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Billet de blog 10 avril 2020

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Covid-19, violences domestiques. Les autorités russes ne s’expriment pas

L'opinion russe a basculé et pense qu'il faut lutter contre les violences domestiques. Dans la période de confinement dans laquelle rentre la Russie, des associations demandent de le faire, vraiment.

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À la différence de ce que j’ai signalé pour l’Ukraine dans mon billet précédent, et sauf erreur de ma part, j’en serais heureux, les autorités russes ne se sont pas exprimées sur les conséquences du confinement sur les violences à l’encontre du conjoint, des enfants ou d’autres personnes, notamment ascendants, présentes au sein du domicile.

Le sujet a cependant été abordé dans la presse, et a donné lieu à des prises de position de plusieurs personnalités engagées dans la lutte contre les violences conjugales, notamment Oksana Pouchkina, députée à la Douma d’État, et Marie Davtian, avocate, une des auteurs du projet de loi sur la prévention des violences domestiques. 

Avant d’y venir, passons par Perm, où le média en ligne Properm.ru a publié le 9 avril un article sur un cas de violence conjugale. Je le traduis presque intégralement, cela me semble la bonne méthode pour rentrer dans la réalité russe, et pour essayer de se l'approprier, plutôt que de projeter ce que nous croyons être. 

À Perm, la police ne s’est pas déplacée après un appel d’une femme agressée par son mari ivre

La Permienne a refusé d’être hospitalisée pour rester avec des enfants. L'agresseur paiera une amende de 5 000 roubles

Une semaine après le début des mesures de quarantaine liées à la pandémie de coronavirus, la violence domestique a augmenté d'un tiers dans certains pays de l’Union Européenne, selon des déclarations faites devant le Parlement européen. En Russie, on ne tient pas ces statistiques, personne ne prête attention aux victimes confinées avec leurs agresseurs, personne ne les compte.

« Il avait l'habitude de boire beaucoup, surtout le week-end, mais il n’avait jamais levé la main sur moi », a déclaré à Properm.ru Vera G. (le nom est modifié), une résidente de Perm, forcée de fuir de chez elle avec ses enfants pendant l'auto-isolement. Une des filles de Vera est handicapée, la seconde est un bébé d'un an. Son mari l’a frappé avec une chaise sur la tête, une commotion cérébrale a été diagnostiquée. Les médecins craignaient un œdème cérébral, mais elle ne pouvait pas laisser ses enfants seuls avec des inconnus (elle s’était réfugiée chez des amis), et a refusé d'être hospitalisée.

Selon Vera, la police n’a pas répondu à son appel, parce que « des ordres internes des grands chefs prévoient de ne se déplacer que pour des délits graves, personne ne doit être conduit au poste ». Après que les médecins ont eu informé la police de la blessure, un policier du district a appelé Vera, a recueilli tout les éléments par téléphone et a déclaré que son mari serait condamné à une amende de 5000 roubles (un rapport d'infraction administrative sera établi et lui serait envoyé par courrier) (…).

Des amis et des bénévoles de «Territoire de la famille» ont aidé Vera avec de la nourriture et des jeux pour les enfants. Elle sait où se réfugier, et ce qu’elle va faire ensuite. Combien de femmes n'ont ni la possibilité ni l’occasion de changer quoi que ce soit à ce qu’elles subissent ? La question de la violence domestique est maintenant un sujet fédéral. Enfin, on a commencé à en parler ouvertement d'elle et à discuter d’une loi pour la sanctionner.

Properm.ru est prêt à parler des violences que vous subissez: anonymement ou ouvertement. Si vous êtes prêt à partager avec nous, veuillez contacter red@properm.ru.

L’article me semble parler de lui-même, il témoigne je crois du travail fait par les journalistes et la société civile russe pour lutter contre les violences domestiques. Je fais deux ajouts : 

- le premier pour signaler qu’au regard de la loi russe ( cf. ce billet), les faits ne constituent pas une infraction administrative, mais une infraction pénale. Lorsqu’il y a contusion, et dans ce cas possiblement un oedème cérébral, ils entrent dans le champ d’application de l’article 115 du code pénal de la fédération de Russie. Mais ici, comme ailleurs, la police peut se donner le droit de choisir la qualification juridique des faits qu'elle constate. 

- le second pour présenter Territoire de la famille («Территория семьи»). C’est une de ces nombreuses associations locales à vocation sociale, sur lesquelles reposent une grande part de la solidarité en Russie. Elle est active depuis 2015, et aide chaque mois dans le kraï de Perm plus de 100 familles en difficulté, monoparentale, où les parents n’ont pas d’emploi, rencontrant des problèmes juridiques ou psychologiques. Ou dans lequel survient le « pire » qui puisse se produire dans une famille, cet euphémisme peut désigner les violences domestiques. Elle leur apporte un soutien matériel, vêtements, chaussures, articles essentiels, les conseils d’un avocat et d’un psychologue, et un accompagnement actif. Elle dispose d’un « appartement de crise », qui peut servir à l’accueil de femmes victimes de violences, et de salles équipées pour des ateliers de couture et d’informatique.

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L'accompagnement à Territoire de la famille. Dans les mains de la femme accueillie à l'association, une brochure sur les aides à la famille de l'administration de Perm © Территория семьи

Signalons aussi l'action d'un centre de crise de Krasnoïarsk (nous dirions un lieu d'accueil des femmes victimes de violences). Il s'agit de Verba (le Saule, «Верба»), qui confronté à une augmentation du nombre des appels de femmes pendant le confinement, poursuit son activité d’accueil, mais a aussi mis en place un numéro d’appel, Respirons calmement, où on peut évoquer les situations de stress avec des psychologues. Je ne développe pas, c’est ici.

À Moscou et au niveau fédéral, Marina Pisklakova-Parker, la directrice d’ANNA, une des plus anciennes associations à lutter contre les violences conjugales, a relevé une augmentation à la fin du mois de mars des appels de victimes. Elle l'impute au confinement, mais aussi à l’accroissement des tensions sociales, et alerte sur les conséquences de la fermeture des lieux où les femmes pouvaient se réfugier. La député Oksana Pouchkina signale aussi une augmentation des violences domestiques à l’encontre des personnes âgées. Marie Davtian, dans un interview à Novaîa gazeta, alerte elle-aussi.

Ces prises de position et la presse font souvent référence aux déclarations récentes de la rapporteuse spéciale des Nations-Unies, Dubravka Simonovic, ou à celles faites devant le Parlement européen. Les positions prises par le gouvernement français et les déclarations de Christophe Castaner sont également mentionnées, positivement La nécessité de faire aboutir en Russie le projet de loi sur la prévention des violences domestiques est également rappelée, comme l’utilité qu’aurait eu son adoption avant la crise sanitaire.

Neuf grandes associations russes luttant contre la violence domestique ont de plus demandé au gouvernement russe et aux gouverneurs des sujets de la Fédération de prendre des mesures urgentes pour fournir protection et assistance aux victimes pendant la période de confinement.

Elles invitent en particulier les autorités à fournir « un nombre suffisant de places dans des abris ou des organisations temporairement utilisés comme asile », en mentionnant que dans d’autres pays les hôtels sont utilisés comme lieux de séjour temporaire de personnes confinées, et que les représentants de l'industrie hôtelière russe ont indiqué qu'ils étaient prêts à participer à de telles mesures temporaires.

Elles demandent également aux services de police de prendre « leurs responsabilités pour répondre immédiatement aux signalements de violences domestiques et assurer la sécurité des victimes », d’enregistrer et d’enquêter sur tous les cas, d’expliquer aux victimes comment elles peuvent obtenir de l'aide et d’assurer leur sécurité. Et, bien sûr, considérer que les victimes de violences domestiques qui fuiraient leur domicile violeraient les règles de quarantaine. 

Elles n’ont pas encore reçu de réponse. Je vous dirai quand elles l'auront.

Ria novosti (30 mars 2020) - MKRU (31 mars) - Kommersant (2 avril 2020) - Novaïa gazeta (4 avril 2020) - Gazeta.ru (7 avril 2020) - Properm (9 avril 2020)

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L'appartement de crise de Territoire de la famille © Территория семьи

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