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Billet de blog 19 juillet 2022

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LA GUERRE, LA RUSE, LE CORPS SOUS LES ETOILES (1) Un esclavage hypnopédique ?

L’irruption de la guerre, cette catin de luxe dans le lieu obscur du spectacle, que cette guerre soit militaire, économique, religieuse ou sanitaire, oblige les peuples à saisir d’urgence ce qui s’est passé avant et qui leur a été vendu en général comme « la paix ». Quelle paix ? Chèrement payée elle aussi, belle enchaînée aux yeux bandés, vendue comme guide pour éviter l’autre. Pardi.

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(Pour la bonne définition, cliquer sur le dessin)

Illustration 1

A Anna Politkovskaïa
Julian Assange
Edward Snowden                                   
                                                                                                    Temps de lecture : de 10 à 15 mn.

Deux boucheries mondiales atroces en legs du siècle précédent, n’y auront pas suffi. Les pulsions de mort et de domination, qu’elles soient grégaires ou individuelles, compulsives ou manipulées, au-delà des nombreux progrès dans la conscience médiane de quatre générations ayant échappé directement à ces horreurs, et je ne parle ici que de l’Europe de l’Ouest, s’affichent encore au pinacle de nos valeurs inavouées. S’affichent comme ressources inépuisables de diversion fictionnelle face aux splendeurs du monde tout autant qu’à ses misères sans fin. Ces ressources sacrificielles universelles, ce joker magique dans le verbe gris des illusionnistes du pouvoir, continuant à tirer nuit et brouillard sur les plaines rases des cerveaux vacants, tout en sifflant leur chanson vert kaki :
« Nous allons continuer à faire la guerre, car nous l’avons toujours faite ! »

Ce qui apparait sans doute à une majorité d’entre nous comme le sommet des impuissances humaines, la guerre totale, la guerre militaire, celle qui entérine et labellise les formes cousines de son expression - concurrence, concours, compétition, rivalité, duel, etc. - voit ces dernières présentées le plus souvent comme étant d’une nature différente, quant ça n’est pas à l’opposé des tueries mécaniques des champs de bataille. Promues comme l’expression d’une saine émulation entre Etats, industries, organismes financiers, services secrets, armement, Big Tech, Big Pharma, agriculture chimique productiviste, et tout autant, entre chercheurs, laboratoires, employés, industries culturelles, grandes écoles, universités, et pourquoi tarder, entre élèves, étudiants, professeurs, un jour qui sait, entre poupons de la crèche, ces formes enjouées d’aliénations martiales, ces fouetteuses compulsives, loin des jeux ouverts et nécessaires de l’enfance, n’ont pas encore pleinement alerté et convaincu le monde, des désastres dont elles sont responsables. Une entropie humaine, environnementale, culturelle et psychologique, charriant des torrents de nuisances sous-évaluées, en particulier dans un monde de l’ingénierie exponentielle sans contrôle. Un culte de la performance à tout prix qui nous conduit au désastre et à la fin de notre robustesse, gage d'une durabilité heureuse comme le montre Olivier Hamant.*

Au contraire, chacune présentée comme vecteur de compétitivité et de prospérité de tous contre tous, continue à voir ses acteurs sommés de perpétuer le vieux mythe affabulateur, celui d’une obligation vitale à la concurrence sans fin, vouée au rayonnement national. Lequel, dans la France du 21e siècle, championne en violences sociales et complicités génocidaires,* phare humaniste désaffecté en même temps que modèle revendiqué de forfaiture pseudo-sanitaire, semble plutôt légitime d’être nommé vitrine fracassée.

Au-delà de ces totems et amulettes pour démagogues cyniques, comme la conserve surgelée des droits de l’homme, l’atome prétendument civil, les ventes d’armes démocratiques ou la santé facile via la pègre Pfizer et McKinsey, ne serait-il pas avisé d’employer illico un des rares et véritables antidote disponibles et connus de longue date contre ces maux fatals et leurs ruses de cinglés, le cerveau diurne, alerte, conscient de lui-même et de sa providence, lié à cet autre miracle, juste en dessous, à quelques décimètres au milieu de la poitrine, la grosse pompe solaire pulsant le monde. Le cerveau, cet organe, seul avec le foie et la peau, capable de se régénérer jusqu’au dernier moment, est en effet doté d’un pouvoir de résilience indestructible nommé neurogenèse, aujourd’hui établi comme pérenne à tous les âges, capable de nous sauver du programme agricole en cours, la production de légumes hors sol sous stricte éclairage télévisuel.

Et à propos, ça se nourrit de quoi un cerveau oxygéné et créatif ? Pleinement ouvert aux souffrances, à la joie, et aux battements de cœur du vivant, et pour autant, désabusé, capable dans le même temps d’équilibrer l’activité du cortex préfrontal analytique et les régions dédiés aux émotions, au stress, ou aux relations sociales ?

La guerre atroce, celle qui pulvérise les boyaux d’un môme de vingt ans, celle qui se paie sur la bête, de préférence féminine, lorsque le goût du sang ne suffit plus, celle qui pénètre soudain de force dans les maisons, dans les corps, dans les têtes, y compris chez les mieux faites, non celle-là ne surgit plus un soir de pleine lune sous les hululements sauvages des loups entrés dans Paris. Ses effluves inodores de mitraille se sont glissées depuis longtemps sous les portes, sous les jupes, dans les cœurs et jusqu’aux yeux et aux oreilles des nouveaux-nés, dont presque tous auront consommé le bruit et de la fureur des squelettes du jour, jeux de guerres débiles et autres séries tueuses. Ce que tu ne gouttes pas, que tu ne mastiques pas, que tu n’ingères pas en conscience, te restera sur l’estomac, te pourrira l’intestin, le foie et la bile, et tu auras beau vomir tous les jurons du globe, c’est par le haut qu’il te faudra cracher le morceau. C’est par les yeux, c’est par le cœur, par le désir du monde et son regard interrogatif dans le tien, par l’amitié de tes proches quand elle est possible, voir celle de tes vieux voisins revenus de tout et qui ont vu pousser peu à peu tes cornes de jeune bélier dans le jardin de leur propre tribu, qu’il te faudra rendre la mort qui s’est logée gratis, peu à peu, sans odeur, sans sursaut, presque sans dégoût, entre tes yeux.

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Douce maison © Anne Sylvestre - Topic


Syrie, Yémen, Libye, Tigré, Birmanie, Philippines, Somalie, Congo, Arménie, Azerbaïdjan, Kenya, Soudan, Mali, Xinjiang, Niger, Nigeria, Burkina Faso, Tchad, Cameroun, Mexique,
etc., non la guerre en Ukraine, et le génocide de la Palestine,* aussi atroce se présentent-ils, ne surgissent pas du néant et leur proximité avec nos places fortes n’en font pas des exceptions. La guerre sonnait déjà au loin son hard rock répugnant, et nous sommes aveugles depuis des lustres.

Sans préjuger des éléments multiples à l’œuvre dans l’attaque Russe de l'Ukraine, que je traite pour l’essentiel dans le volet n°3, il va falloir admettre qu’il y a bien deux planètes en une ici-bas, et depuis longtemps. Six mille ans environ. Deux planètes distinctes et certainement pas celles qu’on nous fait gober dans le miroir aux alouettes. Deux multivers répartis quasi uniformément sur la surface du globe, deux vastes entités parfaitement inégales. Celles de l’immensité des personnes qui veulent d’abord vivre et laisser vivre, et l’autre, celle de ceux que ça dérange énormément compte tenu de leurs projets beaucoup plus sérieux. S’occuper d’à peu près tout, de préférence dans l’ambiance aseptisée et sans pitié du laboratoire hors-sol tous domaines, dont le modèle canonique relève directement du paradigme de l’expérimentation animale modélisée et promue par le 19e siècle de Claude Bernard. Cette focale que Bergson statufia comme l’établissement miraculeux des cannons de la méthode expérimentale, et que les révolutions des sciences de la matière, de la biologie, de l’immunologie, de l’endocronologie sans parler de l’éthologie, ont démonté de fond en comble.

Il faut reconnaître par ailleurs que la circulation des énergies vitales sur la surface du globe se triuvait elle aussi abandonnée aux aléas de la nature la plus folle et indisciplinée, et qu’elle s'oblige désormais à suivre les parcours fléchées des circuits les plus sérieusement élaborés, que ce soit en gaz et en pétrole de schiste, en uranium, ou en trafic de l’information, je parle de l’information raffinée évidement. Il est indéniable que ces éléments sont validés par des experts honnêtes, pondérés et raisonnables, de même que le plan capital des placements, des investissements et des positionnements financiers gérés par d’autres personnes, tout aussi raffinées, surveillées et étudiées de près, soyons-en certain, sans quoi l’énergie et l’information seraient des jouets pour gosses, n’est-ce pas ? Et bien, ces experts honnêtes, si on ne les laisse pas faire ce pourquoi ils sont faits, vérifier l'adéquation entre les plans majeurs les plus sérieux et chaque boulon ou chaque neurone mal vissé sur Terre, oui, si on les empêche de faire, et de nous faire croire, ce pourquoi nous les avons élus comme des cons, ces plans ne serviront à rien, vous pouvez en être sûrs.

Donc la première des questions est sans doute : qu’est-ce que nous faisons, ou que nous ne faisons pas, pour que le pire de l’espèce et de son pénitencier maladif en forme de pyramide excrémentielle, perdure depuis si longtemps ? Qu’est-ce qui entraine ce monde, quel que soit le lieu, quel que soit le nihilisme apocalyptique en cours, à s’écraser sur lui-même tout en simulant le traitement approprié des questions vitales ?

Le comble, si l’on peut dire, c’est que ces résidents auto-proclamés responsables, en particulier ceux que le fait de réduire la population laisse dormir sereins, sont immensément moins nombreux que les autres. C’est d’ailleurs leur force. Ils sont moins de 10 % des résidents de la copropriété et possèdent 90 % de la planète. Sans parler de tout ce qu’on peut acheter avec. Et les meilleurs d’entre eux se connaissent bien. Ils se reconnaissent, ils s’invitent de palais en palaces, ils se jaugent, ils se marrent, ils se haïssent poliment, et quand ils se font vraiment la gueule, ils se séparent chaleureusement en s’écrasant les mains et en retournant activer leurs généreux plans d’acier.

Et en général, ce sont des plans grandioses. Avec un goût prononcé pour les apocalypses grand spectacle. Pourtant, un détail particulier pourrait nous éclairer. Il n’y a que des comédiens chez eux. Des pitres, des sournois, des matamores, des trompe-la-vie belliqueux, et tout ça sur papier ou sur écran, et presque jamais, d’acteurs. Non. Ils ne se cognent jamais entre eux. Ah, ça n’est pas la plèbe. Ils se toisent et se méprisent en costard du diable, mais n’en viennent jamais aux mains. C’est vrai qu’ils ont des choses plus graves à traiter, nos fantômes du revival totalitaire nazillon. Se débarrasser des journalistes qui se prennent encore pour des journalistes, autrement dit, pour des lanceurs d’alerte cohérents, pour des éclaireurs d’abominations, pour des prospecteurs d’avenir. Et c’est si simple. Ils ont le choix pour les faire taire. En persuadant lourdement la basse-cour de leurs prétendus collègues gratte-papier, de les ignorer ou de faire semblant de les défendre.

Mais le plus drôle, c’est de jouer au pousse-pousse depuis son bureau volant. Parce que les petits carrés des droits de l’homme, il suffit de les pousser peu à peu à se caler dans une ambassade insolente, qu’on achètera plus tard, n’est-ce pas. Depuis que nous avons accepté de nous faire gouverner, séduire, cogner, piquer, par des vampires revendiqués, qui pourrait leur résister ? Des journalistes encore valeureux et impertinents, au cœur d’un monde médiatique qui aurait survécu, quelque part ? Tels Julian Assange (1), Edward Snowden ? Ou l’intrépide et héroïque Anna Politkovskaïa. (2).

Ah, il y a aussi la possibilité que nous décidions, devenions, soyons déjà, des dizaines, voire des centaines de millions à ne plus jamais rien lâcher de ce « suicide organisé » de la pensée. Car c’est bien ça qui leur pose problème aux automates de la communication. La pensée comme un jardin, où tout importe, le cœur du sujet, l’impermanence, la focale, le hors-champs, les liens, la dynamique, le contexte tout comme le souci du détail. Tandis que « La communication a toujours été de guerre. Elle est née dans ce cadre-là, elle n’a jamais servi qu’à cela, particulièrement en temps de paix. »  Le Manifeste conspirationniste. (3)

Travaillant depuis 2009 pour Novaïa Gazeta (4) un des rares organes de Russie encore libres à cette époque (Prix Nobel de la paix en 2021 pour son Directeur, Dimitri Mouratov), Anna Politkovskaïa, cette journaliste d’investigation, cette lanceuse d’alertes incorruptible de la cause tchétchène, peuple deux fois martyre en quinze ans, dirigé depuis la fin de la seconde guerre avec la Russie, par Azran Kadirov, affidé de Vladimir Poutine, non, la grande et inébranlable Anna Politkovskaïa ne les a jamais lâchés. Et en a donc payé le prix, assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou, jour anniversaire du président russe. Cadeau ?

Quatre mois ont passé depuis l’envahissement de l’Ukraine, un temps mis à profit pour aborder en profondeur ce volcan connu pour n’être jamais qu'en sommeil précaire. Les annales de ce pays, de cette entité charnière perpétuellement déchirée, aux enchevêtrements particulièrement complexes, évoquent la construction d’un puzzle dont les pièces du jeu changent régulièrement, sans pitié. Ça donne une histoire à la fois riche et tragique, cyclique, à certaines périodes extrêmement violente, terrifiante quant aux actes de barbaries, commis par exemple par l’UPA (Armée insurrectionnelle ukrainienne, alors associée aux armées du Troisième Reich) sur les Polonais en Volhynie. Ou sur les Juifs en Pologne. 
Et si vous voulez comprendre ce qu’est la contagion guerrière sans limite, et ses modalités de transmission sidérales, au-delà même des armées, dans le monde civil, si ce n'est civilisé, passez quelques jours en Ukraine durant les années quarante, en Pologne, en Lituanie, et ne disons rien de l’Allemagne et de la Russie. De fil en aiguille, vous toucherez sans doute du doigt le tréfonds du refoulé grégaire humain, qu’il soit nationaliste ou religieux. Et vous n’en ressortirez pas indemne. Sur ces atrocités, je n’ajoute pas de liens à ceux que je poste dans le billet suivant, sur le Japon Showa en particulier, mon but n’étant ni de créer une accumulation de dégout, ni d’établir un florilège des abominations d’un espace temps particulier, mais seulement de toucher du doigt ce que notre monde qui se conçoit comme le phénix de la civilisation, est en réalité une trainée de sang et de hurlements, qui ne cesse pas de recouvrir les paroles humaines libres, de ceux qui, en tout lieu, n’ont pas renoncé à rester ou à devenir des êtres humains.

Mon regard sur l'Ukraine, totalement insignifiant jusque-là, mécaniquement dépendant de la romance médiatique européenne, s’est enrichi durant ce temps d'étude, de nombreuses données majeures. Ma première impression transversale, c’est que ce territoire continental incarne à l’échelle d’un pays, un des archétypes les plus visibles de la condition humaine, celle d’une entité immuablement fracturée, douloureuse à l’acmé, dansant et chantant suprêmement sur des plaques tectoniques.
En savoir davantage sur les relations inclusives/exclusives et obligées entre l’Ukraine et la Russie, me semble le minimum pour comprendre, parmi d’autres raisons que je traite plus loin, quels sont les facteurs réels, multiples, souterrains de cet acte russe de transgression guerrière majeure.

Au-delà de ces découvertes et des questionnements particuliers consacrés à ce pays, je me rends compte fatalement que je n'appréhende plus les narrations historiques ou journalistiques, avec le même œil. En deux ans, nous aurons appris davantage que dans les dix années précédentes, et à flux tendu, sur les méthodes élaborées de fabriques du panorama. Que ce soit dans le filtrage des matériaux historiques, dans les mythifications narratives, dont le but permanent et patient, à défaut de débat, est d’obtenir un consentement minimal sans connaissance, ne serait-ce qu’à la marge, ne serait-ce que partiel, ne serait-ce que débutant. Un consentement à l’amplification ou à la négation de certains faits, à leur isolement hors contexte, à leur totémisation par accumulation ou par relativisation et quand il le faut, bien sûr, par tromperies cyniques. Et si ça ne fonctionne pas, on fait appel à tel ou tel attachement grégaire, ce qu’on suppose être votre fond d’écran éthique ou politique : vous êtes de gauche, d’extrême gauche, anti-fasciste, libéral, ou a contrario, nationaliste, de droite, intégriste multicarte, et quoi que ce soit en fait, la machine avale tout. 
En résumé, pourquoi continuer à douter ? Alors, depuis cette position de pion crétin, il vous suffit d’accéder à la soumission généralisée des points de vue, puis à la soumission des corps, et fatalement, un jour ou l’autre, à la soumission guerrière, et pourquoi pas bientôt, aux festivités eugénistes, leur apothéose. Sans parler de la crise économique qui nous pend sans doute au nez, sans oublier les professionnels de la dérobade discrète et leur conception éternellement classifiée, narcotique et sereine de tout surgissement factuel, y compris les plus violemment incongrus : tu peux ranger tout ça dans le tiroir idoine, c’est là que ça s’arrange, tu verras !

Soumis à une telle leçon «  gratuite » de manipulation, forcément, chacun de nos points de vue peut évoluer assez vite. Ce qui pouvait nous rester de juvénile légèreté, d’insouciance, de confiance résiduelle dans nos ressources humaines profondes, leurs flots, c’est vrai, se sont encore rétrécis. En partie seulement j'espère. Mais les abysses se sont rapprochés, et ils sont là, bien visibles, pour qui ouvre les yeux.
Oui, la donne a changé. Un doute global, ontologique, s’est installé sur mes épaules, me taraudant sur des points souvent taxés de détails. Personne n’oublie d’ailleurs à quel point les détails peuvent perturber certains offenseurs enragés, adeptes du « Oubliez ça, ça ne compte pas » quand d’autres, accablé par la quantité de ces mêmes broutilles de plus en plus monstrueuses, parfois dues à leur propre production, et s’abattant sans cesse sur leur conscience ou leurs bureaux, résolvent leur angoisse ou leur paresse intellectuelle, quand ça ne sont pas leurs plans diaboliques, en balançant l’entièreté de la pyramide en kit dans le mixer de l’I.A.
Laquelle nous rit au nez aujourd’hui. (5)

Où est la boussole ? Ils ont été si nombreux les échanges vitaux et les lectures décapantes connexes, autour de la bouffonnerie sanitaire, que les éléments qu’ils découvraient, éléments que j’aurais peut-être considérés auparavant comme éloignés de l’objet du jour, la guerre, se révèlent par accumulation et de façon irrémédiable, parfaitement solidaires. Oui, quelque chose s’est mis à clignoter en moi, pas sur la hauteur des crimes déjà commis, pas davantage sur ceux à venir hélas, et surtout pas sur la légitimité à les présenter ipso facto à la verticale de nos consciences. Ce que beaucoup de citoyens russes ont si courageusement acté tout de suite. Et si doutes il y a, quant à ces rappels de faits massifs, réitératifs, atroces, quant à cette avalanche de crimes en accéléré, le problème n’est pas tant de l’ordre de l’émission, que nous ne contrôlerons jamais, mais bien de celui de la réception. Et donc de l’interprétation que nous pourrons et devrons en faire.

Hormis avec l’Ukraine elle-même, le conflit sourd, souterrain, latent, Est/Ouest, n’est pas seulement, ou voire, assez peu un conflit de territoire, avec ses prétextes grégaires habituels. D’autres enjeux, d’une tout autre dimension, sont à l’œuvre. Nous recevons le plus souvent, d’abord mécaniquement oui, ces éléments à charge, et comment en serait-il autrement, sur le registre univoque des émotions. Toutes ces preuves, ces annonces sanglantes de faits atroces, ces faits de guerre, potentiellement précis et avérés, mais dans un monde qui n’hésite pas à mettre en avant ses écoles de guerre, ses capacités à la ruse compulsive et aux simulacres permanents, sans parler de son stigmate crétin, l’infamie de complotisme au carré qui ne trompe plus que les poulets d’élevage.

Fatalement oui, tout ça impose à l'instant une gare de triage sur-informée. Parce que chacun de ces éléments a du poids. Et la question s’avère alors : face à cet envahissement guerrier, jusqu’où sommes-nous formatés, conditionnés, ou a contrario, avertis, préparés à en recevoir en conscience, les paquets d’informations parfaitement ficelés. Et alors, nantis de quelles capacités d’évitement ou de discernement, que ce soit sur le plan factuel, éthique, psychologique, pour ne pas dire, architectural, à l’opposé de ce prisme toujours trompeur ou incomplet, du prétendu fait tout nu et indiscutable. Avec quelles connaissances précédentes, avec quelles exigences de véracité immédiate, ce qui est en partie contradictoire bien sûr, avec quelles aptitudes à contextualiser les informations reçues, aussitôt qu’il est possible, voir de plus en plus souvent, dans une urgence absolue.
Autrement dit, comment s’équiper d’une capacité à la conscience étendue, permettant d’aller au-delà de la scène présentée, permettant à tout moment les compléments de perception, voire les corrections, qu’elles soient massives ou à la marge. Parce que c’est là que commence et finit la sujétion.

Les accablements, l’écœurement, les rages et les haines ne sont pas les faits eux-mêmes, mais l’effet qu’ils ont sur nous. Ce que les dramaturges de cour et les faiseurs de guerre savent si parfaitement manipuler. Parce qu’au-delà des tombereaux de monstruosités en matière de guerres modernes, qu’elles soient publicitaires et revendiquées, militaires et lointaines, locales et soudaines, ça n’est jamais à la hauteur aimable des règles du théâtre classique.
Vous voyez de quoi je parle, je suppose. Une action, en un lieu, en un temps. Mais non, la guerre authentique, perpétuelle, atroce, merdique, immonde, sacrée, revendiquée, filmée, entretenue, peinte en technicolor, suinte ses pestilences de tous les pores du cadavre humain, qu’il soit proche ou lointain, et depuis au minimum six mille ans. Pourquoi ?
Faisons trois pas en arrière, nous reviendrons à l’Ukraine très vite, le volet n°3, y est consacré entièrement.

Savez-vous qui est le plus grand génocideur de l’histoire ? Gengis Khan. Et ses fils. Quarante millions de morts au 12e siècle. Environ un cinquième de la population mondiale. Et tout ça, à la main. (6) Pour l’essentiel, les civils des cités conquises dans l’empire le plus vaste jamais établi, de la Méditerranée à l’océan Pacifique, en passant par la Perse et la Chine. Tamerlan, deux siècles plus tard, fit moins bien en nombre de victimes, mais tout aussi sadique, avec lui aussi, des pyramides construites grâce aux milliers de têtes de civils, le plus souvent massacrés pour ne pas avoir à les contrôler une seconde fois, et ne plus avoir à les conquérir. Le cauchemar iconique de malades héroïsés, l’hubris absolue de la guerre, pour le plaisir de la guerre, pour le plaisir du massacre, avec comme technique pas prise de tête (jeu de mot assumé) créer systématiquement la terreur. Ce que chaque habitant ou presque de cette planète, a sous la peau, bien stagnant aux tréfonds de ses somas les plus tourmentés.
Alors, pour comprendre l’influence de ces joyeux civilisateurs, tout comme Napoléon, minuscule à ses côtés n’est-ce pas, pour saisir à quel point tous ces professionnels exemplaires du carnage sans limite, habitent nos pires tourments et sont encore des modèles pour nombre d’Etats et leurs dirigeants, je ne peux mieux faire que de vous recommander la lecture diagonale de l’ensemble des dictionnaires généralistes, sans parler des articles concernés de cette encyclopédie en voie de normalisation rampante aujourd’hui, Wikipédia, tous gavés de massacreurs, de tyrans, de bourreaux et autres généraux glorieux, en majesté

Paradoxalement, nos addictions aux scenarii des blockbusters martiaux impériaux, quand le canon tonne pour de vrai, en général, c’est toujours la même tragique stupeur. Nous avons systématiquement un retard abyssal face à leur émergence dans la guerre réelle. Or, dans ce moment de dangers croissants, de désenchantement polyfactoriel que nous vivons aujourd’hui, ne s’agit-il pas de la légitimité au dernier carat, d’Homo sapiens ? La légitimité de tout notre champ culturel, de l’entièreté de notre relation au réel, ce réel abîmé, autant en nous qu’en dehors de nous. Sommes-nous à l’image d’une humilité tragique, des poulets ou des pit-bulls d’élevage au long cours, incapables de se dégager de la bouillie saignante qui nous est perpétuellement distribuée ? Et que tant de bienheureux, ne manquent pas de réclamer, contraints ou complices, alors que sa fonction sanitaire est de nous ramener sans cesse au bercail grégaire, national, ou idéologique, qui tient lieu sur cette planète en rage, de prétendue conscience ?
Que ce soit via la fabrique de l’ennemi du jour, ou via la fabrique des ennemis qu’il nous faut, malgré ou avec, les petites mains généreuses, voire héroïques, de ceux qui, habitués à saigner en rêve et en plein jour, se hâtent ou se tâtent d’y aller, oui, à tout moment, nous sommes sommés de nous rendre aux abattoirs, autrement dit, de nous rendre. 

En ce qui concerne cet acte guerrier en cours, sagirait-il néanmoins, comme ce fut le cas avec les brigades Internationales lors de la guerre d’Espagne, d’un élan, que nous pourrions considérer ici aussi, comme vital pour la démocratie réelle ? La comparaison est difficile. Si l’agresseur du jour est bien la Russie, les éléments moteurs de cet enchaînement que je vais tenter de mettre en lumière, sont si multiples et se déclinent sur tant de strates historiques pulvérisées, comme des épandages phytosanitaires, dépassant largement la Russie et l’Ukraine, au point qu’il est difficile de comparer cet envahissement, pour l’instant partiel, avec le coup d’Etat franquiste contre la république espagnole. Les engagements de types philosophique et politique pouvaient alors se présenter de façon, apparemment plus cohérents, dans un conflit où l’appui militaire à Franco par Hitler et Mussolini, montrait le damier tectonique mondial en train de se faire.

Apparemment seulement, cela dit. En réalité, tout autant d’éléments sous-jacents, aujourd’hui déclassifiés, bien que toujours aussi discrètement enterrés, étaient là, aussi, totalement inconnus d’une majorité des acteurs de 1936 et auraient pu largement affecter ce qui suivra. (7Quant aux niveaux des armes modernes, de leurs fabrications, des lobbies qui les suggèrent, des intérêts qui y sont attachés, et bien sûr, des artifices en œuvre pour convaincre de leur suprême nécessité, contrairement à la médiane humaine en termes d’insoumission volontaire et de puissance de vie, elles n’ont pas cessé de faire des progrès foudroyants.

Il y a quelques semaines, le 13 juin, rôdant subrepticement au salon du camping vert kaki Eurosatory, notre Chef de guerre multicarte, avançant un nouveau pion du grand jeu apocalypse sous contrôle, s’est fendu d’un nouveau coming-out inédit, et programmé, en proclamant à ceux qui n’avaient pas encore compris « Cette confiance, elle s’inscrit dans un contexte inédit, et je pense que nous devons tous, à cette occasion, et dans les temps qui viennent, en tirer les conséquences, celles aussi d’une entrée dans une économie de guerre, dans laquelle, je le crois, nous allons durablement devoir nous organiser. » (8)

Ne nous racontons plus jamais que les guerriers paradent avec armes et pagaies, avant de partir conquérir le Pérou en canoë. Le Pérou, c’est nous. Oublier ce secret de Polichinelle dans les bottes de notre petit Cortés franchouillard, se paye cash. Les véritables conspirateurs savent danser et faire le beau, autant qu’il nous plaira de dormir.

Volet 2

La guerre, la ruse, le corps sous les étoiles (2)
Le  pouvoir est toujours de droite 
https://blogs.mediapart.fr/cham-baya/blog/190722/la-guerre-la-ruse-le-corps-sous-les-etoiles-2-la-mort-est-elle-de-droite  .Le scientiste industrieux, humble, méfiant, rêve néanmoins de gloire. Mais s’il aime «travailler» sur le vif, il n’aime pas quand ça bouge. Comme les lions, il veut ses proies au bout des griffes, voire, comme les hyènes, à l’état de charogne. En général il ne trouve rien. Que des bribes. Imaginez-vous un larron assez inculte pour rêver de trancher le sourire de Mona Lisa à coups de scalpel ?


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Notes et liens
* Ce billet a été écrit en 2022. Je l’ai relu et enrichi si l’on peut dire, du fait du génocide du peuple palestinien, traité par ailleurs, par de multiples billets de ma part, plus récents. 
* Découvrant d’autre part les propositions d’Olivier Hamant, biologiste, directeur du think-tank crée par Michel Serres et promoteur d’un saut paradigmatique consistant à abandonner les illusions de l’idéologie de la performance compulsive, pour la notion fertile de durabilité, je n’ai pu que le proposer d’enthousiasme, à la lecture de ce premier billet, d’une série en comportant six.

1) Réponse aux perfidies de l’AFP sur Julian Assange
https://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/reponse-aux-perfidies-de-l-afp-sur-julian-assange
Assange, son avocat témoigne
https://www.youtube.com/watch?v=TUJLH287Bn4&t=55s

2) Interview de Anna Politkovskaïa : "Je dois raconter ce que j’ai vu... » France-Culture
https://www.radiofrance.fr/franceculture/anna-politkovskaia-je-dois-raconter-ce-que-j-ai-vu-5078010

3) Voir extrait et PDF libre de l'excellent Manifeste conspirationniste à la fin du volet n°5
https://blogs.mediapart.fr/cham-baya/blog/180722/la-guerre-la-ruse-le-corps-sous-les-etoiles-5-ote-toi-de-mon-soleil  

4) Novaïa Gazeta
https://fr.wikipedia.org/wiki/Novaïa_Gazeta?tableofcontents=1

5) Intelligence artificielle et politique internationale
Les impacts d’une rupture technologique
https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/nocetti_intelligence_artificielle_2019.pdf

6) Gengis Khan éradiqua près d’un cinquième de la population mondiale
https://www.curieuseshistoires.net/gengis-khan-eradiqua-un-cinquieme-du-monde/

7) Un détail à 60 millions de morts
https://blogs.mediapart.fr/cham-baya/blog/161022/un-detail-60-millions-de-morts

8) Sommes-nous entrés dans une économie de guerre ?
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/sommes-nous-entres-dans-une-economie-de-guerre-6851479

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