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Billet de blog 19 février 2017

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Les Alpes-Maritimes, territoire perdu par la République ?

Mise à jour 04.2019 - Atteintes aux libertés fondamentales, droit d'asile bafoué, mineurs isolés refoulés à la frontière, subornation de témoin et conflits d’intérêts, les Alpes-Maritimes constituent une zone où le non-respect du droit est organisé de façon structurelle par les autorités elles-mêmes. Face à cela, l'action citoyenne se révèle être le dernier rempart pour faire triompher le droit.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On a beaucoup glosé sur les zones de non droit et les prétendus territoires perdus de la République en stigmatisant volontairement les quartiers défavorisés et les populations y résidant.

Pour autant il est une véritable zone de non droit dont on ne parle pas en tant que telle, territoire esseulé et livré aux populismes locaux, où même les représentants de l'Etat semblent avoir perdu toute commune mesure : les Alpes-Maritimes.

En effet Nice et, plus globalement, les Alpes-Maritimes, constituent une zone où le non-respect du droit est organisé de façon structurelle par les autorités nationales et locales elles-mêmes. 

Sans faire un inventaire à la Prévert, arrêtons-nous sur quatre exemples des plus significatifs : l'entrave à la liberté de culte dans l'affaire En-Nour, les arrêtés municipaux illégaux et discriminatoires, la violation du droit d'asile et de la protection de l'enfance, et, enfin, la subordination de témoin et le conflit d'intérêt dans l'affaire Geneviève Legay.

1. L'entrave à la liberté de culte

Les textes sont limpides : la France est une République laïque et respecte toute les croyances (article 1er de la Constitution). La laïcité garantit à chacun la liberté de conscience, c'est à dire la liberté de croire ou de ne pas croire, et le libre exercice du culte dans le respect de l'ordre public (article 1er de la loi de 1905).

Pour autant, à Nice, envers les citoyens de confession musulmane, rien de tel. La mairie entrave délibérément différents projets de salles de prières depuis de longues années et s'acharne en procédures fallacieuses contre la mosquée En-nour (lire ici)

L'arrêt du conseil d'Etat du 30 juin 2016 (lire ici) concernant précisément l'Institut Niçois En-nour stipule que la Ville de Nice s'est livrée à "une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale" qu'est la liberté de culte. Il n'est point de désaveu public possible plus cinglant de la politique menée par la Ville de Nice envers ses administrés de confession musulmane.

Et que fait la Mairie ? Elle demande une seconde Déclaration d'Utilité Publique pour exproprier En-Nour. L'avis du commissaire enquêteur est là aussi négatif mais le maire déclare passer outre son avis et celui des citoyens qui se sont exprimés. C'est le Préfet, finalement, qui rejettera la demande de D.U.P. en vue de l'expropriation. Pour autant, le maire continue à affirmer qui fera fermer le lieux de culte.

Ainsi, une liberté fondamentale est publiquement bafouée, de façon répétée, et la Ville de Nice poursuit son acharnement juridique et procédurier en toute impunité.

2. Les arrêtés municipaux illégaux

C'est devenu une spécialité politique, presque un sport local, une pratique courante, banalisée : l'arrêté municipal à l'évidence illégal, qui sera bien sûr cassé, mais qui permet de faire le buzz médiatico-électoral. Liste non exhaustive :

Mai 1997 : le Tribunal Administratif (T.A.) annule deux arrêtés anti-mendicité de la Ville de Nice 

Juillet 2010 : le T.A. annule l'arrêté municipal niçois et l'arrêté préfectoral imposant aux épiceries de nuit de fermer à 23 heures en raison de vente d'alcool la nuit.

Mars 2014 : le T.A. déclare l'arrêté municipal de la Ville de Nice interdisant les drapeaux étrangers illégal et condamne la Ville de Nice à 1000 € de dommages et intérêts.

Mars 2015 : le T.A. confirme l'illégalité de l'arrêté niçois  "anti-bivouac" et condamne la Ville à verser 1000 € à la Ligue des droits de l'Homme.

Août 2016 : les arrêtés municipaux "anti-burkini" des villes de Cannes, Cagnes-sur-Mer, Fréjus et Nice sont tour à tour invalidés. L'arrêt du Conseil d'Etat du 26 août 2016 précise que l'arrêté municipal de Villeneuve-Loubet porte "une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle" (lire ici).

Ces arrêtés municipaux visent systématiquement les populations jugées "indésirables" : Roms, SDF, étrangers, musulmans. Nous sommes donc confrontés à une stratégie de stigmatisation méthodique et systématique de minorités ciblées.

Le Conseil d'Etat a une nouvelle fois constaté une atteinte aux libertés fondamentales manifeste à propos des arrêtés dits "anti-burkini", dont le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme de l'ONU estime qu'ils "stigmatisent les musulmans" et "alimentent l'intolérance religieuse".

Si un citoyen saisit la justice de façon répétée et infondée il peut être condamné pour saisine abusive. Mais une ville semble pouvoir prendre une série d'arrêtés plus illégaux les uns que les autres en toute impunité. 

Combien de temps va-t-on laisser les municipalités azuréennes porter atteintes aux libertés fondamentales en se contentant de casser leurs arrêtés et de les condamner à verser des sommes symboliques ?

3. La violation du droit d'asile et de la protection de l'enfance

Le Conseil Départemental des Alpes-Maritimes a beau s'en défendre dans la presse par la voix de son Président (lire ici) et de son Directeur Général des Services, le Préfet a beau nier et s'en prendre par voie de presse aux intellectuels et associatifs locaux (lire ici), le Procureur de la République a beau procéder à un harcèlement juridique contre les citoyens solidaires de la Roya pour masquer l'évidence (lire ici), les mineurs étrangers isolés ne sont pas pris en charge comme ils le devraient alors qu'ils relèvent de la protection de l'enfance (lire ici) et le droit d'asile est bafoué.

Amnesty International France a remis les conclusions de sa mission d'observation à la frontière franco-italienne intitulée très justement "des contrôles aux confins du droit" et le constat est sans appel (lire ici).  

Outre le rapport d'Amnesty International, le juge des référés du Tribunal Administratif de Nice, saisi du cas d’une famille érythréenne empêchée de demander l’asile en France, a tranché dans son ordonnance du 31 mars 2017, estimant que le Préfet des Alpes-Maritimes avait porté une « atteinte grave au droit d’asile » : « En refusant de délivrer aux intéressés un dossier permettant l’enregistrement de leur demande d’asile, alors qu’ils se trouvent sur le territoire français et qu’ils ont pris contact avec les services de police et de gendarmerie pour y procéder, le préfet des Alpes-Maritimes a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile » (lire ici).

Le Préfet des Alpes-Maritimes a été condamné une seconde fois par le Tribunal Administratif de Nice le 4 septembre 2017 : Cédric Herrou a informé le Préfet et la Police de l'Air et des Frontières qu'il accompagnerait trois soudanais à Nice pour qu'ils puissent faire valoir leur droit à l'asile. Mais ces trois demandeurs d'asile ont été raflé en gare de Breil et reconduits à la frontière avant même d'avoir pu accéder aux bureaux administratifs pour faire valoir leurs droits. La justice estime alors que « l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile ».

Le Préfet des Alpes-Maritimes a été condamné une troisième fois le 22 janvier 2018, cette fois-ci pour avoir reconduit illégalement à la frontière un enfant de 12 ans (lire ici) ! Arrêté en gare de Menton il a été renvoyé en Italie sans aide ni assistance. C'est une atteinte grave à la protection de l'enfance dont doit bénéficier tout mineur non accompagné en France.

Nous faisons ici face à une violation manifeste du droit d'asile et de la protection de l'enfance, masquée par une stigmatisation systématique et une tentative de criminalisation de la solidarité, par un Etat déjà condamné trois fois et donc lui-même multirécidiviste.

4. Entrave au droit de manifester, subornation de témoin et conflit d'intérêts

 Geneviève Legay, bravant une interdiction de manifester infondée, a été blessé à Nice le 23 mars 2019 lors de la charge des forces de l'ordre.  L'affaire Legay cumule les plus invraisemblables manquements à l'éthique et au droit :

- Un maire, Christian Estrosi, voulant absolument apparaître comme le dernier rempart face à des hordes de casseurs, continuant à alimenter les peurs, qui demande une interdiction totale de manifester dans sa ville ;

- Un ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, déjà porteur d’une loi portant atteinte à la liberté de manifester et à la séparation des pouvoirs, qui accepte sur le champ cette demande ;

- Un Préfet, Georges François Leclerc, qui impose une interdiction de manifester couvrant entièrement la ville alors que les manifestations de Gilets Jaunes s’y sont jusqu’alors déroulées sans violences ;

- Un commissaire Rabah Souchi, donnant ordres sur ordres, créant désordre et confusion, qui sonne la charge sur des manifestants pacifistes, causant ainsi la chute et les blessures graves d’une militante altermondialiste de 73 ans, Geneviève Legay ;

- Une enquête sur les agissements de ce même commissaire confiée à sa propre compagne, Hélène Pédoya, constituant ainsi un conflit d’intérêt évident, tellement énorme qu’on a du mal à y croire, mais qui ne choque absolument pas le procureur de la République ; 

- Le procureur en question, Jean-Michel Prêtre, et le Président de la République, Emmanuel Macron, qui affirment tous deux, alors même que l’instruction de l’enquête n’est pas terminée et que les images ne sont pas toutes collectées, que la victime n’a pas été poussée par un policier ;

- Des enquêteurs qui tentent, à trois reprises, d’obtenir un témoignage en faveur des forces de l’ordre auprès de la victime alors qu’elle est à demi consciente et sur son lit d’hôpital, constituant là une tentative de subornation de témoin répétée et en toute impunité ;

- Un Procureur Jean-Michel Prêtre, encore, qui refuse le dépaysement de l'affaire demandé par l'avocat de Geneviève Legay...

Ce que révèle cette affaire c'est non seulement le contexte du tout sécuritaire qui pousse les forces de l'ordre à des réponses disproportionnées  menant à des blessures graves mais aussi des dysfonctionnements et manquements au droit manifestes, tentatives de subornation de témoin et conflits d'intérêts.

Mises bout à bout et en prenant un prisme de lecture large, nous constatons que l'ensemble de ces atteintes aux libertés fondamentales et au droit sont mises en œuvre, depuis plusieurs années et de façon méthodique, par les autorités elles-mêmes : mairies, Conseil Départemental, Préfecture, DDSP, Parquet... 

Les Alpes-Maritimes sont donc le lieu de discriminations, de stigmatisations et de négations du droit par les collectivités locales et par l'Etat, constatées par le Conseil d'Etat, les tribunaux administratifs ou les observateurs associatifs.

A l’origine des différentes condamnations des autorités par la justice, passées ou à venir, nous retrouvons quasi systématiquement des citoyens constitués en associations, qui ont dû engager des procédures contre les institutions et les collectivités territoriales pour faire respecter les libertés fondamentales et faire triompher le droit et la solidarité.

Dans les Alpes-Maritimes plus qu’ailleurs, l’action citoyenne se révèle être le dernier rempart face aux exactions malheureusement commises par les autorités elles-mêmes.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.