à l'origine de ce blog se trouve le projet de suivre un mouvement particulier, l'EI (ISIS ou Daech) identifié il y a un an comme une rupture militaire et stratégique majeure.
Mais l'étude de l'EI oblige à étendre régulièrement le point de vue, englobant les guerres en Syrie, en Iraq (et prochainement la Libye), mais aussi toute la situation géopolitique du Proche-orient. C'est ce qui a été fait ici le 13/04, le 14/05, le 01/06, le 07/06 (pour Israel et le Hamas), et le 12/09 pour l'escalade du conflit syrien et la contagion aux zones voisines.
Ce week-end du 17-18 octobre 2015 a été symbolique de l'embrasement lent mais inexorable de tout le Proche-orient, qui est incontestable, par une conjonction d'évènements dans toute la région.
- Israël et Palestine : vers une troisième Intifada :
Rappelons que la situation en Palestine n'est toujours pas réglée depuis maintenant plus de 65 ans, et qu'elle demeure de ce fait explosive et prompte à s'embraser.
Dans ce contexte de très haute inflammabilité, la résonance des crises syriennes et égyptiennes, et plus globalement de l'irruption depuis l'été 2014 dans le grand jeu du Proche orient de l'EI, ne pouvait qu'aboutir à une nouvelle crise, avec de nouvelles explosions de violences.
Le feu aux poudres a été mis par plusieurs incidents successifs liés à la montée des tensions religieuses pour l'utilisation de l'esplanade de la mosquée d'Al-Aqsa, que les juifs ultras souhaitaient pouvoir emprunter pour prier et que les palestiniens voulaient défendre (le Statu quo interdit aux juifs d'y prier mais leur permet d'y passer). Suite à de précédents incidents, un groupe de palestiniens s'appelant les "Mourabitoun" s'est ainsi constitué pour défendre la mosquée et son esplanade (le mont du temple des juifs, et le Haram al-Sharifs pour les musulmans). De nouveaux incidents ont eu lieu dès juillet 2015, mais c'est en septembre, après que ce groupe a été déclaré illégal par le gouvernement israélien le 12/09, à la veille du début des fêtes juives de Roch Hachana que les heurts se sont aggravés, amenant la police israélienne à envahir à plusieurs reprises la mosquée d'Al-Aqsa.

un portique de sécurité à l'entrée de la vieille ville de Jérusalem
Le contexte de fortes pressions dans les régions voisines, et l'existence depuis le début de l'année de groupes jihadistes affilié à l'EI dans les territoires de Gaza a conféré à ces évènements, un effet de déclencheur de la crise.
Tous les territoires occupés (Jerusalem-est, Cisjordanie, Gaza, etc.), asphyxiés depuis des années, se sont donc soulevés, dans des mouvements d'attaque des colons israéliens, de la police.
Depuis deux semaines, le bilan est de 42 palestiniens et 7 israéliens tués, et le cycle des attaques /vengeances c'est à nouveau inexorablement enclenché, dans un contexte rendant difficile une solution :
côté palestinien, les autorités traditionnelles (Hamas - Fatah) sont contestées par une nouvelle génération, nourrie de la guerre depuis leur naissance, mais aussi séduite par les nouvelles technologhies et l'EI,
côté israélien, le gouvernement est mis sous pression par les extrêmistes ultra-orthodoxes, qui ont provoqué les incidents et qui n'hésitent pas à intervenir dans les violences pour attaquer les palestiniens, dans une société littéralement assiégée (la guerre est au Sinaï et en Syrie) et prise en otage par les extrémistes.
La spécificité de cette troisième Intifada qui commence est l'irruption de l'EI, qui après avoir constitué des groupes jihadistes à Gaza, après avoir conquis des territoires dans le Sinaï, cherche maintenant à récupérer les violences en Palestine afin de reprendre le devant de la scène médiatique et jihadiste.
La guerre en Syrie, et l'intervention russe, ont en effet fortement réduits le "hallo médiatique" dont bénéficiait l'EI, qui ne parvient plus à conquérir de nouveaux territoires (et subit même quelques revers tactiques, certes réduits, en Iraq et en Syrie).
Au départ, l'EI a tenté de maintenir son "aura" en multipliant les vidéos choquantes d'exécution (par exemple récemment de chrétiens assyriens), avec de nouveaux raffinements (le corps d'un prétendu espion a été filmé traîné vivant par un véhicule à même le sol en Libye).
Mais, il semble que ces vidéos ont perdu de leurs effets, comme les destructions de vestiges antiques à Palmyre début octobre, complètement passés sous silence dans les médias.
Souffrant ainsi de la concurrence médiatique des rebelles jihadistes et non-jihadistes qui affrontent les forces pro-Assad, les chiites et les Russes en Syrie, l'EI cherche à revenir sur le devant de la scène, et à regagner une légitimité chez les sunnites, en récupérant les évènements en Palestine.
En quelques heures le 18/10, ce ne sont pas moins de 5 vidéos de l'EI ont été diffusées appelant à des attentats et des attaques au couteau contre les Israéliens :

capture d'écran de la première vidéo publiée par l'EI sur la Palestine
Ces vidéos émanent de différentes Wilayat en Syrie et en Iraq.
Il s'agit d'une inflexion importante puisque l'EI se distinguait jusque-là par une stratégie orientée prioritairement contre les ennemis proches (chiites, apostats...) et les déclarations contre les croisés ou les sionistes restaient plus de la réthorique globale que d'une priorité stratégique (ce qui n'excluait pas l'organisation d'attentat en Europe évidemment).
Désormais, la stratégie de l'EI s'oriente vers l'ennemi plus lointain, ce qui implique de déployer vers la Palestine des moyens jusque-là dédiés à l'extension du Califat,et des zones sous contrôle.
Il ressort donc de tout cela que les autorités et mouvements établis n'ont plus aucun contrôle sur les violences, qui sont la conséquence d'un nouveau pic de haines inter-communautaires, alimenté par tous, aggravé par les tensions régionales et enflammé par un incident évitable.
La perte de contrôle des jeunes palestiniens par le Fatah et le Hamas est flagrante et ouvre un champ d'intervention de l'EI.
Cette troisième Intifada va se matérialiser par des violences intercommunautaires échappant aux décideurs politiques en place, des attaques aveugles de roquettes et des attaques individuelles au couteau.
Elle va surtout matérialiser l'implantation de l'EI en Cisjordanie (qui vient d'annoncer la constitution d'un groupe, les "fils d'Aicha" - à confirmer).

capture d'écran d'une vidéo de l'EI appelant à des attentats antijuifs.
- l'Egypte : la descente aux enfers continue :
Tandis que les opérations anti-guérillas des forces de sécurité égyptiennes ne parviennent pas à réduire les zones contrôlées par l'EI au Sinaï, la Wilayat Sinaï, qui s'etendent même au Nil et à la région à l'ouest de la vallée du Nil, il ya avait dimanche un scrutin législatif, le premier depuis le coup d'état du général Sissi.
Les attaques se succèdent sur toute l'Egypte, tandis que la répression organisée par les services de sécurité égyptiens, de plus en plus débordés (et affaiblis depuis la chute de Moubarak), se montre à la fois maladroite (par exemple la mort de touristes mexicains dont le véhicule, confondu avec celui de jihadistes, a été attaqué à la roquette par des hélicoptères de la police) et mal dirigée (les salafistes sont moins visés par les arrestations arbitraires que les frères musulmans, qui n'ont pourtant aucun lieu avec l'EI).
Alors que les arrestations arbitraires et les détentions au secret se multiplient (on les évalue à 15.000 depuis la prise du pouvoir), et que les attentats ne cessent, qu'une partie du territoire échappe aujourd'hui au contrôle du pouvoir de Sissi, le scrution législatif qui commence est d'ores et déjà contestable (tout candidat d'opposition a été écarté) et surtout les premiers résultats montre une très faible participation (même si le scrutin de dimanche ne concernait que les province du sud et de l'est, en partie non contrôlées et faiblement peuplées).
Le pari de Sissi de faire valider sa prise de pouvoir par un suffrage semble donc compromis, même si les résultats laissent peu de place au doute dans ce contexte.
En Egypte aussi, la crise et l'engrenage attentant/répression est enclenché, et risque de ne pas cesser, alors que le pays s'enfonce dans la crise économique (avec un secteur touristique sinistré), sanctionné par la chute jeudi dernier par la livre égyptienne (3ème dévaluation depuis janvier 2015).
Nous aborderons dans la seconde partie la situation en Jodranie et en Arabie saoudite, (sans plus d'optimisme).