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Billet de blog 29 déc. 2015

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« Contraire à notre histoire, à nos valeurs et à notre droit »

Le Club Droits Justice et Sécurités (DJS) estime que la constitutionnalisation de l’état d'urgence « est juridiquement inutile » et que l’extension de la déchéance de nationalité est « contraire à notre histoire, à nos valeurs et  à notre droit ». C’est devant le Club DJS que, le 6 février 2012, François Hollande, alors en campagne présidentielle, était venu présenter ses engagements sur la justice.

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Le Club droits justice et sécurité a pris connaissance du projet de loi constitutionnelle dit « de protection de la Nation » après son adoption en Conseil des ministres le 23 décembre dernier.

Ce projet de loi introduit d’une part un nouvel article 36-1 dans la Constitution, qui constitutionnalise l’état d’urgence, et d’autre part modifie son article 34 pour permettre au législateur de fixer les conditions dans lesquelles une personne née française et qui détient simultanément une autre nationalité peut être déchue de sa nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour une atteinte grave à la vie de la Nation.

1/ S’agissant de l’état d’urgence, l’exposé des motifs de la loi insiste sur la « nécessité » de donner un fondement constitutionnel à la loi de 1955, révisée le 20 novembre dernier à l’égal des régimes d’exception que sont l’article 16 et l’état de siège.

Le Club DJS tient à rappeler que le Conseil constitutionnel a déjà affirmé par sa décision du 25 janvier 1985 à propos de la Nouvelle Calédonie que si la Constitution, « dans son article 36, vise expressément l'état de siège, elle n'a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence pour concilier…. les exigences de la liberté et la sauvegarde de l'ordre public ».

Par conséquent, l’état d’urgence n’est pas contraire à la Constitution ; certes l’exposé des motifs du projet de loi avance qu’un tel fondement constitutionnel permettra des mesures administratives telles que les contrôles d’identité sans nécessité de justifier des conditions particulières, de retenue administrative sans autorisation de la personne présente à son domicile faisant l’objet d’une perquisition et de saisie d’objets ou d’ordinateurs. Mais on sait que ces mesures sont d’ores et déjà possibles puisque le Conseil constitutionnel a rejeté une QPC le 22 décembre qui mettait en cause l’assignation à résidence et aussi le fait qu’elle était placée sous le contrôle du juge administratif et non du juge judicaire.

Le Conseil constitutionnel reprenant sa jurisprudence ancienne relève que les mesures restrictives d’aller et venir ne touchent pas à la liberté individuelle mais sont des mesures de police administrative destinées à préserver l’ordre public ; et dès lors qu’elles sont entourées des garanties prévues par la loi de 1955 et notamment le fait qu’elle ne peuvent pas dépasser 12 heures, elles ne sont pas contraires à la Constitution.

Le fait de constitutionnaliser l’état d’urgence n’apporte à notre droit rien de plus que ce qu’il contient déjà ! Et le fait même qu’il existe dans la Constitution n’enlèverait nullement au Conseil constitutionnel, saisi a priori ou a posteriori, la compétence pour juger des mesures prises par la loi sur ce fondement. Par exemple on sait déjà que la Haute juridiction jugerait que la retenue d’une personne pendant plus de douze heures ferait basculer la mesure d’assignation à résidence en restriction de la liberté individuelle qui devrait alors être placée sous le contrôle du juge judiciaire sur le fondement de l’article 66 de la Constitution.

A tous égards, la constitutionnalisation de l’état d’urgence est donc juridiquement inutile dès lors que cet état d’exception à l’état de droit existe déjà…Il ne s’agit donc que d’un affichage et celui-ci est particulièrement mal venu.

En effet, outre cette inutilité, le Club est persuadé que, comme l’écrit le Professeur Olivier Beaud dans le Monde du 1er décembre dernier que « le citoyen n’a rien à gagner à voir inscrites dans la Constitution des mesures de circonstance qui permettent de déroger à l’Etat de droit. Constitutionnaliser, c’est-à-dire institutionnaliser, banaliser, naturaliser l’état d’exception, n’est pas un progrès pour la démocratie. »

Le Club s’inquiète déjà de cette banalisation inscrite au cœur du projet de réforme constitutionnel notamment sur les circonstances de la prolongation de l’état d’urgence. En effet si le dernier alinéa de l’article 36-1 prévoit qu’il ne peut être prolongé au-delà de 12 jours que par la loi, c’est celle-ci qui en fixe la durée…C’est dire si potentiellement l’état d’exception pourrait devenir l’Etat banal dès lors que la lutte contre le terrorisme n’est pas appelée selon toute vraisemblance à se terminer dans une période de temps courte ni prévisible… Dès lors, toutes les mesures dérogatoires à l’Etat de droit pourraient subsister sur une très longue période. Or celles-ci ne peuvent être justifiées que par l’urgence. Une urgence qui dure avec les mesures exceptionnelles qui l’accompagnent est un renoncement durable au rétablissement de l’Etat de droit qui est pourtant la seule justification aux dites mesures. 

2/ S’agissant de la déchéance de la nationalité d’une personne née française qui détient une autre nationalité lorsqu’elle est condamnée pour une atteinte grave à la vie de la Nation :

Le Club DJS est totalement opposé à ce qu’une telle mesure soit inscrite dans la Constitution.

Et cela pour plusieurs raisons :

- En premier lieu, comme de nombreux observateurs l’ont fait remarquer cette mesure est totalement inefficace. Comment certains individus qui sont prêts à semer la mort de centaines d’innocents et prêts à se faire « exploser » en même temps pourraient-ils être dissuadés de le faire en raison d’une éventuelle déchéance de nationalité. Une sanction qui n’est pas faite pour dissuader un comportement est un non-sens. C’est nier le rôle même de la peine.

- En deuxième lieu, déchoir un binational né français de sa nationalité française, de manière à en faire un étranger, ce qui est concevable au regard de son comportement qui vise à détruire le lien social, est pourtant aussi une façon de nier que ce même comportement est celui d’un Français de naissance et qu’il conviendrait plutôt de s’interroger sur les causes et les raisons qui font qu’un français tue des Français et se tue lui-même plutôt que de masquer le problème en en faisant un étranger…

- En troisième lieu, on ne peut qu’être perplexe de l’inscription dans la Constitution même d’une disposition qui introduit une inégalité entre français selon qu’il sont binationaux ou non. En effet on s’en veut de rappeler qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » et seule la loi peut déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ou pour régler des situations différentes. Les distinctions ne peuvent être donc faites que par la loi et non par la Constitution.

On s’en voudrait aussi de rappeler que le Conseil constitutionnel n’a accepté la déchéance de la nationalité française pour un binational qui l’a acquise qu’avec d’extrêmes précautions dès lors qu’il jugeait que « les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation » (n°96-377 DC et 2014-439 QPC). Il fallait en effet que les faits ayant entraîné la condamnation pour terrorisme aient eu lieu avant l’acquisition de la nationalité française, ou dans les 10 ans qui avaient suivi cette acquisition, (porté à 15 ans par la loi du 23 janvier 2006). A fortiori, il n’est pas probable que le Conseil constitutionnel puisse avaliser la déchéance de la nationalité française d’une personne née française. A cet égard l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle a parfaitement raison de penser que pour ce faire il faut techniquement modifier la Constitution…Mais le faut-il en opportunité ?

Il est extraordinaire qu’en faisant cela le projet de loi présenté au nom du Président de la République reconnaisse dans l’exposé des motifs, qu’il porte atteinte à un principe auquel les lois de la République n’ont jamais dérogé. Il vaut la peine de citer entièrement le passage de l’exposé des motifs tant son rédacteur est absolument inconscient de l’énormité de ce qu’il écrit :

« Les lois républicaines ont constamment réservé la sanction qu’est la déchéance de la nationalité au cas d’un binational devenu français. Il en a d’abord été ainsi avec la loi du 7 avril 1915 puis avec la loi du 10 aout 1927 ainsi qu’avec le décret-loi du 12 novembre 193. Pour des personnes nées françaises, les lois républicaines n’ont jamais retenu la possibilité d’une déchéance de la nationalité mais seulement d’une perte de nationalité alors que cette perte résulte normalement d’un acte volontaire ou d’une situation de fait et non d’une sanction. Ainsi toutes les caractéristiques dégagées par le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence sont réunies pour qu’il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à l’absence de la possibilité de déchéance de nationalité pour une personne née française même si elle possède une autre nationalité ».

On ne saurait mieux dire. Le Club DJS partage entièrement ce point de vue et pense que d’admettre dans la Constitution la déchéance de nationalité pour une personne née française c’est rompre avec une tradition Républicaine bien ancrée dans nos mœurs. N’est-ce pas rompre tout simplement avec les lois républicaines comme l’avoue le projet de loi lui-même ?

Et comment dire mieux aussi que la République, la IIIème comme la IVème et la Vème jusqu’à aujourd’hui, ont pu se défendre contre toutes les terreurs qui se sont abattues sur elle sans recourir à une telle mesure !

Inutile, inefficace, incompréhensible, portant atteinte à la tradition ininterrompue des lois Républicaines, la déchéance de la nationalité pour les personnes nées française doit être abandonnée.

Le Club DJS demande au Premier Ministre, au Président de la République qui veille au respect de la Constitution et aux parlementaires qui débattront du projet de loi de « Protection de la Nation » de renoncer à introduire dans notre texte fondamental une telle mesure si contraire à notre histoire, à nos valeurs et  à notre droit. 

Le Club Droits Justice et Sécurités

Le Club DJS a publié en 2012 un Manifeste pour la Justice, aux éditions du Cherche-Midi (lire ici). Il fut présenté lors d’une réunion publique à Paris, le 6 février 2012, à l’occasion de laquelle François Hollande, alors en campagne présidentielle, vint présenter ses engagements pour la justice (lire là).

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