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Les Arabes : “ bêtes du désert ”
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Ben Gourion n'attendra pas la publication du Livre Blanc pour réagir. Immédiatement après après l'échec de la Conférence de Londres, en mars, il appelle l'Exécutif de l'Agence Juive à abandonner la havlaga et à redoubler d'efforts pour accélérer et renforcer la défense des intérêts juifs. Il propose en particulier des actions de désobéissance civile et de non coopération (Hoffman, 1985 : 40). Aucun Juif ne devait participer à « des institutions gouvernementales destinées à mettre en œuvre le Livre blanc ». Les efforts d’immigration illégale devaient être accélérés et toute loi interdisant l'expansion et la consolidation du Foyer national, ignorée. Les fortifications juives dans toute la Palestine seraient renforcées, leurs armureries approvisionnées et les capacités de fabrication d'armes clandestines seraient développées. Enfin, toute tentative pour désarmer le Yishouv devrait trouver une opposition très ferme (op. cité) . L'ensemble du plan sera accepté par l'Agence dès le mois d'avril 1939.
Continuant son opération de séduction, MacDonald modifie son plan en limitant les transactions foncières entre Juifs et Arabes, propose un transfert progressif des compétences administratives aux habitants de la Palestine, amendements qui conduisent au nouveau Livre Blanc du 17 mai 1939, qui précède l'allègement des politiques répressives envers les Palestiniens et la libération d'un grand nombre de détenus arabes, évalués à 5679 (Weinstock, 2011). Dès le lendemain, cinq membres de l'AHC se réunissent autour d'Amin al-Husseini (F. Saba, Jamal al-H, H. al-Khalidi, I. Darwaza et A. Rock, mais quatre membres se désistent, en rupture avec les méthodes du mufti. Le petit groupe vote à l'unanimité le rejet du Livre Blanc, quand bien même les Arabes se retrouvaient enfin en position de force pour négocier avec les Britanniques la cessation de la politique du Foyer national juif. Benny Morris ou encore Nathan Weinstock pensent qu'Amin al-Husseini a fait manquer des opportunités aux Palestiniens pour des raisons bien égoïstes, car les propositions du Livre Blanc ne lui auraient pas permis de diriger lui-même le nouvel Etat (Benny Morris, "The Tangled Truth", The New Republic, article du 7 mai 2008 ; Weinstock, 2011, chapitre 6).
En réaction au Livre Blanc, l'Irgoun commence une nouvelle campagne de terreur contre les Arabes et la puissance britannique, mêlant bombes et attaques terroristes armées, à la mitrailleuse, en particulier. Elle défend sa cause comme tous les sionistes l'ont fait jusque-là, avec un attirail idéologique simpliste qui transforment les colons juifs en défenseurs d'une cause juste, se prenant même pour des révolutionnaires luttant pour la liberté de leur nation et proclamant prendre modèle sur l'IRA, Irish Republican Army (Archives du Jabotinsky Institute JI 4/15 K-4 Irgun Press, N° 1/5, août 1939).
1939
23 mai : 1 policier tué à Jérusalem.
29 mai : 18 personnes, dont 3 policiers britanniques blessés par l'explosion d'une mine au cinéma Rex de Jérusalem. 5 morts lors d'un raid à Biyar'Adas.
2 juin : 5 morts par une bombe à la Porte de Jaffa à Jérusalem. Sabotage par bombe de 21 centraux téléphoniques.
8 juin : Sabotage par bombe de la Poste Centrale de Jérusalem.
12 juin : 1 démineur mort en tentant de désamorcer une bombe dans un bureau de poste à Jérusalem.
16 juin : 6 morts dans différentes attaques à Jérusalem.
19 juin : 20 morts par explosifs cachés sur des ânes, au milieu d'un marché, à Haïfa.
29 juin : 13 morts dans des attaques rapprochées durant une heure autour de Jaffa.
30 juin : 1 mort par bombe sur le marché d'Haïfa.
2 personnes abattues à Lifta.
2 - 5 juillet : 31 opérations sur des marchés arabes, des cafés, des transports public ou des villages (Hoffman, 1985)
3 juillet : 1 mort par bombe dans un marché à Haïfa.
4 juillet : 2 morts dans deux attaques à Jérusalem.
20 juillet : 1 mort à la gare de Jaffa.
6 morts dans différentes attaques à Tel-Aviv.
3 assassinats à Rehovot.
26 août : 2 policiers britanniques tués par une bombe en bord de route,
Ralph Cairns et Ronald Barker, du département d'enquêtes criminelles (Palestine Police's Criminal Investigation Department, CID), l'Irgoun accusant Cairns d'avoir torturé plusieurs de ses membres (John, Robert, "The Palestine Diary : 1914-1945", BookSurge Publishing, 2006). Selon des dossiers du MI5 britannique, il semblerait surtout que Cairns, via un informateur de l'Irgoun appelé Benjamin Zerony, était en train de refermer une nasse sur un des leaders de l'Irgoun, Avraham Stern (Abraham S., 1907-1942), dit Yair, Polonais émigré en 1925 en Palestine, poète, qui anime des cellules combattantes en Pologne et des réseaux d'immigration illégale. Il devient officier combattant pour l'Irgoun en 1932 (Zev Golan, Free Jerusalem: Heroes, Heroines and Rogues Who Created the State of Israel, Devora Pub, 2003).
sources : List of Irgun attacks, article de Wikipédia
Jusque-là, la Haganah n'avait pas pratiqué des actes de sabotage, qu'elle initia au travers de Compagnies spéciales (Peulot Meyuhadot : POM), actives entre juin et septembre 1939 :
8 juin : Minage d'un patrouilleur qui permettait de lutter contre l'immigration clandestine.
1 mort (le commandant) et 5 membres d'équipage blessés.
13 juin : Représailles contre des assassinats de Juifs, en particulier le conducteur de locomotive Mordechai Shechtman. 5 habitants d'un village kidnappés et tués.
15 juin : 3 personnes assassinées et 3 blessées près de Lubya, en Galilée.
Le pire se produit dans leur lutte pour la défense de l'alyah B, alors que les Britanniques, qui avaient ouvert grandes les vannes de l'immigration juive en Palestine, les avaient refermées de la pire manière, établissant un blocus qui refoulait tout bateau de migrants, même en situation d'urgence. Voulant ainsi empêcher un paquebot français, le Patria, saisi par les Britanniques, de repartir vers l'île Maurice avec ses 1770 passagers, la Haganah manipula mal les explosifs posés sur la coque du navire, qui coula avec plus de 250 personnes, le 25 novembre 1940. Etaient entre temps arrivés le SS Pacific, le SS Milos et le SS Atlantic, en novembre 1940, dont les réfugiés furent en partie transférés sur le Patria, et que, finalement, les Britanniques enverront vers l'île Maurice. Pire, le Struma, dont les 769 passagers furent aussi interdits de débarquer, sera quant à lui torpillé en Mer Noire et sombrera avec presque tous ses passagers (Weinstock, 2011). Enfin, un des commandants du POM, Yitz’hak Sadeh (1), met en place de nouvelles unités spéciales, créées pour s'en prendre à des terroristes arabes, des dénonciateurs collaborateurs juifs, ou encore des objectifs britanniques.
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Ytz'hak Sadeh
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né Isaac Landoberg (1890-1952), en Russie (Lublin, Pologne actuelle), il combat pour l'Armée Rouge, puis Blanche de Wrangel, et émigre en Palestine en 1920. La même année il cofonde la Gdud Ha'avoda, qu'il commandera et entre au comité de la Haganah et au Conseil de l'Histadrout l'année suivante. Il participe à la défense de Jérusalem en 1921, à celle d'Haïfa en 1929, fonde la Nodedet (הנודדת : "Le Vagabond"), en 1936, une unité mobile de combat qu'il dirige avec Eliayu Cohen dit E. Ben-Hur (1907-1985), commandant de la Haganah.
En 1937, il crée et dirige avec E. Cohen, une unité d'élite appelée POSH (פו"ש) ou FOSH, acronyme de Plugot Sadeh (פלוגות השדה : "compagnie de terrain"), pour protéger les différentes colonies juives. En 1941, il crée (et commande jusqu'en 1945) des compagnies ou unités de chocs : Plugot Mahatz, par acronyme : Palmah, Palmach (פלמ"ח), en prévision d'attaques allemandes.
sources : Yehuda Wallach, Atlas du Sionisme à l'Indépendance, Jérusalem, Karta, 1972 ; Yoram Kaniuk, Exodus - A Commander’s Odyssey, Kibboutz HaMeuhedet Press, 1999.
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Une grève est lancée par le Vaad Leoumi au lendemain de la publication du Livre Blanc, le 18 mai 1939, et des manifestations de protestation sont très durement réprimées par la police britannique. Des Juifs saccagent des bureaux du gouvernement à Tel Aviv et à Jérusalem, mettant le feu au Département d'immigration, et la nuit suivante, la révolte se poursuit, pendant laquelle un policier trouve la mort et où 200 manifestants ont été blessés. De telles explosions de colère, où on pouvait voir des Juifs battre des soldats et des policiers britanniques étaient jusque-là inédites (Hoffman, 1985). Ben Gourion commenta ainsi les faits : "Les manifestations juives d'hier ont marqué le début de la résistance juive à la politique désastreuse désormais proposée par Le gouvernement de Sa Majesté." (ESCO [1] Foundation for Palestine, Inc., Palestine : A Study of Jewish, Arab and British Policies, II, New Haven, 1947). De son côté, l'Agence juive écrivait une lettre de protestation au Haut-Commissaire et déclarait que c'est "à l'heure la plus sombre de l'histoire juive que le gouvernement britannique propose de priver les Juifs de leur dernier espoir et de leur fermer la route qui conduit à leur patrie. C'est un coup cruel, d'autant plus cruel qu'il vient du gouvernement d'un grande nation qui a tendu une main secourable aux Juifs, et dont la position doit reposer sur des fondements d'autorité morale et de réputation internationale.... Les Juifs n'accepteront jamais qu'on leur ferme les portes de la Palestine, ni que leur foyer national soit reconverti en ghetto." (cité par Laqueur, 1969).
[1] ESCO : acronyme tiré du nom d'Ethel S. Cohen, épouse de Frank Cohen (1893-1959), philanthropes qui créèrent cette fondation en 1940 pour soutenir des projets sionistes en Palestine mandataire.
Les Juifs sionistes faisaient alors l'expérience qu'avaient faite les Arabes avec les Britanniques près de trente ans auparavant. Leur "amitié" n'était plus intéressante alors ils avaient cessé du jour au lendemain leurs manifestations de soutien, avaient publiquement montré qu'ils étaient de nouveau sensible aux préoccupations arabes. Ils le démontraient une nouvelle fois le 5 octobre 1939, quand des membres de la Haganah ont été surpris en plein entraînement, dans la région de la Basse Galilée, par un détachement de la Trans-Jordanian Frontier Force (TJFF). Voilà des hommes qui, à peine trois mois auparavant, appuyaient l'armée dans sa lutte contre la rébellion arabe, et qui se retrouvaient arrêtés pour détention illégale d'armes à feu, et condamnés de...dix ans de prison à la perpétuité pour leur commandant (Hoffman, op. cité). Livre Blanc en main, les Britanniques justifièrent leurs raisons de réduire à néant tous les petits arrangements entre (ex) amis. Cependant, beaucoup d'entre eux étant mobilisés en masse sur les théâtres d'opération de guerre contre l'Allemagne, ils n'avaient pas les ressources nécessaires pour désarmer efficacement l'ensemble des forces armés juives qui, d'autre part, ont continué de les appuyer contre les forces de l'Axe au Moyen-Orient. Ce qui n'a pas empêché l'incident du 16 novembre 1943, au kibboutz de Ramat Ha-Kovesh, près de Petah Tikva. A la recherche d'armes, l'armée britannique a connu une résistance acharnée des habitants. On déplora la mort de Shmuel Wolynetz et 14 blessés, tandis que 35 personnes ont été arrêtées ("מעשה התעללות בישוב העברי - התנפלות המשטרה על רמת הכובש". article de Davar, 28 novembre 1943). Dans son rapport, le commandant confia que malgré sa longue expérience de maintien de l'ordre en Irlande et en Inde, il n'avait "jamais été témoin d'une réaction si violente et si fanatique" (PRO [Public Record Office] WO 208/1702, Rapport du Brigadier I. C. Cameron, novembre 1943). Voulant éviter des rébellions juives et manquant de troupes, le Haut-Commissaire Sir Harold MacMichael et le commandant en chef des Forces britanniques terrestres au Moyen-Orient (MELF, Middle-East Land Forces), le General Sir Henry Maitland 1er baron Wilson (1881-1964), décidèrent ensemble de suspendre alors toutes recherches d'armes ou de déserteurs dans les colonies juives (Hoffman, op. cité).
Dès 1940, l'Irgoun s'engage à respecter une trêve, mais des voix dissidentes se font entendre et veulent continuer la lutte contre les Anglais. En août, ils constituent un nouveau groupe paramilitaire appelé Lehi (Lohamei Herut/Herout Israel, לוחמי חירות ישראל : "Combattants pour la liberté d'Israël"), surnommé le Groupe Stern, du nom d'Avraham Stern, qui le dirigera jusqu'à sa mort, le 12 février 1942, tué par les forces britanniques. A. Stern décrivait les Arabes comme des "bêtes du désert, et non un peuple légitime" (cité par Amos Perlmutter, The Life and Times of Menachem Begin, New York, Doubleday and Company, 1987, p. 212). Il affirmera aussi : "Les Arabes ne sont pas une nation mais une taupe qui a grandi dans la sauvagerie de l'éternel désert" (cité par Yosef Heller, “Between Messianism and Realpolitik-Lehi and the Arab Question, 1940-1947," dans Yahdut Zemanenu ["Judaïsme contemporain"], revue annuelle éditée par Israel Gutman, Vol. l, 1984, p. 225).
L'ordonnance du 28 février 1940, la Land Transfer Regulations ("Règlements sur le transfert des Terres"), fait fulminer les colons juifs de Palestine. Divisant la Palestine en trois zones, la plus vaste (zone A) interdit tout transfert de terre à toute personne qui ne soit pas "Arabe palestinien", sauf exceptions autorisées par le Haut-Commissaire. La deuxième zone (zone B), permettaient seulement aux "Arabes palestiniens" de transférer des terres entre eux et, dans la troisième (zones C), il n'y avait aucune restriction sur les transferts de terres (The Question of Palestine, "Origins and Evolution of the Palestine Problem : 1917-1947 (Part I)", Publication des Nations-Unies, 1978).
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Fermement condamnée par la communauté juive de Palestine, l'ordonnance de février est dénoncée au nom de la discrimination et du racisme : "L'effet de ces Règlements fait qu'aucun Juif ne peut plus acquérir en Palestine un terrain, un bâtiment ou un arbre, ou tout droit sur l'eau, sauf dans les villes et dans une très petite partie du territoire. Les Règlements refusent donc aux Juifs l’égalité devant la loi et introduisent une discrimination raciale. Ils confinent les Juifs dans une petite zone de peuplement semblable à celles qui existaient dans la Russie tsariste avant la dernière guerre, et comme il n’en existe aujourd’hui que sous le régime nazi. Ils ne violent pas seulement les termes du Mandat mais invalident complètement son objectif principal." (Palestine Post, 1940, cité par Orzeck, 2013)
De nombreuses voix du Yishouv se font entendre sur le même ton, venant pourtant toutes de personnes et d'organisations qui ont tout fait depuis le début de la colonisation pour établir une ségrégation la plus stricte possible entre communauté arabe et juive, nous l'avons vu. Jusqu'aujourd'hui, les sionistes ne cesseront, comme il a été montré jusqu'ici, de défendre leur point de vue uniquement de manière autocentrée et ethnocentrique. Pour le cas qui nous occupe, c'est un peu comme si tous les colonisés du monde avaient été traités de racistes par leurs colonisateurs pour avoir empêché leur emprise et leur appropriation toujours plus grandissante de leur pays. Cette position traduisait en fait l'affirmation idéologique de toujours des sionistes : Les Palestiniens n'avaient pas plus de droits sur la Palestine que les Juifs." Et c'est exactement sur les mêmes bases idéologiques implicites que Ben Gourion défendra, nous le verrons, le point de vue sioniste devant la United Nations Special Commitee on Palestine (UNSCOP, "Comité spécial des Nations unies sur la Palestine"), en 1947. Les dirigeants travaillistes du Yichouv vont alors initier des grèves et des meetings contre le gouvernement britannique, des manifestations, aussi, si déterminées que les autorités finissent par imposer un couvre-feu. Ce qui n'empêche pas le Yichouv de se mobiliser volontairement et massivement du côté des forces alliées contre le nazisme, au sein du "régiment palestinien" (Palestine Regiment), formés en 1942 sous commandement britannique, comportant 30.000 Juifs (dont 4000 femmes) et entre 5000 et 12.000 Arabes : Palestiniens, Syriens, Libanais, Transjordaniens (Morris, 1994 ; Weinstock, 2011). Malgré les demandes juives, les Britanniques refuseront jusqu'en 1944 la création d'une brigade juive, défendue en particulier par Shmuel Mikunis (Mikounis, 1903-1982), le secrétaire général adjoint du Parti communiste depuis 1936). Dès 1940, existaient cependant des brigades juives rattachées à l'East Kent Regiment dit "Buffs", mais elles n'avaient pas de missions de combat et étaient affectées à la sécurité, au gardiennage ou à l'escorte (The Central Zionist Archives, The Jewish Palestine Buffs) Des dirigeants d'organisations terroristes juives sont libérés pour former des unités de choc au service des Alliés, comme David Raziel, qui perdra la vie le 20 mai 1941 sous un bombardement par la Lutwaffe de la base aérienne de Habanya (Weinstock, 2011) ou encore Moshe Dayan, de la Haganah, qui perdra un œil en Syrie dû au tir d'un sniper français, des forces de Vichy, alors qu'il guidait les forces australiennes, en juin 1941 (Yehuda Harel, Follow me: the story of Moshe Dayan: Tel-Aviv, Olive books, 1972). Là encore, toute cette expérience militaire accumulée par de nombreux militaires du Yichouv deviendra cruciale quand il s'agira de combattre les forces militaires arabes.
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