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Billet de blog 16 avril 2024

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LE LIVRE NOIR DU SIONISME (XXIV), Communistes juifs et arabes, même combat ?

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Communistes  juifs et arabes, même combat ?    

Pendant les années de la deuxième guerre mondiale,  la communauté palestinienne va taire toute agitation, demeurant "sourds, en particulier, aux appels à la révolte lancés par le mufti Amine El-Husseini."  (Perrin, 2000). Ce dernier ira participer à la révolte contre les Britanniques en Irak, avant de se réfugier en Allemagne où, cela a déjà été dit, il parviendra à rencontrer le führer pour tenter d'obtenir son soutien à la cause de l'indépendance arabe. Rencontre unique qui restera sans lendemain (op. cité).  De son côté, le Reich organisera une propagande massive à destination du Maghreb et du Moyen-Orient, non sans la collaboration d'un certain nombre de représentants du nationalisme arabe, principalement au moyen de la radio, bien plus efficace pour atteindre un large public encore très peu alphabétisé  :  "Cette collaboration produisit une remarquable osmose entre le national-socialisme, le nationalisme arabe radical et l’islam militant. Cette rencontre des cœurs et des esprits entre les exilés arabes pronazis et les fonctionnaires du régime nazi produisit une propagande en langue arabe qui arrivait sous la forme de plusieurs dizaines de millions d’exemplaires de tracts ou de milliers d’heures d’émissions de radio quotidiennes en ondes courtes à destination de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient."  (Herf, 2016). Cependant, là encore, comme dans beaucoup d'articles sur le sujet,  Herf n'illustre son propos qu'au travers du sempiternel épouvantail du mufti Amin al-Husseini. Mais on parle beaucoup moins des mouvements de gauche autant nationalistes qu'antiimpérialistes et antifascistes dont la "Palestine était l’un des centres de la riche tradition de publication de gauche, de publications prolétariennes de langue arabe sur le syndicalisme et l’anti-impérialisme. Parmi ces publications, on trouvait : al Nafir (basé à Haïfa), Ella Al Amman (organe du CC/PCP), Majalat al-Ummal (le journal ouvrier)."   (Edna Bonhomme, entretien donné à Contretemps le 7 février 2018, "Panarabisme et internationalisme. Entretien avec Edna Bonhomme" ).  Et ne parlons pas des nombreuses actions des communistes palestiniens contre le fascisme, tels Rafik Jabour (1888-1927), du parti communiste égyptien devenu journaliste pour Falastin, ou Hamdi Husseini, membre de la ligue contre l'impérialisme et de réseaux antifascistes. Avec la nomination, en 1934, de Radwan al Hilu (Hilou, Helou, dit Musa, Moussa, 1910-1975), au poste de secrétaire général, c'est la première fois qu'un Arabe prenait la tête du Parti communiste palestinien, nommé par Moscou, tout comme ceux qui l'avaient précédé, sans parler de la ligne de conduite politique, sans cesse ajustée par le Komintern  (Budeiri, 2012). Cependant, malgré l'arabisation progressive du parti, les militants juifs seront largement plus importants en nombre que les militants arabes, et ce jusqu'à la disparition du parti en 1943, et ceci malgré la désaffection prononcée des Juifs du parti, due à la politique d'arabisation à outrance.  Les traits particuliers de la colonisation de peuplement n'étaient perceptibles ni au parti, ni au Komintern, pour qui l'impérialisme se manifestait toujours par une puissance coloniale investissant un territoire avec ses propres forces matérielles et humaines. Ainsi, à leurs yeux, "les immigrants juifs ont acquis des droits égaux à ceux des habitants indigènes à leur arrivée dans le pays (op. cité), alors que, dans le même temps  "le parti s’était opposé aux efforts sionistes pour établir un État juif en Palestine, avait qualifié les sionistes d’agents impérialistes britanniques et avait appelé à l’indépendance, approuvant en fait l’appel à un État arabe palestinien indépendant."  (op. cité).  On le voit, le PCP avait beaucoup de mal à surmonter ses contradictions : "Pour les travailleurs juifs, il parlait le langage de la lutte des classes, pour les Arabes le langage de l’anti-impérialisme. Il s’est déclaré dans le camp anti-impérialiste, ce qui a l'a conduit à s'aliéner une partie importante des membres juifs du parti. La Grande-Bretagne était l’ennemi principal, et pas seulement pour des raisons d'intégrité idéologique, mais aussi en tant que reflet des réalités de l’intérêt national soviétique. C’est ce qui ressort clairement du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939. Le parti a refusé de soutenir la guerre (une tactique populaire parmi les Arabes, mais inacceptable pour l’écrasante majorité des habitants juifs) et a souffert de la politique répressive des autorités britanniques." (op. cité).  En octobre 1935, le PCP appelle à une campagne internationale pour stopper le fascisme en Ethiopie. En 1936, certains se joignent aux Brigades internationales qui luttent aux côté des républicains espagnols, tels Ali Abdel Khaleq Al-Jibaoui, membre du comité central, mort au combat en Espagne, ou encore Najati Sidqi, du secrétariat du parti (Maher al-Charif, "Les communistes arabes et la lutte contre le fascisme et le nazisme (1935-1945)",  article de la revue Orient XXI,  26 septembre 2016).   

Le PCP n'a cependant pas échappé, comme les syndicats de travailleurs, à une pénétration des idées sionistes. En 1937, alors que Radwan Hassan al‑Hilu, était emprisonné, fut mise en place la "Section juive" par son adjointe Simha Tzabari (Simcha T.) et Farjallah al-Hilu, dirigeant du Parti communiste libanais, envoyé en renfort. On désigna Hanoch Brozaza (dit Zaken, "Le vieil homme", 1910-1964), arrivé en Palestine en 1928, comme secrétaire de la Section, pour en réorienter les activités , dans le sens de la reconnaissance de l'existence de "cercles progressistes au sein du sionisme" et de l'application d'un "entrisme" vis-à-vis des organisations sionistes."  (Budeiri, 1977).  Par ailleurs, S. Tzabari, rédactrice en chef du nouveau journal du parti, Kol Haam (K. Ha'am, "La Voix du Peuple") ayant été arrêtée en juin 1938, Brozaza en prit la direction. 

Pour la Section juive,  l'entente entre Juifs et Arabes impliquait l'acceptation de l'immigration juive, la constitution d'une nation juive, une propagande  au seuil de la population arabe en faveur du recrutement pour l'armée britannique, autant de prises de positions condamnées par le parti, qui dissout la Section en décembre 1939.  Par ailleurs, le parti dissout aussi le groupe syndical du parti au sein d'Histadrout, appelé Fraktzia ("Fraction"), créé en 1922 pour tenter de radicaliser de l'intérieur l'organe sioniste, et qui n'avait produit aucun résultat encourageant.  La Section juive poursuivra son activité  dissidente en publiant clandestinement, à partir de juin 1940, un bulletin intitulé Dapei Spartakus ("Les Pages de Spartacus"), puis un journal, HaEmeth (Ha'emeth),  "La Vérité", premier journal journal  socialiste hébreu, publié à Vienne.  Avec l'invasion de l'Union soviétique par les armées du Reich, le PCP entame son autocritique à la fois sur le sujet de sa non  participation  à l'effort de guerre allié et sur son ferme soutien au mufti,  ce qui estompe les principales divergences de vues d'avec le groupe Haemeth, qui réintègre les rangs du parti en juin 1942  (Weinstock, 2011).  En 1943, plusieurs évènements  précipitent la scission définitive des deux camps principaux du Parti communiste palestinien.  A propos de la Brigade juive qui se constitue bientôt,  Mikounis parle de renforcement de l'effort de guerre, quand Moussa et ses partisans évoque une force armée en devenir au service des sionistes.  Le 1er mai 1943, le comité central piloté par Moussa appelle à une manifestation séparée de celle de la Histadrout,  qui encourage ensuite la grève des travailleurs des camps militaires britanniques (cf. plus bas), quand Moussa s'y oppose. L'aile arabe du parti réclame que ce dernier devienne le "Parti National arabe", poussant l'aile juive à faire sécession, en dépit de sa critique du sionisme.  Restant sous la bannière du PCP, les communistes juifs tiennent leur IXe congrès en 1944 sans les membres arabes, dynamisés par l'énergie du couple formé par Meïr Vilner (né Ber Kovner, 1918-2003)  qui émigre en Palestine en 1938, et  sa compagne Esther Vilenska (Wilenska, Wilanska, née E. Novik/Novak, 1918-1975), tous deux originaires de Vilnius, en Lituanie et passés par Hashomer Hatzair et explorant une ligne politique qui se voulait équitable pour les deux communautés du pays : 

"La création d’une république démocratique indépendante garantira une pleine égalité de droits à la minorité juive"  (M. Vilner, Kol HaAm, 11 mai 1944)

​"Le caractère exclusivement arabe du pays s’est effectivement modifié, d’une part dans la composition de la population, et d’autre part dans son économie. La Palestine est aujourd’hui binationale. Voilà le changement historique en cours (…), d’où, s’agissant de notre politique, des conclusions à long terme" (M. Vilner, cité par Shmuel Dotan, dans "Adumim b’erez Israel" (Les Rouges [Communistes] en Eretz Israel",  Kfar Saba, Shevna Hasofer Publishers, 1991). 

​Le IXe Congrès se prononcera sur "« un État arabo-juif » indivisible qui « doit être fondé sur le principe d’égalité des droits, sans distinction de race, de nationalité, de religion ni de genre, et donc sur le principe d’égalité de droit national des Juifs et des Arabes à un développement national, économique et culturel libre ». Un an plus tard, en 1946, lors du Xe Congrès, il sera finalement décidé que « la Palestine est un pays binational »"  (Shlomo Sand, Deux Peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme, Paris, Seuil, 2024)

Les principaux leaders des communistes arabes hostiles à la conduite politique du secrétaire du Parti, Radwan Hassan al-Hilu, se groupent quant à eux autour de quelques leaders : 

​- Bulus Farah (Bulos F,  1910-1991),  ouvrier ferroviaire, syndicaliste qui prend part au premier Congrès des travailleurs arabes (First Arab Workers' Congress) en 1930, fréquente de 1934 à 1938 l'école du Komintern à Moscou, puis connaît des frictions avec Moussa, puis la dissidence, exclu du parti car soupçonné d'avoir mené la police à l'imprimerie secrète du parti   (Budeiri, 1977).  Avec d'autres intellectuels insatisfaits de la conduite du parti il crée le journal Al-Ghad  ("Demain") et le Movement to reform the Arab Village  (op. cité).   

​- Tawfik Toubi (T. Tubi, dit Abu Elias, 1922-2011),  de famille chrétienne orthodoxe, qui effectuera  le second plus long mandat de député (communiste) à la Knesset  de 1949 à 1990 (42 ans).

​- Emil Tuma (Emile Touma, 1919-1985), d'une riche famille, elle aussi chrétienne orthodoxe, qui interrompt ses études à Cambridge en 1939 pour rejoindre le parti communiste palestinien dans la clandestinité (Emile Touma,  Interactive Encyclopedia of  the Palestine Question).  

​Les trois amis créent en 1942, du Club des "Rayons de l'Espoir" (Shua al‑Amal, Rays of Hope) à Haïfa, faisant le pont entre les ouvriers des raffineries de pétrole de la région et la Ligue des intellectuels arabes de Palestine (1941). Le Club sera finalement remplacé par la  Fédération des Syndicats et sociétés ouvrières arabes” (“Federation of Arab Trade Unions and Labour Societies” (FATULS), qui "gagna l'adhésion de syndicats de différents grands sites de la région de Haïfa (dont l'Iraq Petroleum Company, les Consolidated Refineries qui venaient d'entrer en service, et les installations de la Shell Oil Company, ainsi que des Ateliers navals, des Organismes de Travaux publics et des camps militaires), mais aussi ailleurs, notamment à Nazareth. Vers la fin de l'année, le Département du travail britannique estimait que la FATULS comptait environ 1000‑1500 adhérents, comparé à l'effectif de la PAWS au plan du pays, d'environ 5000, et le nombre de cotisants à la PLL généreusement évalué à 500. Quant au Parti, il condamna cette "activité scissionniste" et continuait à appeler les ouvriers arabes à s'organiser dans la PAWS."  ("Le mouvement communiste en Palestine 1919‑1949"). 

Comme le Congrès des travailleurs arabes, la FATULS sera chapeautée politiquement par le mouvement politique que le groupe communiste crée en 1944,  la Ligue de Libération Nationale de Palestine, LLN (National Liberation League in Palestine, NLL, uṣbat at-taḥrīr al-waṭaniyy fi filasṭīn). Tous les organes du mouvement bénéficieront des colonnes d'un nouveau journal pour s'exprimer, al-Ittihad, "L'union", fondé  la même année, en particulier par E. Touma, Emil Habibi (Emile H., 1922-1996), romancier et homme politique du milieu  chrétien orthodoxe, qui dirigera le journal de 1948 à 1990,  Tawfik Toubi, qui en sera le rédacteur en chef, ou encore, Fouad Nassar (Fu'ad N., 1914-1976), fils d'instituteurs syriens arrivé enfant en Palestine et activiste  politique depuis l'âge de quinze ans, depuis les soulèvements d'al-buraq en 1929, jusqu'aux combats contre la monarchie irakienne soutenue par les Britanniques, dans le mouvement appelé Rachid Ali al-Gaylani (Carré d’or), en passant par les révoltes de 1936-39, où on lui donna le nom de guerre d'Abou Khaled. Il connaîtra plusieurs fois la prison ou la résidence surveillée à Jérusalem ou Acre, en particulier  (Fouad Nassar,  Interactive Encyclopedia of  the Palestine Question). 

La Charte nationale adoptée par la NLL énumère différents règlements, engagements ou objectifs qui, ajoutés à ses orientations idéologiques, présentent des caractères plus ou moins contradictoires :

​- constitution d'un "gouvernement démocratique garantissant les droits de tous les habitants sans distinction"

- opposition à l'immigration, aux transferts de terre et à la création d'un Etat juif

-  admission au mouvement des seuls citoyens arabes

-  "distinction entre sionisme et habitants juifs"

-  soutien à l'économie nationale dans la lutte de la libération nationale​

Du côté de ses orientations politique, il faut évoquer l'affirmation d'une compatibilité entre marxisme et islam, et même la recherche de principes religieux islamiques venant  appuyer la doctrine communiste. Pour toutes ces raisons, Emil Touma, propriétaire d'Ittihad, ouvre le bal dans le premier numéro de son journal, paru le 14 mai 1944, qui cite en guise de titre une partie du verset 17 de la sourate Al-Ra'ad ("Le Tonnerre") tirée du Coran, disant : "L’écume disparaît après avoir été rejetée, tandis que ce qui est utile aux hommes demeure sur la terre".  Ou encore, la lettre célébrant la troisième année du journal, le 1er mai 1946, écrite par Emil Habibi, cette fois, cite les propos du deuxième calife, Omar ibn al-Khattâb (584-644), qui aurait juré devant le dieu de la Kaaba (lieu saint de la Mecque) conduire la nation musulmane sur une voie paisible  (Shehadeh, 2019).   Une autre fois encore, dans un bulletin du 8 juin 1944, le journal évoquait une lettre où des représentants musulmans d'Arménie, d'Azerbaïjan et de Géorgie affirmaient leur loyauté commune au "maréchal Staline" en appelant à rejoindre l'Armée Rouge, dans sa "guerre sainte" contre Hitler et les Nazis  (Shehadeh, 2019).   


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