J’ai déjà parlé dans ce blog de Katrine Nenacheva, dans un billet consacré à Sacha Staros et au mouvement psychoactiviste en Russie. Un autre billet, plus long, lui a été consacré dans Mediapart par Natalia Prikhodko Je regarde simplement la violence.
J’ai été pour ma part impressionné par une performance contre la torture qu’elle a réalisé en septembre 2018 à Moscou, avec le groupe Grouz 300. Elle s’était enfermée dans une cage, enveloppée dans un film translucide avec comme légende : « Dans cette cage, il y a un corps. Un corps qu’ils ont torturé. On torture en Russie chaque jour, derrière les portes fermées des prisons, des commissariats de police, des internats psycho-neurologiques, des hôpitaux psychiatriques. … ».`

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Pendant sept ans d’activisme artistique, Katrine Nenacheva a réalisé une douzaine d’actions et de projets analogues : un mois dans un uniforme de prisonnière pour protester la situation des femmes dans le système carcéral russe, la création de Psikhoaktivno («Психоактивно»), le 1er mouvement russe d’auto représentation des personnes souffrant de troubles mentaux, qui milite pour les progrès en psychiatrie et santé mentale, et le respect des droits des personnes handicapées mentales, et le projet « Des ados et des chats » (Подростки и котики»), qui soutient les enfants qui ont connu la toxicomanie, les menaces et la violence ou des problèmes de santé mentale, projet qui lui a valu d’être arrêtée par la police de Moscou, ce samedi 30 juillet, alors que je commençais à écrire ce billet.
Elle a donné à Meduza un long interview, publié le 24 juillet. Elle y affirme sa volonté de ne pas quitter la Russie, ce qui serait pour elle une trahison.
Elle y raconte comment elle a participé à des manifestations contre la guerre— des piquets individuels — et comment elle a été arrêtée à plusieurs reprises. Elle explique que cette forme de protestation ne lui semble plus la bonne façon d’exprimer sa position, et que résister, c’est maintenant créer du lien social et des « communautés », où chacun puisse apprendre à connaitre les autres, partager les expériences et développer une conscience civique. Et que résister, c’est aussi faire du travail social, pour elle d’organiser un camp de vacances pour les enfants réfugiés d’Ukraine.
Le camp de vacances — nous dirions le centre aéré — accueille 10 à 12 enfants par roulement. Il comprend des visites auprès de peintres et de sculpteurs, ou dans des musées et des galeries d’art moderne, mais aussi du street art ou de la photographie. D’autres moments sont consacrés à des discussions et à des jeux de tous les jours. Il est organisé, faute d’autre lieu, et non sans incompréhension, dans un foyer de l’Église orthodoxe. Les enfants ont de 9 à 12 ans, parfois un peu moins. Ils viennent de Marioupol, de Donetsk, de Kharkiv, de Sievierodonetsk. Ils sont très différents, dans leurs histoires, dans leur compréhension de ce qui leur est arrivé ou de ce qu'ils ont subi. Les distraire de cela, leur offrir cette possibilité de vacances est bien sûr immensément important.
Katrine Nenacheva aborde d’autres sujets dans cet interview : l’art, qui doit être politique, sinon il n’est pas de l’art ; le groupe de discussion et de soutien mutuel « Je reste » où les activistes et d’autres personnes échangent sur ce veut dire rester en Russie dans la situation politique actuelle. Mais revenons en arrière.
J’ai écrit avoir été impressionné par la performance de Katrine Nenacheva, je le suis aussi face à l’idée que résister, c’est maintenant partager et faire acte de solidarité — faire du lien et du travail social. Cela me semble vrai, profondément russe aussi, profondément humain.
Ces Russes qui s’étaient engagés pour la modernité et la liberté sont d’autres héros. Ce pouvoir, qui fait la guerre à l’Ukraine, et qui enchaînera sur une guerre à son peuple — elle a déjà commencé —, va vouloir les sacrifier à son idéologie de la bêtise et du passé. Sachons qu’ils existent et qu’ils cherchent d’autres formes pour leur combat. Et ne les oublions pas.

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