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Sortie Blu-ray : L'État des choses de Wim Wenders
C’est à sa manière que Wim Wenders, le cinéaste des personnages de l’errance, réalise son 8 1/2 (1963) de Fellini : non pas autour d’une crise d’inspiration mais plutôt du conflit avec une industrie hollywoodienne qui a du mal à digérer le cinéma indépendant européen. Précisément, Wim Wenders réalise ce film au moment où son projet d’hommage explicite au film noir Hammett est mis en grande difficulté en raison de son producteur intrusif Coppola.
Pour parler de ses tourments, Wim Wenders reprend l’essence de son cinéma basé sur la capacité de ses personnages qui se retrouvent dans un moment de leur vie entre parenthèses à générer par leur errance intérieure une véritable histoire. Il fallait bien à Wenders ce retour à des éléments simples et indépendants de cinéma pour dépasser les déceptions de sa production en cours.
La réalisation de L'État des choses (Der Stand der Dinge, 1982) a été d’autant plus efficace et satisfaisante que cela lui a permis de continuer à réaliser en allant jusqu’à la consécration du film culte qu’est Paris, Texas (1984). Ici, tout commence avec un film de science-fiction apocalyptique en Noir & Blanc filmé avec une grande rigueur laissant un temps croire qu’il s’agit réellement du film attendu de Wenders, attestant que réalité cinématographique et cinéma du réel se conjugue infiniment chez lui. Il s’associe pour l’occasion à l’écriture de son scénario avec Robert Kramer, un autre cinéaste indépendant inspiré par l’errance cinéphilique et qui a droit à une apparition au sein de l’équipe technique. De la même manière, le réalisateur Samuel Fuller incarne un rôle déterminant dans l’intrigue puisque c’est par lui que la fin momentanée du tournage est annoncée et que le réalisateur Friedrich Munro est dès lors invité à entrer dans une nouvelle fiction du réel diégétique.
La démarche en hors champ du film est elle-même fascinante puisque Wenders qui arrive avec de la pellicule pour que le tournage de Raoul Ruiz à Lisbonne sur son film O Territorio puisse se poursuivre, donne l’envie à Wenders de tourner son propre film en invitant les interprètes de Ruiz à jouer dans les mêmes lieux mais dans sa propre fiction sur le tournage d’un film empêché. Ainsi le dialogue avec entre ce qui se passe devant et derrière la caméra est infini et le récit qui se termine comme un polar se trouve volontairement contaminé par l’aspect monstrueux de la production hollywoodienne considérée comme un milieu gangrené par la mafia. Quant on connaît le lien de Coppola avec la mafia pour réaliser son Parrain, le message de Wenders n’a dès lors rien d’anodin.
L’abstraction initiale du titre invite là encore à une plongée métaphysique autant que métacinématographique, où le support scénaristique comme contrat de travail avec toute une équipe tout autant que le contrat passé avec le public du film dans son ensemble sont tout autant interrogés avec une fascinante dextérité, alors que l’errance sans mots du réalisateur Friedrich Munro, non sans évoquer phonétiquement Friedrich Wilhelm Murnau comme figure tutélaire originelle du cinéma allemand, devient par la construction même des plans hyper explicites une narration ineffable. Littéralement, l’état des choses est à la base du scénario comme une volonté de toucher à l’essence humaine sans jamais l’enfermer dans un cadre scénaristique à l’inverse des financeurs mafieux prêts à tuer pour satisfaire leurs instincts prédateurs comme métaphore du danger qui plane sur le cinéma indépendant.

L'État des choses
Der Stand der Dinge
de Wim Wenders
Avec : Patrick Bauchau (Friedrich Munro), Allen Garfield (Gordon), Isabelle Weingarten (Anna), Rebecca Pauly (Joan), Jeffrey Kime (Mark), Geoffrey Carey (Robert), Camilla More (Julia), Alexandra Auder (Jane), John Paul Getty III (Dennis), Viva (Kate), Samuel Fuller (Joe), Artur Semedo (le producteur), Francisco Baião (le responsable son), Robert Kramer (le cadreur), Roger Corman (l’avocat), Gisela Getty (la secrétaire), Monty Bane (Herbert), Janet Graham (Karen), Judy Mooradian (la serveuse), Adelaide João (le Texan dans le bar), Wim Wenders (un passager du tram)
Allemagne, Portugal, USA – 1982.
Durée : 123 min
Sortie en salles (France) : 20 octobre 1982
Sortie France du Blu-ray : 7 octobre 2025
Format : 1,66 – Noir & Blanc
Langue originale : anglais - Sous-titres : français.
Éditeur : Carlotta Films
Bonus :
Entretien avec Wim Wenders par Roger Willemsen (2001, 18’07”, VOST)
Scènes coupées (27’50”)
Bande-annonce originale (3’33”, VOST)
Autres films de Wim Wenders :
2023 : Anselm. Le Bruit du temps (Anselm - Das Rauschen der Zeit)
1984 : Paris, Texas
1972 : L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty (Die Angst des Tormanns beim Elfmeter)