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Billet de blog 13 avril 2024

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LE LIVRE NOIR DU SIONISME (VIII), soumission de l'espace

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Unterwerfung des Raumes :  soumission de l'espace

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L'Europe est au zénith de son expansion coloniale et les dirigeants sionistes n'échappent pas à cette mentalité de domination : "ils se voient eux-mêmes comme des colonisateurs participant à la « soumission de l’espace » (Unterwerfung des Raumes) et croient en leur « mission civilisatrice » en Orient. (...)  il existe des similitudes méthodologiques frappantes entre les projets de colonisation des sionistes allemands et ceux élaborés par les autres colonisateurs de l’« ère des empires ». Qu’il s’agisse de statistique, de démographie, d’agronomie, de géographie commerciale, de réflexion sur l’habitat ou encore des infrastructures de transport et de leur rôle dans la mise en valeur économique du pays, les points de contact sont nombreux."  (Baisez, 2016).  

​"En cherchant à se légitimer aux yeux des puissances européennes, l’imaginaire colonial sioniste a non seulement adhéré à la version hégélienne de l’histoire du monde, mais a également établi une alliance inconfortablement étroite entre les idéaux sionistes et ceux des grands apologistes de l’empire et de l’expansion"   (Presner, 2007 : 186).  

Par ailleurs, les  sionistes allemands Warburg, Ruppin ou encore le médecin dermatologue  Felix Aron Theilhaber (1884-1956) "ont explicitement formulé l’opinion que la colonisation juive en Palestine devrait s’inspirer des méthodes mises en œuvre depuis 1886 par la Commission royale prussienne de colonisation (Königlich-Preußische Ansiedlungskommission). En effet, il s’agissait dans les deux cas d’organiser la colonisation, et plus spécifiquement le peuplement, de territoires où la situation démographique était très défavorable aux colonisateurs. Dans la langue de l’époque, l’enjeu était pour eux, dans un cas comme dans l’autre, de « renforcer l’élément » allemand ou juif par rapport, respectivement, à la population polonaise ou arabe." (op. cité).  L'activité propagandiste des sionistes allemands est prolifique, nous ne pouvons en faire état de manière détaillée ici. Evoquons seulement, pour finir sur le sujet,  la Commission pour l'exploration de la Palestine, appartenant à l'Organisation sioniste mondiale, chargée de  "diffuser auprès des étudiants intéressés la « connaissance de la Palestine » (Palästinakenntnisse), mais aussi la « science de la colonisation » (Kolonisationswissenschaften) en général, l’accent étant mis sur les expériences coloniales allemandes."   (op. cité).  

​Les sionistes allemands ont donc soigneusement étudié les colonies de peuplement dans les colonies et protectorats de l'Empire allemand, mais aussi, un peu plus tard, le règlement foncier du protectorat de Kiautschou, en Chine, instauré en 1898  (Baisez, 2016).   

"En raison de l’ancrage profond de la notion de propriété, les peuples cultivés de longue date ne peuvent pas toujours, comme le souhaitent les grands esprits clairvoyants, mettre les idées visionnaires en application chez eux ; ils essaient en revanche de les appliquer à des contextes nouveaux, quand l’occasion de mettre en valeur des terres vierges se présente à eux. Pourquoi l’Angleterre ne tenterait-elle pas en Palestine, au nom de la Société des Nations, ce que l’Allemagne a réalisé avec succès à Kiautschou ?"   "  (S. E. Soskin,  Die Nationalisierung des Bodens und die Araberfrage » : "La nationalisation de la terre et la question arabe", dans Volk und Land, 31, 1919, note 25, p. 980.). 

​Là encore, l'invisibilisation des Arabes se lit au travers des "terres vierges", qui évoquent une page blanche, vide de toute histoire, à partir de laquelle on peut partir de zéro pour en construire une nouvelle. 

​Le sociologue israélo-américain Guershon Shafir  opère un distinguo entre la première et la seconde aliya, qui voit l'entreprise sioniste passer "d'une colonie de plantation ethnique fondée sur l’expansion territoriale et la rentabilité économique" à une "colonie de peuplement pur reposant sur la « conquête du travail » (kibboush ha-avoda) et l’édification d’une société juive homogène...  suivant le modèle de colonisation interne du gouvernement prussien sur le territoire polonais, à la fin du XIXe siècle."  (Séguin, 2018).  Cette deuxième vague de peuplement, opérée entre 1903 et 1914, verra  environ 35.000 à 40.000 colons débarquer d'Europe orientale et de Russie  (Weinstock, 2011 ; Al-Labadi, 2015).

​Il faut distinguer le colonialisme européen, qui tire sa puissance d'une métropole  et s'est  fondé sur l'exploitation des indigènes,  du colonialisme sioniste,  qui, sans avoir de métropole propre, a bénéficié de manière essentielle et capitale, nous le verrons en détail, de la puissance coloniale de l'Etat britannique (et donc d'une métropole étrangère), mais aussi de l'appui non négligeable de sa diaspora. Le sionisme a tout de suite organisé son projet, non pas autour de l'exploitation du colonisé, mais de sa domination (économique et technique en particulier), de son éviction, et de son remplacement par des communautés  juives allogènes.  C'est ce qu'un certain nombre de chercheurs ont appelé "colonisation de peuplement" (settler colonialism), dont la dynamique n'a cessé de s'amplifier dans le temps depuis les toutes premières colonies sionistes, au détriment des populations autochtones.   

​"Israël, l’Australie, le Canada et les États-Unis ont en commun d’être des États reposant sur le colonialisme de peuplement, c’est-à-dire des communautés politiques fondées sur l’appropriation de territoires appartenant jadis à d’autres populations et sur la marginalisation graduelle, voire la destruction, de ces mêmes populations (Abdo et Yuval-Davis, 1995  ; Abu-Saad, 2008  ; Mann, 2005  ; Masalha, 2012  ; Stasiulis et Jhappan, 1995). Ce phénomène relève du type le plus radical de rapport de domination entre peuples justement parce qu’il amène à faire disparaître l’autre, que ce soit culturellement en faisant tout pour le transformer, le « civiliser », ou encore physiquement en tentant par tous les moyens de l’exclure du territoire convoité, la voie extrême étant le génocide (Shaw, 2010, 2013)."   (Séguin, 2018). 

​"Des universitaires palestinien·nes et arabes ont adopté le colonialisme de peuplement comme catégorie comparative dès le milieu du 20e siècle pour certains (Sayegh, 1965 ; Jabbour, 1970 ; Abu-Laghod et Abu-Laban, 1974 ; Said, 1979 ; Hilal, 1976). Ils et elles ont comparé les pratiques des colons sionistes principalement européens à celles d’autres colons européens, comme ceux qui sont venus dominer l’Afrique du Sud ou la Rhodésie, et ont souligné la violence de la dépossession et du remplacement." (Sabbagh-Khoury, 2023). Malheureusement, nous entendons rarement la voix de ces chercheurs dont les travaux sont peu connus, peu relayés, car leur origine  "est indissociable de modèles racialisés de légitimité dans lesquels les chercheur·euses des groupes marginalisés se voient souvent accorder moins de crédit et d’attention pour leurs contributions théoriques et empiriques."  (op. cité).  

​Parmi ces universitaires, faisons entendre la voix de Fayez Abdullah Sayegh (1922-1980), diplômé de l'Université  américaine de Beyrouth, de Georgetown (Washington DC), et qui a enseigné à Beyrouth, Yale , Stanford, etc. Il fonde en 1965 le Centre de recherche de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP). En tant que délégué du Koweït, il a co-rédigé et présenté le 10 novembre 1975 la résolution 3379, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, qui finira par être annulée le 16 décembre 1991. Cette résolution avait  "déterminé que le sionisme était une forme de racisme et de discrimination raciale. Cette résolution sera révoquée en 1991 par la résolution 46/86 de l’Assemblée générale des Nations unies, condition préalable posée par Israël à sa participation à la Conférence de Madrid."  ("Fayez Sayegh (2012) Zionist Colonialism in Palestine (1965)", dans Settler Colonial Studies, Volume 2 n° 1, 206-225,).   

​"Les deux dernières décennies écoulées, qui ont été témoins de l'effondrement de l'Impérialisme européen et de l'élimination progressive  du colonialisme occidental en Afrique et en Asie, ont aussi été témoins de l'apparition d'une nouvelle forme de Colonialisme au carrefour de ces deux continents. Ainsi, la disparition d'une cruelle et honteuse période de l'histoire du monde a coïncidé avec l'émergence, au croisement de l'Asie et de l'Afrique, d'un nouveau rejeton de l'Impérialisme européen et d'une nouvelle forme de Colonialisme raciste."

Fayez A. Sayegh, "Zionist Colonialism in Palestine", Research Center Palestine Liberation Organization, Beirut (Beyrouth),  septembre 1965).


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