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Billet de blog 1 décembre 2025

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De quoi Donald Trump est-il le produit ? (4) Les racialistes

Donald Trump est-il impérialiste ou isolationniste ? Sa vision du monde relève-t-elle du néo- ou du paléo-conservatisme ? Sa politique économique demeure-t-elle néolibérale ? Faut-il le taxer de fasciste ou de ploutocrate autocentré ? Pour y voir plus clair, il convient de se pencher sur les sensibilités et les personnages qui informent la dystopie MAGA.

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CHARLES MURRAY

"Il ne sera jamais le conservateur le plus célèbre du pays, mais il pourrait bien être le plus dangereux1". C’est ainsi que le New York Times définissait le politologue Charles Murray dans le long portrait qu’il lui consacrait à l’occasion de la sortie The Bell Curve, en 1994. Co-écrit avec le psychologue Richard J. Herrnstein, cet ouvrage, vendu à plus d’1,3 million d’exemplaires, "est sans doute le livre le plus controversé publié aux États-Unis depuis la fin de la Guerre froide2" souligne Quinn Slobodian. Sa thèse s’inscrit en effet dans la plus pure tradition eugéniste : si les Noirs sont disproportionnellement pauvres, incarcérés et dépendants de l’aide gouvernementale, c’est parce qu’ils ont un QI plus faible que les Blancs. Ils n’y peuvent rien, cela relève des gènes dont ils ont hérité, soutiennent Murray et Herrnstein.

Afin de donner corps à cette relation entre race, classe sociale, gènes et intelligence, les auteurs ont truffé le livre de graphiques, de tableaux et de statistiques, conférant une aura scientifique à leur brûlot racialiste. Ce qu’ils ne précisent pas, en revanche, c’est que nombre des références et sources qu’ils produisent ont été élaborées par des défenseurs de la pureté raciale dont la recherche a été financée par l’organisation suprémaciste blanche Pioneer Fund.

Dans ses écrits, Charles Murray tend à se présenter comme un chercheur accablé qui arrive à des conclusions troublantes avec le plus grand regret. Ce n’est pas lui qui parle, c’est la science. "Je ne pense vraiment pas être raciste3", assure-t-il, précisant que s’il utilise le verbe modérateur "penser", c’est uniquement parce qu’il se méfie des affirmations péremptoires.

Tous les ouvrages du politologue ne s’inscrivent pas dans la veine racialiste de The Bell Curve. Le premier d’entre eux, Losing Ground, publié en 1984, s’attaquait principalement aux programmes sociaux et leurs bénéficiaires, qu’ils soient noirs ou blancs. En particulier les mères célibataires, cibles privilégiées de Charles Murray depuis plus de 40 ans. Dans ce livre, l’essayiste libertarien utilisait déjà la même méthode : remplir ses pages de données pseudo-scientifiques pour donner l’apparence du raisonnable à ses thèses antigouvernementales. Selon le dogme qu’il défend, les programmes sociaux causeraient plus de problèmes qu’ils n’en résolvent, alors autant les abolir. Responsables de l’émergence d’une sous-classe blanche, ils sont même tellement dangereux qu’ils pourraient, dans un avenir proche, contraindre les élites cognitives à avoir recours à la répression militaire pour contenir les hordes de faibles d’esprit. Et inutile de compter sur l’éducation publique, qui demeurera à jamais impuissante face à leurs limites intellectuelles, alors autant l’abolir elle aussi. "Pour beaucoup de gens, il n’y a rien qu’ils puissent apprendre qui justifie le coût de l’enseignement", estime Murray.

Dans le dernier chapitre de The Bell Curve, Herrnstein et Murray disent espérer que leur livre suscitera un débat sur la manière de "manipuler la fertilité des personnes ayant un QI élevé ou faible". Trente ans plus tard, c’est dans la Silicon Valley libertarienne que cette idée s’est le plus largement développée. Ainsi des sociétés comme Genomic Prediction proposent aux futurs parents d’effectuer des tests sur les embryons afin de calculer leurs "scores polygéniques" et de donner naissance à une génération d’enfants génétiquement optimisés. Ces pratiques, qui connaissent un “essor alarmant” selon le magazine Nature, ravissent le milieu de la tech. Aussi Malcolm et Simone Collins, grands admirateurs de Trump et chantres du pronatalisme, se réjouissent-ils d’avoir offert au monde "le premier bébé sélectionné pour son intelligence4". Quant à Elon Musk, il incite ses amis blancs et riches à imiter son activisme en matière de procréation - il est le géniteur de 14 enfants - en leur conseillant de regarder "Idiocracy". Le scénario de ce film dystopique fait frémir le patron de X : l’élite intelligente cesse de procréer, laissant les idiots peupler la Terre.

1 Jason Deparle, “Daring Research or ‘Social Science Pornography’?”, The New York Times, October 9, 1994.

2 Quinn Slobodian, “The Unequal Mind: How Charles Murray and Neoliberal Think Tanks Revived IQ”, in Capitalism: A Journal of History and Economics, University of Pennsylvania Press, vol.4, N°1, Winter 2023.

3 Jason Deparle, ibid.

4 Raphaëlle Besse Demoulière, “Ces Américains en croisade pour faire le plus d’enfants possible, et sauver l’humanité”, Le Monde, 29 octobre 2023.


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LEON LOUW

Né en 1948, Leon Louw est un entrepreneur politique sud-africain issu d'une famille de suprémacistes blancs. Durant ses études, il flirte brièvement avec le marxisme avant de se convertir au néolibéralisme et de cofonder, en 1975, la Free Market Association of Southern Africa - un think tank libertarien affilié au réseau Atlas financé par Charles Koch.

Désireux de modifier le régime de l’apartheid sans compromettre les intérêts de la minorité blanche, il préconise un système de cantons ostensiblement semblable à celui de la Suisse, mais fondé en grande partie sur la séparation des "groupes sociaux, culturels et ethniques". Dans cette proposition, bien que le droit à la libre circulation se voit protégé par la Constitution pour le capital, les biens et les personnes de toutes races, on accorde malgré tout aux cantons "le droit de discriminer", compromettant de fait les droits de citoyenneté. Par ailleurs, les partis politiques ne sont autorisés que dans les cantons, tandis qu’un gouvernement national, prétendument neutre, est chargé d’endiguer les risques de conflits entre eux et de faire respecter les libertés du marché.

Louw développe cette vision dans South Africa: The Solution1, un livre publié en 1986 qu'il coécrit avec sa femme Frances Kendall. L'objectif avoué de son projet, comme il l'explique dans une interview accordée au Time Magazine un an plus tard, est de "permettre au tigre – la majorité noire – de sortir de sa cage sans que les Blancs ne soient dévorés2". Il s'est également efforcé de mettre en œuvre sa vision dans le bantoustan du Ciskei, jusqu'à la fin de l'apartheid, ce qui fait de lui un pionnier des "zones franches" libertariennes décrites par Quinn Slobodian dans Le Capitalisme de l’apocalypse.

Après la fin de l'apartheid en Afrique du Sud, Louw a continué à mettre en garde contre les dangers de ce qu'il appelle la  "démocratie sans limite", un régime qui, selon lui, "a conduit au communisme au Chili, au national-socialisme (le nazisme) en Allemagne et au règne de l'État providence dans de nombreuses régions d'Europe". Si le gouvernement de son pays s'est montré largement insensible à ses inquiétudes, il peut trouver un certain réconfort dans le fait que, sous l’administration Trump, les Afrikaners soient les seules personnes éligibles au statut de réfugié aux États-Unis.

1 Leon Louw et Frances Kendall, South Africa: The Solutions, Amagi Publications, 1986.
2
 Quinn Slobodian, “The Ciskei experiment: a libertarian fantasy in apartheid South Africa”, The Guardian, 23 mars 2023.


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PETER BRIMELOW

Peter Brimelow est né en Angleterre en 1947. Citoyen américain naturalisé, il aime se faire appeler le parrain, ou du moins l’oncle protecteur, de l’Alt-right - titre qu’il mérite.

Il a en effet joué le rôle de connecteur entre plusieurs segments de l'extrême droite : influent auprès de certains membres de l'entourage de Donald Trump - comme Stephen Miller et Larry Kudlow -, il s’emploie aussi à relayer les thèses de Charles Murray et Richard Herrnstein sur la répartition inégale de l'intelligence entre les races et contribue à la légitimation des suprémacistes blancs et néo-nazis les plus virulents qui entourent Richard Spencer.

Comme le rappelle Quinn Slobodian, Brimelow a connu une autre carrière avant d’endosser le rôle d’unificateur de la famille ethno-nationaliste. Jusqu'au début des années 1990, il a travaillé en tant que journaliste financier pour des publications généralistes, comme le Financial PostFortuneForbesMarket Watch et National Review. À l'époque, il est connu pour être un publiciste du néolibéralisme ordinaire, que ce soit par ses articles, son premier livre (The Wall Street Gurus : How You Can Profit from Investment Newsletters) ou bien ses interviews avec des sommités telles que Milton Friedman et Thomas Sowell.

Ce qui pousse Brimelow à embrasser la cause nativiste et à devenir un fervent défenseur de la fermeture des frontières, explique Quinn Slobodian, c'est son désaccord avec une autre mouvance du "collectif de pensée" néolibéral. À la fin de la Guerre froide, les pages éditoriales du Wall Street Journal et des universitaires comme l'économiste Julian Simon défendent ardemment l'ouverture des frontières, pour les capitaux, les biens, mais également les personnes. La libre circulation du capital humain, affirment-ils alors, est cruciale pour l'innovation, les investissements, la prospérité et, en fin de compte, les profits. Déterminé à contrer cet argument au nom de ses propres prémisses, Brimelow écrit d’abord un article dans le National Review intitulé "Time to Rethink Immigration ?", avant d'en faire un livre - Alien Nation. Common Sense About America's Immigration Disaster. En s’appuyant sur les propos de Herrnstein et Murray, selon lesquels le QI est déterminé par l’appartenance éthnique, il en vient à affirmer que si les marchés doivent être libres, tous les individus ne sont pas nécessairement capables d’en être des acteurs rationnels et efficaces. D'où la nécessité d’empêcher l’accès aux pays à QI élevé à certains types de migrants.

Bien que la grossièreté des arguments de Brimelow ne soit guère une bonne publicité pour l'intelligence blanche qu'il cherche à préserver, la parution d'Alien Nation représente une étape importante dans le "nouveau fusionnisme" des courants libertariens, xénophobes et suprémacistes de la droite américaine. En 1999, Brimelow compense son exclusion des médias grand public en fondant VDARE, un site web qui devient rapidement une référence pour les auto-proclamés "réalistes en matière de race" et les défenseurs de la fermeture des frontières. En 2024, Brimelow est contraint de suspendre VDARE suite à une enquête ordonnée par le procureur général de l'État de New York, Letitia James, qui remet en cause son statut d'organisation caritative. Toutefois, l'esprit de VDARE perdure tant au sein du parti républicain, qu’au cœur de la Maison Blanche.


Pour en savoir plus, visionnez notre entretien en libre accès avec Quinn Slobodian historien du néolibéralisme qui explore ses mutations libertariennes et racialistes à l'ère de Trump 2.0. Ces portraits de Leon Louw, Peter Brimelow et Charles Murray sont extraits du dossier documentaire qui accompagne le chapitre 3 de l'interview : "La gestion du capital humain : nativisme, QI, natalisme".

Les autres articles de la série : 

(1) Paléoconservatisme

(2) Les premiers paléolibertariens

(3) Les précurseurs

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