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Billet de blog 12 juin 2025

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Cosméceutique : l’Afrique au cœur des soins naturels de demain

Des racines de khamaré au beurre de karité, les produits africains s’imposent dans les soins haut de gamme et inspirent les grandes marques. Mais derrière cette montée en puissance, une question dérange : qui détient vraiment la valeur ? Le continent africain est-il condamné à rester fournisseur de matière première ou peut-il devenir acteur souverain de cette nouvelle cosméceutique mondiale ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1. La cosméceutique, nouvel eldorado du soin haut de gamme

À mi-chemin entre la cosmétique et la pharmacopée, la cosméceutique répond à une demande croissante : celle de soins qui ne se contentent plus d’embellir, mais qui agissent en profondeur. Sérums hautement concentrés, actifs anti-âge, formules à l’efficacité mesurée : la frontière entre le soin et le traitement médical s’estompe. Le marché mondial, lui, ne connaît pas la crise. Boosté par la clean beauty, l’obsession du “naturel” et une médicalisation de la routine de soin, le secteur enregistre des croissances à deux chiffres.

Dans ce contexte, les plantes médicinales redeviennent des trésors convoités. On redécouvre leurs vertus, on les extrait, on les reformule. Leur efficacité n’est plus seulement empirique, elle se mesure désormais en laboratoires. Et parmi elles, celles issues des pharmacopées africaines suscitent un intérêt croissant. Elles incarnent l’exotisme, la naturalité, l’efficacité : ce triptyque qui fait vendre. Mais derrière cet engouement se joue aussi une bascule géographique silencieuse. Les ingrédients venus d’Afrique montent en gamme. Mais leurs circuits restent, eux, désespérément verticaux.

2. De l’usage traditionnel aux formulations de luxe

Pendant longtemps, les racines de khamaré se sont utilisées simplement : infusées dans de l’eau tiède, pour purifier le corps, accompagner les cycles, ou parfumer le quotidien. Pas de packaging sophistiqué, pas de storytelling millimétré. Juste un savoir transmis de femme à femme, enraciné dans les gestes de la vie.

Aujourd’hui, ces mêmes racines se retrouvent mises en bouteille, reconditionnées, rebrandées. Le khamaré devient “vétiver africain”, s’exporte en tisanes haut de gamme ou en sticks parfumés sur les marchés occidentaux. Même histoire pour l’hibiscus, le baobab, le moringa ou encore le tamarin. Ces plantes, longtemps cantonnées à un usage local, sont désormais valorisées pour leurs actifs : acides de fruits, antioxydants, acides gras essentiels. Elles intègrent les formulations des marques internationales, qui les exhibent comme gage de naturalité, parfois même d’authenticité.

Mais derrière les promesses de transparence, peu de traçabilité. La majorité des ingrédients africains utilisés dans les cosmétiques haut de gamme transitent par des intermédiaires, sont transformés à l’étranger, et arrivent dans les rayons avec une valeur démultipliée. Le paradoxe est là : ce qui était autrefois commun, partagé, libre, devient rare, cher, breveté. Et souvent, les premiers concernés – les productrices et les détenteurs du savoir – n’y gagnent presque rien. Sauf pour celles et ceux qui se regroupent en coopératives.

3. Un paradoxe économique : extraction de valeur sans enracinement local

Ce que l’Afrique exporte en plantes, le reste du monde le transforme en profits. C’est la mécanique bien huilée d’une économie extractive qui ne dit pas son nom. Les fleurs d’hibiscus quittent le Sahel à quelques euros le kilo, avant de réapparaître en masque “éclat bonne mine” à 30 € le pot dans une enseigne bio européenne. Le beurre de karité est collecté artisanalement par des femmes rurales, mais conditionné en dehors du continent. La chaîne de valeur s’organise ainsi : l’ingrédient est africain, la richesse reste ailleurs.

En cause, un manque structurel : peu d’infrastructures de transformation sur le continent, peu de laboratoires, encore moins de labels africains reconnus à l’international. Les filières restent fragmentées, souvent informelles. Le savoir traditionnel, lui, n’est pas protégé. Il circule, se monnaye, se dépose en brevets... dans les pays du Nord.

L’exemple du khamaré est emblématique : plante connue dans plusieurs régions d’Afrique de l’Ouest pour ses vertus médicinales et cosmétiques, elle fait l’objet d’un engouement croissant hors du continent. Pourtant, il n’existe à ce jour ni filière structurée, ni coopérative reconnue, ni processus certifié de transformation locale. Résultat : l’Afrique exporte de la matière brute… et importe des produits finis au prix fort.

4. Des opportunités à saisir : l’Afrique peut-elle reprendre la main ?

Face à ce déséquilibre persistant, une autre voie émerge, portée par des voix locales, souvent féminines, souvent invisibilisées. Au Bénin, par exemple, Origine Terre, fondée par Claudia Togbé, propose plus de 70 cosmétiques 100 % naturels (huiles, savons, sérums), fabriqués localement, et affiche une croissance annuelle de 20 % depuis 2019. Sa démarche illustre deux leviers essentiels :

  • Fabrication sur place, dans un petit laboratoire à Cotonou, reliant la production de karité et d’aloe vera à la commercialisation en Afrique de l’Ouest et en France.

  • Insertion de femmes dans les coopératives, la valorisation des savoirs locaux et le refus d’une offre formatée pour un marché mondial.

Mais cette dynamique reste encore marginale. Pour qu’elle devienne la norme, les conditions sont claires :

  1. Renforcer les formations locales, herboristerie, biologie, cosmétologie, contrôle qualité, pour réduire la dépendance vis‑à‑vis des laboratoires étrangers.

  2. Créer des labels africains (“bio”, “équitable”, “cosméceutique”) reconnus au plan international, pour donner de la crédibilité à l’offre locale.

  3. Soutenir les coopératives et les filières, avec des investissements publics‑privés adaptés, pour structurer la transformation locale et capter la valeur.

  4. Mettre en récit les plantes, valoriser les histoires attachées au khamaré, hibiscus, djeka… raconter non pas une Afrique exotique, mais la richesse culturelle et scientifique à l’œuvre dans les soins.

Si l'on conjugue écosystèmes, règlementation, innovation et narrative, l’Afrique peut sortir de son rôle de simple « source » de matière première pour devenir créatrice de valeur.

5. Vers une souveraineté cosmétique ?

Derrière le succès mondial des soins naturels se joue une autre bataille : celle de la souveraineté. Car ce qui est en jeu n’est pas seulement une question de beauté, mais de pouvoir. Qui décide de la valeur d’une plante ? Qui fixe les standards ? Qui détient les savoirs, les transforme en brevets, et les commercialise ? Trop souvent, la réponse se trouve loin des zones de culture.

Protéger les pharmacopées africaines passe par un changement d’échelle. Il ne s’agit pas seulement d’encourager quelques marques locales, mais de défendre un droit à formuler, à certifier, à breveter au départ du continent. L’Afrique a besoin d’outils juridiques adaptés, comme les indications géographiques protégées, mais aussi d’une reconnaissance politique de ses savoirs comme patrimoine vivant et stratégique.

Ce qui se joue ici dépasse la cosméceutique : c’est une question de récit. Tant que l’Afrique sera racontée par d’autres, ses plantes resteront des ressources à exploiter, non des patrimoines à valoriser. Mais si elle reprend la parole, si elle documente, protège, transforme, et diffuse selon ses propres codes, alors elle peut se réapproprier son imaginaire cosmétique.

Car l’Afrique n’est pas un fournisseur. Elle est source, dans tous les sens du terme : de savoirs, de soins, de beauté, de résilience. Et peut-être même, de nouvelles voies pour penser autrement le rapport au corps, à la nature, à la transmission.

Soulignons quand même toutes les initiatives qui on vu le jour jusqu'à maintenant. Toutefois, notons qu'il reste encore beaucoup de travail d'éveil et sensibilisation à déployer. Notamment pour repenser notre manière de consommer les produits africains et en reconnaître la portée politique.

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