Depuis plusieurs années, les produits naturels séduisent un public de plus en plus soucieux de la qualité, de la traçabilité et des bienfaits liés à une consommation plus responsable. Cette tendance croissante gagne aussi les produits en provenance d’Afrique, longtemps sous-représentés sur les étals occidentaux, ou souvent cantonnés aux petites épiceries exotiques de quartiers. Plantes médicinales, beurres végétaux, savons artisanaux, ou encore superaliments issus du continent comme la poudre de baobab, gagnent en visibilité, portés par leur authenticité et leur richesse en propriétés thérapeutiques.
Dernière illustration en date : une racine utilisée depuis des générations en Afrique pour accompagner l’équilibre féminin attire particulièrement l’attention. Popularisée sur TikTok et Instagram à partir du mois de septembre 2023, on ne compte plus le nombre de vidéos cumulant des millions de vues ne cessant de vanter les bienfaits du khamaré pour les femmes. Entre hygiène intime, confort menstruel et bien-être global, cette racine médicinale est le parfait exemple d’une découverte contemporaine de remèdes transmis depuis longtemps dans de nombreux foyers du continent.
À tel point que dans certains commentaires, certaines voix s’étonnent même de voir l’un des secrets les mieux gardés des femmes africaines mis soudainement en lumière, tant son usage était, jusque-là, évident pour beaucoup… mais méconnu sur le territoire national.
Un exemple parmi d'autres, qui montre que le “consommer responsable” ne se limite plus à privilégier le bio européen ou les circuits courts locaux. Il s’élargit à d’autres horizons, à d’autres récits, à des formes de soin enracinées dans des cultures souvent invisibilisées. Dans ce mouvement, les produits africains se frayent de plus en plus un chemin : le moringa, le bissap, ou encore le sorgho, autant d’ingrédients aux multiples usages nutritionnels.
Mais une question persiste : qui définit ce qui est “naturel” ? Et surtout, quels critères déterminent la légitimité ou la visibilité d’un produit dans cette quête de consommation éthique ? Trop souvent encore, les produits venus d’Afrique restent en marge, ignorés ou mal compris, alors même qu’ils incarnent pleinement les valeurs que recherchent les consommateurs : efficacité, tradition, respect du vivant.
Et si, pour consommer autrement, il fallait aussi apprendre à voir autrement ?
Les produits naturels africains : entre invisibilité historique et reconnaissance émergente ?
Pendant longtemps, les produits naturels africains ont été relégués aux marges des circuits de distribution “responsables”. Absents des rayons des grandes chaînes bio, peu mentionnés dans les médias spécialisés, ils circulaient surtout dans les marchés communautaires, les réseaux informels ou les valises des voyageurs. Leur ancrage local et leurs usages traditionnels n’étaient ni reconnus, ni valorisés à leur juste mesure.
Pourtant, cette invisibilité historique ne reflète en rien leur potentiel. Le bissap, riche en antioxydants, le moringa surnommé “arbre de vie”, le beurre de karité non raffiné, sont autant de trésors thérapeutiques issus d’un savoir ancestral, transmis de génération en génération.
Toutefois, ces produits commencent de plus en plus à entrer dans les cercles du “consommer autrement” : on les retrouve dans certaines boutiques bio indépendantes, sur des plateformes en ligne éthiques, ou dans les rayons spécialisés des salons bien-être. Mais cette émergence reste fragile.
Le manque de connaissances du grand public, la confusion entretenue par un marketing approximatif, ou encore l’absence de labellisation adaptée freinent leur pleine reconnaissance. Comment faire confiance à un produit dont on ne comprend ni l’origine, ni les usages, ni les bienfaits exacts ? Comment le valoriser sans réduire sa richesse culturelle à une simple tendance exotique ?
Derrière ces racines, ces feuilles ou ces poudres, c’est une autre vision du naturel qui peine à se faire une place : celle qui repose sur la diversité des savoirs, la transmission orale, et une approche globale du soin.
Une consommation qui devient politique : souveraineté, équité, circuits courts
Choisir un produit naturel africain aujourd’hui, ce n’est plus seulement un acte de soin ou de curiosité. C’est souvent, consciemment ou non, un geste politique. Derrière un sachet de feuilles de moringa ou un beurre de karité non raffiné, se joue bien plus qu’un achat : une prise de position sur la manière dont on veut consommer, produire, et relier les mondes.
Car ces produits, quand ils sont cultivés, récoltés et transformés localement, s’inscrivent dans des modèles agricoles à taille humaine, respectueux des écosystèmes et ancrés dans des économies rurales fragiles. À travers eux, c’est une certaine idée de la souveraineté alimentaire et du commerce équitable qui se dessine – loin des standards imposés, des monopoles de distribution ou des certifications inaccessibles.
Mais la portée de cette dynamique ne repose pas uniquement sur les pays producteurs. Les diasporas africaines jouent un rôle central dans la structuration de cette demande. À travers leurs achats, leurs entreprises, leurs engagements, elles portent une exigence nouvelle : celle de circuits courts transcontinentaux, plus justes, plus transparents, plus enracinés.
L’enjeu de l’information et de la transparence
À mesure que les produits naturels gagnent en popularité, une autre question devient centrale : celle de l’accès à l’information. Car consommer responsable, suppose de comprendre ce que l’on consomme. Or, dans les circuits traditionnels, peu de pédagogie est offerte au consommateur. Entre étiquetages flous, marketing séduisant mais creux, et absence de contextualisation culturelle, le flou persiste autour de nombreux produits venus d’ailleurs.
C’est particulièrement vrai pour les produits africains. Qui sait vraiment comment utiliser le khamaré ? À quelle fréquence le consommer ? Pour quels effets, et avec quelles précautions ? Beaucoup de femmes en entendent parler, l’achètent, l’infusent… sans toujours comprendre l’histoire, la symbolique ou les usages traditionnels qui l’entourent. Et c’est là que se joue un enjeu fondamental : celui de la transmission.
Face à ce manque de clarté, des initiatives émergent pour combler le vide. Des marques engagées proposent des contenus éducatifs, des vidéos explicatives, des articles documentés, qui replacent ces produits dans leur contexte.
Ce travail de médiation n’est pas accessoire. Il est la condition d’une consommation éclairée, respectueuse à la fois du produit, de son origine, et de celui ou celle qui l’utilise. Car consommer autrement, ce n’est pas seulement changer de rayon : c’est aussi apprendre, écouter, et transmettre.
Et si consommer autrement, c'était aussi changer notre regard ?
L’avenir du bio, du naturel et du bien-être ne peut pas se construire uniquement à partir d’une vision centrée sur l’Europe ou l’Occident. Il ne peut ignorer la diversité des traditions, des plantes, des territoires qui, depuis toujours, prennent soin du vivant. Reconnaître les ingrédients naturels africains, ce n’est pas simplement leur faire une place dans les rayons : c’est valoriser des savoirs souvent invisibiliser, des pratiques ancrées dans des rapports plus sensibles au corps, à la terre, au temps.
Ce n’est pas un effet de mode. C’est une nécessité. Car si l’on veut que la consommation responsable ait un sens, elle ne peut pas se limiter à des standards imposés, à des labels figés, à des critères uniformisés. Elle doit aussi s’ouvrir à d’autres récits, d’autres référentiels, d’autres manières d’être au monde.
Acheter un de ces ingrédients ne devrait pas être un acte anecdotique. C’est une occasion d’élargir notre regard, de questionner nos habitudes, de faire de chaque geste d’achat une forme de reconnaissance. Pas uniquement du produit, mais de tout ce qu’il porte : une histoire, une terre, une mémoire.
Et si consommer autrement, finalement, c’était moins une tendance qu’un changement de posture ? Une manière de redonner du sens, du lien et de la dignité à ce qui nous soigne et nous nourrit…