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"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)

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Billet de blog 13 novembre 2025

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Lycéens manipulés, brutalisés : l’éducation à la défense comme un symbole

Violences et débordements ont émaillé le déroulement d’ateliers de « promotion des métiers de la défense » organisés au lycée professionnel de Fontenay-sous-Bois. Une pantalonnade qui ne résulte pas d’une initiative individuelle mais qui s’inscrit dans le cadre de la très officielle éducation à la défense intégrée au cursus obligatoire de tous les élèves… depuis 1982.

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Mediapart (11/11/2025) rend compte des violences et débordements qui ont émaillé le déroulement  d’ateliers de « promotion des métiers de la défense » organisés au lycée professionnel de Fontenay-sous-Bois. Article édifiant mais qui ne doit pas faire oublier que cette pantalonnade ne résulte pas d’une initiative individuelle mais s’inscrit dans le cadre de la très officielle éducation à la défense intégrée au cursus obligatoire de tous les élèves … depuis 1982.

C’est effectivement cette année-là que le vieux rêve d’une « symbiose armée-école » a pris corps, concrétisée par un protocole signé par les ministères de la Défense (Hernu) et de l’Éducation nationale (Savary), autour d’un principe simple : l’éducation à la défense « vise à faire comprendre [aux élèves] que les militaires servent la Nation […]. Pour remplir pleinement ces missions, les militaires ont besoin du soutien de l’ensemble de la Nation. » Par la suite, ce protocole a régulièrement été mis à jour et son domaine d’intervention sans cesse élargi par tous les gouvernements de droite comme de gauche dont les conceptions sur la question ne diffèrent guère. Loin de se cantonner à un vague vernis dispensé dans le cadre de l’éducation morale et civique (EMC), l’éducation à la défense vise beaucoup plus large ; dépassant le champ habituel d’une discipline scolaire – et d’ailleurs son principe et ses modalités n’ont jamais été discutées par les instances chargées des programmes scolaires – elle s’incruste dans l’ensemble de la scolarité : « au collège et au lycée , l’ensemble des disciplines doit concourir à l’éducation de la défense » (protocole du 31/01/2007). A la suite de quoi, chaque discipline a dû se mettre en chasse d’« entrées défense » susceptibles de contribuer à faire émerger une « culture de défense » dans les classes.

C’est particulièrement le cas pour l’enseignement de l’histoire sommé de contribuer à la « construction d’une mémoire collective », exigence qui aboutit à corrompre l’histoire par des considérations mémorielles et patriotiques, à l’image de ces cérémonies patriotiques et militaires auxquelles l’Ecole offre en toute bonne conscience ses délégations d’enfants souvent très jeunes. La « mémoire » ici, se résumant à pousser sa Marseillaise pour la grande satisfaction des autorités officielles et des Anciens d’Algérie, promus abusivement au rang de « témoins » de l’histoire.

Dans le cas du lycée de Fontenay-sous-Bois, il n’est pas indifférent de noter le rôle tenu par l’organisateur des festivités, l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) de l’académie de Créteil. Car il ne s’agit pas ici d’un accident. Cette association, qui défend une conception rigide de l’enseignement de l’histoire et dont la proximité avec l'institution Éducation nationale n’est pas vraiment un signe d’indépendance, non seulement ne s’est jamais opposée au principe de l’éducation à la défense mais l’a même relayé en direction des établissements avec une fidélité qui interroge, nullement troublée par la contradiction entre les exigences qu’elle prétend promouvoir d’un enseignement d’une histoire rigoureuse, scientifique et son instrumentalisation politique par une  « culture de défense » tout imprégnée d’un idéal militaire et patriotique.

Toujours à Fontenay-sous- Bois, il n’est pas anodin non plus de relever la dimension socialement discriminatoire de l’établissement concerné, un lycée professionnel dont les élèves sont, plus que les autres, visés par les arrière-pensées professionnalisantes de l’éducation à la défense, outil privilégié de recrutement pour l’armée. Une dimension qui apparaît, entre autres, dans la convention signée en 2018 entre l’académie de Nancy-Metz, les armées, l’université de Lorraine, l’IHEDN. Je cite la note de blog que j’y avais alors consacrée :  

« Endoctrinement des élèves, sensibilisation des enseignants : cette information militaire à sens unique, objet de l’éducation à la défense, n’a jamais caché cette autre finalité qui consiste à faire de l’école le vivier de recrutement de l'armée. " Les cosignataires veulent offrir aux jeunes des projets et des parcours professionnels leur permettant d’accéder aux emplois civils ou militaires au sein des armées […] Il s’agit prioritairement de permettre aux jeunes en difficulté ou déscolarisés d’être mieux informés sur les possibilités de recrutement sans qualification et de formation interne dans les armées ainsi que sur les solutions alternatives que sont les établissements « 2e chance », les « établissements publics d’insertion de la défense (EPIDE) et le service militaire volontaire […] " Ainsi, avec un système éducatif qui a tendance à ne se préoccuper du décrochage scolaire que sous l’angle d’une menace à l’ordre social, l’armée récupère une fonction qui n’est pas la sienne. Un compromis qui arrange finalement tout le monde. »

Recrutement des personnels militaires, cérémonies patriotiques, intrusion dans les programmes scolaires et les questions d’examen (notamment au DNB), association de « classes défense » avec des structures militaires, formation des enseignant.es etc : dans cette autre note de blog (10/10/2016) à laquelle je renvoie, le lecteur pourra retrouver toutes les implications de ces protocoles Education-Défense qui, il faut bien le reconnaître, non seulement n’ont guère soulevé de contestation mais ont trouvé avec l’Éducation nationale un serviteur zélé.

Ils ne sont pourtant pas insignifiants : au-delà de leur dimension proprement militaire, l’éducation à la défense fait circuler dans les établissements scolaires tout un imaginaire identitaire qui, plus de 40 ans après la signature du premier protocole, a pris une place tellement démesurée dans le cursus des élèves  que le SNU a pu passer pour l’aboutissement naturel d’une scolarité qui s’achève à 16 ans, lorsqu’un jeune, en uniforme, sait se tenir au garde-à-vous devant le drapeau pour chanter la Marseillaise. Tout un symbole effectivement, mais un symbole de quoi, sinon d’une éducation civique dénaturée par une pensée simpliste et brutale, imposée par un système éducatif obligatoire soumis au pouvoir politique, qui, à force de confondre citoyenneté et nationalité (le « rallye-citoyen » (sic) des lycéens de Fontenay-sous-Bois…), en arrive à partager et à donner toujours plus d’audience à des principes politiques malsains qui sont aussi ceux de l’extrême-droite.

Et si les contraintes budgétaires, plus qu’une contestation massive qui n’est jamais venue, ont finalement eu la peau du SNU, la péripétie du lycée de Fontenay-sous-Bois montre que l’école n’en a pas fini avec les fantasmes patriotiques et militaires.

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