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“ la Palestine sans aucune amputation ni restriction ”
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En 1919, pendant la cinquième session du Conseil Temporaire des Juifs de Palestine, Yosef Sprinzak (1885-1959), un des fondateurs et leader d'Hapoel Hazair (H. Hatzaïr, H. Hatsair), premier parti socialiste sioniste en 1905, qui sera 1er président par intérim d'Israël et président des trois premières Knesset (parlement israélien), affirme sans complexe à son auditoire : "Nous devons recevoir la Palestine sans aucune amputation ni restriction. Mais il existe un nombre connu d’Arabes qui vivent en Palestine et ils recevront leur dû. Celui qui veut travailler cultivera sa parcelle. Quiconque ne veut pas y travailler recevra une compensation et cherchera fortune dans un autre pays." (Y. Sprinzak, Procès-verbal de la cinquième séance du Conseil temporaire des Juifs de Palestine, 11-13 Sivan 5679 (9-11 June 1919), p.134, CZA J1/8777).
Depuis que la déclaration Balfour avait paru dans la presse britannique, le 9 novembre 1917, le camp sioniste avait compris qu'il avait remporté une victoire décisive, et ses ambitions hégémoniques sur la Palestine avaient été confortées. Dans la communauté arabe de Palestine, mais plus largement dans tout le Moyen-Orient, la Déclaration Balfour fit au contraire l'effet d'une bombe : "il faut noter que les Arabes, Musulmans et Chrétiens, à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine, s’opposèrent vigoureusement à la Déclaration Balfour, qui, comme en témoigne cette note envoyée à Paris le 8 février 1918, « […] a produit une profonde impression parmi les Syriens (chrétiens et musulmans) d’Egypte. Cette impression fut particulièrement pénible parmi les réfugiés palestiniens… ». Ces mêmes Syriens, réunis dans le Comité syrien du Caire, envoyèrent une note de protestation au Gouvernement britannique. Nous pouvons citer aussi le Comité islamo-chrétien de Jaffa et le Congrès palestinien à Jérusalem qui insistèrent tous deux sur le caractère indivisible du peuple arabe de Palestine, majoritaire par le nombre et par la possession de terres" (Al Smadi, 2012).
"De leur côté, les Arabes disaient : « Non contents d'être des intrus, des étrangers venus en Palestine, où nos familles sont installées depuis des générations, les Juifs servent d'instruments à la puissance étrangère occupante. En effet, si la déclaration Balfour n'avait pas été prise en considération dans le mandat sur la Palestine, si le but du mandat n'avait pas été, en premier lieu, d'établir un foyer national juif, il aurait été impossible de prolonger ce mandat plus longtemps, par exemple, que celui sur l'Irak, qui prit fin en 1930. La Palestine serait alors devenue un pays libre et souverain. Ge sont donc les Sionistes qui mettent obstacle à cette solution. Ils sont les alliés de l'occupant anglais, qui a intérêt à se maintenir dans le pays et s'y maintient grâce à eux. »" (Yeredor, 1948).
Entre 1918 et 1920, la protestation antisioniste se développe sous diverses formes pacifiques : manifestations, pétitions, articles de presse, créations de mouvements, boycotts divers, et enfin, des grèves éclatent en février 1920 dans différentes villes, pour protester contre l'annonce faite de l'application de la Déclaration Balfour par le général Sir Louis Jean Bols (1867-1930), administrateur militaire de la Palestine. Des émeutes antijuives éclatent ensuite entre le 4 et le 7 avril 1920 dans un quartier de Jérusalem, Nebi Musa (Nabi Moussa : le prophète Moïse), lieu de pèlerinage traditionnel musulman sur la tombe présumée du prophète. Circonscrite auparavant à ce lieu, c'est dans toute la Palestine que se forment depuis quelques années des rassemblements auxquels se joignent aussi les chrétiens arabes, avec, dès 1919, de plus en plus de slogans nationalistes ("Vive l'émir Fayçal !" "Vive le roi Hussein !"), et en 1920, une bannière derrière laquelle défilent les manifestants, qui affirme "La Palestine fait partie de la Syrie" (Weinstock, 2011). Le 20 janvier les dockers arabes entament une grève générale et une manifestation antsioniste se monte en parallèle. En juillet, c'est le secteur commercial qui se met en grève à la demande des leaders palestiniens et de très nombreux commerçants arabes ferment boutique. La plupart du temps, les sionistes dénient le caractère nationaliste, délégitiment les actions de résistance palestinienne en les mettant sur le compte d'intérêts divers de riches palestiniens : politiciens, gros propriétaires, effendis etc. (op. cité).
Comme dans d'autres épisodes de violences qui ne vont pas tarder à survenir, la foule est excitée, chauffée par les discours enflammés des leaders, en l'occurrence le maire de Jérusalem Musa Kazem al-Husseini (Moussa Kazim, Qazem al-Husayni., 1853-1934) et son neveu Amin al-Husseini, qui finira comme quelques leaders arabes par défendre les thèses antisémites hitlériennes et sombrer dans une étroite collaboration avec les nazis (1), ou encore Arif al-Arif, ces deux derniers ayant œuvré ensemble à promouvoir le gouvernement hachémite de Fayçal pendant la consultation de King-Crane, en 1919.
Les émeutes de Nebi Musa causeront une dizaine de morts chez les Juifs, deux centaines de blessés, certains grièvement, deux viols, aussi (Segev, 2001 ; Morris, 1999). Certains historiens s'appuient sur un certain nombre de faits pour avancer qu'il y a eu complicité de la part d'officiers britanniques dans les émeutes, pour attiser le conflit selon l'antique méthode de "diviser pour mieux régner" ou encore pour soutenir les Arabes, tels Bols ou le colonel Bertie Waters-Taylor , chef d'état-major d'Allenby, qui, le 20 janvier, encourage Fayçal à revendiquer la Syrie entière. D'autres indices sont suspectés, et les croix dessinées sur les maisons des commerçants chrétiens qui devaient être distinguées de celles des Juifs, comme l'apathie des forces militaires face au désordre, sont autant de faits qui interrogent.
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(1) collaboration avec les nazis
Des sympathies, des connivences, voire des complicités idéologiques ou de circonstances sont attestées entre représentants nazis du IIIe Reich et certains dirigeants politiques arabes. Le cas le plus emblématique de Palestine est celui du Mufti de Jérusalem, Amine el-Hussein, dont la poignée de mains du 30 novembre 1941 avec Hitler a été immortalisée par une photographie reproduite un peu partout dans les articles sur le sujet, diffusion propice, aussi à son instrumentalisation. Le sujet des nazis reconvertis dans le monde arabe est bien réel mais concerne au premier plan l'Egypte, et dans une moindre mesure la Syrie, (cf. le film documentaire de Géraldine Schwarz, Exil nazi, la promesse de l'Orient, 2014). D"autre part, nous avons vu ailleurs que l'Orient ne détient pas l'exclusivité de cette sombre collusion, loin de là, massivement présente aux Etats-Unis après guerre, en particulier, mais aussi dans différents pays d'Europe... dont l'Allemagne.
Le panislamiste et sympathisant fasciste Chakib Arslan (1889-1946) est un druze du Liban, le théologien Rachid Rida (1865-1935), d'abord dreyfusard avant de devenir très antisémite, est un intellectuel syrien. Le Club Al Muthanna, à la fois antijuif, et anticommuniste, est créé en 1935 en Irak. .L'ultranationaliste Rachid AL Gaylani est aussi irakien, il se réfugiera à Berlin après le terrible pogrom contre les Juifs de Bagdad, appelé Farhüd, qui fit 180 morts et blessés.
"Largement discrédité dans le monde arabe, sinon en Palestine, avant même son exil européen, Al-Husseini rencontra si peu d’écho que, malgré toutes ses exhortations à rejoindre les troupes de l’Axe, seuls 6 300 soldats originaires de pays arabes, selon les calculs d’un historien militaire américain, « passèrent par les différentes organisations militaires allemandes », dont 1 300 originaires de Palestine, de Syrie et d’Irak, le reste en provenance d’Afrique du Nord. Ces chiffres doivent être comparés aux 9 000 soldats arabes de la seule Palestine engagés dans l’armée britannique et aux 250 000 Maghrébins qui combattirent dans les rangs de l’armée française de la libération et fournirent la majeure partie de ses morts et blessés." (Gilbert Achcar, Dans la guerre de propagande d'Israël, Inusable grand mufti de Jérusalem, Le Monde Diplomatique, mai 2010, p. 23).
Al-Husseini est fanatiquement anti-juif, et il ne doit pas idéologiquement occulter tous les nationalistes arabes (y compris al-Husseini) dont nous avons parlé, qui se sont battus ou continuent de se battre pour une cause qui, au nom du droit des peuples, est légitime. Le chercheur allemand René Wildangel a dépouillé minutieusement la presse arabe de 1930 à 1940 et a constaté que les critiques parfois virulentes du national-socialisme ne sont pas rares, en particulier dans Filastin ou l"hebdomadaire Al Akhbâr (René Wildangen, Zwischen Achse Und Mandatsmacht: Palästina Und Der Nationalsozialismus, Berlin, 2007 ; Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, Editions Actes(Sud, 2009).
Les Israéliens, depuis 1945, ont régulièrement instrumentalisé le cas Husseini, demandant, sans succès, qu'il soit déféré devant le tribunal international de Nuremberg, comme un rouage nazi (Achcar, op. cité). Netanyahou, reprenant de vieilles lanternes, est même allé jusqu'à faire du Mufti "un des architectes clefs" de la solution finale, ce qui lui a valu un rappel à l'ordre de l'historienne en chef du mémorial Yad Vashem elle-même, Dina Porat. (Top Analyses and Opinion About Natanyahu's Controversial Claims About Hitler and the Mufti, Haaretz, 22 octobre 2015). Et ne parlons pas de toutes les occasions où les dirigeants israéliens on traité diverses personnes ou se sont traités eux-mêmes de "nazis", dans des contextes qui n'ont rien à voir avec l'horreur que cette interpellation doit susciter : cf. exemples dans Motivations et paradoxes de la référence au « nazi » dans le discours israélien, article de Sylvain Cypel, Orient XXI du 3 novembre 2015.
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De manière diamétralement opposée à un récit simplificateur, nous voyons bien qu'en retraçant minutieusement les faits, nous nous rendons ici que, contrairement à des pogroms de nature profondément raciste, antisémite, comme dans la Russie tsariste (cf. La question juive), il y a eu pendant de longues années, hormis quelques frictions entre communautés) un très long chapelet de doléances, de protestations, de délégations arabes pacifiques, contre le refus de la colonisation sioniste (quel pays aime être colonisé ?), largement ignorées mais surtout bafouées par les colonisateurs européens eux-mêmes qui n'auront de cesse de diviser, attiser les dissensions, et finalement les haines en trahissant les promesses faites aux Palestiniens par de hauts dignitaires européens, en donnant de manière idéologique et totalement injuste le droit aux Juifs de recréer un Etat en Palestine au mépris des habitants natifs du pays. Plus de cent ans plus tard, dans des conditions bien plus dramatiques, le désespoir et la haine accumulés pendant des dizaines d'années d'humiliations, d'injustices, de crimes subis par les Palestiniens, ont ouvert la voie à de terribles actes de vengeance le 7 octobre 2023, par la main du groupe armé Hamas. Et encore une fois, l'Etat d'Israël n'a rien fait pour répondre aux revendications légitimes des Palestiniens, il au contraire répandu un déluge de feu qui ne peut que renforcer des désirs de vengeance et de crimes. Déjà, en 1920, le gouvernement de Grande Bretagne répondait aux Arabes par le mépris en remplaçant, le 1er juillet 1920, le général Sir Louis Jean Bols (1867-1930), haut commissaire et administrateur militaire de la Palestine, par le Juif Herbert Samuel (jusqu'au 30 juin 1925), qui, nous l'avons vu, a fait résonner le sionisme au cœur même du pouvoir de la Couronne. Les Arabes ne voulaient pas que les Juifs forment un Etat en Palestine, alors on leur envoyait un Israélite pour diriger le pays : ce n'était pas arrivé depuis la révolte de Simon Bar Kochba en 132. Inutile de dire que beaucoup d'habitants ont considéré cette nomination comme une provocation révoltante. En réaction, l'association islamo-chrétienne adressa pourtant un télégramme au général Bols d'une politesse exemplaire :
"Samuel Sir Herbert est considéré comme un dirigeant sioniste, et sa nomination comme la première étape dans la formation de la maison nationale sioniste au milieu des peuples arabes contraires à leurs souhaits. Les gens ne parviennent pas à le reconnaître et l'Association islamo-chrétienne ne peut pas assumer la responsabilité de émeutes ou d'autres troubles de la paix"
Pour la petite histoire, précisons que, pour ses bons et loyaux services auprès de la Couronne, Samuel sera fait, le 8 juin 1937, 1er Vicomte Samuel du Mont Carmel (en Palestine) et de Toxteh (à Liverpool) !
Les autorités militaires britanniques ayant interdit tout rassemblement politique suite à la Conférence de San Remo, le 2e Congrès arabe palestinien a dû se tenir en secret, le 31 mai 1920, à Haïfa, et fit l'objet d'une proclamation publique de protestation contre l'introduction de la Déclaration Balfour dans le texte légiférant le mandat britannique (Pappé, 2010). Un 3e Congrès, tenu à la fin de la même année, le 4 décembre 1920, rappellera les engagements de Mac-Mahon envers Hussein, refusera le principe d'une nation et d'une immigration juives en Palestine, ou encore la reconnaissance de l'Organisation sioniste mondiale, et demandera l'établissement d'un gouvernement représentatif arabe en Palestine (Pappé, 2010).
Le mouvement de rejet du sionisme en Palestine était devenu national, et la très grande majorité des sionistes, au lieu de reconnaître l'insoutenabilité de leur projet en l'état, et chercher une solution viable en concertation avec les Britanniques, ont continué de se montrer aveugles et sourds aux aspirations générales de la population arabe de Palestine. Au mois d'avril 1920, plus de 2000 Bédouins du Hauran, armés, avaient même conduit un assaut contre une troupe militaire britannique à Zemah, suivant un plan des nationalistes palestiniens retranchés à Damas, qui avaient compté, en vain, susciter un soulèvement général du pays : "l’aveuglement manifesté par les dirigeants sionistes au sujet de cette position quasiment unanime des Arabes palestiniens est proprement confondant. Généralement ils niaient carrément – et contre toute évidence – la réalité de ce rejet et taxaient le mouvement nationaliste arabe de création artificielle manipulée par les chefs « féodaux » hostiles au progrès ; ou bien encore ils lui déniaient toute légitimité." (Weinstock, 2011).
Il y a incontestablement dans la Palestine de l'époque un contexte social, une culture arabe encore en partie archaïque et féodale (en partie évoquée plus haut par les mentalités claniques, la ploutocratie des beys ou la pratique bédouine du pillage), mais ces éléments ont été instrumentalisés, en effet, par les sionistes, pour invisibiliser une fois de plus la lutte d'indépendance arabe contre une colonisation étrangère. Des évènements survenus au cours du premier trimestre 1920 en sont une bonne illustration. Plusieurs colonies juives kvousoth s'étaient installées dans une espèce de no man's land tout au nord de la Galilée appelé "doigt de Galilée", à Tel-Haï, Kfar-Guiladi (K-Giladi), Metoullah (Metoula) et Hamrah. C'est un territoire abandonné par les Anglais la même année, proche de zones d'occupation française au Liban, et où sévissent des bandes armées paysannes appelées isabat. Trop souvent dépeints comme de sauvages brigands de grands chemins, ce sont en fait des formations proto-militaires, organisées, encadrées, formées et armées. Certes, ces "bandes armées sont financées et organisées dans le cadre de hiérarchies de notables, et le recrutement fonctionne selon des liens traditionnels de clientélisme", (Flateau, 2016), mais elles sont animées par des buts politiques :
"Les Français sont convaincus que ces forces ne mènent pas une guerre privée mais ont une vocation nettement politique. Le simple désir de pillage ne suffit pas à expliquer leur action. Parfois, elles « s’abattent à l’improviste sur les campagnes, pillent les villages et coupent les communications », mais elles ne pratiquent pas une économie du pillage systématique et indifférenciée. En témoigne par exemple l’attaque d’Antioche, menée le 12 mars 1920 par une bande de chérifiens. Aucun acte de pillage ne se produit dans les quartiers de la ville où les troupes ont pénétré, mais les fonctionnaires sont sommés de démissionner. Pour les militaires français, il est clair que l’objectif de l’organisation ennemie, à la fois turque et chérifienne, est national. Il s’agit de faire régner dans toute la région nord de la Syrie un état d’insécurité ; d’entretenir les sentiments irrédentistes de la population turque ; de favoriser la résistance de la population contre l’établissement du système administratif mandataire." (op. cité)
Le 12 décembre 1919, un habitant de la colonie juive de Tel-Haï est tué, puis un autre en février 1920. Par qui ? Très probablement par de vrais brigands, cette fois, car plusieurs villages arabes ont aussi été attaqués (Morris, 1999). Ce qui ne change rien à la peur causée aux villageois dont certains se replient. En 1920, Yosef (Yossef Joseph) Trumpeldor est missionné par Hashomer en Galilée, pour protéger les colonies agricoles de la région. Fils de militaire, légionnaire juif, Trumpeldor est fondateur avec Jabotinsky, d'une milice juive ("le corps des muletiers de Sion"), puis en 1917, de la "Légion juive", en réalité "38e bataillon de fusiliers de sa Majesté", toutes deux sous le commandement général des armées britanniques. En 1918, il rejoint le mouvement He-Halutz (HeHalutz, HeChalutz, הֶחָלוּץ : "le pionnier") fondé par Eliezer Joffe en 1905, aux Etats-Unis, afin d'encourager et d'aider un peu partout dans le monde de jeunes ḥalutzim à s'installer en Palestine, où ce dernier fonde l'association Ha-Ikkar ha-Ẓa’ir ("Jeune agriculteur") à Woodbine, dans le New Jersey, dont les membres étaient étudiants dans une école d'agriculture (Eliezer Lipa Joffe, entrée de l'Encyclopaedia Judaica, 1971-1994). Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres déjà cités montrant à quel point le mouvement sioniste a grandement bénéficié de l'installation de sa diaspora conquérante dans les pays économiquement développés.
En février-mars, Ben Gourion et Trumpeldor défendent et reprennent certains villages occupés de Galilée, mais la trentaine de défenseurs sont obligés de céder face aux attaques de centaines de... Bédouins, dit-on, mais Hellprin (1977) et Frankel (1986) ont montré que l'identité de l'ennemi à cette époque était encore ambiguë pour les Juifs et qu'on utilisait "de façon interchangeable les termes "bédouins", "voleurs" et "Arabes". Par ailleurs, ce sont des officiers à cheval qui dirigent les opérations et prétendent que les Juifs aident les Français, ce qui tend à montrer encore un environnement politique, et non une attaque sauvage, selon les sources juives les plus fiables, qui évoquent aussi la fouille d'une maison réclamée par ces officiers, mais aussi l'ordre de tirer donné par Trumpeldor, causant des ripostes meurtrières en tout sens (cf. Joseph Trumpeldor, Le Monde Juif n° 18, 1949 | 4, pp. 11-12). "Le Lion" de Tel-Haï blessé à mort, mourra en prononçant ces mots : "Il est bon de mourir pour son pays", et connaîtra au fur et à mesure une postérité héroïque chez les sionistes (et une mythologie variée selon les sensibilités), et plus tard dans l'histoire israélienne, toute auréolée de l'idéologie sioniste :
"Il est le symbole du Juif nouveau. C’est le premier Juif à mourir pour son pays. Il est donc légendaire (...) Il nous montre aussi que nos différences, apparemment contradictoires doivent être rassemblées pour ne former qu’un seul peuple. Un peuple complexe, hétérogène mais uni…" (Ashkenazes francophones, 28 mars 2021).
Pourtant, les dirigeants sionistes eux-mêmes savent parfaitement le bien-fondé de la réaction des Arabes autochtones s'opposant à des étrangers envahisseurs, qui cherchent à coloniser et conquérir leurs terres, ils l'ont admis à différentes reprises, et en 1923, Jabotinsky n'en fait pas mystère non plus, dans un article paru le 4 novembre 1923 dans le principal journal sioniste d'expression russe, l'hebdomadaire L'Aube (Рассвет : Rassvet, Razsviet, Rassvyet), n° 42/43, édité alors à Berlin et dirigé de fait par Jabotinsky, son rédacteur principal. Son titre, О железной стене ("A propos du mur [ou muraille] de fer"), deviendra célèbre, car cette "muraille de fer", (Iron wall), désignera plus tard, nous le verrons, une des nombreuses stratégies de la colonisation juive en Palestine. En désaccord avec l'Organisation mondiale sioniste, dont il veut réviser la philosophie, Jabotinsky s'en sépare la même année et créera en 1925 l'Alliance sioniste révisionniste. Dans La Muraille de Fer, l'auteur montre bien comment, en balayant rapidement ses arguties pacifistes, il n'entend aucunement négocier avec les Arabes la domination juive en Palestine, tout en ne manquant pas, comme beaucoup de dirigeants sionistes et britanniques, d'afficher son mépris pour la culture arabe :
"L’auteur de ces lignes est considéré comme un ennemi des Arabes, un partisan du déplacement, etc. Ce n’est pas vrai. Mon attitude émotionnelle envers les Arabes est la même qu’envers tous les autres peuples : une indifférence polie. Mon attitude politique se définit par deux principes. En premier lieu, le déplacement des Arabes de Palestine, sous quelque forme que ce soit, est absolument impossible ; il y aura toujours deux peuples en Palestine. Deuxièmement, je suis fier d’appartenir au groupe qui a élaboré le programme Helsingfors. Nous ne l’avons pas formulée seulement pour les Juifs, mais pour tous les peuples ; Et sa base, c’est l’égalité des nations. Comme tout le monde, je suis prêt à jurer pour nous et nos descendants que nous ne violerons jamais cette égalité et que nous ne tenterons pas d’évincer ou d’opprimer. Credo qui, comme le lecteur peut le voir, est assez paisible. Mais sur un tout autre plan se pose la question de savoir si des plans pacifiques peuvent être réalisés par des moyens pacifiques. Car cela ne dépend pas de notre attitude envers les Arabes, mais uniquement de l’attitude des Arabes envers le sionisme.
(...)
Une réconciliation volontaire entre les Arabes palestiniens et nous est hors de question, que ce soit maintenant ou dans un avenir prévisible. J’exprime cette conviction d’une manière si forte, non pas parce que j’aime à attrister les braves gens, mais simplement parce qu’ils n'en seront pas bouleversés : A l’exception de ceux qui sont nés aveugles, ils ont depuis longtemps compris l’impossibilité absolue d’obtenir le consentement volontaire des Arabes de Palestine à la transformation de cette même Palestine d’un pays arabe en un pays à majorité juive.
(...)
Toutes les populations indigènes du monde résistent aux colons tant qu’elles ont le moindre espoir de pouvoir se débarrasser du danger d’être colonisées. C’est ce que font les Arabes de Palestine, et ce qu’ils persisteront à faire tant qu’il leur restera une seule étincelle d’espoir qu’ils seront en mesure d’empêcher la transformation de la « Palestine » en « Terre d’Israël »."
(...)
On dit que les Arabes sont souvent corrompus, mais il ne s’ensuit pas que l’arabisme palestinien dans son ensemble soit capable de vendre son patriotisme jaloux, que même les Papous n’ont pas vendu. Chaque nation se bat contre les colonisateurs tant qu’il y a ne serait-ce qu’une étincelle d’espoir pour se débarrasser du danger de la colonisation. C’est ce que font les Arabes palestiniens, et les Arabes palestiniens aussi, tant qu’il y aura une étincelle d’espoir.
(...)
Chaque lecteur a une idée générale de l’histoire de la colonisation d’autres pays. Je lui suggère de se souvenir de tous les exemples connus ; Et qu’il essaie, après avoir parcouru toute la liste, de trouver au moins un cas où la colonisation a eu lieu avec le consentement des indigènes. Il n’y a pas eu de cas de ce genre. Les indigènes, qu’ils soient cultivés ou incultes, ont toujours lutté avec opiniâtreté contre les colonisateurs. Dans le même temps, le modus operandi du colonisateur n’a pas affecté l’attitude de l’indigène à son égard. Les compagnons de Cortés et de Pizarro, ou, disons, nos ancêtres au temps de Josué, se comportaient comme des brigands ; mais les « Pères errants » anglais et écossais, les premiers véritables pionniers de l’Amérique du Nord, étaient des hommes d’une grande élévation morale, qui ne voulaient pas offenser les Peaux-Rouges, et croyaient sincèrement qu’il y avait assez de place dans la Prairie pour les Blancs et les Rouges. Mais l’indigène s’est battu avec la même férocité contre les colonisateurs, qu'ils fussent mauvais ou bons.
(...)
Les conciliateurs parmi nous essaient de nous persuader que les Arabes sont soit des imbéciles qui peuvent être trompés par une formulation diplomatique de nos véritables objectifs, soit une tribu corrompue qui nous cédera sa primauté en Palestine pour des avantages culturels et économiques. Je refuse d’accepter ce point de vue des Arabes palestiniens. Culturellement, ils ont 500 ans de retard sur nous, spirituellement ils n’ont ni notre endurance ni notre volonté ; Mais c’est là toute la différence intérieure. Ce sont des psychologues tout aussi subtils et fidèles que nous et élevés dans des siècles de ruse : peu importe ce que nous leur disons, ils comprennent la profondeur de notre âme aussi bien que nous comprenons la profondeur de la leur. Et ils considèrent la Palestine avec au moins le même amour naturel et la même jalousie viscérale que les Aztèques possédaient pour leur Mexique, ou les Sioux pour leurs prairies.
(...)
La question n’est pas de savoir si nous utilisons des mots herzliens ou samueliens pour expliquer nos efforts colonialistes. La colonisation elle-même porte sa propre explication, la seule, inaliénable et compréhensible pour tout Juif ou tout Arabe en bonne santé. La colonisation ne peut avoir qu’un seul but ; Pour les Arabes palestiniens, cet objectif est inacceptable ; Tout cela est dans la nature des choses, et il est impossible d'en changer la nature.
(...)
Notre colonisation doit s’arrêter ou se poursuivre contre la volonté de la population indigène. Par conséquent, il ne peut continuer et se développer que sous la protection d’une force qui ne dépend pas de la population locale, un mur de fer que la population locale est incapable de franchir. C’est là tout l’enjeu, tel que de notre politique arabe « devrait être » et qui est déjà de fait réellement, peu importe à quel point nous sommes hypocrites. Quel est l’objectif de la Déclaration Balfour ? À quoi sert le mandat ? Leur signification pour nous est qu’une puissance extérieure a entrepris de créer dans le pays des conditions de gouvernement et de protection telles que la population locale, quel que soit son désir, serait privée de la possibilité d’interférer administrativement ou physiquement avec notre colonisation. Et nous tous, sans exception, exhortons chaque jour cette force extérieure à remplir son rôle avec fermeté et sans indulgence. (...) Mais en même temps, pour une raison quelconque, nous gâchons nous-mêmes notre travail en parlant d'accord, suggérant à la Puissance mandataire qu’il ne s’agit pas d’un mur de fer, mais de pourparlers de plus en plus nombreux. Cette déclaration ruine notre cause ; Par conséquent, le discréditer, montrer à la fois sa fantaisie et son manque de sincérité, n’est pas seulement un plaisir, mais aussi un devoir.
(...)
La question n’est pas réglée, j’y reviendrai dans le prochain article. Mais je pense qu’il est nécessaire de faire ici deux brèves remarques.
En premier lieu, au reproche éculé selon lequel le point de vue ci-dessus est contraire à l’éthique, je réponds : ce n’est pas vrai. De deux choses l’une : soit le sionisme est moral, soit il ne l’est pas. Nous avons dû résoudre ce problème par nous-mêmes avant de prendre le premier shekel, et nous avons décidé positivement. Et si le sionisme est moral, c’est-à-dire juste, alors la justice doit être appliquée, indépendamment du consentement ou du désaccord de quiconque. Et si A, B ou C veulent empêcher la réalisation de la justice par la force, parce qu’ils la trouvent désavantageuse pour eux-mêmes, alors ils doivent être empêchés de le faire, encore une fois par la force. C’est une question d’éthique ; Il n’y a pas d’autre éthique."
Zeev Jabotinsky, "La muraille de fer", op. cité, traduction basée sur la version originale russe : О железной стене.
Le texte, en grande partie limpide, éclaire encore un peu plus la mentalité sioniste, faite de prédation décomplexée, reconnaissant que le sentiment arabe d'agression, de dépossession, est parfaitement compréhensible chez les Palestiniens comme chez tous les peuples colonisés. Cette sincérité, cette part de vérité oblige Jabotinsky, quand il vient enfin, se placer sur le terrain de la justice, à recourir comme tous les sionistes sont obligés de le faire, cela a été dit, à des artifices rhétoriques indigents et fallacieux. Au tout début de son texte, d'abord, quand il prétend respecter l'égalité des nations et se défend de toute oppression tout en se contredisant ensuite tout du long, en montrant le vrai visage de la colonisation juive en Palestine, celle de la domination sans partage des forts sur les faibles. A la fin de son texte, ensuite, quand il conclut que les sionistes font œuvre de justice, alors qu'il a en grande partie démontré le contraire tout au long de son exposé.
Et le saviez-vous ? Son secrétaire s'appelait Bentsion Netanyahou, le père du sinistre président actuel de l'Etat d'Israël, Benyamin Netanyahou. Un mois plus tard, en décembre 1923, Jabotinsky fondait le Betar (Beitar), à Riga, en Lettonie, en référence au dernier combattant juif de la révolte de Bar Kokhba en 136. Le but était d'inculquer les idéaux nationalistes aux jeunes Juifs et les former à l'action militaire. Plus tard, Ben-Gourion lui-même, autre grand héros sioniste, sera un des très rares dirigeants juifs à s'exprimer sincèrement sur la question, qui plus est à deux reprises au moins, et confirme sans la moindre ambiguïté l'insoutenabilité rationnelle et morale de l'entreprise sioniste :
"Un Etat juif partiel n’est pas une fin, mais seulement un début ; je suis certain que nous ne pourrons pas être empêchés de coloniser d’autres parties du pays et de la région …. Nous et eux (les Palestiniens) nous voulons la même chose, nos voulons tous les deux la Palestine. Et c’est le conflit fondamental. …. Ne nous racontons pas d’histoire….. Quand nous disons que les Arabes sont les agresseurs et que nous nous défendons, ce n'est qu'à moitié vrai. En termes de sécurité et de vie quotidienne, certes, nous nous défendons. Mais, (...) en termes politiques, nous sommes les agresseurs, et eux se défendent. (...) C’est leur pays parce qu’ils y habitent, alors que nous voulons venir ici et coloniser, et de leur point de vue, nous voulons nous emparer de leur pays."
D. Ben Gourion, Discours devant le Mapai Political Committee, le 7 juin 1938, cité par l'historien israélien Simha Flapan (1911-1987), dans "Zionism and the Palestinians", Croom and Helm, Londres, 1979, p. 141-142 ; cité aussi par Noam Chomsky dans "Fateful Triangle, The United States, Israel and the Palestinians", South End Press, 1983, p. 91-92.
"« Je ne comprends pas ton optimisme », me déclara Ben Gourion. « Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays. Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais, pour l’instant, il n’y a aucune chance. Alors, c’est simple : nous devons rester forts, avoir une armée puissante. Toute la politique est là. Autrement, les Arabes nous détruiront. » J’étais bouleversé par ce pessimisme, mais il poursuivit : « J’aurai bientôt soixante-dix ans. Eh bien, Nahum, me demanderais-tu si je mourrai et si je serai enterré dans un État juif que je te répondrais oui : dans dix ans, dans quinze ans, je crois qu’il y aura encore un État juif. Mais si tu me demandes si mon fils Amos, qui aura cinquante ans à la fin de l’année, a des chances de mourir et d’être enterré dans un Etat juif, je te répondrais : cinquante pour cent. » Mais enfin, l’interrompis-je, comment peux-tu dormir avec l’idée d’une telle perspective tout en étant Premier ministre d’Israël ? « Qui te dit que je dors ? » répondit-il simplement.
Nahum Goldmann, Le Paradoxe Juif, Conversations en français avec Léon Abramowicz, p. 121, Edition Stock, 1976.
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ABBA AHIMEIR
D'origine biélorusse, il émigre une première fois en Palestine à 14 ans, conduit par sa soeur aînée, Bluma, déjà fervents sionistes tous les deux. Il fréquente deux ans le lycée de Tel Aviv puis revient en Russie voir ses parents sans pouvoir retourner ensuite en Palestine à cause de la première guerre mondiale. De jeune sympathisant socialiste, il prend le communisme en horreur pendant la guerre civile en Russie et choisira plus tard de prendre le nom d'Abhimeir en souvenir de son frère Meir, décédé dans les rangs de l'Armée Rouge. Il fuit le pays et étudie à Liège puis à Vienne, où il obtient un doctorat de philosophie en 1924 et émigre de nouveau en Israël, où il exerce comme bibliothécaire, ouvrier, puis enseignant dans diverses structures sionistes. Il s'intègre au HaPoel HaTzair et écrit beaucoup d'articles de presse dans les journaux de gauche dont un certain nombre sont refusés pour ses positions nationalistes ou extrêmistes. En 1926, il écrit sans le publier Le Livre des sicaires sorte d'apologie du terrorisme individuel, qu'il dédie à Fanny Kaplan, qui avait tenté d'assassiner Lénine, et Charlotte Corday, qui a assassiné Marat.
En 1928, il rejoint le mouvement révisionniste de Jabotinsky, fonde en 1930 L'Alliance des voyous, sous-entendu des guerriers contre l'occupation britannique, et commence de sympathiser avec le fascisme, dont il est clair d'après ses écrits qu'il adoptera un certain nombre de principes (Bergamin, 2016). Il crée alors une faction secrète en marge du parti, Brit Ha'Birionim, qui s'arme en vue de futurs attentats. Il travaille pour Doar Hayom et crée la rubrique "Diary of a Fascist" ("Journal d'un Fachiste"),analyse de ses propres écrits sur la question.
"Aujourd’hui, j’ai vu – enfin – une photo de fascistes sur la couverture d’un hebdomadaire illustré (...) sur la photo (...) on voit les fascistes vêtus de chemises noires, bras droit tendu, pas de chapeau couvrant leurs cheveux noirs. Certaines jeunes filles sont tombées amoureuses de ces jeunes, de leur rapide démarche et de leurs yeux brillants. Est-il possible de ne pas tomber amoureux de jeunes en chemises, noires, de leurs yeux brillants d'une abondance de foi en ces moments déterminants, de leurs bras droits levés à leurs côtés ? Comment les filles pourraient-elles ne pas alors tomber amoureuses ?"
Abba Ahimeir, "Rayonot Bodedim al HaFashizm", HaToren, août 1923, p. 150
"Il n'y a rien de surprenant qu'il [Mussolini] aspire à transférer ces Allemands tyroliens du nord de l'Italie jusqu'en Calabre au sud, et à déplacer des Italiens de Calabre pour les installer au Tyrol", note Ahimeir dans Tirol HaDromit (‘Tyrol du Sud"), dans HaAretz, 13 décembre 1927, ce qu démentira ensuite le comité de rédaction du journal.
"En 1928, le Partito Natzionale Fascista comptait environ 2 500 membres juifs (sur une population juive totale d'environ 45 000 en Italie), un chiffre qui avait triplé en 1933. Comme Michael E. Ledeen le note : « Trois des "martyrs fascistes" étaient juifs, tout comme […] deux des plus importants "sansepolcristi", ces fascistes de la première heure. Au fil du temps, la participation juive à l'État fasciste a continué à être très active depuis les plus hauts échelons de l'armée et de la marine jusqu'au ministère des Finances. »" (Bergamin, 2016, citation de Michael Arthur Ledeen, "The Evolution of Italian Fascist Antisemitism", Jewish Social Studies, Vol. 37, No. 1, 1975).
Au début 1933 Ahimeir déclarera dans Hazit Ha’am qu’il y a du bon en Hitler, à savoir la « chair anti-marxiste ». Jabotinsky en est irrité mais ne rompt pas avec lui. La même année, Jabotinsky le défendra avec force quand il sera mis en cause dans l'assassinat Arlozorof, une affaire qui entraînera la fin des Birionim.
Avec, entre autres, le poète Uri Zvi Greeberg (1896-1981), né dans le royaume de Galicie et de Lodomérie, ou l'écrivain Yehoshua Yevin (1891-1970), né en territoire ukrainien, il faisait partie de ce qu'on nommera la branche maximaliste du mouvement révisionniste. Greenberg parlera ainsi du sionisme le 8 août1923 dans la revue hebdomadaire Haolam (ha'Olam) : "Le sionisme ne sera pas sauvé tant qu’il n’aura pas atteint le niveau d’un mouvement fondamentalement guerrier, tant qu’il n’aura pas choisi le droit d’être dominant, même sans parti ou diplomatie.". Arrêté et emprisonné à différentes reprises par les Britanniques. Il co-édite Le Front du peuple (1932-1934), qui passe pour un socle idéologique important des organisations clandestines, comme l'Irgoun. Il publie de très nombreux articles, écrit des livres.

Agrandissement : Illustration 1

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Revenons maintenant à Herbert Samuel, qui a décrété très rapidement une amnistie générale pour tous les Arabes et les Juifs condamnés après les émeutes de Nabi Musa, sans doute en guise d'apaisement social. Ces derniers étaient représentés par ce qu'on a appelé "l'armée de Jabotinsky". Peu de temps avant le déclenchement des émeutes, la milice armée de Jabotinsky, qui sera accusée de troubles à l'ordre public et détention d'armes, a arpenté militairement les rues de Jérusalem, évènement qui s'ajoute aux diverses manifestations dominatrices et invasives qui ont été citées, et que l'historien israélien Ilan Pappé place en tête des moments déclencheurs des émeutes (Pappe, 2000). Le rapport Palin, un rapport secret, non publié à l'époque, sur les émeutes de Nabi Musa, sera produit en août 1920 par la commission Palin, du nom de l'officier qui la présidait, le colonel Sir Philip Charles Palin (1864-1937). On reste atterré devant ce texte (dont nous recommandons chaudement la lecture), qui montre avec acuité la collusion entre sionistes et puissance mandataire, cette dernière dressant le même portrait méprisant et raciste des Arabes que les sionistes :
"il faut garder à l'esprit qu'au fond de tout, il y a une crainte profonde du Juif, à la fois comme dirigeant possible et comme concurrent économique. Ils craignent, à tort ou à raison, le Juif comme souverain, considérant sa race comme l'une des plus intolérantes de l'histoire (...) .c'est en tant que concurrent économique que le Juif inspire vraiment l'inquiétude la plus profonde dans l'esprit des autochtones. Ces derniers n'ont aucune illusion sur leurs propres pouvoirs de concurrencer le juif, que ce soit en tant que marchand, agriculteur ou administrateur. Avant la guerre, le progrès du sionisme n'était guère suffisant pour exciter son anxiété et, bien que la colonisation réelle ait causé quelques inquiétudes, elle n'était suffisante ni en quantité ni en succès pour le réveiller sérieusement. Néanmoins, il a pu constater que là où le juif devenait propriétaire foncier, le propriétaire paysan arabe et chrétien fellah était réduit à la condition de travailleur salarié. (...) La perspective d'une immigration juive massive le remplit d'une peur panique, peut-être exagérée, mais néanmoins réelle. Il voit la race la plus noble du monde intellectuellement, anciens maîtres dans tous les arts de l'éviction des concurrents, que ce soit sur le marché, à la ferme ou dans les bureaux bureaucratiques, soutenus par des fonds apparemment inépuisables donnés par leurs compatriotes dans tous les pays et possédant une influence puissante dans les Conseils des nations, prêt à s'inscrire sur les listes contre lui dans chacune de ses occupations normales, soutenu par la seule chose qui voulait les rendre irrésistibles, la force physique d'une grande puissance impériale, et il se sent dépassé et vaincu avant le début de la compétition. (...) Le fellah est extrêmement arriéré dans ses méthodes et apathique et lent dans son intelligence : une inoculation raisonnable avec la force mentale vigoureuse du Juif serait inestimable pour le développement du pays et du peuple. Cela est même reconnu par les Arabes les plus intelligents et nous avons le Grand Mufti, le représentant de l'Islam en Palestine et un membre de la plus ancienne noblesse du pays qui dit : "Je crois aussi que les Juifs pourraient grandement aider notre pays, mais ce qui nous terrifie, ce sont les extrémistes et l'immigration incontrôlée."
(Rapport Palin, op. cité)
En réaction aux émeutes de Nabi Musa, est créée l'Irgoun (Irgun, "organisation") haHaganah, dite Haganah (הגנה : "défense"), issue du syndicat sioniste Histadrout (Histadrut), créé la même année 1920, en absorbant différents groupes d'autodéfense, Hashomer, avant tout, qui lui fournit une partie de ses cadres. La Haganah luttait contre l'antisionisme, même s'il provenait de Juifs eux-mêmes. Tel Jacob Israël de Haan, journaliste néerlandais, juif ultra-orthodoxe (Haredim), qui répandait trop efficacement la croyance traditionnelle de l'établissement d'un Etat juif seulement possible par le Messie promis, et non par la volonté des hommes. Ainsi, selon ladite croyance, les sionistes, par un processus d'accélération, étaient en train de commettre un grave péché (R. Bergman, op. cité). Finalement, Yitzhak Ben- Zvi, dirigeant de la Haganah, fit assassiner de Haan le 30 juin 1924, acte perpétré sur l'ordre de Ben Zvi, par Avraham (Abraham) Tehomi (né Silberg, Zilberg, à Odessa, dit Gidéon, 1903-1990), émigré en Palestine en 1923, commandant de la Haganah entre 1929 et 1931 et fondateur cette année-là de la Haganah B, avec 19 officiers sécessionnistes, opposés à la havlagah, la "retenue" demandée par les leaders modérés du Yishouv, face aux manifestations de violences antisionistes. Tehomi avoua cet assassinat dans une interview donnée en 1985 à la télévision israélienne (Shlomo Nakdimon et Shaul Mayzlish, De Haan: ha-retsah ha-politi ha-rishon be-Erets Yisrael ["De Haan : le premier assassinat politique en Terre d'Israël"]. Dans toute la presse sioniste, on ne trouva alors qu'une seule voix pour condamner cet assassinat, celle du travailliste Moshè Beilison (Weinstock, 2011).
Le 2 mai 1921, ce fut cette fois une bagarre à Jaffa entre manifestants juifs du parti ouvrier (travailliste) Ahdut Ahavoda (A’hdouth Ah’avodah, A. Ha'avodah, A. HaAvoda : "Unité du travail"), dirigé par Ben Gourion, et manifestants "Mopsistes" (membres du MPSI, voir plus loin) appelant à créer une "Palestine des soviets", qui incita les Arabes à envenimer la situation. La police finit par intervenir et, ses agents étant, dans l'ensemble, chrétiens ou musulmans, tirèrent quelques coups de feu, causant une panique générale et des rumeurs auprès des musulmans, qu'on vit un peu partout agresser des Israélites avec des gourdins ou des tiges de fer, les blessant, certains Juifs se défendant alors avec des armes à feu (Rapport de l'AIU, dans Laurens, 1998). Les violences se sont ensuite propagées aux alentours de la ville, et, au total, feront 95 morts, dont presque autant d'Arabes que de Juifs (48 contre 47), l'écrivain hébreu Yossef Haïm Brenner (1881-1921) figurant au nombre des victimes, et 219 blessés (146 Juifs et 73 Arabes), auxquels il faut ajouter plusieurs viols de femmes juives (Weinstock, 2011). Une commission d'enquête sur ces émeutes, dirigée par Sir Thomas Haycraft, parviendra à la conclusion que la "cause fondamentale des émeutes de Jaffa et des actes de violence qui s’ensuivirent était un sentiment parmi les Arabes de mécontentement et d’hostilité envers les Juifs, en raison de causes politiques et économiques, et lié à l’immigration juive, et à leur conception de la politique sioniste dérivée des représentants juifs." (Memorandum du Royaume-Uni, Commission ad hoc sur la question palestinienne, Communication de la délégation du Royaume-Uni à l'Organisation des Nations Unies, Point n° 11, New-York, 18 août 1947)
Tout être humain sensé ne peut qu'être horrifié par des manifestations de violences aussi extrêmes, mais, au-delà de reconnaître ici les crimes dont se sont rendus responsables des membres de la communauté arabe envers les Juifs (et vice versa), il commence à apparaître avec évidence, au vu de l'exposé qui précède, que la colonisation sioniste a causé, année après année, de tels traumatismes physiques, spirituels ou symboliques dans les communautés autochtones de Palestine, qu'à défaut de les panser, de cesser de les alimenter, il n'est pas étonnant qu'ils aient fini par causer en retour une violence exacerbée de toutes ces blessures. Le gouvernement britannique, les colonisateurs juifs, de concert, auraient dû faire machine arrière depuis longtemps et reconnaître que cette voie était une impasse : Encore une fois, quel pays accepte d'être colonisé ? Il n'est que de regarder, dans toute l'histoire, jusqu'aujourd'hui, la sensibilité épidermique d'une grande partie des peuples devant les problèmes (réels ou supposés) de l'immigration, pour comprendre l'exaspération croissante des Palestiniens, après des années de protestation pacifique, par les manifestations, la presse, etc., devant toutes les entreprises qui ont été décrites de conquête de la Palestine par les sionistes, et allaient malheureusement s'aggraver d'années en années. Aucune sagesse n'a prévalu aussi bien du côté des dirigeants britanniques que celui des dirigeants sionistes, et il s'est déroulé ensuite un terrible scénario à la mesure de ces suprêmes injustices, que nous allons continuer de disséquer.
On aura beau présenter les moments les plus terribles d'exaspération palestinienne, d'hier à aujourd'hui, les véritables responsables, au regard de l'histoire, sont ceux qui ont enfanté la violence qui a permis toutes les autres, en s'acharnant à conquérir un pays qui ne leur appartenait pas, que leurs familles n'avaient jamais habité, duquel ils n'avaient jamais été chassés par les Arabes. Car, s'il suffisait de montrer que de très lointains ancêtres, aussi nombreux soient-ils, avaient occupé un lieu à un moment de l'histoire pour avoir le droit de se l'approprier, beaucoup de gens de par le monde pourraient s'estimer être le propriétaire légitime d'un lopin de terre tout autour de la planète. Alors, quand dans les moments les plus terribles, comme à Nebi (Nabi) Musa (cf. plus bas), les Arabes crient "Mort aux Juifs" ou "Les Juifs sont nos chiens", que le journal d'Arif al-Arif publie un numéro spécial aux manchettes accrocheuses ("Arabes, soulevez-vous ! La fin des étrangers est proche. Les Juifs seront noyés dans leur propre sang !"), ils s'expriment dans un moment paroxystique où, comme on dit trivialement, la cocote-minute explose, de tant de pression accumulée par le mépris et le déni de leur existence, causée par la volonté d'appropriation inexpugnable de la Palestine par les sionistes fermement soutenus par les puissances occidentales complices, ce qui finit par plonger les Arabes de Palestine dans un désarroi profond, existentiel, et suscite des réactions extrêmes. Sans ces violences originelles, la montée en puissance de beaucoup d'autres ne seraient pas survenues, il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître devant tous les faits exposés, malgré l'horreur que l'on peut éprouver devant de tels actes, et même si on reconnaît le droit à la société de condamner individuellement leurs auteurs pour leurs crimes.
Le 25 juin 1921, le 4e Congrès arabe palestinien, à Jérusalem, entérine l'envoi à Londres d'une délégation palestinienne. Celle-ci sera menée par Musa Al-Husseini, qui rencontrera Chaïm Weizmann en novembre, pour demander "un gouvernement national responsable devant une chambre élue parmi ceux qui résidaient en Palestine avant la guerre, Musulmans, Chrétiens et Juifs." (Carré, 1977). Notons au passage que l'ouvrage du sociologue Olivier Carré est un de ces livres permettant d'analyser l'histoire des revendications nationales palestiniennes, dont l'étude montre bien à quel point elles sont pétries d'une recherche de paix et de justice entre les communautés religieuses du pays :
"De la fin de la sujétion ottomane aux récents en jeux politiques libanais, il est impressionnant de voir se suivre dans leur constance les revendications nationales palestiniennes par delà les époques et les circonstances, par delà les divergences politiques tactiques, par delà aussi les religions. On ne peut en effet qu'être frappé à la lecture de tous ces textes de l'absence d'une idéologie religieuse partisane et confessionnelle, ce qui finalement place l'utopie d'une Palestine laïque dans le droit fil du mouvement palestinien historique." (Hamès, 1977).
Revenons maintenant à la rencontre Weizmann-Husseini. Malgré la réaction choquée de Nathan Weinstock (2011), il n'est pas complètement aberrant, dans cette situation que, tourmenté par les ambitions de conquête juive en Palestine, ce dernier interpelle le leader sioniste sur le fameux texte connu en français sous le nom de "Protocole des Sages de Sion", qui énonce point par point les projets d'un prétendu complot juif mondial. Le propos délirant de ce texte, bric-à-brac idéologique, a été publié en partie en Russie en 1903, dans une version abrégée, sous le titre "Programme de la conquête du monde par les Juifs", puis intégralement en 1905. On a tôt démontré qu'il était un faux... en 1921, justement, l'année de la rencontre des deux hommes. Al-Husseini ne peut donc pas, a priori, avoir ce recul historique que nous avons sur cette triste entourloupe : "dès 1921, le correspondant du Times à Constantinople, Philip Graves, dénonce la tromperie et révèle l’origine du texte : il s’agit de la laborieuse reprise d’un pamphlet contre Napoléon III publié en 1864 par Maurice Joly, un avocat républicain de gauche (1829-1879), sous le titre Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu (ce qui vaudra 15 mois de détention à son auteur). Pamphlet bien oublié, si tant est qu’il ait jamais connu un quelconque succès, qui pouvait donc être utilisé sans grands risques plus de trente ans après sa parution…" (Bock, 2018).
Face aux émeutes arabes de 1921, Winston Churchill, tout nouveau ministre des Colonies (Secretary of State for the Colonies) "réaffirme la nécessité de poursuivre l’immigration Juive tout en précisant que celle-ci ne saurait excéder les capacités économiques du pays à absorber des nouveaux immigrants. Il affirme également que les promesses faites par Sir Mac-Mahon au Roi Hussein ne concerneront pas les territoires situés à l’Ouest du Jourdain. La Transjordanie (à l’Est) devient une région autonome sous contrôle de l’Emir Abdallah, et prendra son indépendance en 1946 pour former le Royaume Hachémite de Transjordanie, puis de Jordanie (1949) [Laurens H., 2002 : 197-198]." (Al-Labadi, 2015). Dans ce contexte, Churchill et ses conseillers, autour d'Herbert Samuel, proposent le premier Livre Blanc (2) : Churchill White Paper), publié le 3 juin 1922, qui réaffirme que la présence des Juifs en Palestine est de droit et non pas tolérée ("of right and not on sufferance"), que la mise en application de la Déclaration de 1917 entraîne le développement du peuplement juif par une immigration qui, cependant, ne doit ni excéder les capacités économiques du pays ni devenir une charge pour les Palestiniens ("people of Palestine"), ou représenter une menace pour leurs emplois. Comme beaucoup de paroles politiques, surtout dans le domaine social, nous verrons qu'elles n'ont pas grand-chose à voir avec la réalité.
(2) Livre Blanc : Comme pour les autres qui suivront, c'est une dénomination officieuse. L'intitulé officiel du document est Palestine Statement of policy : "Déclaration de Politique pour la Palestine"
"La délégation arabe de Palestine", dirigée par Moussa Kazim El Husseini, estime donc "tout à fait insatisfaisante" la constitution proposée par les autorités britanniques et argumente point par point son opposition à celle-ci auprès du secrétaire d'Etat aux colonies le 21 février 1922, en particulier :
a) refus de la Déclaration Balfour comme base de discussion
b) refus du paragraphe 4 de l'article 22 du pacte de la SDN, qui place la Palestine dans la catégorie A qui affirme : "certaines communautés appartenant autrefois à l’Empire turc ont atteint un stade de développement où leur existence en tant que nations indépendantes peut être provisoirement reconnu sous réserve de la prestation de conseils et d’assistance administratifs par un mandataire jusqu’à ce qu’il soit en mesure de gagner son autonomie."
d) refus du mode de scrutin de ce Conseil, où "la majorité arabe...ne pourra porter aucune mesure contre la prépondérance officielle des voix."
f) refus de la "reconnaissance de l'hébreu comme langue officielle de l'Etat, comme le prévoit l'article 80", ce qui représente "une nouvelle preuve de la volonté d’encourager le nationalisme sioniste en Palestine, alors que seulement 10 % environ des habitants juifs actuels du pays parlent cette langue. Cette innovation est totalement injustifiée et s’ajoute aux dépenses de l’État, qui tire ses principaux revenus de la population arabe."
(Correspondance du Royaume-Uni avec la délégation arabe de Palestine et l’Organisation sioniste sur la politique britannique en Palestine et le Livre blanc de Churchill, Hôtel Cecil, Londres , 21 février 1922).
Remarquons ici que ce n'est pas Churchill qui répond à la délégation, mais son sous-secrétaire au département du Moyen-Orient, John Evelyn Schuckburgh, ce qui donne une idée du degré d'importance de la délégation aux yeux du Secrétaire d'Etat aux colonies. Rien d'étonnant, Churchill, pétri comme toute la classe dirigeante européenne des mentalités racistes et colonialistes, avaient choisi le camp sioniste depuis longtemps. Un peu après la parution du Livre Blanc, il avait défendu à sa manière l'idée que le développement économique de la Palestine insufflé par les sionistes avait été une aubaine pour l'Empire Britannique comme pour les Arabes :
"On me dit que les Arabes auraient développé eux-mêmes la Palestine. Mais qui peut donc le croire ? Livrés à eux-mêmes, les Arabes de Palestine ne parviendraient pas en mille ans à prendre des initiatives efficaces concernant l’irrigation et l’installation de l’électricité en Palestine. Ils se satisferaient de demeurer – une poignée de philosophes – dans les plaines perdues et brûlées par le soleil, en laissant les eaux du Jourdain continuer à affluer, sauvages, inexploitées, dans la mer Morte" (Churchill, discours au Parlement britannique, 1922, dans The Times of Israël, "Émeutes de Jaffa en 1921 : La première attaque de masse en Palestine mandataire", 28 mai 2021)
Dans sa lettre, Shuckburgh confirme la ferme résolution du gouvernement britannique de respecter les termes de la Déclaration Balfour. Il rappelle, entre autres, que "la reconnaissance de l'hébreu est prévue à l'article 22 du projet de mandat pour la Palestine, conformément à la politique d'établissement dans ce pays d'un foyer national pour le peuple juif" et l'interprétation donnée publiquement par le Haut-Commissaire de la Palestine de l'expression "foyer juif", le 3 juin 1921, dont on repèrera facilement les assertions vagues et trompeuses :
"Ces mots signifient que les Juifs, qui sont un peuple dispersé dans le monde entier, mais dont le cœur est toujours tourné vers la Palestine, devraient être en mesure d’y fonder leur patrie, et que quelques-uns d’entre eux, dans les limites fixées par le nombre et les intérêts de la population actuelle, devraient venir en Palestine afin d’aider par leurs ressources et leurs efforts à développer le pays à l’avantage de tous ses habitants." (Correspondance..., op. cité)
"Dans le troisième paragraphe du préambule du mandat, le peuple juif, et seulement le peuple juif, est décrit comme ayant un lien historique avec la Palestine. Aux yeux des rédacteurs, tout l’environnement deux fois millénaire du pays, avec ses villages, ses sanctuaires, ses châteaux, ses mosquées, ses églises et ses monuments datant des périodes ottomane, mamelouke, ayyoubide, croisée, abbasside, omeyyade, byzantine et antérieures, n’appartenait à aucun peuple, ou seulement à des groupes religieux amorphes. Il y avait des gens là-bas, certes, mais ils n’avaient pas d’histoire ou d’existence collective, et ils pouvaient donc être ignorés. Les racines de ce que le sociologue israélien Baruch Kimmerling a appelé le « politicide » du peuple palestinien sont pleinement exposées dans le préambule du Mandat. Le moyen le plus sûr d’éradiquer le droit d’un peuple à sa terre est de nier son lien historique avec celle-ci.
Nulle part, dans les vingt-huit articles suivants du mandat, il n’est fait référence aux Palestiniens en tant que peuple ayant des droits nationaux ou politiques. En effet, comme dans la Déclaration Balfour, les mots « arabe » et « palestinien » n’apparaissent pas. Les seules protections envisagées pour la grande majorité de la population palestinienne concernaient les droits personnels et religieux et la préservation du statu quo sur les sites sacrés. D’autre part, le mandat définissait les principaux moyens d’établir et d’étendre le foyer national du peuple juif, que, selon ses rédacteurs, le mouvement sioniste n’était pas en train de créer, mais de « reconstituer ».
Sept des vingt-huit articles du Mandat sont consacrés aux privilèges et facilités à accorder au mouvement sioniste pour mettre en œuvre la politique intérieure nationale (les autres traitent de questions administratives et diplomatiques, et l’article le plus long traite de la question des antiquités). Le mouvement sioniste, dans son incarnation en Palestine en tant qu’Agence juive, a été explicitement désigné comme le représentant officiel de la population juive du pays, bien qu’avant l’immigration massive de sionistes européens engagés, la communauté juive comprenait principalement des Juifs religieux ou mizrahi qui, pour la plupart, n’étaient pas sionistes ou qui s’opposaient même au sionisme. Bien sûr, aucun représentant officiel de ce type n’a été désigné pour la majorité arabe non nommée."
(Khalidi, 2020)
En 1922, toujours, Samuel écrit un projet de constitution pout la Palestine, dans lequel est prévu la création d'un Conseil législatif mêlant membres élus et nommés, composé de de telle sorte, une nouvelle fois, à priver les Arabes du pouvoir de décision, puisqu'il "était astucieusement conçu de manière que les nationalistes arabes ne pussent y détenir la majorité" (Weinstock, 2011), Les nationalistes arabes ne seront pas dupes de la manœuvre et donneront des consignes de boycott à la population lors du vote des représentants, qui seront largement respectées. Par ailleurs, ils continuent de croire à la négociation pour faire entendre leurs doléances, et le 5e Congrès arabe palestinien, tenu à Naplouse à partir du 22 août 1922, et dirigé par Musa Kazem al-Husseini (Moussa Qazem al-H., 1853-1934), président du Comité exécutif arabe, formulera différentes résolutions en ce sens : refus de la constitution de Samuel ; boycott de produits juifs, du projet électrique de Pinhas Rutenberg (cf. plus bas), rejeté par le 6e Congrès de Jaffa en juin 1923 ; interdiction de l'immigration ou de la vente de terres aux sionistes, etc. (Kayyali, 1978),
En 1921, alors que le vieux Mufti de Jérusalem, Kamal (Kamel, Kamil) al-Husseini (Husayni, Hussaini, 1867-1921) connaissait ses derniers instants de vie, les Husseini firent campagne pour qu'Amin al-Husseini, son neveu, lui succède. Les Nashashibi avaient bien entendu leur poulain, le cheikh Husam al-Din Jarallah (1884-1954), très respecté des oulémas (uléma, sing; ālim : savant musulman) et qui remporta l'élection prévue par la loi ottomane, causant la fureur des Husseini qui voient là un complot visant à faire élire un "mufti sioniste". C'est là qu'entre en scène les Britanniques et l'intriguant Herbert Samuel, qui fait pression sur le détenteur légitime du poste pour qu'il se désiste (Weinstock, 2011). Et voilà comment un homme qui n'était ni savant musulman, ni diplômé d'une école coranique pour être cheikh, devenait non pas seulement mufti, mais "Grand Mufti", un titre prestigieux qui n'existait pas, et qui allait de pair avec un salaire plus élevé que les autres mufti. Puis, l'année suivante, en janvier 1922, la puissance mandataire crée un Conseil Suprême Musulman (Suprem Muslim Council, SMC), dirigé par le Grand Mufti lui-même, qui était aussi fait Raïs-al-Oulama, chef de la communauté musulmane, payé plus de 100.000 livres par an, nommant les qadis et les muftis, administrant les tribunaux de la Charia et le patrimoine awqaf (Weinstock, 2011). Et ce n'est pas fini. Non seulement, le gouvernement britannique payait tout le personnel de la SMC, près de 1200 personnes, mais il n'exerçait aucun contrôle sur sa gestion ploutocratique, qui allait donner au mufti, avec toutes ses prérogatives, un pouvoir considérable, se constituant par favoritisme une clientèle captive en nommant les imams, les cadis, etc., parmi ses partisans, ou, à l'inverse, en destituant des notables jugés trop philosémites ou ayant refusé de rejoindre le courant nationaliste par fidélité au pouvoir ottoman. En 1923, naissait le Parti National (National Party, al-Hizb al-Watani), qui formalisait la nouvelle opposition des Nashashibi aux Husseini. On voit ici, comme très souvent dans l'histoire, les complicités d'intérêts entre élites colonisatrices et élites colonisées, au mépris du bien commun de la population. Difficile de ne pas penser à la devise : "diviser pour régner", pratique elle aussi récurrente dans l'histoire, d'autant plus que ce sont les Nashashibi, nous le verrons, qui sont politiquement du côté modéré, prompt à la diplomatie, au consensus, à l'inverse des Husseini, qui, bien qu'obligés des Britanniques par autant de privilèges, n'auront pas peur, plus tard, de faire parler les armes contre tous ceux qui se dresseront contre la libération nationale, Arabes y compris.
De 1922 à 1932, malgré les atermoiements de façade des sionistes et les hypocrisies des pouvoirs britanniques, ces derniers permettront à la communauté juive de grossir de plus du double de la décennie précédente, soit 250.000 immigrés. Au total, de 1922 à 1947, ils auront permis à la communauté juive de croître de manière extrêmement importante, de 84.000 à 610.000 personnes (cf. graphiques, plus bas), tandis que, pour à peu près la même période (1922-1945), l'immigration arabe s'est élevée à 49.000 personnes environ. Dopé par ses succès, Weizmann adressera un mémorandum à la Société des Nations (SDN), qui n'avait pas encore accordé aux Britanniques le mandat définitif sur la Palestine, où il affirme que le projet sioniste est de "rendre la Palestine aussi juive que l'Angleterre est anglaise", (Weinstock, 2011), formule qu'il a emprunté au rabbin de Bordeaux Joseph Cohen, dans une lettre adressée par ce dernier au Times le 19 septembre 1919 (Rapport Palin, op. cité, p. 17), et qui démontre, une fois de plus, la dimension impérialiste des buts sionistes, dans sa volonté phagocytaire, dès les débuts du mouvement, de faire disparaître toute trace de la présence arabe en Palestine. Sur le sujet, il confiera le même genre de pensée à Einstein, que ce dernier rapportera à Lilienthal, venu à Princeton pour le voir : "il m'a également parlé d'une conversation marquante avec Weizmann. Einstein lui avait demandé : « Qu'en serait-il des Arabes si la Palestine était donnée aux Juifs ? » Et Weizmann lui avait répondu : « Quels Arabes ? ils comptent pour si peu »" : They are hardly of any consequence (Alfred Lilienthal, "The Zionist Connection : What Price Peace ?" New York, Middle East Perspectives, 1979, p. 341)
On ne s'étonnera guère donc, des dispositions britanniques, prises entre 1927 et 1930, pour permettre au Yishouv de prendre progressivement le contrôle du pays, en le dotant en particulier de capacités d'autonomie qui le transformait déjà en mini-Etat : "Ainsi fut créée une sorte de gouvernement propre au Yichouv, avec des compétences étatiques en matière d’éducation, de santé et de sécurité. L’Agence juive, créée en 1929, remplaça progressivement le « comité national » et prit en charge l’organisation de l’immigration, l’acquisition des terres, la sécurité et les relations extérieures de la communauté juive. Le « Jewish Settlement Police » assura la défense armée des colonies et constitua avec l’organisation militaire juive la « Haganah », le noyau de l’armée" (Al Smadi, 2012).
Associé plus tard à l'Agence juive, le Conseil National Juif préparera la constitution de l'Etat d'Israël bien avant la fin du mandat britannique. D'autres entreprises sionistes, en apparence pacifiques, elles aussi, montrent bien à quel point la période mandataire, poussée par la Déclaration Balfour, a permis aux Juifs de jeter les bases de leur futur Etat au beau milieu d'une nation étrangère. La présentation ici, de Pinhas Rutenberg, ingénieur hydraulique né en Russie en 1879, permet d'introduire un domaine stratégique dont les sionistes comptent bien s'emparer en priorité. Dès le mois de juin 1920, Rutenberg, qui avait développé dès son arrivée un ambitieux projet hydraulique, centré autour de l'exploitation des eaux du Jourdain, n'avait pas caché la nature sioniste de son travail (Lemire, 2011) : 'La Palestine ne sera juive que si la totalité du travail nécessaire à la construction de la destinée juive demeure dans les mains des travailleurs juifs" : (P. Rutenberg,, Water ressources of Palestine, Jérusalem, 1920). Rutenberg rejoint ici tous les membres de l'élite juive européenne qui œuvrent efficacement à un futur Etat juif où les Arabes, comme cela a été montré très clairement, ne comptent pour rien. On soulignera une nouvelle fois que ces élites juives font partie de cette intelligentsia européenne qui possède à la fois le capital culturel, économique et politique lié à la puissance occupante britannique, qui confèrent aux sionistes des atouts de taille dans leur conquête économique et politique de la Palestine. Le rôle de Rutenberg n'a rien d'anecdotique : "Son projet hydro-électrique, il faut le souligner au passage, pèse directement sur les négociations en cours entre la France et la Grande-Bretagne pour la fixation définitive de la frontière entre les deux mandats : les autorités britanniques s'appuient à de nombreuses reprises sur ses propositions pour tenter d'élargir les limites de la future Palestine mandataire, en affirmant que les réserves hydrauliques du lac de Tibériade, en particulier, sont indispensables à l'approvisionnement de la Palestine... on est là au début d'une longue histoire, encore d'actualité aujourd'hui avec l'occupation israélienne du Golan syrien." (Lemire, 2011).
A la chambre des Lords, les orientations prosionistes trouvent une majorité proarabe, mais Samuel, et surtout Churchill, accordent un large soutien au sionisme et pour défendre les concessions accordées à Rutenberg. Churchill "prétend déléguer la charge financière du développement économique de la Palestine, que le gouvernement britannique se refuse de prendre en charge." (Lemire, 2011). Churchill, bien que mis en minorité à la chambre des Lords, obtiendra gain de cause le 4 juillet 1922 "en faisant approuver sa politique à la Chambre des communes" (op. cité). Au cœur de ce dossier, un ensemble de droits concédés à l'homme d'affaires grec Euripide Mavrommatis, dont les différentes juridictions, même internationales, ont confirmé la légitimité, mais que Samuel cherche à saper à tout prix, en demandant à Churchill de ne rien céder à Mavrommatis "faute de le voir devenir incontournable dans tous les projets de développement de la région, à Jérusalem, mais également autour de Jaffa et même dans la vallée du Jourdain" (op. cité, sources : Israël State Archives / ISA, RG. 2 Chief Secrtary's Office, dossier 233/1, H. Samuel à W. Churchill, 4 mai 1922). L'affaire est saisie par le tribunal international de La Haye en 1925, et avait au fur à mesure sensibilisé les nationalistes arabes qui, par voie de presse, par pétitions, par courrier, font connaître leur opposition aux projets de Rutenberg, y voyant la violation des droits arabes en Palestine. Les juges de la Haye confirmeront la validité des deux concessions de Mavrommatis à Jérusalem, contre la décision des autorités mandataires qui, sans cette bataille, et au mépris du droit, auraient tout accordé aux sionistes. Et ce sera bien au nom de l'idéal sioniste que le Jewish Daily Bulletin déplorera la décision de la Haye (Lemire, 2011) ou qu'il rapportera les propos de Rutenberg, avouant que sa compagnie "convoitait le réseau de Jérusalem pour d'autres raisons que des raisons économiques." (J. D. Bulletin, New-York, 29 mars 1925, p.1)
Cette bataille judiciaire fait donc intrinsèquement partie du projet sioniste de domination globale des Arabes de Palestine, comme l'indique aussi la présence du banquier J. H. Kann au tribunal, mais aussi les diverses prises de position de sir Douglas Hogg, représentant du gouvernement britannique, pour prendre "délibérément la défense de Pinhas Rutenberg contre l'opinion publique arabe" (Lemire, 2011), soutien confirmé par la fin de sa plaidoirie, quand il conclut "que la Grande-Bretagne est présente en Palestine dans le but exprès [express purpose] de mettre en place un Foyer national pour les Juifs sans exproprier quiconque [without expropriating others]" (op. cité). Il faut rappeler ici que le gouvernement britannique a donné délégation de la charge financière du développement économique de la Palestine "à la seule communauté juive, considérée comme la plus dynamique et la mieux dotée en capitaux" (op. cité) : Nous l'avons déjà dit en substance : le fait de disposer de cadres et scientifiques sionistes (ingénieurs en particulier) formés en Europe occidentale, dans les pays techniquement les plus avancés, conférait un atout de taille pour les Juifs sionistes, qui avaient le double avantage d'être très soutenus politiquement par la puissance occupante. Ainsi, la "plaidoirie de Douglas Hogg illustre donc parfaitement, à son échelle, l'ambiguïté fondatrice du projet mandataire : les Arabes ne sont considérés que comme les « autres » de la Palestine, entité inaudible et invisible en face de la communauté juive, dont les institutions représentatives sont reconnues par tous." (Lemire, 2011),
Une autre bataille de l'eau, que nous donne aussi à comprendre Vincent Lemire, se montre aussi riche d'enseignements sur le sujet de la colonisation. Avant d'exposer ses divers aspects, il faut évoquer en préambule un ressentiment général de la population arabe, vis-à-vis de la délégation de pouvoir dont nous avons parlé plus haut, qui octroie aux autorités juives la gestion des affaires palestiniennes. Nous avons vu que Samuel est alors la plus haute autorité du pays, mais, au fur et à mesure de la mandature britannique, des cadres Juifs issus principalement de grandes communautés immigrées d'Europe centrale vont investir "massivement les postes clés de l'administration mandataire." (Lemire, 2011), et obtenir des postes à haute responsabilité (Laurens, 2002/a : 202). Dans le même temps, le Yichouv bénéficiait d'une autonomie à peu près totale en Palestine (Khalidi, 2007 : 94), l'Organisation sioniste obtenant par le mandat britannique un statut d'agence publique coopérant et conseillant les autorités mandataires dans le seul intérêt de la population juive (Al-Labadi, 2015),
Pour le cas qui nous occupe, c'est Andrew Koch qui a été nommé directeur du Water Supply Departement (1922-1933), qui gère l'ensemble du réseau hydraulique de Jérusalem à partir d'avril 1923. Juif d'origine hongroise, c'est un ingénieur diplômé de l'université de Budapest. Dès son arrivée, son action amplifie considérablement la "fracture hydraulique, dont on avait perçu les premiers indices en 1919, en favorisant nettement les quartiers Juifs dans le partage de l'eau, par la construction de 30 fontaines, contre 8 dans les quartiers non juifs et 12 dans les quartiers mixtes." ("Municipal Affairs", The Palestine Weekly, 30 novembre 1923, ),
Le 25 mai 1925, le haut-commissaire Herbert Samuel, promulgue le détournement d'une partie des eaux d'Ortas (Urtas, Artas). Ce village situé juste au-dessous de Bethléhem, abrite une des sources principales d'approvisionnement hydraulique de Jérusalem. Pendant des siècles elle a été détournée à maintes reprises au profit de Jérusalem et les paysans d'Ortas ne manquaient pas de s'y opposer, bien sûr, mais cette fois c'est au nom d'une "identité arabe palestinienne" que la population proteste, en lutte contre "l'immigration sioniste", dans un contexte de manque pluviométrique qui cause beaucoup de tensions dans les villages. Le Conseil municipal des Juifs de Jérusalem (Vaad Hair) ira même jusqu'à proposer son aide financière, à condition d'obtenir (et il aura gain de cause sur ce point) deux représentants à la Commission des Eaux : "ce qui ne pourrait être interprété que comme un abandon de souveraineté de la part de la municipalité et par conséquent comme une provocation à l'encontre de la population arabe." (Lemire, 2011). Concrètement, la décision des sionistes va permettre d'apporter beaucoup d'eau au projet de l'Université hébraïque, qui ne répond à aucune urgence vitale, tout en privant d'eau pendant une année les importantes productions potagères et maraîchères palestiniennes autrement plus nécessaires à l'alimentation des villageois, dans un moment de crise pluviométrique sans précédent : ces pratiques allaient causer les plus vives protestations chez les paysans d'Ortas, et elles seront vécues "comme une véritable provocation par les habitants." (Lemire, 2011).
En juin 1925, le Comité exécutif du Congrès arabe palestinien adresse un mémorandum très documenté au Colonial Office, le Ministère des Colonies britanniques. Une toute autre version des évènements que celle de l'exécutif juif se dessine, montrant que malgré le problème de faible pluviosité, la situation aurait pu être gérable sans l'immigration et l'expansion urbaine juives de la partie occidentale de Jérusalem. C'est en effet "indéniablement l'augmentation exponentielle de la demande qui est la cause structurelle du déséquilibre", souligne Lemire, chiffres à l'appui, non seulement ceux des volumes d'eau dépensés, mais aussi ceux qui montrent un pic migratoire de "34.000 immigrants juifs en 1925, contre par exemple 8500 en 1922, 8000 en 1923, 3000 en 1927 ou 2000 en 1928." (Lemire, 2011). Les griefs de la communauté arabe sur la démesure de la construction immobilière liée à l'immigration juive seront confirmés par la Commission permanente des mandats émis par la SDN (Lemire, 2011), l'ancêtre de l'Organisation des Nations Unies, dont les résolutions multiples contre l'Etat Israélien, nous le verrons plus tard, tomberont dans les sourdes oreilles de ses dirigeants successifs.
Pinhas Rutenberg ne s'est pas contenté de s'occuper du problème de l'eau. Dès 1923, il fonde la Compagnie électrique de Palestine et inaugure la première centrale à vapeur de Tel Aviv, construction qui précédera celles d'Haïfa et de Tibériade. Ne pouvant se contenter du volume d'énergie total qu'elles représentent, il s'attaque au projet d'une grosse centrale hydroélectrique, au confluent du Yarmouk et du Jourdain, alors même qu'elle est située dans une zone frontière peu définie, entre les territoires occupés par la Grande-Bretagne, la Jordanie et la France. Il finira cependant par le réaliser, aux "termes d’efforts techniques et diplomatiques considérables" (Amsellem, 2014). Là encore, il ne s'agit pas de dénier aux colonisateurs ni leurs talents, ni leur âpreté au travail, mais de constater que tous leurs efforts sont dirigés exclusivement vers la prospérité du Yichouv et jamais pour le bien commun. En effet, en presque trois ans, cette centrale fournira plus des trois quarts de l'électricité consommée dans les colonies, sans compter celle que fourniront de nouvelles centrales, à Haïfa en 1935 et une seconde à Tel Aviv en 1938. A l'inverse, "le reste du territoire où résident exclusivement les populations arabes est encore très mal équipé, comme le confirme une étude (3) réalisée au début de l’année 1946 par les Britanniques sur la situation générale en Palestine. Celle-ci précise en effet que la compagnie électrique de Rutenberg fournit l’électricité à toutes les grandes villes de Palestine sauf Ramallah, Bethléem, Naplouse, Hébron, Beersheva et Jéricho, des villes largement peuplées d’Arabes" (Amsellem, op. cité). Pour cette raison, la carte du réseau électrique créé par Rutenberg épouse parfaitement celle de l'implantation coloniale juive (cf. ci dessous).
(3) étude : "A Survey of Palestine : Prepared in December 1945 and January 1946 for the Information of the Anglo-American Committee of Inquiry (volume II), p. 973" (note Amsallem, op. cité)
On ne peut alors que confirmer l'aveu énoncé par Schuckburgh, le haut représentant du Colonial Office, relatif au pouvoir octroyé à Rutenberg : "nous donnons à l’organisation juive une emprise sur l’ensemble de la vie économique de Palestine" (Reguer, 1995).

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