BRUNO PFEIFFER

Abonné·e de Mediapart

42 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 juillet 2023

BRUNO PFEIFFER

Abonné·e de Mediapart

Basquiat : bebop, hip-hop, et politique

La Philharmonie de Paris ferme les portes de l’exposition « Basquiat Soundtracks » le dimanche 30 juillet 2023. Fin de la révélation devant plus d'une centaine d'œuvres du rebelle. Immersion guidée par le commissaire Vincent Bessières.

BRUNO PFEIFFER

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Jean-Michel Basquiat, Untitled, 1988, Private Collection. © Jean-Michel Basquiat

Il reste trois semaines pour plonger dans les éclairs d'un géant. L’exposition Basquiat Soundtracks, retrace le lien de Jean-Michel Basquiat avec le jazz. L’artiste américain met à jour une singularité frappante dans ce registre. Rares sont les peintres qui ont manifesté un lien aussi fort avec la musique de leur temps (Marc Chagall ? Paul Klee?). On doit à un triumvirat de commissaires (1) la plongée fascinante dans l’imaginaire du monstre sacré américain. Basquiat veut peindre comme improvise un musicien de jazz. L’un des commissaires, le Français Vincent Bessières, un spécialiste reconnu de la musique afro-américaine, maître d’œuvre de la magistrale exposition We Want Miles (2009, La Villette), nous éclaire sur le projet. « Le bouillonnement du New York tout début 80 a porté un créateur hors-normes. Quand il disparaît - à 28 ans - sa peinture figurative, ses traits fulgurants, éclipsent l’art abstrait triomphant. Jean-Michel Basquiat (né à Brooklyn en 1960 de père haïtien et de mère portoricaine), a jeté spontanément de la couleur sur des surfaces diverses, de la même façon qu’un saxophoniste extraordinaire multiplie - sans répéter - les solos magnifiques en studio ou dans un club. Une forme de composition en pilote automatique, laquelle progresse au-delà du cérébral ». Ce musicien d’exception porte un nom : Charlie Parker. Le créateur du bebop. L’idole absolue de Basquiat. L’ultime révélation parmi les 3000 disques de jazz légués par Basquiat père au fiston.

Illustration 2
Jean-Michel Basquiat mixant au Area Club, 1984 © Ben Buchanan

Analyse de Bessières : « clairement, dans l’acte de créer, Basquiat s’identifie à Parker, omniprésent dans son travail ». En effet, dans de nombreux tableaux, les trompettes de Jéricho soufflent en son honneur. Basquiat immortalise son nom, épelle les initiales, egrène les titres, colle des photocopies de dos de pochettes, relève les numéros de série des vinyles, mentionne les compagnons de session (Dizzy Gillespie, Tommy Potter). Basquiat invitera aussi d’autres figures du jazz : Louis Armstrong (Phénoménal King Zulu, 1986), Bix Beiderbecke, Fats Waller, Thelonius Monk. Chaque toile évoque les influences musicales du peintre. Sur des murs de projections larges comme des vitrines de magasin, les images de concerts, confortent le lien entre le son et les toiles. On reste abasourdi de longues minutes devant Billie Holiday et Lester Young. On voit Basquiat danser, pinceaux à la main. Ou tagger des slogans sur les murs de la ville. Bessières : « observer la vie des jazzmen a conforté les considérations politiques de Basquiat. Chez lui, la critique du capital prend source dans le colonialisme. Les figures exécutées avec une créativité inouïe, les écorchés d’une violence épouvantable, célèbrent la pulsion imaginative noire. Basquiat montre du doigt l’acharnement lié aux questions raciales aux États-Unis. Un constat : les producteurs du show-biz (cf ci-dessus le crocodile sur Untitled, 1988) ont exploité les musiciens noirs, tout comme les colonialistes ont encouragé l’esclavage. Sur la toile Slave Auction (1982), le visionnaire actualise le propos : la tenue du vendeur d’esclaves aux enchères rappelle l’équipement d’un arbitre de football américain, un sport où les joueurs afro-américains restent déconsidérés. ».

Vincent Bessières affine le portrait : « l’œuvre ne se limite pas au jazz. Son ami Toxic l’introduit dans l’univers de l’underground qui prolifère dans la partie sud de Manhattan. Basquiat s’entiche du hip-hop, hante les moindres recoins du Bronx et du Lower East Side. Il s’affiche dans les clubs avec des formations de rap. Participe à l'émergence d'un genre. Le touche-à-tout constate, avec pertinence, que le courant hip-hop s’inscrit en continuité du jazz, cela depuis ses débuts, fin XIXe siècle. Basquiat assimile les fondamentaux : ainsi les pratiques de l’échantillonnage et du collage. Il en réalisera sur des supports divers : par exemple les photocopies appliquées sur des cubes (Untitled, 1986) ».

De toile en toile, le parcours surprend, effare, régale. Ni linéaire, ni classiquement chronologique : la navigation entre les salles reste libre. Le visage d’enfant de Basquiat séduit sur les vidéos. La force des tableaux ressort grâce à l’accrochage sur fond noir. La juxtaposition des périodes du créateur évoque la densité et le rythme d’un morceau de jazz. Un harnais de musique, d’onomatopées, de fracas d’engins bruyants attire de tous côtés le visiteur. Le faisceau de significations qui s’entrechoquent dans les toiles de Basquiat, l’intensité éruptive des traits, doit beaucoup à l’encerclement de sons que celui-ci échafaude dans son atelier.

Illustration 3
Jean-Michel Basquiat, Toxic, 1984, Fondation Louis-Vuitton, Paris © Jean-Michel Basquiat

Parker trônait dans l’imaginaire visuel de Basquiat. Quand il peignait, dans son atelier, dans la rue, sur les nappes des bars, ou carrément sur les tee-shirts, ce dernier s’inspirait de la personnalité de Parker. L’un comme l’autre sont morts jeunes (Parker en mars 1955, à 35 ans), accros à New York, accros à la drogue, accros à leur quête. Larousse (2023) nous apprend qu’un génie se définit par « l’aptitude naturelle de l'esprit de quelqu'un qui le rend capable de concevoir, de créer des choses, des concepts d'une qualité exceptionnelle ». Parker et Basquiat sont des génies. L’un comme l’autre présentent une particularité supplémentaire : ils créent dans un état - second - de brasier allumé. On franchit la sortie de l’exposition halluciné, comme si l’on avait contemplé l’intérieur d’un volcan. De très près.

Bruno Pfeiffer

(1) Les commissaires de l’exposition : Mary-Dailey Desmarais (Canada), Vincent Bessières (France), Dieter Buchhart (Allemagne).

Philharmonie de Paris / INFOS PRATIQUES - Exposition Basquiat Soundtracks

Derniers jours avant la fermeture le dimanche 30 juillet au soir.

CONCERTS  2023

Christina Rosmini jusqu'au 30 juillet chaque soir au festival Off d'Avignon (Théâtre du Chêne noir - 21h45 à 23h). La vocaliste, forte du septième album INTI (Couleur d'Orange/L'Autre Distribution) - une alchimie originale de chansons à texte et de musiques méditerranéennes - développe un rapport intense avec ses auditoires. Une figure unique dans le paysage de la tradition française, Christina Rosmini (autrice, compositrice, interprète, joueuse de scie, ensorceleuse) sera accompagnée de Bruno Caviglia : guitares - Bernard Menu : basse - Xavier Sanchez : batterie, percussions - Sébastien Debard : accordéon, bandonéon, claviers, accordina. Chaudement recommandé.

Jazz à Junas (Gard), du 18 au 22 juillet 2023, dont - pour la 30ème édition - la programmation reprendra l'histoire du festival. Une histoire haute en sons actuels, en couleurs, en plaisirs à venir. Beaucoup d'événements retentiront entre les roches des carrières de Junas. Relevons les concerts suivants : le projet S.h.a.m.a.n.e.s de l'épatante percussionniste Anne Paceo/le quartet de l'inventif batteur Daniel Humair, une stature/l'émouvant trompettiste sarde Paolo Fresu/le quartet du briscard Lars Danielson, le contrebassiste suédois/la sidérante vocaliste Sandra Nkaké/le trio du  lumineux accordéoniste Vincent Peirani/l'ébouriffant orchestre Le Sacre du Tympan, dirigé par Fred Pallem/l'attendu Kutu, du violoniste Théo Ceccaldi avec son groupe franco-éthiopien/le projet KHMER, chef d'œuvre du trompettiste norvégien Nils Peter Molvaer (ECM, 1997). Et d'autres affiches de haut-vol...

Dianne Reeves le jeudi 20 juillet à Marseille (20h30 - Théâtre Silvain) dans le cadre de Marseille Jazz des Cinq Continents. La star américaine (Détroit, 1956), réputée pour la générosité de ses prestations (les amateurs la surnomment "La Bête de Scène") ne déçoit jamais. Elle n'a prévu que deux concerts en France. Samara Joy se produira, quant à elle, le mardi 25 juillet à Marseille (Jardin du Palais Longchamp - 20h30), dans le cadre du même festival. La vocaliste précoce - née dans le Bronx en 1999 - enflamme les publics, séduit la planète, explose les applaudimètres, cela depuis deux ans. L'unanimité se forme autour de son talent. La surdouée a décroché un Grammy pour l'année 2022. En France, l'Académie du jazz lui a décerné le Prix de l'Art vocal. Les critiques comparent - et pour cause - l'Américaine à Ella Fitzgerald.

En outre, nouveauté à Marseille ; L'Espace 222 - un club de jazz au sein du festival "Jazz des Cinq continents" - ouvre ses portes de façon éphémère pour quatre soirées du lundi 24 au jeudi 27 juillet (Place Carli, 13001). Pour l'initiative, Marseille Jazz des Cinq continents s'associe avec le Conservatoire Paul Barbizet. Enchaînement original : chaque soir en ouverture de soirée, un groupe résident formé par les élèves de la Classe supérieure de Jazz du Conservatoire de Marseille se produira. Qu'on ne s'y trompe pas, le public se retrouve face à des musiciens accomplis. Ils.elles préfigurent la scène de demain. Ensuite, vers 23h, affiche du jour. Enfin, autour de minuit, la Jam Session. Viendront l'enrichir - notamment - les vedettes après leur prestation sur la scène de Longchamp. En clôture le 27 juillet, grand Bal, jazz, chansons, musette, autour du saxophoniste de jazz, chef d'orchestre et compositeur, Raphael Imbert (et ses complices de longue date). Pourquoi JazzClub 222 ? Parce que le club sera ouvert de 22 h à 2 h du matin.

Sylvain Luc Trio le dimanche 23 Juillet aux Nuits de la Guitare de Patrimonio (Haute-Corse), pour la 32ème édition du festival : du 18 au 25 juillet 2023. Le guitariste basque jouera en première partie de Marcus Miller. Parmi les autres bretteurs de six-cordes attendus sur l'île : Fred Chapellier le 20 - Juan Carmona le 22 - Stochelo Rosenberg & Josho Stephan le 19 - Yamandu Costa et Armandinho le 18 - Luca Imbiriba le 25.

Yemen Blues le 25 juillet au NEW MORNING (Paris 10e) dans le cadre du Festival All Stars de l'été 2023. Une musique aux fortes influences du Moyen-Orient, entrelacée de groove, de blues, de funk, de rock. Ravid Kalahani mène la danse. Le chanteur veine la musique noire-américaine avec les vibrations du désert saharien : nubiennes, gnawi, touaregs, saidi, bambara. Une réussite

Jazz au Phare (des Baleines, au nord de l'île de Ré) - 14e édition - du 30 juillet au 3 août 2023. Avec Biréli Lagrène (qu'accompagnera un orchestre symphonique) Lavilliers, Murray Head, Roberto Fonseca & La Gran Diversión. Ainsi qu'une trentaine de formations, dont les quartets dynamiteurs de Jean-Michel Proust et de Jean-Pierre Bertrand. Une séduisante affiche, dans un cadre surnaturel.

Laurent Cugny Tentet le 4 août de 21h30 à 23h sur la plage de l'Argentière, dans le cadre du La Londe Jazz festival (Var). La formation de l'ancien directeur de l'ONJ (1994-1997) a offert une prestation fracassante le mercredi 17 mai à l'Auditorium du site Jussieu de Sorbonne Université, lors du festival Jazz à St Germain des Prés. Le gratin des musiciens de jazz français, sous la baguette du compositeur-musicologue (et pianiste), a réveillé sur scène de l'esprit du Miles Davis des années 80 dans un tourbillon inouï de solos, d'unissons et de dialogues improvisés. Cris de joie, délires dans la salle, ovations répétées. Tout le monde collé au fauteuil. Extraordinaire. A défaut de pouvoir rouler vers la mer (c'est le dernier concert de Cugny cet été), procurez-vous Zeitgeist, la musique du concert. Un CD choc. Édité par le label Frémeaux&Associés. Contenu salué partout. On ne fera pas exception.

Au Grès du Jazz du 5 au 13 août à La Petite Pierre, dans les Vosges du Nord (Bas - Rhin). Programmation richissime, avec Robin McKelle (sensationnel Impressions of Ella, sur DOXIE Records), Airelle Besson, Rhoda Scott (il serait définitivement étourdi de passer à côté du déchirant Trio Gospel, ou de son pétulant Lady quartet), Laurent Mignard Duke Orchestra, Sébastien Trœndlé (voir ci-dessous), Bireli Lagrene (monarque incontesté des guitaristes actuels), Michael Alizon, Rocky Gresset, et abondance d'autres bonheurs. Le cadre lui aussi vaut résolument le déplacement.

Festival international de boogie-woogie de Laroquebrou, dans le Cantal, du 9 au 13 août. LA référence pour le piano des années 20, 30, 40 ! Laroquebrou est incontestablement le plus grand festival de boogie-woogie du monde. Sébastien Trœndlé, créateur du festival ON THE MISSISSIPPI à Strasbourg (Alsace), vient d’être nommé à sa direction musicale. Un tournant majeur.

Leila Olivesi le 21 septembre à 20h30 au New Morning (Paris 10e). La nouvelle lauréate du prestigieux Prix Django Reinhardt de l'Académie du Jazz présentera (en octet, formation de son dernier CD, Astral), un bijou bien dans ses racines et à l'aise dans les explorations. Retrouvez la jeune garde du jazz actuel : Leïla Olivesi - piano, composition; Jean-Charles Richard - sax baryton & soprano; Baptiste Herbin - sax alto & flûte; Adrien Sanchez - saxophone ténor;  Quentin Ghomari - trompette & bugle; Manu Codjia - guitare; Yoni Zelnik - contrebasse; Donald Kontomanou - batterie.

TriumViret le samedi 23 septembre 2023 (12h), en l'Eglise Notre-Dame de Portbail (Manche) dans le cadre du festival Les Arches en Jazz. Triumviret, un jeu de mots réussi pour le trio du contrebassiste Jean-Philippe Viret et de ses   enfants : Adèle (violoncelle) et Oscar (trompette). Comme dans beaucoup de familles, on compose et on improvise. Ici, c'est en musique (jazz), en public, et à un très haut niveau.

Famoudou Don Moye ouvrira le samedi 14 octobre à 20h30 la saison 23/24 de l'Espace Sorano (Vincennes). Le percussionniste fut le pilier de l’Art Ensemble of Chicago, formation phare des années free, collectif d’expérimentateurs soucieux d’ouvrir le jazz aux musiques contemporaines - et aux sons du monde décolonisé. Ce héraut de la Great Black Music poursuit le trajet aux commandes du Percussion and Brass Express Trio : Christophe Leloil (Les Quatre Vents, Archie Shepp) à la trompette, et Simon Sieger, aussi habile au trombone qu’au piano. Parmi les nombreuses affiches séduisantes du programme : Ex Machina le 10 novembre, Dal Sasso Big Band "Chick Corea's Three quartets revisited" le 8 décembre, Romain Pilon trio avec Jeff Ballard le 4 avril, Camille Bertault le 4 mai, Lisa Cat-Berro "Solaxis" le 8 juin.

Francis Laffon le jeudi 23 novembre 2023 à 20h à fond de cale (et à fond la caisse). Avec le chansonnier revivent les talents des grands paroliers : Boris Vian, Léo Ferré, Jean-Roger Caussimon, Georges Brassens. Pour toute information : info@penicheanako.org.

Sophie Darly le 7 décembre 2023 au studio de L'Ermitage (Paris 20e). Son prochain album, le troisième, (Slow Down Fast, sur le label Broz) sera alors sorti. La vocaliste a composé les huit titres : une abondance de gospel, de blues, de soul, de jazz brûlant et virtuose. Partout, grâce,  feeling, virtuosité à revendre. Qu'on juge aussi de la qualité de l'ensemble par les présences des musiciens : Pierrick Pedron, Julien Alour, Antoine Reininger, Daniel Mizrahi, Arnaud Gransac, Mathieu Penot, Hector Gomez. Une révélation.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.