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Billet de blog 7 juin 2022

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« Exils », un livre sur les exilés et déserteurs portugais

Raconter l’acte de l’exil, plusieurs décennies plus tard, c’est un exercice pour la mémoire, sur ce qu’on a retenu et surtout le récit de ce qu’il a laissé comme trace. C’est à cela que nous sommes conviés avec le livre « Exils, témoignages d’exilés et de déserteurs portugais 1961-1974 », mettre des mots sur l’acte de résistance et de refus de la guerre coloniale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans les années 60/70, la France a été le premier pays d’accueil d’une main d’œuvre apte pour le travail, sans trop d’aspérités culturelles ni religieuses... C’étaient des Portugais, venus de l’autre côté des Pyrénées qui fuyaient la misère, mais aussi la dictature alors la plus ancienne en Europe occidentale.

Régime qui menait aussi une guerre en Afrique dans ses provinces d’outre-mer, le pouvoir interdisait qu’on les appelle colonies. Plus d’un million de migrants Portugais, et on disait (très approximativement) que Paris était, à ce moment là, la deuxième ville du Portugal...

Parmi cet important mouvement de population il y a avait de nombreux jeunes hommes en âge d’accomplir leur service militaire obligatoire. Il s’agissait pour la plupart de réfractaires qui refusaient de partir en Afrique sur le champ de bataille.

Depuis 1961 le Portugal de Salazar était confronté à une lutte pour l’indépendance en Angola, ensuite la Guinée-Bissau et le Mozambique, ...(1)

Déserter de l’armée coloniale

On compte environ 200.000 insoumis, réfractaires ou déserteurs. Environ 20 % ‘‘des potentielles recrues échappant à leurs devoirs militaires qui ont ainsi refusé de participer à cette guerre’’, comme le souligne Victor Pereira dans la préface du livre.

Historien, Victor Pereira situe bien le contexte de cette ‘‘aventure humaine’’, les conditions de vie pendant la dictature au Portugal et le mouvement déclenché par cet exode et l’installation à l’étranger d’une population traversant les Pyrénées.

Ce livre, est publié par les éditions Chandeigne, spécialisées notamment dans les récits de voyage et le monde lusophone.  (2). 

C'est la sélection de textes publiés au Portugal, Exílios.1 et 2, présentés à Paris en 2016 à lire ici /histoires-dexil-et-de-deserteurs(3)

À travers des témoignages et des récits on apprend comment s’est préparé, individuellement et parfois collectivement, la décision de partir, le parcours, le plus souvent clandestin, à pied, l’arrivée dans un quelque part inconnu, l’installation et surtout comment garder, maintenir le lien avec le pays et, pour la plupart, poursuivre l’engagement politique et les raisons qui les ont fait partir.

Il s’agit ici de témoignages de jeunes qui affirmaient par leurs actes et par leur militance le refus de la guerre. Dans ce sens le livre nous ouvre aussi aux questions posées alors par le processus de décolonisation vu sous le régime de Salazar.

D’où un des aspects importants développés dans ‘‘Exils’’ qui est l’acte de déserter, c’est à dire le départ de ceux qui étaient déjà enrôlés dans l’armée. Sans doute le plus dangereux car, si tous les jeunes hommes risquaient plus ou moins la police portugaise ou la Guardia Civil en Espagne, un déserteur serait à ce moment là considéré un ‘‘traître’’ à la patrie, voir un dangereux opposant, arrêté et lourdement condamné.

La question de la désertion dans une armée en guerre est rarement abordée. En France il y aurait eu entre 3 000 à 4 000 réfractaires français pendant la guerre d’Algérie, dont 886 déserteurs (les soldats ayant quitté illégalement leur unité). La guerre du Vietnam a vu aussi un certain nombre de soldats américains déserteurs.

Pour les Portugais, en France notamment mais aussi en Suède, en Belgique, au Danemark ou à Alger des comités d’aide et de soutien ont été crées par des citoyens solidaires dans ces pays, mais aussi par des migrants portugais plus engagés et politisés. En France, déjà à l’époque, la Cimade a joué un rôle important aidant la régularisation administrative (qui passait par l’obtention d’une carte de travail) de beaucoup de Portugais exilés politiques ou réfractaires et déserteurs. (4)  

C’est dans ce contexte que le recueil de témoignages ‘‘Exils’’ s’inscrit dans le cadre politique européen d’il y a environ cinquante ans mais qui dit beaucoup sur la solidarité, et l’engagement politique qui rassemblait des militants français et autres en soutien aux militants anti-fasciste portugais.

La révolution des œillets... et des capitaines

La préface évoque la question de la singularité de ce mouvement et l’essence même de la révolution des œillets, la révolution des capitaines. ‘‘[…]La révolution qui trouve son origine dans l’insatisfaction de nombreux militaires confrontés à une guerre qu’ils savent ne pas pouvoir gagner- le refus de la guerre coloniale n’est toujours pas consensuel au Portugal. Pour la dictature, ceux qui partent pour échapper au service militaire sont des traîtres à la patrie. Mais du côté de l’opposition, quitter le Portugal c’est aussi trahir le combat antifasciste.’’, écrit Victor Pereira. C’est une référence, en quelque sorte, aux multiples lettres de protestation, envoyées par des lecteurs au journal Público, à Lisbonne, suite à la publication d’un entretien avec un ancien militaire qui affirmait ‘‘J’ai été déserteur et j’en suis fier’’ (2016).

Le livre ouvre, comme une réponse à ces critiques, sur un texte de Jorge Valadas, ayant déserté de l’armée portugaise en 1967 pour se réfugier à Paris. Il s’invite d’une certaine façon à la mémoire de ceux qui n’ont pas refusé la guerre, sous la forme d’une ‘‘lettre à mon voisin qui a fait la guerre coloniale’’, comme un écho actualisé des déserteurs portugais, sujet toujours tabou presque cinquante ans après le 25 avril 1974.

Décrivant avec pertinence l’évolution historique et sociale de cette période de l’Histoire portugaise, Victor Pereira rappelle ‘‘que plus de 80 % des jeunes Portugais ont rejoint l’armée et sont partis se battre en Afrique’’. Par une question, il nous convie à la réflexion sur les contours (et sans doute nombre de contradictions qui sous-tendent cette révolution...) ‘‘Comment remettre en cause l’armée portugaise, cette armée qui a libéré les Portugais de la dictature le 25 avril 1974 et dont plusieurs représentants ont incarné l’aile la plus radicale lors de la révolution politique, économique, sociale et culturelle qui s’est déployée de 1974 à 1975 ?’’

Ce livre contribue par sa diversité et sa qualité, et par toutes ces approches, à la transmission nécessaire où les témoignages, les récits, nous apprennent l’Exil et nous aident à comprendre l’histoire.

Et il est toujours important pour garder les mémoires vives de notre histoire de faire connaître, de donner à entendre, de transmettre ce qui fait que nous sommes là, collectivement, où nous en sommes. Ce volume est ainsi le partage de nos divers chemins et nous alerte sur les exils d’aujourd’hui, au fond pas différents de ceux d’hier.

* * L’édition française a bénéficié de la collaboration de l’Association Mémoire Vive Memória Viva – Recueillir et ...* *https://memoria-viva.fr* qui avait organisé en septembre 2018, à Paris, une conférence "Histoires d’exils de femmes portugaises sous la dictature de Salazar (1961-1974)", [/exils-de-femmes-portugaises-sous-la-dictature-de-salazar]

* * * Dans le premier commentaire quelques brefs extraits des textes du livre.

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(1) ** C’est aussi en 1961 que le gouvernement indien annexe les comptoirs portugais Goa, Damão et Diu (après des tentatives depuis 1950, pour mettre fin par la diplomatie à cette présence lusitanienne) ce qui a soulevé les protestations du gouvernement de Salazar qui, après une incompréhensible résistance militaire, a finit par déposer les armes.

(2) ** ‘‘Exils, témoignages d’exilés et de déserteurs portugais 1961-1974’’, éd Chandeigne, Paris mars 2022, treize témoignages, préface de Victor Pereira, traduction d’Ilda Nunes, couverture d'Alex Gozblau.

(3) ** Exílios.1 et 2 publiés au Portugal en mars 2016 et octobre 2017, une première présentation à Paris en mai 2016 à lire ici /histoires-dexil-et-de-deserteurs. Un troisième volume est sorti au Portugal en février 2022, Exílio.3 * exílios sem fronteiras. Ed AEP 61-74-Lisboa

(4) **    J’avais évoqué son rôle à travers d’une des figures marquantes dans l’accompagnement des jeunes déserteurs, https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/280619/edith-et-helena-scob-solidarite-et-atelier-theatre-musique* Rappelons aussi que deux militants français Henri Curial et Robert Davezies qui avaient aidé le Front National de Libération algérien, on soutenu activement les mouvements engagés contre le colonialisme portugais.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.