Des billets publiés respectivement en février 2023 et en décembre 2021. Dans le premier en date, j'explore l'affaire "Zemmour-Pétain" sur le plan de la récupération politique de la Mémoire du génocide des juifs. Dans l'autre, je présente un ouvrage récemment publié sur ce sujet par trois historiens (1).
Dès réception de ce message, je demande des éclaircissements sur les violations de la charte que j'aurais commises ... sans réponse.
J'ai parlé de récupération politique. J'avoue être sensibilisé à cette question. Il y a une douzaine d'années, j'ai publié dans Médiapart un billet titré Enseigner la Shoah dans lequel j'analyse un numéro de la Revue d'histoire de la Shoah (publiée par le Mémorial de la Shoah de Paris) consacré à l'enseignement de cette "matière" qui se veut distincte de l'histoire et dont les contributeurs (en majorité des enseignants du secondaire) me semblaient plus organes passifs d'une institution de convenance que convaincus de ce qu'ils exposaient et dont l'une des autrices commettait un texte dont les relents racistes avaient attiré mon attention (pas contre les Allemands rassurez-vous : contre les musulmans).
J'ai également publié il y a neuf ans un billet intitulé Pétain a-t-il sauvé les juifs ? dans lequel j'explore la problématique autour du thème alors controversé : à quoi attribuer la moindre proportion des victimes juives du nazisme en France (25% de morts dans la population juive) que dans la plupart des autres pays occupés notamment les Pays-Bas (75%). J'en concluais comme une partie des historiens(2) qu'en dépit des multiples actions de la société civile néerlandaise beaucoup plus mobilisée contre les persécutions antisémites que sa correspondante française, il fut moins dangereux pour un juif de vivre dans une France partiellement puis complètement occupée et dirigée par un gouvernement collaborateur, que dans les Pays-bas gouvernés par un général SS après l'exil à Londres des dirigeants politiques et que cette moins grande dangerosité est liée à la gouvernance politique.
Plusieurs problèmes autour de ce thème :
- la "doxa" comme la nomme l'historien franco-israélien Alain Michel, a été établie notamment par Robert Paxton et Michaël Marrus(3) relayés aujourd'hui par Laurent Joly(4) et Jacques Sémelin(5). Elle repose sur le postulat que devant l'acharnement criminel des nazis secondés par Vichy, une grande proportion des juifs de France ont été sauvés par la société civile sensibilisée notamment par les autorités chrétiennes. Alain Michel contredit cette thèse en affirmant que bien qu'activement antisémite, l'État français ne partageait pas l'obsession génocidaire des nazis dont il a freiné les ardeurs : refus d'imposer l'étoile jaune en zone non-occupée, refus de livrer les juifs possédant la nationalité française, refus de les dénaturaliser au-delà d'une minorité ...
- un thème derrière lequel on décèle les constructions idéologiques de la propagande israélienne. Il importe en effet de diffuser la responsabilité du génocide des juifs au-delà de l'Allemagne nazie afin d'alimenter la croyance d'une culpabilité universelle à leur égard et de conquérir une infinie permissivité au profit de "l'état des juifs", réputé refuge contre l'antisémitisme et héritier d'une créance inextinguible.
- un sujet hystérisé par Eric Zemmour dans son effort pour disculper l'extrême-droite française de sa part de responsabilité dans les crimes nazis.
Les débats qui ont marqué cette dernière affaire témoignent de l'angoisse d'une partie de l'opinion d'abandonner une barrière symbolique contre l'extrême-droite, mais aussi de la disparition dans le "dossier Vichy" de tout ce qui n'est pas l'antisémitisme : oubliée la trahison, la répression de la résistance et l'alignement sur la vision nazie d'un avenir européen.
Ils montrent aussi une opinion prise en otage entre le racisme des organisations pro-israéliennes et celui de certaines formations antisionistes qui chacune de son côté essentialise l'oppression des palestiniens comme étant dans la "nature juive". Dès lors, ceux qui prétendent promouvoir les droits de l'homme cheminent sur l'étroit passage entre les orties du "droit des juifs" et les ronces de la "malfaisance juive" et sont soumis à un perpétuel chantage à l'antisémitisme ou au négationnisme. L'utilisation depuis dix ans du vocable "racisme et antisémitisme" ainsi que la promotion par l'Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) de sa "définition opérationnelle de l'antisémitisme" qui présente comme antisémites les critiques adressées au racisme israélien constituent une étape symbolique de ces dérives.
De fait, je me demande si la rédaction de Médiapart ne s'est pas pris les pieds dans le tapis. Mais évidemment, on ne me dira pas les raisons qui ont présidé à la dépublication de ces billets.
(1) Jean-Marc Berlière, Emmanuel De Chambost et René Fiévet, Histoire d'une falsification, Vichy et la Shoah dans l'histoire officielle et le discours commémoratif, Ed L'artilleur, 2023
(2) Alain Michel, Vichy et la Shoah, enquête sur un paradoxe français, Elkana, 2012
(3) Robert Paxton et Michaël Marrus, Vichy et les juifs, Calmann-Lévy, 1981, 2015
(4) Laurent Joly, La falsification de l'histoire, Flammarion, 2022
(5) Jacques Sémelin, La survie des juifs de France, Biblis, 2013
mais à mon avis, on lira avec plus de profit :
Renée Poznanski, Les juifs en France pendant la Seconde Guerre
mondiale, Hachette pluriel, 1994