A Swen Linqvist Temps de lecture : 11 mn
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Les bouleversements guerriers ont toujours été inféodés aux progrès technologiques. Depuis la domestication du cheval, la maîtrise des métaux et de l’architecture, le fabricant spécialisé de la guerre n’a pas cessé de prospérer. La poudre chinoise, la dynamite des Nobel, les gaz de combat, le fusil Lebel, l’artillerie, les missiles, les bombes et l’aviation, et maintenant, derrière l’artefact Covid, la cybernétique sous le contrôle des incontrôlés, sans oublier les armes bactériologiques et autres gains de fonctions viraux pour apprentis sorcier et fuiteurs de cerveaux, tous ces joyeux joujoux ont atomisé peu à peu l’idée que la guerre pouvait démontrer la bravoure des hommes. Dans la plupart des cas, elle ne montre, et n’a jamais montré, que leur extrême fragilité et crédulité.
Mais c’est d’abord par le verbe que l’on prépare la guerre. Et l’ingénierie sociale est son royaume. Les éléments de langage édulcorants, manipulateurs, lacunaires, pompeux, incendiaires, ne coûtent pas grand-chose et projettent les gros labours des véritables réjouissances. Ah, la trompeuse guerre prétendument froide, et plus encore, sa trompeuse et prétendue fin. Au-delà de toutes les narrations, qu’elles viennent des officines les plus finaudes ou les plus grossières, des services de propagande militaires, des services de renseignement, des ministères d’Etat, jusqu’aux interstices les plus furtifs de nos grandes cultures et médias en laisse, si nous voulons résister au masquage et au matraquage des instincts morbides au long cours, il s’agit, de la même façon dont nous sommes révoltés et déchirés par la perception des horreurs de guerre et de leur cuisine d'enfer, de développer à la même hauteur, notre acuité, nos outils critiques et la pertinence de nos focales de vie.
Ne se préoccuper réellement de la guerre que lorsque les bombes menacent ou dégringolent, ne lever les yeux qu’au moment où nos lointains voisins ou nos mômes partis les rejoindre, explosent dans les limbes, fait rire les aviateurs. Le masochisme est dans les tuyaux, comme l’or dans les palais, le sucre dans le ketchup et les tapineuses séries télévisuelles dans les cerveaux gâtés. A l’opposé d’un sado-masochisme consumériste sans fin, il n’y a jamais eu que l'élaboration d’une pensée riche, heureuse et complexe de la vie. C’est le minimum qu’on lui doit. Une pensée au-delà de la survie, au-delà de tout pari, y compris pascalien. La vie, la vie sans clef dans le dos, ce présent qui vaut largement la mort, par le simple fait d’être l’objet du jour, ne va pourtant pas, dans sa continuité heureuse, de soi. Y compris chez d’autres grands mammifères. Le génie humain a cela dit, ceci de supérieur à la faune sauvage, qu’il a su créer des prédateurs industriels capables de l’anéantir lui-même. Quel talent.
Quant aux horreurs en cours, elles ne seront jamais à classer dans un herbier et pas davantage sur les barreaux d'une échelle symétrique. D’abord parce que les guerres sont engagées le plus souvent par un adversaire plus fort, voire beaucoup plus fort, ou qui se croit tel, c’est étrange n’est-ce pas. Et c’est peu dire que c’est le cas dans l’attaque de l’Ukraine par la Russie. Mais les horreurs guerrières, comme les horreurs sur tout être vivant, homme ou bêtes, ne sont pas des objets mathématiques de comptage destinés à être seulement hiérarchisés, elles nous obligent, et d’abord ça, à être à la hauteur de leur production et de leur inhumanité, et c’est seulement la précision de nos regards croisés et de nos capacités à comprendre et montrer ce roi nu déjà mort et gonflant qu’est le guerrier à roulette, qui peut faire entendre le drame transversal, quasiment permanent, universel et obscène, de ce monde en sabordage perpétuel.
"Si j'insiste sur l'aspect obscène de la guerre moderne, ce n'est pas seulement parce que je suis contre la guerre, mais parce qu'il y a quelque chose dans les émotions ambivalentes qu'elle suscite qui permet mieux de cerner la nature de l'obscène. Rien ne serait considéré comme obscène, j'en ai l'intuition, si les hommes allaient jusqu'au bout de leurs plus intimes désirs. Ce que l'homme craint le plus, c'est d'être confronté avec la manifestation, orale ou effective, de ce qu'il a refusé de vivre, de ce qu'il a étranglé ou étouffé (...) La crainte, la culpabilité et le meurtre, voilà le vrai triumvirat qui régit notre vie. Qu'est-ce qui est obscène alors ? (...) Ne parler que de ce qui est indécent, répugnant, lubrique, sale, dégoûtant, etc., en ce qui concerne la sexualité, c'est nous refuser tout le luxe de la grande gamme de révulsion-répulsion que la vie moderne met à notre service."
Henry Miller L'obscénité ou la loi de réflexion
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(Pour la bonne définition cliquer sur le dessin)
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Au-delà des galipettes charnelles les plus contractuelles, toute fantaisie pleinement acceptée entre personnes libres et librement matures, est aussi recevable que le saut à l’élastique sans parachute, ou l’inverse. Ce que l'on s’autorise avec son corps appartient, à… son corps.
Puis-je dire pour autant que je suis totalement mon corps ? Sans entrer trop vite dans la bagarre que Nietzsche a livré au primat désincarné du christianisme, ce platonisme maladif et son âme si parfaitement élevée que le fil blanc du cerf-volant a fini par rompre, je note juste que nous sommes enfin libérés. Amarres ou annexes de vaisseau fantômes, nous voilà capables de sourire dans la pataugeoire saignante du quotidien.
Revenons aux bonds paradigmatiques. Nous sommes nos corps. Ma liberté s’agrandit de la tienne et toi de même. Ton corps est aussi sacré que le mien, il procède du même grand corps musical qui nous fait danser, courir, respirer à pleins poumons, jouir et souffrir et nous protéger contre les excès en tout genre. Parce que c’est bien la musique, ces musiques qui savent chuchoter comme le souffle des mères aux bords des berceaux, comme les soupirs d'extase aux fonds de nos cellules, qui parlent le mieux aux harmonies complexe de la santé, comme à la joie d’être au monde et à l’union sacrée entre vivants, qu’elles soient romances à l’ombre de nos collines secrètes ou ballades de galaxies dans nos yeux rieurs.
Contrairement à la liberté sereine du corps et son capital de tendresse ou de souffrances éteintes accordés aux enfances heureuses ou guéries, qui ne sont certes pas le parcours de tous, le stress permanent, extrême ou incontrôlable, que tant de personnes ont connu ces deux dernières années, devient, à l’opposé du stress utile, un vampire domestique qui favorise toutes sortes de pathologies, et en cela parfois, peut écourter la vie, ce qui s’appelle, tuer. (1)
Nous savons à quel point les sciences de ces deux derniers siècles ont évolué par sauts, par changements d’échelles et pas seulement en progression linéaire. Dans les domaines d’interactions et d’interpolations du vivant, nous sommes conscients aujourd’hui que tout observateur influe sur l’objet observé. De quoi s’agit-il alors ?
Les dénonciations des parties les plus visibles, les plus indéniables des faits de guerre et de barbarie, que pointent nombre de témoins, de journalistes, de militaires ou de simples citoyens, si personne n’est capable de mettre également en pleine lumière l’ingénierie qui a prévalu à leurs avènements, alors les guerres ne cesseront jamais. Et ces témoignages, absolument capitaux par ailleurs, resteront surtout des coupures, des tranchées, des viols d’immondices en nous. Par-delà la nausée, il nous faut donc chercher chaque fil de chaque pelote de barbelés, chaque complicité lovée dans un inconscient le plus souvent collectif, unissant couramment des adversaires, je parle ici essentiellement des dirigeants, qui pour certains ont pathologiquement besoin les uns des autres dans leurs masquages morbides et mortels, conduisant clef dans le dos, plus ou moins de concert, toute guerre annoncée ou préparée, en se satisfaisant parfaitement de nos ignorances abyssales et surtout des leurs.
S’agit-il donc de se battre contre la guerre sous toutes ses formes, visibles ou dissimulées, avec ce qu’on appelle les armes de l’esprit ? Et d’ailleurs, cette métaphore est-elle la meilleure ? S’agit-il tant que ça de se battre ? Y compris avec des armes dites intellectuelles ou philosophiques. Ou ne s’agirait-il pas plutôt de vaincre ? De vaincre l’idée même d’avoir à se battre. Qui est la première, si ce n’est la seule idée des guerriers compulsifs. D’ailleurs, qu’en est-il de l’appétit secret de vaincre en majesté ? De ruser ? De chasser ? De s’emparer du corps ou de l’esprit de l’autre, de s’emparer du pouvoir, de ses honneurs infantiles et de sa parole de mort, quand le grand corps de tous, le grand corps total de la planète, hommes et bêtes compris, est épuisé d’accueillir décharges et charniers au grand jour ?
Quand allons-nous vaincre, non pas ceci ou cela, mais notre défaite globale, universelle, annoncée, programmée ?
N’importe quelle guerre enfante, manipulations, sous et surinformations, affabulations cyniques et éhontées, duperies et négations qui pourrissent la vie, qui nous rabaissent à l’état d’insectes, et dont il faut assurer la production constante partout sur la planète, comme des termites ou des scorpions frénétiques, via toute sorte d’instruments sociaux, médiatiques, industriels, administratifs, symboliques, voire... logiques.
De la logique des déficients mentaux. Mais bon sang, regardez ce que préparent nos voisins !
Nous connaissons ça très bien, ou plutôt, nous pourrions avoir compris depuis longtemps, parce que la guerre sert d’abord à ça. Se lâcher pour que la bête humaine en déshérence puisse continuer son activité psychiatrique de base. Le mépris et la haine de soi en tant qu’espèce mutante et maudite, et la survalorisation de soi-même en tant que guerrier sacrifié.
Musique Le Larron - Paroles Victor Hugo
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Contrairement à la première idée qu’on peut en avoir, ou qu’on nous vend si monstrueusement cher, la guerre, l’épidémie de guerres, ne servent pas à s’emparer ou à reprendre telle ou telle position, pays, ville, province, richesse minière et autres énergies fossiles. Non, ces conquêtes ne sont que secondes. Pourquoi ? Toute guerre appauvrit le monde, appauvrit le futur, appauvrie les peuples, renforce l’armée mondiale des tueurs par principes et le scientisme morbide. Cette maladie de l'espèce qu’il faut bien appeler, virilisme guerrier, a au moins une triple fonction. De décompensation des frustrations populaires, et tout autant, de la honte toujours possible de ne pas en être. Et plus encore, de massification du désir humain dans la soumission au bloc, à la horde, au territoire et à la tortue romaine. Ces formes archétypales grégaires où l’orgueil blessé et fouettant de la nation ou du souverain, ce dernier le plus souvent discrètement replié, devient la Guerre elle-même.
Dans cette joyeuse architecture de la destruction « innocente », dans cette « libératrice » aporie humaine, il va falloir alors investir les derniers feux et sans fin. Plus il nous faudra de fonderies et de sidérurgie, de production chimique, de pétrole, de terres rares, d’uranium et d’électronique de pointe pour faire la guerre, plus il nous faudra de finances au coût universel sans fin, et alors, davantage de bourrage de crânes médiatique, de discours enflammés, et enfin nos voisins trembleront ! Et ce sera reparti comme en 40 ou en 65, pour une nouvelle épopée touristique saignante.
Donc ? On continue à lui défoncer le ventre à « cette salope de planète femelle ? »
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Joan Baez - La mariée de Saigon
Adieu ma nostalgique mariée de Saigon
Je m'en vais endiguer la marée
Une marée qui n'a jamais vu les mers
Elle coule à travers les jungles, autour des arbres
Certains disent qu'elle est jaune, d'autres qu'elle est rouge.
Ça n'aura pas d'importance quand nous serons morts
Combien de morts faudra-t-il
Pour construire une digue qui ne se brisera pas ?
Combien d'enfants devons-nous tuer
Avant que les vagues ne s'arrêtent ?
Bien que les miracles soient nombreux aujourd'hui
Nous avons les moyens de payer
Ça les sort de la rue vous savez
Vers des endroits où ils ne seraient jamais allés seuls
Ça leur donne des métiers utiles
Et les chanceux seront même payés
Les hommes meurent pour construire les tombes de leurs pharaons
Et toujours et encore des utérus grouillants
Combien d'hommes pour conquérir Mars
Combien de morts pour atteindre les étoiles ?
Adieu, ma mariée nostalgique de Saigon.
Je m'en vais endiguer la marée
Une marée qui n'a jamais vu les mers
Elle coule à travers les jungles, autour des arbres
Certains disent qu'elle est jaune, d'autres qu'elle est rouge.
Cela n'aura pas d'importance quand nous serons morts
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Qui y a-t-il y a de fondamentalement différent entre le pacifisme le plus actif, incrédule et acharné, tel qu’il s’est exprimé activement dans tant d’occasions et dans des conditions parfois extrêmement violentes, qui y a-t-il d’ontologiquement distinct avec ce à quoi nous nous sommes généralement habitués et contraints, les formes de résistances armées ? Si on réfléchit vraiment, admettons qu’il faut être de même courageux, obstiné et résistant, et plus encore, visionnaire, pour agir en tant que pacifiste. Beaucoup de personnes, sincères pour certaines, ne veulent pas en entendre parler, considérant qu’on ne pourra jamais rien contre les pires violences, contre les violences les plus enracinées, sans utiliser une forme de violence équivalente.
C’est oublier deux choses. Que le plus souvent, ces personnes n’ont pas étudié leurs propres niveaux d’agressivité inutile et non maîtrisée, et surtout, que sur ces mêmes critères, on oblitère l’essentiel des raisons fondamentales, entremêlées, qui poussent une grande part de l’humanité vers le chaos guerrier. Pour autant, dans de nombreux endroits du monde, qui sait, chez une majorité de personnes aujourd’hui, si ce n’est en pratique, tout au moins dans leurs horizons, on n’a plus autant qu’avant le goût pour les grandes messes punitives. Les châtiments corporels en place de Grève. Les exécutions publiques et autres vengeances atroces. Et ce ne sont peut-être pas tant les personnes adeptes d’une violence seulement proportionnée, qui ont permis de sortir, en de nombreux endroits du monde, de ce goût maladif pour la haine sanglante.
La limite néanmoins, est parfois monstrueusement dépassée par rapport à ce que les plus courageux, quand ce ne sont pas les plus héroïques, peuvent tolérer pour eux-mêmes. Et je ne postule aucun absolu philosophique, aucune pratique, pour suggérer l’abandon en rase campagne à toute personne ou tout groupe, en particulier isolé, de tout substitut pour se défendre via les moyens qui sont les siens. Sur un plan absolu, des tortionnaires sadiques qui décident de martyriser à mort des personnes, qu’elles soient civiles, non violentes, innocentes, neutres, hors conflit, et qui que ce soit en réalité, et il s'en trouve de ces malades sadiques, de ces chiens de guerre lobotomisés désireux de montrer la supériorité du mal, et la leur croient-ils. Ceux-là, comme leurs maîtres en laisse, se mettent irrémédiablement, fondamentalement, hors humanité, et ne peuvent plus rencontrer qu’une opposition absolue, radicale, de l’immense majorité des humains.
De tous ? (2)
Là où le pacifisme a le plus de possibilités de convaincre ce monde d’en finir avec la fin, c’est néanmoins dans ce temps que l’on nomme par défaut la paix. C'est-à-dire, à l’intérieur d’espaces-temps qui peuvent être plus ouverts, moins surdéterminés et où des élans et des démarches vitales non masochistes, peuvent se déployer. Si dans ces espaces résiduels, nous comprenons ce qui anime en nous le refoulé et le défoulé guerriers, alors sous condition d’aller au fond de nos structures mentales les plus enfouies, il devient possible pour certains, de convertir l’énergie aveugle du guerrier, en puissance humaine adulte.
Une question principale se pose à cet instant, celle, non plus d’images iconiques, figées, publicitaires, de modes d’existences pacifiés, mais des processus qui les rendent réellement désirés et centraux. C’est à l’humanité, à l’échelle de l’espèce, dans toute sa conscience active, de se prononcer aujourd’hui pour le bonheur ou le malheur de vivre, pour se prononcer absolument clairement sur ces questions ultimes, au-delà de toutes les désespérances partisanes ou grégaires, ce qui est loin d’être pleinement réalisé à ce jour, en effet.
Très souvent, il perdure quelque chose en nous de massif, qui se laisse facilement manipuler, qui entre aisément en conflit, intellectuellement, ou par peur, par ignorance, en particulier sur les façons de déjouer les agressions. Et d’autant plus naturellement que de manière plus massive encore, perdure quantités phénoménales d’injustices et de souffrances, qui sont autant de nourritures pour les haines et les ressentiments.
Quelles sont les qualités particulières à acquérir ou à développer, à l’échelle individuelle ou collective, pour se réaliser dans une dynamique globalement pacifique ? Tout dépend des circonstances évidemment. Mais majoritairement, c’est plus une question d’esprit, c'est-à-dire de philosophie, de psychologie et de connaissances anthropologiques permanentes, que de techniques. D’ailleurs, que sont les mouvements, les associations, les acteurs sociaux, les auteurs, sincèrement pacifiques, qui ne se masquent aucune des difficultés inhérentes à cet art de vivre ? Existent-ils des lieux d’action, des outils, des cercles de créativité et de réflexion, qui tout en étant sincèrement pacifiques, insolents, joyeux, savants, transdisciplinaires et irrécupérables par quelque force que ce soit, et surtout, tenaces, et qui ont alors pleinement conscience que ce feu sacré et perpétuellement révolutionnaire, s’entretient à jamais ? (3)
Partout dans le monde, une grande partie des contre-cultures, logent, animent, incarnent depuis toujours ces tendances vitales.
En France, des Gilets jaunes aux alternatifs de l’écologie, de l’agriculture, de la pédagogie, de la santé, de la presse indépendante (mais oui, mais oui) si ce n’est de la poésie, tel notre pétulant forum hebdomadaire médiapartien, animée par Ceinna Coll (https://blogs.mediapart.fr/ceinna-coll), indomptable ambassadrice des luttes populaires et essoreuse de fact-checkers esbroufeurs, en compagnie de bien d’autres scripteurs sincères et clairvoyants de cet organe. Ce que le vieux monde phobique du crime discret de la bourgeoisie, du crime de bureau paresseux, du trust et autre cartel de la vérité journalistique indiscutable, ne peut ni désirer, ni même plus supposer. Car l’absence de guerre, n’est pas la paix, mais la réalisation constante, courageuse et joyeuse de l’humanité, au plus haut de ses possibilités et sur tous les plans de sa créativité.
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Les joueurs de skat - Estropiés de guerre jouant aux cartes, Otto DIX
https://blogs.mediapart.fr/hippolyte-varlin/blog/021118/il-y-cent-ans-un-silence-de-rires-et-de-larmes-aujourd-hui-un-silence-suspect
Un court billet d'Hippolyte Varlin et commentaire de Ceinna, qui valent le détour.
Ou la véritable force de MDP
De cet héritage, de ces formes incontrôlables des pulsions martiales qui baignent chacun d’entre nous, pour l’essentiel, il s’agit assez peu des peuples eux-mêmes. Leur condition principale, tant que les Etats, les écoles et les médias se comportent en fabricants de la norme, tant que les outils critiques et transdisciplinaires ne sont pas promus comme valeurs centrales des cultures, leur condition est celle du banc de sardines dans la gueule de l’orque. Les pulsions réellement guerrières relèvent beaucoup plus d’un surinvestissement surmoïque, paranoïaque et manipulateur des Etats. Des Etats et de chaque petit potentat, qu’il soit tyran domestique, directeur de production d’un média publicitaire, journaliste à plateau, leader d’un groupuscule néonazi ou fondamentaliste, qu'importe. Sans oublier toutes ces petites coteries lobbyistes travaillant en sous-main pour l’armée qui voudra. Et à ce propos, qu’importe aujourd’hui que cette dernière soit nationale ou privée, n’est-ce pas. La plupart des Etats eux-mêmes sont d’ores et déjà, archi-privés. Nous en sommes privés. Et leurs structures mentales, éminemment en France, et depuis longtemps, sont en partie celles de prédateurs embusqués, ou de déjantés aux tendances fascistoïdes de moins en moins masquées, prêts à nous faire payer chaque jour un droit de survie, prêts à la guerre civile s’il le faut, dans une fuite en avant morbide, incapables d’assumer leur rôle historique.
Un beau pays, celui des Lumières et des droits humains, où les trois pouvoirs, étatique, législatif, juridique, se sont écroulés de l’intérieur, qui plus est en nous menaçant de tous les maux romains possibles. Dans ce monde en dérapages démocratiques de moins en moins contrôlés, nos dirigeants médians, comme une très grosse partie de la défunte sociale démocratie, n’échappent pas à la règle. A quelques exceptions près, ils sont en général vaniteux, embourgeoisés au taquet, paranos, aveugles, cyniques et éhontés, pour certains d’une inculture humaine abyssale qui fera d’eux de parfaits premiers de cordée du désastre. Certains animés de surcroît d’un érotisme sado-masochiste revendiqué, leurs instincts de prédateurs planqués ou d’amateurs de chasses privées et autres tauromachies saignantes, les entraînant d’autant plus aisément à l’exploitation de cette seule véritable fille publique qui rapporte gros, la guerre perpétuelle dans tous ses états.
Ce qu’il se passe en Ukraine et qui va continuer à se dérouler de façon sanglante, restera fondamentalement opaque, à l’image de nombreux processus mondiaux, si nous ne savons pas délocaliser notre regard, en même temps que nous dénonçons précisément, qui, où, comment, pourquoi. Si nous ne portons pas sur tous ces éléments tissés, de la même façon que nous l’avons fait pour démonter les processus hautement manufacturés du Covid, nous n’aiderons jamais à soigner la plus atroce des maladies, celle qui consiste, sur n’importe quel sujet, à d’abord vouloir en découdre, que ce soit frontalement ou en toute hypocrisie.
Nous devons, si nous le pouvons, démêler toutes ces problématiques, mais malgré le temps que nous y passerons, il est par ailleurs vain de penser que nous pourrons scanner aisément, chacun de notre côté, l’entièreté d’une démence en train de se faire. La guerre a son propre pouvoir de captation des corps et des esprits, sa propre dynamique en elle-même. Il faut du temps pour en absorber et comprendre les éléments fondamentaux, quelles que soient les tragédies en cours.
Il suffit de voir comment se distribuent les guerriers qui partent au charbon, qui en Ukraine de l’Ouest, qui au Donbass. Outre les idéalistes qui pensent connaître l’essentiel de ce qui se trame en Ukraine, sans parler du rôle qu’ils pourraient y jouer, on y trouve respectivement de nombreux va-t-en-guerre d’extrême droite venant de toute l’Europe (4), contingents inégalement distribués des deux côtés peut-être, mais distribués. Et nous serons forcément inondés de témoignages de crimes de guerre venant de partout, dont une partie sera sourcée et véridique et une autre bidonnée. Ça fait partie de ce que l’on nomme sournoisement l’art de la guerre. Car toute guerre est d’abord une insulte au langage, à la pensée, au réel et aux cultures vivantes.
Y porter une lumière crue, documentée, réfléchie, en tant qu’expression de ce qu’il y a de plus irrévocablement atroce, ou a contrario, précis, humain et créatif en nous, sans aucune indulgence idéologique ou grégaire, sans enterrer d’office aucun débat philosophique entre pacifisme et résistance armée par exemple, est l’acte minimal pour éviter que ces abominations continuent à proliférer en toute liberté. Sans un océan de voix fortes et libres, il est facile de comprendre qu'elles continueront à se développer de façon exponentielle selon le cahier de commandes des possédés qui tiennent cette planète en otage. Sous prétextes de crises multidisciplinaires systémiques qui se profilent en tous points du globe, dans la même gamme manipulatoire d’évitement qu’est définitivement le fanatisme sanitaire du Covid 19, le simulacre de l’action des Etats-vampires, ne vise plus qu'à gagner du temps sur la prise en charge obligée des urgences du monde. En particulier, environnementales, et peut-être plus encore, face au développement exponentiel de la conscience humaine et son exigence multidimensionnelle de cohérence et de justice immédiates.
Au-delà, où plutôt en deçà des abominations en cours en Ukraine, les atrocités immondes toujours impunies du gouvernement syrien sous protection de la Russie, faut-il le rappeler, en particulier dans la prison de Saidnaya, véritable enfer, centre de torture systématique et d’exécutions massives, dont Abu Muhammed, un ancien garde, dit : « Saidnaya, c’est la fin de la vie. La fin de l’humanité ». La Syrie, incarne aujourd’hui, à cause de ce niveau d’horreur, un lieu archétypal de la haine absolue de l’autre, donc de soi-même, donc de la vie.
Or, cet Etat, outre Saidnaya, a érigé d’innombrables emplacements de détentions et de torture sous l'autorité des renseignements militaires, sans oublier le viol systématique, sans exception, de toutes les femmes passées par les geôles syrienne durant ces années, comme l’a montré Manon Loizeau dans les témoignages de son terrible documentaire de 2017, Syrie, le cri étouffé. (5) Sans oublier non plus, pour ce qui concerne l’Etat russe, lors de la seconde guerre de Tchétchénie, la technique dite des fagots, appliquée par certaines compagnies militaires contre les villages tchétchènes qui ne coopéraient pas assez vite, consistant à réunir en cercle le village, à entourer tout le monde avec des barbelés, et après y avoir déposé des bâtons de dynamite, à faire exploser la totalité de la population. (6)
Vladimir Poutine. Une de ses professeurs de russe témoignait dans un documentaire d’Arte, de la manière qu’il avait de sceller chaque jour son pupitre à l’aide d’une batterie de cadenas. Comme Biden, comme Trump, comme Obama ou comme Macron, paradoxalement, et qu’importe la puissance militaire et économique des sociétés qui vont les porter au pouvoir, qu’importe finalement leur fond d’écran publicitaire, philosophique, politique ou psychiatrique, ce que nous avons fatalement tendance à refouler, c’est que ces chefs d’Etat puissent être autre chose que l’image d’Epinal que nous leur attribuons. Derrière leurs appétits de domination, derrière les leaders de guerre qui se la pètent, il y a également, souvent, des acteurs sociaux, souvent inaptes, pas toujours sur tous les plans, il y a surtout des pions idéaux d’un jeu multiple, un jeu morbide, de ce qui pourrait passer pour l’espèce contre elle-même, et que peu d’entre eux, absorbés par leurs danses de l’ombre, connaissent réellement, de façon active. Ivresse somatisée, extorquée, embouteillée, faite du consentement populaire le plus entretenu, extrait de nos pulsions morbides les moins conscientes, cette volupté, dont Kissinger dit impudemment, mais pertinemment, qu’elle est l’aphrodisiaque des hommes de pouvoir.
Le problème des chefs d’Etat guerriers, comme celui de leurs représentants intermédiaires, bien plus que leurs psychologies bellicistes elle-même, ne tiendrait-il pas au fait que le pouvoir que nous leurs accordons, par le simple abandon de notre souverainté, attire continuellement des profils de ce type ? Dans un monde pyramidal de compétition perpétuelle, exaltée par tous les moyens, le cynisme des compulsifs narcissiques et des psychopathes sociaux leur accorde un avantage permanent, symbolique, financier, relationnel, comme nous mettait en garde Albert Jacquard (7), ou récemment l’écrivain et psychologue Steve Taylor (8). Nos présidents élus, et même parfois bien élus, le sont-ils malgré le fait qu’ils sont souvent les pires pour cet emploi, ou bien davantage, parce qu’ils le sont précisément ?
Quant à l’image que nous nous faisons de tel ou tel de ces leaders, particulièrement si nous lui attribuons des caractéristiques de prédateur, nous lui demanderons surtout de correspondre au portrait robot qui nous a été vendu ou imposé. Souvent par lui-même, quelquefois, à corps défendant. Sans omettre tous ceux, qui, blottis courageusement dans l’ombre de tout autocrate, se reconnaissent parfaitement en lui. Ou tout au moins, savent reconnaître parfaitement où est leur intérêt. Et c’est peu dire que leur nombre s’est multiplié depuis plus de deux ans. Pour beaucoup de raisons, et quels que soient nos dégoûts ou nos servitudes, nous préférons en général, un chef, un adversaire, un ennemi ou un coupable, bien définis. Parce qu’alors, en effet, c’est du classique. La scène archétypale la plus simple pour nourrir l’intrigue du pauvre, du conscrit, du jeune en âge de se faire étriper, oui, c’est bien la scène théâtrale canon, la plus classique, aux unités mensongères. Il est vrai que dans le réel, n’en déplaise à Machiavel, nous n’aimons pas vraiment le flou des Princes de Venise et leurs complots d’aragnes en tarentelles permanentes. Contrairement aux séries télévisuelles à rallonge, dans la vie qui saigne, nous préférons le simple, voire, le simplet. Car même si nous subodorons que c’est à l’opposé du réel à l’œuvre, nous savons également que ces intrigues de palais ne sont jamais que des parenthèses évanescentes entre les atrocités massives du passé et celles à venir, et c’est fatalement dur à envisager.
Il y a donc, et il y aura encore, des massacres, des tortures, des viols, et probablement de la part de tous. Ils ont déjà eu lieu. Venant de certaines forces russes ou russophones, tout comme chez certains membres d’unités ukrainiennes, en particulier chez les factions pro-nazies, qui n’hésitent pas à se filmer en train de cribler de balles leurs prisonniers, ou de fouetter des civils déshabillés en pleine rue. Ce qui s’est produit au Maïdan ou à Odessa, dans l’incendie de la Maison des syndicats en 2014, où des manifestants russophones réfugiés ont été brûlés vifs, ou, sautant des fenêtres du bâtiment en feu, ont été achevés au sol, augurait assez mal de la suite.
Volet 3
La guerre, la ruse, le corps sous les étoiles (3) Néonazis, néocommunistes, néoscons
https://blogs.mediapart.fr/cham-baya/blog/190722/la-guerre-la-ruse-le-corps-sous-les-etoiles-3-neonazis-neocommunistes-neocons-0 L'accouchement de l’Ukraine, ce puzzle géant palpitant, peut-il dessiner un jour une entité autonome ? Métaphore de notre incapacité à sortir des passions tristes, qu’elles soient machiavéliques, grégaires, guerrières, ou ombre portée obsidionnale d’un empire gelé, la Russie, cette guerre est aussi une leçon pour le bloc de l’Ouest, si prompt à oublier sa mémorable fabrique à cauchemars.
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Notes et liens
1) Stress et défenses immunitaires
https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/sante/stress-et-defenses-immunitaires-6807.php
Quand le stress rend malade
https://www.passeportsante.net/fr/Actualites/Dossiers/ArticleComplementaire.aspx?doc=stress_rend_malade_do
2) Crimes de guerre du Japon Shōwa
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crimes_de_guerre_du_Japon_Shōwa
Dans cet article, de Wikipédia, si vous avez le courage, lisez le court paragraphe sous le titre :
Expériences humaines et guerre bactériologique (en bas du premier tiers de l’article).
Ainsi que dans Douglas MacArthur
https://fr.wikipedia.org/wiki/Douglas_MacArthur
Chapitre : Occupation du Japon.
Procès des crimes de guerre.
Ou, comment Mac Arthur, généralissime en charge du Japon après la défaite, donc après les procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, gracia des officiers supérieurs parmi les pires monstres de l’histoire, en particulier Shirō Ishii, créateur de l’Unité 731 en échange des résultats de ses abominations, taxées de « recherche médicale ».
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Shirō_Ishii?tableofcontents=1#cite_note-Pons-3),
« Alors qu’en Europe en 1947, le procès de Nuremberg met en évidence les responsabilités des nazis, un pacte secret est conclu entre Douglas MacArthur et Shiro Ishii. Ce pacte lui garantit l’immunité et le secret sur les atrocités commises en échange des résultats qu’il a obtenus. Une entente est conclue et tous les membres de l’unité (Unité 731) sont exonérés de poursuites devant le Tribunal de Tōkyō. Ils reçoivent en plus une allocation à vie, sans doute de l’armée américaine. »
C’est vrai que dans cette époque de guerre froide prétendument« éthique » les USA ne vont pas cesser, jusque dans les années 70, de tester toutes sortes de drogues, pour accompagner toutes sortes de tortures. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_MK-Ultra)
Gracier ces généraux japonais contre leur aide dans le cadre de la lutte contre l’URSS, à l’image du recyclage de tant de Nazis utiles, indique quelque chose de la dégradation mentale avancée du pouvoir étasunien.
Mac Arthur empêcha par ailleurs la mise en accusation pour crimes de guerres de l'empereur et des membres de la famille impériale comme les princes Chichibu, Asaka, Takeda, Higashikuni et Fushimi. MacArthur confirma que l'abdication de l'empereur n'était pas nécessaire. Ce faisant, il ignora les conseils de nombreux membres de la famille impériale et des intellectuels japonais qui demandaient publiquement l'abdication de l'empereur et la mise en place d'une régence.
Et ce n’est pas tout. Si, comme tout homme de pouvoir, Mac Arthur sut se montrer servile avec ses alter-égos japonais, il n’en fut pas de même avec les populations martyrisées par les deux explosions nucléaires, de Nagasaki et Hiroshima. L’heure japonaise, décidée pour ces deux largages de bombes, avaient été calculée pour survenir le matin, au moment où les gens partaient au travail et les écoliers à l’école, de façon à tester en situation de variété maximale, les qualités destructives de ces bombes. Une émission sur Radio libertaire, du 8 aout 2022, donne beaucoup de précision sur ces calculs atroces. Elle présente le célèbre docteur Shuntaro Hida, décédé centenaire en 2017, et qui devint à l’âge de vingt-six ans, le médecin témoin et lanceur d’alerte le plus actif du Japon irradié. Il devint célèbre pour sa dénonciation des effets dévastateurs sur les survivants du bombardement d’Hiroshima, et précisément, comment sous prétexte d’études, et alors que toutes les installations sanitaires de la ville étaient dévastées, que 90% des médecins et des infirmières étaient soit morts, soit gravement blessés, les médecins américains avaient l’ordre de refuser systématiquement de soigner les survivants, exigeant juste de les suivre régulièrement, comme des fourmis, dans leur calvaire au long cours. Pourquoi ? Je vous laisse imaginer.
Marc Petitjean, qui a rencontré à plusieurs reprises le docteur Hida au Japon, a écrit le livre Destin d'un homme remarquable. D’Hiroshima à Fukushima et réalisé deux documentaires Blessures atomiques et De Hiroshima à Fukushima.
Il est vrai, qu’en terme de valeurs proches de ce sadisme scientiste des vainqueurs, voilà ce qu’on trouvait encore sans problème dans le Sud des Etats-Unis, quelques décennies avant, en 1916. C’est de l’insoutenable également.
Le lynchage aux Etats Unis - Numilog
https://excerpts.numilog.com/books/9782710329510.pdf
3) Pourquoi la non-violence est-elle révolutionnaire ?
https://nonviolence21.org/wp-content/uploads/2019/06/Brochure-Non-Violence-XXI-.pdf
4) l’implication de l’extrême droite française dans la guerre - Info Libertaire
https://www.infolibertaire.net/bloc-identitaire-troisieme-voie-front-national-ukraine-les-docs-qui-montrent-limplication-de-lextreme-droite-francaise-dans-la-guerre/
5) Manon Loizeau Syrie, le cri étouffé
https://www.youtube.com/watch?v=djqLnSaAR6w
Human Rights Watch - Syrie : Révélations sur des centres de torture
https://www.hrw.org/fr/news/2012/07/03/syrie-revelations-sur-des-centres-de-torture
6) « Etudiants-fagots » au Trocadéro : « Qui est terroriste en Tchétchénie ? »
https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/12/21/etudiants-fagots-au-trocadero-qui-est-terroriste-en-tchetchenie_4247315_1819218.html
7) Albert Jacquard : « On est en train de sélectionner les gens les plus dangereux »
https://www.youtube.com/watch?v=9v9updAv018
8) Narcissiques et psychopathes: voici comment certaines sociétés écartent du pouvoir ces personnes dangereuses.
Steve Taylor. Senior Lecturer in Psychology, Leeds Beckett University
https://theconversation.com/narcissiques-et-psychopathes-voici-comment-certaines-societes-ecartent-du-pouvoir-ces-personnes-dangereuses-119127