et personne ne se posait la question de la motricité fine et de la difficulté d'écrire pour une personne dyspraxique. Toujours des cases. Toujours un validisme qui impose sa norme d'une manière brutale. Il me semble que cela a grandement évolué. N'hésitez pas à poster en commentaires des témoignages si vous ou vos enfants ont été ou sont dans cette situation. Il faut casser les clichés, les briser, les réduire au néant. Refusons le mur de la honte. Epinglons y la grammar police. La honte doit changer de camp.
D'ailleurs, disons le franchement, l'orthographe on s'en fout un peu car dans le fond ce n'est pas l'orthographe qui forme l'idée mais la compréhension de la phrase et du mot. Vous avez sûrement tous vus passer un jour ou l'autre sur les RS ceci :
« Une édtue de l'uitvniesré de Cgrmdaibe a mrtoné que l'on peut sans plmèrobe lire un ttexe dnot les lterets snot dnas le dorrdése pour peu que la pmrèiree et la dèeirnre lterte de chauqe mot rtneest à la bnone pcale. Ceci montre que le crevaeu ne lit pas teotus les lteters mais prned le mot cmmoe un tout. La pervue : auvoez que vous n'aevz pas eu de mal à lire ce tetxe. »
On voit qu'après un léger tant d'adaptation, on arrive très bien pour la majorité d'entre nous à lire clairement le texte. Si ce n'est pas le cas veuillez cliquer sur le lien.
Ceci peut être décliné dans plusieurs langues. Je vous mets ici un article intéressant qui revient sur ce même et qui y rajoute la réflexion sur le fait de maîtriser l'orthographe pour décoder un anagramme. C'est un peu la question de l'oeuf ou de la poule mais au moins vous avez un autre avis critique sur la question :
> La dégradation Cambridge : Mème pas vrai ?
Vous avez aussi l'interrogation scientifique qui permet de mieux comprendre la façon dont le cerveau traite les mots, ce qui aide dans la compréhension de la dyslexie :
> Pourquoi parvenons-nous à lire les mots meme avec des lettres melangées
Car oui, on ne sait pas tout. On essaie justement de comprendre le fonctionnement du cerveau. Le cerveau c'est une organisation complexe et il n'y a pas un seul modèle mais pleins de modèles tous aussi valables les uns que les autres. Faire croire en une norme c'est faire croire qu'il n'y a qu'une seule bonne façon de fonctionner. Et non, ce n'est pas le cas.
Ce genre de mème existe aussi dans une version à trou où il manque plusieurs lettres. C'est donc l'occasion ici de parler des lettres justement. On peut avec une certaine maîtrise écrire en décidant de ne pas utiliser telle ou telle lettre. C'est ce qu'on appelle le lipogramme. En exemple d'ouvrage, on peut citer Voyage autour du monde, sans la lettre A, écrit en 1853 par Jacques Arago. L'intégralité de l'ouvrage est donc écrit sans un seul mot contenant un A. Si vous avez envie de tester l'aventure, je vous mets ici le lien vers l'ouvrage.

Dans le même registre, il y a également La Disparition de Georges Perec où le E est porté disparu.
On voit que tout est relatif et qu'une langue peut subir la perte d'une lettre de l'alphabet sans pour autant en être aussi affectée qu'on pourrait le croire. Et oui, rien n'est strictement indispensable et l'expression s'adapte à des contraintes. On peut survivre à la perte du A comme on peut survivre à un é à la place d'un er. Ce qui compte c'est le sens de la phrase et sa bonne compréhension. Et pour faire des phrases, il faut y mettre des mots. Derrière chaque mot, il y a concept. Les Japonais ou les Chinois utilisent des pictogrammes. C'est d'ailleurs la première forme d'écriture, celle originelle. Dessiner un épi de blé ou écrire épi de blé, c'est strictement pareil. Ce qui est important c'est le sens. On peut même écrire eppi de blai, dans le fond, on s'en fiche car c'est la sonorité qui va primer. Le langage peut-être écrit, parlé, dessiné, en images fixes ou en mouvement. L'épi de blé reste un épi de blé. L'orthographe n'est qu'une règle inventée un jour pour tenter d’homogénéiser mais ce n'est pas le langage. L'orthographe ne prime pas sur le langage mais doit être au service de ce dernier. S'il empêche ce dernier d'exister alors il nuit à l'expression donc à la liberté donc à l'émancipation donc à l'humain.e.

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C'est donc au langage que je vais m'intéresser ici. Une des constituante de ce dernier, mais pas la seule, est le mot. Comme dit plus haut, on s'en fiche d'écrire philosophie ou filosofi. Ce qui est vital c'est que le concept qui est derrière ce mot ne disparaisse pas. Pour cela, il faut que le mot en lui-même ne disparaisse pas. Une des choses sûrement les plus inquiétantes est l'appauvrissement du langage par méconnaissance des mots. Avant la grammaire, avant l’orthographe, c'est le vocabulaire qui prime. Il m'est arrivé nombre de fois d'avoir des discussions hallucinantes avec des administrations car mes interlocuteurs ne connaissaient pas certains mots, même simples. Et je vous parle de souchiens, natifs et tout et tout. Je devais me creuser la tête pour trouver des synonymes. Un exemple qui me vient en tête c'est quand j'ai signalé à la mairie un bâtiment qui avait la façade bombée à cause d'infiltrations et de glissement de terrain. Le mot bombé était inconnu par la personne, parfaitement française dans les règles édictées par l'ED. Convexe ça ne marchait pas non plus. Je crois que dépitée j'ai dû sortir un truc du style boursouflé. Donc me voilà à expliquer péniblement qu'il y avait un risque d'écroulement d'un immeuble car la façade était boursouflée... Les mots me manquent. Les mots nous manquent. Et ça c'est un vrai drame car la pensée ne peut plus exister sans mot. C'est là forcément qu'on arrive au meilleur exemple en la matière, c'est bien entendu la Novlangue d’Orwell dans 1984. Je vous cite un extrait ;
« Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. »

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Diminuer le vocabulaire est autrement plus dangereux que d'écrire avec des fautes. La faute ou l'absence de faute ne nuit pas ou n'améliore pas la pensée. Le mot si. La communication qui se réduit à quelques mots bien écrits est en réalité une absence de communication comme vu plus haut avec mon exemple de façade. Orwell souligne le côté politique de l'absence ou de la réduction des mots. Le crime de la pensée, c'est-à-dire l'idée même de contestation, se forme grâce au fait de pouvoir formuler les choses. Ce qui ne se formule pas, n'existe pas. D'ailleurs, nos politiques de tous bords n'hésitent pas à dévoyer les mots. Prenons l'exemple de la croissance négative ou de la discrimination positive. Mais qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Nous sommes en guerre contre un virus ou contre des punaises de lit ! Mais la guerre ce n'est pas ça ! Des gens meurent sous les balles et les projectiles mais nous nous sommes en guerre... On peut lutter contre la propagation d'un virus, on peut faire front commun, s'unir, on peut beaucoup de choses mais non, non, non nous ne sommes pas en guerre. Le mot est dévoyé, sorti de son contexte, vidé de son sens, perdant de sa force, de sa vigueur. Les mots forts sont utilisés à tort et à travers, du coup ils sont éculés, ils ne nous impactent plus, ils coulent sur nous. Ceci créé l'indifférence car la notion qui était derrière le mot a disparu.
Mais tout cela est politique. Un citoyen qui ne peut formuler un monde meilleur est soumis aux propositions qu'on lui fait. Sur ce sujet, il y a un ouvrage qui mérite d'être cité c'est celui de Nicolas Framont et Selim Derkaoui: La guerre des mots : Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie.

C'est une analyse du discours dominant aussi bien au niveau économique, médiatique que politique. On voit qu'au-delà de l'orthographe comme marqueur social, il y a surtout la domination par le mot et par le verbe. Pour lutter, il faut apprendre à décrypter. L'émancipation passe par la compréhension du mot. Comprendre permet de résister. Apprendre une orthographe par-coeur ne permet rien du tout. On revient donc à l'importance de comprendre la notion de philosophie, filosofi, etc et non pas s'arrêter à son orthographe . Toujours s'intéresser au contenu. Ne pas perdre de temps à débattre sur le contenant.
Il y a aussi des rares cas, et ils doivent être soulignés, où l'orthographe a une fonction émancipatrice. C'est le cas de l'écriture inclusive mais c'est aussi le cas de la féminisation des termes. Pour rendre visible les femmes, l'orthographe est devenue une arme de lutte. Le fameux terme autrice préféré à auteure permet de claquer ce féminin de manière sonore dans l'espace public alors que le e muet d'auteure sert à l'invisibilisation. Je vous ai trouvé un site qui a une rubrique homonyme à l'ouvrage cité plus haut (la guerre des mots) et qui référence un tas de mots et leur féminin. On voit d'ailleurs que ce féminin existait déjà depuis bien longtemps mais qu'il a disparu du langage. C'est donc une réhabilitation pour la plupart des mots.
Dans la lutte pour l'émancipation, il faut aussi tordre le coup aux règles grammaticales du style : le masculin l'emporte sur le féminin. D'ailleurs là aussi cette règle n'a pas toujours existé.
« Eliane Viennot, coordinatrice de la tribune et professeure de littérature à l’Université de Saint-Etienne, a rappelé mardi dans Europe Midi que cette règle de grammaire "n'a pas toujours existé". "Elle a été mise au point au 17e siècle. D'ailleurs, à cette époque-là, on ne disait pas exactement cette formule, mais 'le genre le plus noble s'impose lorsque les deux genres sont en présence'. Ça veut tout dire", souligne celle qui a par ailleurs écrit l'ouvrage Non le masculin ne l'emporte pas sur le féminin. "Les explications données par les promoteurs de cette règle sont tout à fait claires quand on les pousse dans leurs retranchements. Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle", dénonce-t-elle. »
> Le masculin l'emporte sur le féminin : "Une règle qui n'a pas toujours existé"

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Il y a un député qui a tenu un discours totalement conjugué au féminin face au RN. J'ai vu passer la vidéo mais je ne me rappelle pas qui c'était donc si vous l'avez n'hésitez pas à la mettre en commentaire car c'est un très bon exercice de style.
Histoire de rajouter une dernière couche, on peut citer les nombreuses critiques sur la grammaire et l'orthographe des femmes politiques. C'est toujours un terrain facile qui, encore une fois, ne lance pas un débat d'idées ou un débat argumenté de fond. On peut ne pas être d'accord avec des idées mais dans ces cas-là, on attaque sur le fond.
Donc l'orthographe mérite qu'on s'y intéresse en tant qu'outil émancipateur dans les luttes féministes et inclusives. D'ailleurs, je vous re-cite cet extrait du texte de Hugo qui résume très bien l'idée :
« Toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées. ».
L'orthographe devient émancipatrice car tel le mot, elle porte une idée. Elle n'est plus cette règle que l'on récite bêtement par cœur. Elle se fait réceptacle de l'évolution et des progrès de la société. C'est donc une raison de plus de ne pas laisser la grammar police faire sa loi. L'orthographe nous appartient aussi et je vous invite à faire comme moi, de continuer à la changer, à la porter et à faire front contre les réacs qui veulent nous dicter comment nous devons écrire. Le langage ne leur appartient pas, cela ne doit plus être un bastion de la bourgeoisie qui veut se l'approprier.
Pour finir, j'aimerais m'attarder sur quelques autres formes de langages qui me paraissent aussi importantes que la parole ou l'écrit. Un des plus connus est forcément le langage dit corporel. Je souhaiterais vous parler ici d'une chorégraphe que vous connaissez peut-être, c'est Martha Graham. Elle a créé un style de danse unique qui est le reflet d'une époque mais également de luttes émancipatrices. Elle utilise le terme de langage et de narration. Raconter les luttes autrement que par des mots, c'est possible et Martha Graham l'a fait grâce à la danse :
Je vous mets ici un extrait et un lien vous permettant de découvrir son travail.
« Toujours articulé autour de thèmes sociaux, politiques, psychologiques ou sexuels, le travail chorégraphique de Martha Graham est intemporel, lié au passé et au présent du public. Des œuvres telles que Revolt (1927), Immigrant: Steerage, Strike (1928) et Chronicle (1936, créée l’année où elle a refusé l’invitation d’Hitler à participer au Festival artistique international organisé en marge des Jeux Olympiques de Berlin) incarnent l’engagement de Martha Graham à toujours aborder des problématiques contemporaines difficiles et à se démarquer en tant qu’artiste consciencieuse et politiquement forte. »

Le langage peut donc être écrit, parlé, corporel mais également visuel. Les œuvres visuelles de la peinture à la sculpture racontent des histoires, des luttes à travers d'autres médiums que les mots. Je vais ici m'attarder sur la photo et son pendant animé, le cinéma. Une image est l'équivalent d'un mot ou d'une phrase. Savoir comprendre un film, c'est savoir lire chaque scène de manière précise. Je vais vous donner un exemple, dans le film L'ombre des femmes de Philippe Garrel, les personnages principaux font l'amour. La caméra se lève vers le ciel. C'est assez simple à comprendre et cela peut être traduit par ils atteignirent l'extase. Ce plan est donc une phrase dont la caméra se fait le stylo. Prenons un autre exemple un peu plus compliqué cette fois-ci, c'est Anatomie d'une chute de Justine Triet, Palme d'or à Cannes cette année. Certains spectateurs sont passés tout bonnement à côté du sujet du film car ils n'ont pas compris de quoi il en relevait. Ce n'est pas juste un procès pour meurtre. Le procès est un prétexte, une forme stylistique pour avoir un propos sur la société, la place de la femme, de l'homme, la difficulté d'être une femme, le patriarcat. Triet joue très bien des mots et de la caméra pour dire le contraire de ce qu'elle fait dire à ses personnages. Le procureur c'est la voix du patriarcat, celui qui condamne la femme aussi bien dans sa sexualité que dans sa vie professionnelle. Il dit tout le contraire de ce que porte comme message le film. La caméra est à la fois stable et chancelante. Triet utilise des niveaux de langage différents à tous les étages. Son film est complexe, très complexe. Le langage également comme frontière entre les individus. Du français à l'anglais et de l'anglais au français. Son personnage principal est écrivaine et ce n'est pas un hasard. Son mari, lui, n'arrive pas à écrire donc à s'exprimer. Il en meurt. Anatomie d'une chute est un film dédié au langage, à une société qui ne se comprend pas, à des gens qui ne communiquent plus, à des discours contraires entre progrès et moral. C'est à film à voir, revoir et re-revoir tellement il offre une lecture subtile et fine de notre monde.

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Et puis il y a d'autres langages, encore et encore, des mathématiques aux arts. Le silence en est un et pas parmi les moindres. C'est le langage que j'ai choisi pour mon dernier film, actuellement en post-production, et dont je vous parlais dans un billet précédent. Ne rien dire pour tout dire. Le silence de la parole mais aussi dans le vide de certaines images. Épurer, aller à l'essentiel, ne pas se perdre. Se taire pour crier la souffrance. Le monde est rempli de divers langages et tous se valent. L'essentiel est de s'exprimer. À tout prix. Ne pas se laisser enterrer, ne pas rester sans voix. Le langage c'est moi, c'est vous, c'est nous. Écrivez, dansez, dessinez, photographiez ou filmez. Relevez la tête. Ne vous laissez pas humilier ou rabaisser. Faites-vous entendre. Ne laissez pas les méprisants, les fumistes et les jean-foutre de tous poils venir vous dicter comment vous devez dire les choses. Dites-les ! Ce qui compte avant tout, c'est ce que vous avez à dire et pas la manière dont vous le dites. Ne laissez pas les imposteurs de la pensée s'octroyer des droits sur la langue. Dehors les Enthoven et les Onfray qui pensent nous berner avec leurs mots creux, emphatiques et ampoulés. Finissons en avec la bourgeoisie du langage. Force à vous et on continue à lutter contre toutes les formes d'obscurantisme.
NB: Ce texte contient plus de 5700 mots, si un grammar policier est encore parmi nous, je lui donne un bon point par faute et au bout de dix bons points il aura cette image de poing levé :
