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Billet de blog 15 avril 2024

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LE LIVRE NOIR DU SIONISME (XIX), « Parler ne marche plus avec ces bourreaux »

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Parler ne marche plus avec ces bourreaux  ”  

Les autorités britanniques n'ont pas attendu les déclarations officielles du comité exécutif arabe, dont ils connaissaient parfaitement la teneur très hostile au plan Peel, pour envisager des mesures radicales qui leur auraient permis de renverser la situation. Au ministère des Colonies, on envisageait "d'acheter" un certain nombre de dirigeants palestiniens.  Le général John Dill (1881-1944), à la tête des forces britanniques en territoire mandataire (Palestine Command British Forces in Palestine and Trans-jordan) proposera par exemple de soudoyer le chef influent du NDP, Raghib Nashashibi, pour qu'il revienne sur ses positions hostiles à la partition, point sur lequel "Wauchope acquiesçait avec prudence, soulignant que le doute que Ragheb puisse être acheté n'était pas nul" (CP. 193 (37), 19 juillet 1937, FO 371/20811). Dans la même réunion, il fut même question de corrompre l'ensemble du NDP.  Il sera aussi proposé  de faire publier dans Filastin des articles pro-partition. Pire, "on commençait à considérer plus sérieusement la possibilité de se débarrasser une fois pour toutes des critiques les plus éminents du plan de partition, le mufti et l'AHC." (Kelly, 2013 ; Palestine: Royal Commission Report, 19  juillet 1937, FO 371/20811).   


En février, John Dill, fraîchement nommé en Palestine, avait été pris pour tête de turc par le poète et chanteur Nuh (Noh, Nouh, Noah, Noé) Ibrahim (1913-1938), auteur de poèmes et de chants  de résistance sur la Palestine, qui était revenu de Bahreïn en Palestine pour participer à la révolution de 1936, dans les mouvements placés dans le sillage d'al-Qassam, alors que sa vie de typographe y était bien remplie et confortable. Ibrahim avait d'ailleurs composé à sa mort un poème intitulé "Oh, quelle grande perte, Izz Edin!" De son retour, il s'en était expliqué avec  à son ami Rashid Al-Jalahma, à qui il avait confié : "Parler ne marche plus avec ces bourreaux."  Emprisonné dans la prison d'Akka (Acre) durant cinq mois après une diffusion très remarquée  d'un poème intitulé "Planifie-le, Dill !", évoquant par là la liberté d'indépendance de la Palestine.  En 1938, il publie à Damas  Recueil de poèmes de combat pour la Palestine (Majmūʿat Qaṣaʾid Filasṭīn al-Mujāhida), avant d'être assassiné par des forces britanniques de la région de Haïfa, le 18 octobre 1938 avec trois compagnons révolutionnaires :   Muhammad Khader Qiblawi, Izz al-Din Khalayleh et Abu Raad. Les Britanniques leur avaient tendu une embuscade autour du village de Tamra, et, après les avoir abattu, ils  avaient jeté leurs corps dans un puits  (Khaled Awad, "Noah Ibrahim, poète et martyr", Venus Press, Nazareth, 1990   ;   نمر حجاب، الشاعر الشعبي الشهيد نوح إبراهيم، عمان: دار اليازوري، 2006  :  Nimr Hijab, "Le poète martyr populaire Nouh Ibrahim", Amman, Dar Al-Yazouri, 2006 ;  Noah Ibrahim, All4Palestine.com).

En juin, de nombreuses et graves attaques avaient été lancées contre des membres du NDP qui poussaient trop au compromis en faveur de la partition ou contestaient trop fortement le leadership du Hadj Amin al-Husseini  :  il n'est cependant pas prouvé que ces intimidations ou tentatives d'assassinat soient toutes le fait des partisans d'al-Husseini  (Hillel Cohen, L'armée des Ombres..., op. cité : cf. partie I).  Les dirigeants britanniques  pesèrent aussi le choix de déclarer illégal l'Exécutif arabe de l'AHC, idée que Wauchope, en particulier, repoussa. ​

Le 14 juillet, Norman Bentwich rencontre Jamal al-Husseini à Londres et lui propose un plan de cantonisation de la Palestine augmentée de la Transjordanie, avec des droits égaux pour les Juifs et les Arabes   (Mahdi Abdul Hadi [éditeur], Documents on Palestine, Vol. 1, PASSIA  [Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs], Jérusalem, Israël).  Le 19 juillet, le ministre des colonies (Secretary of State for the Colonies) Ormsby-Gore partageait avec le Cabinet  (de guerre) deux lettres envoyées par Wauchope au sous-secrétaire d'Etat aux Colonies, Cosmo Parkinson (Sir Arthur Charles C. P. 1884-1967),  dans la première desquelles il informait de sa rencontre avec l'Emir Abdullah à Amman, favorable au plan de partition où Palestine et Transjordanie formeraient un grand Etat arabe,  alors que la seconde faisait au contraire connaître l'opposition d'Ibn Saoud en Irak.  ​

Dès le 23 juillet,  la partition du pays proposée par la Commission Peel est rejetée publiquement dans son ensemble par L'AHC, en un mémorandum soumis à la Commission des mandats permanents (Permanent Mandates Commission, PMC), organe créé fin 1920 pour superviser les territoires sous mandat. Dès le début de ce document,  l'AHC déclare "l'extrême déception du peuple arabe de Palestine"  (Memorandum submitted by the Arab Higher Committee to the Permanent Mandates Commission and the Secretary of State for the Colonies, dated, July 23rd 1937, FO 371/20810).  Ce mémorandum appelle à la reconnaissance du droit des Arabes à l'indépendance complète dans leur pays, où les Juifs sionistes sont "une minorité d'envahisseurs, qui n'avaient pas avant la guerre de stature élevée dans ce pays, et dont les relations politiques avec celui-ci était rompues  depuis quasiment 2000 ans." (Memorandum,  op. cité).  Il rappelle que les Arabes n'ont cessé, depuis le premier jour, de rejeter la Déclaration Balfour, dont "ils ont toujours souligné l'invalidité,  ses contradictions internes, l'injustice sur laquelle elle se fonde, et son inhérente partialité" (op. cité).  Il réclame la fin de la mise en œuvre d'un foyer juif en Palestine mais aussi du mandat britannique, remplacé par un traité similaire à celui qui existe entre le Royaume-Uni et l'Irak ou l'Egypte, entre la France et la Syrie, dans le but de créer un Etat souverain en Palestine, et enfin, l'arrêt immédiat de l'immigration juive et de la vente de terres aux Juifs durant la négociation et jusqu'à la conclusion du traité. (Memorandum,  op. cité, cf. aussi   Palestine Partition Commission, dite Woodhead Commission, n°25 p. 17, Londres, octobre 1938).  Il rappelle l'inégalité profonde du dispositif de transfert de population, qui verra seulement 1250 Juifs perdre une quantité négligeable de propriété pour rejoindre le nouvel Etat juif, quand près de 225.000 Arabes seront déplacés dans un nouvel Etat, à quoi il faut ajouter 100.000 habitant des villes de Haifa, Acre, Tibériade et Safed. Ce procédé revient "plus ou moins à l'expulsion forcée des habitants arabes de l'Etat juif et la dépossession de leurs propriétés."  (Memorandum,  op. cité).  

Bien entendu, les gouvernants britanniques ou les dirigeants sionistes ne cachent pas en privé que le plan proposé est un marché de dupes. Le directeur de l'Agence Juive, lui-même, A. Ruppin, reconnaissait dans son journal que les "difficultés de mise en œuvre semblent – au vu du grand nombre d’Arabes dans l’État juif – presque insurmontable."  (Ruppin, Memoirs... op. cité, p. 285,  partie I).  Wauchope et Dill étaient quant à eux d'accord sur le fait que "les sacrifices induits par les termes du rapport, en particulier pour  la Galilée et l'Acre, sont connus de tous les Arabes, au détriment du principe de Partition."  (Wauchope à Dill, 20 juillet 1937, WO 191/86).   

Au-delà du refus de principe de céder une partie (1/5e) de la Palestine aux Juifs étrangers, les Palestiniens avaient de solides griefs reflétant encore une fois la partialité qui n'est plus à démontrer de la part de la puissance mandataire envers les sionistes. Accepter les recommandations du rapport Peel, c'était accepter que le nouvel Etat juif, récupère une grande partie des plaines fertiles  : plaine maritime qui borde la Méditerranée, d'Acre à Jaffa, vallées de Jezréel ,  de Hula ou encore du Jourdain, tandis que les Palestiniens n'obtiendraient que des terres en partie ou totalement désertiques, comme le désert du Néguev (Negev), la vallée d'Arava (Araba), ou encore les montagnes à l'ouest du Jourdain ou la bande de Gaza  (Eugene Lawrence Rogan, The Arabs, A History, Allen Lane, 2009).  Malgré leurs désaccords, les très influentes familles Husseini et Nashashibi se sont finalement entendues pour rejeter la partition proposée. 

Réunis par un sommet panarabe à la Conférence nationaliste arabe de Bloudan (al-Mu'tamar al-'Arabi al-Qawmi fi Bludan), en Syrie, dans la région de Damas, organisé du 8 au 10 septembre 1937 avec l'aval de la France, les délégués de différents pays, principalement du Moyen-Orient (Egypte, Palestine, Syrie, Liban, Irak, Transjordanie, Tripolitaine), ont sans surprise entériné ce rejet massif des Arabes pour la partition du pays.  Pendant la Conférence, il a été distribué aux participants une brochure de 31 pages en forme de pamphlet antisémite intitulé "Islam et judaïsme" (Islam et Judaïsme), qui avait été publié plus d'un mois avant, le 18 août, au Caire.  Sorte de Mein Kampf arabe, l'opuscule, qui regorge d'expressions racistes, présente les Juifs comme des ennemis de l'Islam, responsable non seulement de la mort de Mahomet mais aussi de tous les problèmes qu'ont connu les musulmans dans l'histoire (Kedourie, 1981 ; Küntzel 2020).  L'éditeur de la première édition arabe du pamphlet, le journaliste égyptien Mohamad Ali al-Taher, en a rédigé sa préface mais n'est pas cet "Arabe distingué" qui "a écrit ce livre sur les Juifs et leur comportement". Ce serait selon un avis très partagé, le mufti Amin Al-Husseini, qui a semble-t-il beaucoup investi de temps et d'argent à organiser la Conférence de Bludan  (cf. Matthias Küntzel, Islamic Antisemitism : How It Originated and Spread, About the meaning of the booklet “Islam and Jewry and the Bludan Congress of September 1937,  3 juillet 2018).  Cette propagande extrémisme ne reflète absolument pas la teneur des débats : le rapport confidentiel adressé par les services secrets britanniques au secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, Anthony Eden (1897-1977)  témoigne au contraire du "ton...modéré" de tous les discours publics à l'exception d'un seul. Ce qui n'empêcha pas une soixantaine de délégués de trouver les résolutions de la Conférence "insipides" et d'organiser une rencontre secrète dans une maison privée de Damas le matin du 12 septembre, pour combattre de manière plus efficace la volonté inflexible de la Grande Bretagne d'imposer la partition, sollicitant à cette intention des leaders syriens qui s'étaient déjà fait remarquer dans les combats menés en 1936 contre l'occupant britannique  (Blake Alcott (1), "The Rape of Palestine, A Mandate Chronology",  Vol. 2, "346. Bludan Pan Arab Congress",  Tredition, 2023).

 ​Blake Alcott (1)  :  Docteur en économie écologique britannique, militant pour la cause palestinienne depuis 2010, il est directeur de l'association anglaise One Democratic State in Palestine (ODS).  

Nous constatons donc une énième fois que les propos de certains extrémistes arabes n'entachent ni l'ensemble des discours arabes nationalistes, antisionistes ou antibritanniques, ni les résolutions arabes adoptées contre la colonisation juive en Palestine, dont nous avons vu à maintes reprises que tous s'appuient sur des éléments factuels et rationnels, au contraire des principes qui fondent et structurent l'idéologie sioniste. Les faits sont là. Ce sont les Juifs sionistes qui ont élaboré et exécuté un plan pour dominer les Arabes et conquérir l'ensemble de la Palestine et pas le contraire. Ce sont les Juifs qui ont un objectif colonialiste, impérialiste sur les Arabes de Palestine, pas le contraire. Nous continuerons donc d'évoquer, pour être le plus objectif possible, les dérives idéologiques des uns et des autres, mais nous ne nous attarderons pas sur ce qui n'impacte pas de manière significative les sociétés concernées. A l'inverse, nous passons et nous continuerons de passer du temps sur l'idéologie sioniste qui, elle, a su grâce à l'appui indéfectible britannique, exercer d'année en année un pouvoir et une domination qui ne cesseront d'augmenter et continueront de ravager la société palestinienne  avec une intensité croissante. 


Illustration 1
Comité exécutif arabe, de gauche à droite et de haut en bas : F. Saba, secrétaire, Y. al-Ghussein, H. F.al-Khalidi, J. al-Husseini, R. Al-Nashashibi, A. al-Husseini, A. Hilmi Abd al-Baki, A. Rock, Y. Farraj (on notera l'absence d'Awni Abd-el-Hadi) 1936

Deux mois après la diffusion publique du rapport Peel, était assassiné le très contesté commissaire de Galilée, Lewis Andrews, dont l'action a été exposée plus haut. Beaucoup de manchettes de journaux présentaient ce crime de manière simpliste, comme les autres manifestations des luttes émancipatrices arabes. Comme en 1936,  les  révoltés étaient assimilés à des terroristes  : "Terrorisme en Palestine : trois meurtres à Nazareth" (The Times), ou à de simples "meurtriers" (8 octobre 1937, le conservateur Spectator, le plus vieil hebdomadaire britannique, 1828). The New Statesman,  un hebdomadaire britannique  toujours debout lui aussi, mais de gauche, cette fois,  fondé par Sidney et Béatrice Webb en 1913,  détonait quant  à lui fortement avec la publication d'une lettre de Thomas  Hodgkin (2), secrétaire privé de Wauchope un an auparavant, dans la rubrique du courrier des lecteurs, le 9 octobre  : 

​"Même si l’on peut décrier le fait de tuer pour des raisons politiques, décrire une action comme celle de l'assassinat de M. Andrews comme un « meurtre ignoble » est d'évidence trompeur. (Le Times, dans un article en première page du 2 octobre, le décrit ainsi). Est-ce qu'une personne à l'esprit libéral s'exprimerait de la sorte à propos du meurtre d'un éminent responsable de la Gestapo assassiné par un opposant au régime nazi ? Pourtant, c'est exactement sous cet éclairage que l'assassinat de M. Andrews doit apparaître à la plupart des Arabes palestiniens. M. Andrews était un fonctionnaire très compétent qui, en raison de son bon connaissance de l'arabe et de nombreux contacts avec des membres influents des communautés arabe et juive, se trouvait dans la position d'un agent des services secrets de l'administration britannique. Du point de vue de  l'Administration, il était un officier précieux et loyal, mais aux yeux d'une grande partie des Arabes, c'était un espion, qui représentait l'autocratie britannique détestée sous sa forme la plus répréhensible.

​Il ne faut pas oublier que les villageois arabes du district de Galilée ont gravement souffert sous le joug des Britanniques au cours des derniers dix-huit mois. Leurs jeunes hommes ont été tués ; leurs maisons détruites ; leurs récoltes et leurs animaux confisqués pour payer de lourdes  amendes collectives. Et ils ne sont toujours pas plus proches qu’ils ne l’étaient auparavant de  l'indépendance nationale qu'ils visent à atteindre. La partition signifierait pour eux, soit de quitter leurs maisons et leurs terres et d'être installés à Beer Sheba, dans la vallée du Jourdain, soit en Transjordanie, ou encore d'être intégrés à un État juif, à l'intérieur de ses frontières. Ce sont les conditions politiques qui donnent naissance au terrorisme. Il ne peut être guéri par la déposition du Président du Conseil suprême musulman et la déportation vers les Seychelles de certains des dirigeants arabes les plus respectés au motif qu'ils sont  « moralement responsables » de ces actes terroristes." (T. Hodgkin, in Kelly, 2013).

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(2) Thomas  Hodgkin    :    Le jeune Thomas Lionel Hodgkin (1910-1982) est en service civil en Palestine entre 1934 et 1936, et le 28 mai 1936, il fait savoir par lettre qu'il a pris la décision de démissionner de son poste à cause "des nouvelles mesures répressives de la part du gouvernement", qu'il évoque dans une deuxième lettre à son frère, courant juin : "C'est une guerre sanglante dans la mesure où les autorités civiles ne tentent plus de contrôler ou d'administrer quoi que ce soit, mais laissent au colonel en poste et à ses lieutenants le soin de battre les villageois, de piller et de détruire leurs maisons." (Thomas Hodgkin: Letters from Palestine 1932–36, 164–65, 171, édité par E.C. Hodgkin, Londres, 1986).  Il ne désirait pas quitter la Palestine, mais l'administration britannique lui ordonnera de le faire. Il adhère au parti communiste et épouse en 1937 Dorothy Mary Crowfoot (1910-1994), fille de deux archéologues, qui deviendra une scientifique de renom, autrice de beaucoup de découvertes, comme la structure de la pénicilline, de la vitamine B, pour laquelle elle reçoit le prix Nobel de chimie en 1964, et enfin, de l'insuline. Elle fit aussi faire des progrès à la technique de la cristallographie aux rayons X.  Hodgkin devient en 1939 tuteur au sein du plus grand organisme caritatif d'Angleterre pour l'éducation bénévole des adultes, la WEA (Workers Educational Associations), puis, en  1945,  secrétaire du département de l'Université d'Oxford pour l'éducation continue (OUDCE : Oxford University Department for Continuing Education). Un voyage dans la colonie anglaise de la Côte de l'Or (Gold Coast : Ghana actuel) le plonge dans une passion pour l'histoire africaine, dont il deviendra un des meilleurs historiens britanniques. Il quitte son poste à Oxford, voyage en Afrique et publie Nationalism in Colonial Africa, en 1956, avant de prendre en particulier la tête de l'Institute of African Studies à l'Université du Ghana, en 1962  (Thomas Lionel Hodgkin, article de Wikipedia).

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​Dans le département oriental du Foreign Office, un groupe d'officiers, y compris l'homme qui les dirigeait, George Rendel, partage avec Hodgkin la conviction que réduire les évènements de 1936 à des actes criminels était simpliste : "Toute politique fondée sur cette équation, pensaient-ils, rendrait la répression nécessaire et, par conséquent, attiserait, plutôt que réprimerait, les forces de rébellion."   (Kelly, 2013).  Rendel presse le gouvernement de prendre davantage en considération le point de vue arabe, et reconnaît la justesse du point de vue de Hodgkin, comme un autre officier du département qui affirmera qu'il y a "malheureusement beaucoup de vérités dans cette lettre"  (Palestine situation, 9 octobre 1937, FO 371/20818).  Les nationalistes arabes ont,  quant à eux, dénoncé les amalgames commodes.  Le 13 octobre 1936, Fawzi al-Qawuqji, se faisant le porte-parole de nombreux Palestiniens, avait déclaré dans al-Istiqlal  : "Les Arabes sont en quête de droit et de justice ; ils ne sont pas des meurtriers." Le mois suivant, un manifeste arabe affirmait que faire respecter "la loi et l'ordre", comme le prétendaient les Britanniques, n'était qu'un prétexte pour attaquer illégalement les nationalistes  (Kelly, 2013).  Un ancien sympathisant de la rébellion déclarera catégoriquement à la chercheuse Zeina Ghandour, que " … les Anglais savaient que c'était une rébellion. Ils savaient très bien que nous n’étions pas des criminels."   (Ghandour, 2010 : 105). 

On déplore une longue liste d'attentats commis sur des dirigeants arabes modérés entre 1936 et 1937, très probablement par des factions radicales arabes. Les Britanniques, de leur côté, arrêtent et déportent des dirigeants qui leur sont trop hostiles ou qui ont eu un rôle important pendant les révoltes de 1936. Le 1er octobre, le maire de Jérusalem Hussein Fakhri al-Khalidi, l'oncle de l'historien Rashid K. plusieurs fois cité ici, est déporté aux Seychelles, tout comme le banquier A. Hilmi al-Baqi,  le politicien Y. al-Ghussein,  Rashid al-Haj Ibrahim (1889-1953), banquier et dirigeant d'al-Istiqlal, activiste important des grandes révoltes de 1936 et 1937,  et enfin, le chrétien maronite Fouad (Fuad) Saba (1902-1984), fondateur avec son frère Aziz Saleh de la première entreprise comptable arabe agréée dans tout le Moyen-Orient et cofondateur de l'Arab Bank en 1930. Représentant de l'Exécutif Arabe, il participa à la rédaction du Mémorandum du 23 juillet rejetant le plan Peel, mais aussi à la Conférence de Bloudan (Fuad Saba, article de l'IEPQ). 

"Les hommes ont été détenus dans une enceinte fortement gardée pendant seize mois, privés de visiteurs et de contacts extérieurs. Parmi leurs codétenus aux Seychelles figuraient des dirigeants politiques d’Aden, au Yémen, et de Zanzibar. D’autres dirigeants palestiniens ont été exilés au Kenya ou en Afrique du Sud, tandis que quelques-uns, dont le mufti, ont réussi à s’échapper et à se rendre au Liban. D’autres encore ont été enfermés, généralement sans procès, dans plus d’une douzaine de ce que les Britanniques eux-mêmes appelaient des « camps de concentration », notamment celui de Sarafand."  (Khalidi, 2020).

Un certain nombre de dirigeants arabes s'exilent ou sont déjà à l'étranger, pour éviter leur arrestation et leur déportation, tels Amin al-Husseini,  Awni Abdul Hadi, Alfred Rock, Izzat Darwaza ou encore Abdul Latif Salah.  Tous les comités nationaux de Palestine sont dissous, ce qui porte un grand coup à la dynamique nationaliste arabe :  On voit là, pour la énième fois, que, sans le bras armé britannique, les colons juifs auraient eu très peu de moyens de s'opposer à la lutte des Arabes pour leur indépendance. ​

A l'automne, une délégation arabe est envoyée à Londres par l'AHC, constituée de Jamal al-Husseini, Alfred Rock, Awni Abd al-Hadi, Musa Alami, et du médecin chrétien Izzat Tannous (1894-1993), généraliste puis pédiatre. Il participe aux manifestations de masse contre l'immigration juive à l'automne 1933 et  fait partie de différentes délégations arabes pour défendre les droits des Palestiniens. Vers la fin de sa vie il écrira  The Palestinians: Eyewitness History of Palestine under British Mandate : "Les Palestiniens : Histoire vécue de la Palestine sous mandat britannique", 1988.  La délégation de cette fin d'année 1937 réclame qu'Arabes et Juifs se considèrent ensemble comme dépositaires de la Terre Sainte, qu'un gouvernement national soit formé accordant les mêmes droits politiques, civils et religieux à tous,  indépendamment de la race ou des croyances, que la représentation gouvernementale soit proportionnelle à la population, que le droit des minorités soit respecté, et enfin, qu'un traité préserve les intérêts légitimes de la Grande-Bretagne. ​

Le 2 novembre,  Ragheb Nashashibi adresse une lettre à Sir William Denis Battershill -1896-1959), administrateur colonial, secrétaire en chef du gouvernement palestinien à la suite de J. Hathorn.  Comme de très nombreux dirigeants politiques avant lui, il rappelle "la manière incohérente" ("inconsistant manner") dont le gouvernement mandataire traite depuis vingt ans "les aspirations nationales des Arabes, qui représentent la majorité écrasante du pays."   et que "cette situation défavorable"... "n'est conforme en aucune manière ni aux droits naturels dont ils ont l'entière prérogative, ni à la justice humaine..." Par conséquent, l'auteur, au nom de son parti, déclare "qu'il est grand temps maintenant... de changer cette politique en adoptant, dans un court délai, des méthodes propres à résoudre le problème de cette Terre Sainte d'une manière qui permettra aux habitants d'exercer leurs droits au nom d'un gouvernement national et d'une souveraineté  nationale, sur des bases représentatives et constitutionnelles,  comme on le voit partout dans le monde."  (R. Nashashibi, dans Blake Alcott, The Rape... op. cité, "348. Nashashibi to Battershill"). ​

Le 27 novembre était arrêté Cheik Farhan as-Sadi (1862-1937), qui avait pris la tête des Brigades d'Al-Qassam après la mort de ce dernier et qui fut condamné à mort et pendu le lendemain matin à 8 h (The New-York Times). ​


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