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Billet de blog 15 avril 2024

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LE LIVRE NOIR DU SIONISME (XXI), « grâce à la poigne anglaise et l'argent juif »

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 grâce à la poigne anglaise et l'argent juif  ”   

Du 21 juillet au au 7 août 1937 se tient la Convention Mondiale de l'Ihud Poale Zion (Union des Travailleurs de Sion),  qui chevauche le 20e Congrès sioniste mondial, du 3 au 21 août,  les deux ayant lieu  à Zurich, en Suisse. Ben Gourion affirma d'emblée qu'une partition ne pouvait être acceptée qu'en étant accompagnée d'un transfert de populations arabes. Comme dans d'autres forums auxquels il a participé, Ben Gourion a  "justifié le déplacement des Arabes pour des raisons politiques, morales et éthiques, comme la suite logique et naturelle de la colonisation sioniste en Palestine. Ben Gourion et les autres délégués avaient des difficultés à distinguer transfert et dépossession et entre transfert et expulsion,  essayant autant que possible possible de purger les mots de leurs connotations ou de leurs associations les plus négatives"  (Masalha,  1992) :​

"Selon la proposition de transférer la population arabe à partir de certaines zones [de l’État juif], si possible volontairement, sinon de manière coercitive, il serait possible d’étendre le peuplement juif… la Commission n'insinue pas qu'il y ait dépossession arabe ; elle propose leur transfert et leur installation dans l’État arabe, alors il me semble inutile d’expliquer la différence fondamentale et profonde entre dépossession et transfert. Jusqu'à maintenant, nous avons aussi établi nos colonies en transférant des populations d'un endroit à un autre... Dans une large mesure, le transfert a été organisé sur le principe d'un accord avec les fermiers, et la nécessité de procéder à un transfert forcé ne s'est imposée qu'en quelques lieux. Jusqu'à présent, les transferts n'ont été effectués que sur le territoire de la Palestine mandataire. La différence principale avec le projet de la Commission est que le transfert s'effectuera à une échelle beaucoup plus importante, du territoire juif au territoire arabe. S'il a été possible de transférer des Arabes d'un village à un autre sous le mandat britannique - il est difficile de trouver le moindre argument politique ou moral contre le transfert de ces mêmes Arabes de la zone qui passerait sous domination juive selon le projet... Et y-a-t-il vraiment besoin d'expliquer la valeur d'un continuum de peuplement juif dans les vallées côtières de Yizrael [Vallée d'Esdraelon], du Jourdain et de Hula ?"  (D. Ben Gourion, juillet-août 1937, dans Al Darchei ,Medlniyutenu: Mo'atzah ‘OlamitShel Ihud Po'alei Tzion (c.s.) - Din Vehishbon Male 21 July-7 August  : "Rapport complet de la Convention mondiale de l'Union des Travailleurs de Sion...",  pp. 72-73, Tel Aviv: The Central Office of Hitahdut Poa’lei Tzion Press, 1938)., cf. Masalha, 1992.   

Un autre dirigeant du Mapai, membre de l'Exécutif de l'Agence juive, Eliezer Kaplan (1891-1952), d'origine biélorusse, installé en Palestine depuis 1920, édile de Tel Aviv, utilise aussi la rhétorique pour rapprocher le déplacement de population d'une entreprise humanitaire : ​

"Je n'entrerai pas maintenant dans les détails de la question du « transfert » des Arabes. Mais il n’est pas juste de comparer cette proposition de l'expulsion des Juifs d'Allemagne ou de tout autre pays. La question ici n'est pas celle de l'expulsion, mais d'un transfert organisé d'un certain nombre d'Arabes d'un territoire qui passera aux mains de l'Etat hébreu, vers un autre endroit de l'Etat arabe, c’est-à-dire dans un environnement attaché à leur propre peuple." 

​E. Kaplan,  dans Al Darchei... op. cité, pp. 82-83.​

D'autres encore, comme Berl Katznelson, dont nous avons eu déjà un aperçu éclairant de la mentalité raciste, font aussi des efforts oratoires en cherchant à faire accroire aux indécis et aux plus sensibles, que le transfert des populations arabes est équitable entre les deux parties  :​

"La question des transferts de population a suscité un débat parmi nous : est-ce permis ou interdit ? Ma conscience est absolument claire à cet égard. Un voisin éloigné vaut mieux qu’un ennemi proche. Ils ne perdront pas en étant transféré et nous ne perdrons certainement rien de ce fait. En dernière analyse, il s'agit d'une question politique et une réforme des implantations dans l’intérêt des deux parties. Je pense depuis longtemps que c'est la meilleure de tous solutions, et à l'époque des troubles [les révoltes arabes de 1936-39] j'ai été conforté dans mes convictions du fait que cela devait arriver un jour. Mais que le transfert « hors de la Terre d'Israël » pouvait seulement évoquer les  environs de Naplouse ne m'a jamais traversé l'esprit.  J'ai toujours cru et continue de croire qu'ils étaient destinés à être transférés en Syrie ou en Iraq."  

B. Katznelson, discours du 2 août 1937,  dans Al Darchei... op. cité, pp. 179-180.  

Une autre parole encore, de participant à cette convention, celle de Yosef Bankover, un des dirigeants du Kibboutz Hameuhad (Ha-Kibbutz Ha-Me'uhad), une union de kibboutzim, membre de la Haganah, montre à son tour à quel point il tarde aux sionistes de se débarrasser des Arabes : 

​"Ben Gourion a déclaré hier qu'il était prêt à accepter la proposition [de partition] de la Commission Royale mais à deux conditions : la souveraineté [juive] et transfert obligatoire... Quant au transfert obligatoire en tant que membre du kibboutz Ramat Hakovesh [fondé en 1932 dans le centre de la Palestine] je serais très heureux si c'était possible de me débarrasser de l'agréable voisinage des habitants de Miski, Tirah et Qalqilyah." 


 Y. Bankover,  dans Al Darchei... op. cité, pp. 93.  

​D'autres encore, comme Aharon Zisling, un des leaders de Kibboutz Hameudah,  délégué d'Ahdut Haavodah, vont encore plus loin et parent l'acte colonisateur d'une aura de haute moralité :​

"Je ne conteste pas notre droit moral à proposer un transfert de population. Il n’y a aucune faute  morale à émettre une proposition visant à recentrer le développement de la vie nationale. Au contraire : dans un nouvel ordre mondial, ce peut et ce doit être une noble vision humaine..."

​ A. Zisling,  dans Al Darchei... op. cité, pp. 93.  

​Pour la plupart des délégués, le transfert des populations arabes n'est pas un problème en soi. Ce qui inquiète un certain nombre d'entre eux et les oppose au plan de partition proposé par la Commission Peel, c'est la faisabilité de l'opération dans la situation présente, où beaucoup doutent du consentement des Arabes, et du soutien britannique dans le cas contraire, puisque la partition prévue devrait se faire sur la base d'un accord mutuel : 

​"Moi aussi, je voudrais voir les Arabes hors du pays, et ma conscience serait absolument tranquille. Mais existe-t-il une possibilité de mettre cela en œuvre sans le consentement arabe et l’aide britannique ?" ​

 G. Meyerson,  dans Al Darchei... op. cité, pp.122-123 

 ​Certains, comme le séfarade Eliahu (Eliyahu, Lulu) Hacarmeli (1891-1952), enseignant, membre du Comité National du JNF, n'hésitent pas, toujours avec des artifices rhétoriques, à apposer un sceau de parfaite moralité sur tout ce qui permettrait aux Juifs, paisiblement ou non, de créer leur Etat :​

"Même si nous voulons examiner cet échange à la lumière de tel ou tel programme socialiste, il sera en tous sens justifié... .Ce transfert, même s'il devait s'effectuer par la contrainte - toutes les entreprises morales se réalisent ainsi - sera justifié dans tous les domaines. Et si nous refusions tout droit de transfert, il nous faudrait nier tout ce que nous avons fait jusqu'à présent : le transfert d'Emek Hefer [Wadi el-Hawarith] à Beit Shean, du Sharon [zone côtière] aux montagnes d'Ephraem, etc. On a affirmé ici que le transfert était une décision politique provocatoire. Il n’y a aucune provocation là-dedans. C'est  un programme juste, logique, moral et humain dans tous les sens.

"​E. Hacarmeli,  dans Al Darchei... op. cité, p.122.  ​

Il se passait  sensiblement les mêmes choses sur le sujet au Congrès sioniste voisin, et un certain nombre de dirigeants ont navigué entre les deux colloques.  Extrêmement rares furent les participants, comme ceux de la  Kibbutz Haartzi Shel Hashomer Hatzair (Hatza'ir), fédération fondée en 1927,  à dénoncer et qualifier de "dangereux" et "anti-socialiste" un plan visant à déraciner les Arabes de leurs terres. Pour leur répondre, Yosef (Joseph) Baratz (1890-1968), leader du Mapai, qui a été représentant du parti Hapoel Hatzair, fondateur du premier kibboutz à Degania Alef, prit la parole et aligna les mêmes arguments tout aussi éculés qu'à l'habitude, témoignant dans le même temps, plus que jamais, de la ferme volonté des sionistes, dès le début de la colonisation, de créer en Palestine une ségrégation la plus complète possible entre Juifs et Arabes :  

​"n'est-ce pas l'expulsion qui nous a permis de poursuivre notre travail dans le pays 40 à 50 années durant ? N'avons-nous pas transféré des Arabes de D'ganya, Keneret, Merhavya et Mishmar Haemek ? Je me souviens des nuits où Shmuel Dayan [le père de Moshe Dayan] et moi, étions appelés à Merhavya pour aider « Hashomer » ... à effectuer l'évacuation [arabe]. Quel péché y-a-t-il là-dedans ?... Je sais aussi qu’avant même que naisse la proposition d’un État hébreu, [la proposition de partition]  un plan avait déjà été élaboré par une société de colonisation juive, chargée de transférer les Arabes des villages connus de la Galilée à la Transjordanie... Pourquoi  une  agitation superficielle a été créée autour de cette question ? Les membres de Hashomer Hatza'ir disent : par la création d'un État hébreu, nous créons une barrière entre nous et les Arabes. Une telle barrière n'existe-t-elle pas déjà dans le pays de façon permanente ? N'avons-nous pas construit nos propres gares, notre propre service postal, notre propre agence gouvernementale, notre propre port maritime, nos propres routes et, autant que nous ayons pu le faire,  notre propre économie ?

"​Y. Baratz,  Rapport du XXe Congrès sioniste, 8 août 1937, pp. 124-25, dans  Masalha, 1992

Nous avons là, à la lecture de tous ces témoignages, la confirmation une fois de plus que les dirigeants sionistes ne se différencient guère de tous ceux qui étaient alors aux commandes des puissances impérialistes,  dont les intérêts primaient avant toute préoccupation éthique et qui étaient prêts à réaliser leurs projets colonialistes sans sourciller ou en fermant les yeux,   au mépris du coût humain qu'ils pouvaient représenter. Ainsi, les leaders Juifs en Palestine mandataire seront quasi unanimes à accepter le transfert des populations arabes tout en rejetant le projet de partition lui-même de la  Commission Peel, à cause des conditions difficiles de sa faisabilité, n'ayant guère les moyens à ce stade d'imposer de force leur volonté aux Arabes sans l'aide de la puissance mandataire. ​

Au final, le principe de partition de la Palestine, appelée aujourd'hui "solution à deux Etats", tel que proposé par la Commission Peel,  a été refusé par les dirigeants sionistes, tant au XXe  Congrès mondial qu'à la Convention mondiale d'Ihud Poalei Tzion. Il restait trop de points à éclaircir sur les conditions proposées pour l'établissement d'un Etat Juif en Palestine,  et "même le retrait de 300 000 Arabes de l’État juif proposé ne représentait pas une compensation suffisante pour accepter les frontières réduites recommandées par la Commission Peel. Le rabbin Meir Berlin (1)  a résumé la situation : « La base du sionisme est que la terre d’Israël est la nôtre et non la terre des Arabes, et non pas parce qu'ils ont de grands territoires, et nous des petits . Nous réclamons la Palestine parce que c'est notre pays. »" (Masalha,  1992).  Les représentants du XXe Congrès sioniste demandèrent alors à l'Exécutif sioniste de négocier un plan plus favorable pour les Juifs et commença par rejeter le projet de partition de la Commission.  Ben Gourion et Weizmann, de leur côté, tentaient de convaincre les différents responsables sionistes d'accepter le plan comme une base de travail, comme une étape dans la négociation en vue de réaliser un grand Etat juif.  "Après d'âpres débats le Congrès approuva par 299 voix contre 160 les recommandations du rapport Peel comme bases d'une future négociation." (Morris, 2004).  A Londres, le 21 juillet, la Chambre des Communes n'approuve pas non plus en l'état le plan de partition du rapport Peel et accepte que des amendements lui soient ajoutés. ​

(1)  Meir Berlin  (1880-1949)  :     D'origine lithuanienne d'une famille de rabbins, il deviendra secrétaire du Mouvement Mizrahi (Mizrachi), à la fois sioniste et religieux, fondé à Vilnius en 1902, s'opposera au projet de foyer juif en Ouganda, en 1905.  

Le 9 octobre 1937, une rencontre a lieu à Londres entre Albert Montefiore Hyamson (1875-1954),  ancien commissaire palestinien aux migrations, de 1921 à 1934, et le lieutenant-colonel à la retraite Stewart Francis Newcombe (1878-1956), trésorier du Bureau d'Information arabe à Londres, pour discuter d'un nouveau projet israélo-arabe dans lequel le foyer national juif ne deviendrait pas un Etat et où les Juifs n'auraient pu constituer plus de 50% de la population. Ce projet était mené par deux sionistes plus proches des minorités de Brit Shalom que les autres. Hyamson, avait été un sioniste pur jus, entre autres rédacteur de The Zionist Review, publié par la fédération sioniste, ou de plusieurs ouvrages sur l'histoire juive, avant de publier en 1918 un opuscule de 12 pages intitulé  Great Britain and the Jews,  dans lequel chacun peut vérifier que le mot "arabe" ne figure pas une seule fois. L'invisibilité des arabes pour les sionistes, encore et toujours. Il travailla aussi au département de l'information britannique, au sein duquel il créa un bureau de propagande, qui adressait des câbles à différents quotidiens juifs pour faire connaître le soutien du gouvernement britannique au sionisme,  surtout aux Etats-Unis, dans The American Hebrew ou American Jewish Chronicle (Sur le sionisme politique américain entre 1880 et 1929, cf MacDonald, 2012).  Dix ans après, en 1928, alors que les Palestiniens avaient vécu bien des avanies de la part des sionistes, il écrivait un guide touristique à l'allure enchanteresse, intitulé Palestine  Old and New. Encore près de dix ans de plus, et il est rangé dans le groupe des antisionistes, qui, comme ceux que nous avons présentés auparavant, sont en fait des sionistes, puisqu'ils acceptent le fait colonisateur, ce qui suffit aux Arabes pour ne jamais les prendre au sérieux. En clair, ils ne veulent pas 100 % du territoire palestinien mais 50%, moitié-moitié, donc, égalité parfaite.  Newcombe n'a pas le pedigree littéraire de Hyamson, c'est un militaire, un homme d'action, arabisant comme son ancien collègue Thomas Edward Lawrence ("Lawrence d'Arabie", 1888-1935), qui "brûle amis et ennemis" se plaignent les Arabes (T. E Lawrence, Seven Pillars of Wisdom, "Les Sept Piliers de la Sagesse", Garden City, Doubleday, Doran & Company Inc, 1926).


​​

Illustration 1
Thomas Edward Lawrence (dit Lawrence d'Arabie) "Les Sept piliers de la Sagesse", Edition originale privée, 1926,

Illustration 2
Feysal, Illustration du livre ci-contre, reproduite  d'un tableau du peintre gallois Augustus Edwin John (1883-1933), Fayçal ben Hussein al-Hachimi, Chérif de la Mecque, Roi pendant quelques mois de la Syrie et 1er Roi d'Irak / H. 72  cm  L 53 cm, 1919 (tableau), Ashmolean Museum,University of Oxford, UK  (tableau)

En novembre 1937,   à l'initiative de Shertok, est créé le Comité de Transfert de Population (Population Transfert Committee),  en conformité avec les résolutions du XXe Congrès sioniste.  Il sera dirigé par le directeur de la PLDC, depuis 1921, Yaacov Thon. Eliahu Manakhemovich Epstein (puis E. Elath, Eilat, 1903-1990), né en Ukraine, arrivé en Palestine en 1924,  et directeur du département Moyen-Orient pour l'Agence juive en 1934, en était le secrétaire.   Le 21 novembre, six jours après leur première réunion, Yosef Weitz (Yossef W, 1890-1972), directeur du Land Department au FNJ, émigré de Russie depuis 1908, principal architecte du transfert, expose son plan au Comité,  dont il est membre. Comme il s'agit  de transférer les Arabes tout en libérant des terres pour les cultures, il faudrait donner la priorité selon lui au transfert des paysans et de la population rurale palestinienne, même si le transfert des citadins paraît plus difficile que le leur. Comme "le transfert ne peut être assuré par la force car une telle force n'existe pas" rappelle Weitz, au vu du recul des Britanniques sur la clause de "transfert obligatoire", souligné par Ormsby-Gore, il leur fallait réunir des conditions politiques, chercher des accords internationaux entre les parties, assorties d'incitations économiques, pour être assurés la bonne marche de la migration arabe. Shertok, qui suivaient de près les discussions trouva des défauts au plan établi, en particulier, le principe de déplacer dès la première étape les petits paysans avec ou sans terre, ce qui risquait d'être une mesure contre-productive, provoquant le déplacement d'Arabes pauvres vers les nouvelles terres disponibles. 


Un point intéressant, typique de la mentalité de domination sioniste depuis le début, est alors soulevé par l'économiste Alfred Abraham Bonné (1899-1959), qui a étudié à Munich, s'est installé en Palestine en 1925, et qui était alors membre de l'Institut de Recherche Economique de l'Agence juive, dont il deviendra le directeur en 1943.  Bonné déclare donc, avec une hypocrisie rhétorique que nous commençons à bien connaître : ​

"Les arguments pour ou contre la contrainte doivent être énoncés en détail. Il est essentiel de ne pas abandonner facilement le proposition de « contrainte », qui n'a pas été suggérée par les Juifs mais par les Anglais. Il est cependant évident que nous ne parlons pas de « contrainte » au sens plein du terme,  intéressés que nous sommes, autant que possible, par la coopération, aidé par l'emploi de la coercition."   (Protocols of the Committee for Population Transfer, 21 Novembre 1937, S25/247, CZA). 

On ne sera donc pas surpris que le propre compte-rendu de Weitz révèle que Bonné, aussi bien que Bernard Joseph (2) voulaient utiliser la force pour réaliser une évacuation complète de la population arabe  (Journal de Weitz, p. 381, CZA).  On peut aussi citer Ussishkin, qui imagine "procéder au déplacement forcé grâce à la poigne anglaise et l'argent juif (...) vers la Transjordanie et non pas vers l'Etat arabe prévu." (Ilan Halevi, Le transfert des Palestiniens, une obsession centenaire,  Revue d’études palestiniennes, REP, n° 14, hiver 1998, p. 27).

Il faut aussi dire que Bonné, chargé d'étudier les aspects financiers et pratiques du transfert, avait déclaré qu'à "son avis, tous les Arabes devraient être déplacés dans les 10 ans" (op. cité).   

(2)  Bernard Joseph   :  plus tard, Dov Yosef (1899-1980),  avocat né au Québec, Canada, il a étudié à l'Université de Laval, de McGill, mais aussi à l'Université de Londres et émigrera en Palestine en 1918 et rejoindra le parti Mapai en 1933.  

Au début de l'année 1938,  Ben Gourion et Weizmann discutait d'un plan de transfert des Arabes du nord de la Palestine vers la Transjordanie  (Masalah, 1992).  Dans  le même temps, le Comité de Transfert de Population demandait aux autorités mandataires l'autorisation de copier l'ensemble des données de cadastre et d'impôts relatives à l'agriculture et aux propriétés foncières arabes, ce qui lui fut, sans surprise, accordé.  C'était une énorme tâche , nécessitant 20 personnes à plein temps pendant trois mois, concernant 400.000 terrains pour 400 villages.  Dans un mémorandum adressé à un comité d'action sioniste, Ben Gourion, toujours, proposera la même année avec enthousiasme de verser à l'Irak "dix millions de livres sterling en échange de la réinstallation de 100 000 familles arabes de Palestine en Irak." (B. Gurion, mémorandum du 17 décembre 1938, S25/7627, CZA). Une transaction du même ordre sera proposée quelques mois plus tard, par Philby (cf. 1e partie), alors conseiller du roi Ibn Saoud, par l'intermédiaire de son principal contact à Londres Lewis Namier, lui-même conseiller politique de l'Agence juive depuis 1938.  Namier organisa une réunion à Londres le 6 octobre 1939, entre Weizmann, Shertok et Philby, celui-là même, rappelons-le, qui avait embrassé l'islam et parlait de trahison à propos de la Déclaration Balfour : ​"Selon Namier, l’idée de Philby était que la Palestine « devait être entièrement aux mains des Juifs, vidée de sa population arabe, à l'exception d'une "Cité du Vatican" dans la vieille ville de Jérusalem. » En échange, les Juifs devaient soutenir le projet d’Ibn Saoud, visant à le placer à la tête d’une future fédération arabe. Selon Namier, toujours, Philby « suggéra également la somme de 20 000 000 £ pour Ibn Saud au cas où le projet serait exécuté dans son intégralité. » Weizmann avait répondu que si les sionistes étaient prêts à promettre des « avantages économiques », ils ne pouvaient pas faire de promesses politiques qu’ils n’avaient pas le pouvoir de tenir. Il a ajouté, cependant qu'un vif soutien américain à un tel projet pouvait être anticipé,  et qu’« il s’attendait à voir le président Roosevelt et obtenir de lui son soutien pour un projet d'une telle envergure. »"  (Masalah, 1992, citations de Letters and Papers of Chaim Weizmann, Vol. II, Series B, Paper 42, pp. 371-72. ). 


Illustration 3
Carte détaillée de l'occupation des terres par les  colons Juifs en  Palestine mandataire, colonies et villages. carte de Yosef Weitz et Zalman Lifshitz, pour le compte de l'Agence Juive. 1944

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“ Entre nous, il est absolument clair qu'il n'y a pas place pour les  deux peuples dans ce pays. Aucun « développement » ne nous rapprochera de notre objectif d’être un peuple indépendant dans ce petit pays. Après avoir transféré les Arabes, le pays nous sera grand ouvert ; avec les Arabes restant dans le pays, en nombre restreint et tenus à l'étroit, lorsque la guerre sera finie et que les Anglais finiront victorieux et lorsque les nations régnantes s'assiéront sur le trône de la loi, notre peuple pourra leur présenter ses pétitions et ses réclamations ; et la seule solution sera la Terre d’Israël, ou au moins la Terre occidentale d’Israël [c'est-à-dire la Palestine], sans habitants Arabes. Il n'y a de place pour aucun compromis sur ce point.  Le travail sioniste jusqu'à présent, en termes de préparation et d'ouverture de la voie menant à la création de l'État hébreu en Terre d'Israël, a été bon et a pu se satisfaire de l'achat de terres mais cela ne fera pas naître l'État : il doit se produire simultanément une sorte de rédemption (dans le sens messianique). La seule façon d'y parvenir est de transférer les Arabes d'ici vers pays voisins, tous, sauf peut-être ceux de Bethléem, Nazareth et de la vieille Jérusalem. Pas un seul village, pas une seule tribu ne doit être oublié. Et le transfert doit s'opérer par leur incorporation en Irak, en Syrie et même en Transjordanie. Pour atteindre cet objectif, on trouvera l'argent nécessaire –  beaucoup, s'il le faut. C'est alors, seulement, que le pays pourra intégrer des millions de Juifs et qu'une solution sera trouvée à la question juive. Il n'y a pas d'autre solution.”

​Yosef Weitz,  Journal, 20 décembre 1940, A 246/7,  pp. 1090-91, CZA. 

​“ Tout au long du voyage, mes réflexions se sont concentrées sur ce plan, auquel je réfléchis depuis des années ; le plan... de vider le pays pour nous y installer. Je connais le difficultés... mais seul le transfert de population permettra qu'advienne la rédemption ... Il n'y a pas de place à la fois pour nous et pour nos voisins... le développement est un processus très lent ....Ils [les Arabes] sont trop nombreux et trop enracinés [dans le pays]... le seul moyen est de  couper et de supprimer ces racines auxquelles ils se rattachent. Je pense que c'est la vérité... je commence à comprendre l’essence du « miracle » qui devrait se produire avec l'arrivée du Messie ; un « miracle » ne se produit pas au cours de l'évolution, mais tout d'un coup. en un instant... je vois les énormes difficultés mais cela ne doit pas nous détourner de notre objectif  ”

​Yosef Weitz,  op. cité, 26 juin 1941, pp. 1172-1173


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