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Billet de blog 3 juin 2022

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Détruire les Centre-Médico-Psycho-Pédagogiques : mode d’emploi

En articulant le niveau local et national, mais aussi des moyens médiatiques de désinformation, un véritable plan de destruction des CMPP est en train de se déployer. Si la résistance est encore possible, elle se doit d'être consciente de l'arsenal mobilisé, de façon à pouvoir alerter, informer, témoigner. Espérons que les familles et les citoyens sauront prendre la mesure de la menace...

Dr BB
Pédopsychiatre en CMPP
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Assez ! La persistance de ces institutions archaïques ne peut plus être tolérée. Ces antiquités émancipatrices narguent notre modernité conquérante. Il faut absolument balayer ces chimères d’un autre temps : psychisme, subjectivité, collectif…Vade retro satanas ! On va vous évangéliser tout cela d’un coup sec, arracher ces reliquats freudo-païens, étouffer ces mauvaises graines de subversion et de résistance face à la Science, au Bien, au Vrai. Voilà, ça va enfin rentrer dans les rangs grâce à nos méthodes managério-inquisitoriales à haut rendement abrasif.
Pour cela, nous avons élaboré un plan en plusieurs points convergents, redoutablement machiavélique....

Illustration 1

Propagande

Déjà, nous mobilisons depuis des années un travail de fond avec certaines associations d’usagers à prétention représentative, de façon à discréditer profondément ces structures de soin dans les représentations collectives. D’ailleurs, comble de l’ironie, un sale gauchiste ayant pas mal moisi en taule, du nom d’Antonio Gramsci, nous a singulièrement influencés pour ce faire. Avec son concept d’hégémonie culturelle, il nous a effectivement rappelés que la domination c’est du consentement cuirassé de coercition – bon, en ce qui concerne l’asservissement, voilà un domaine dans lequel nous excellons, pour ainsi dire, c’est dans nos gènes, ha ha ha ! Et nous savons dorénavant que le consentement, l’indignation, le désir, la demande, les refus, etc., cela se fabrique, et oui ! Pour cela, il suffit de mettre systématiquement en avant certains militants bien endoctrinés, bien illuminés, bien fanatiques, de les subventionner, de les décorer de la légion d’honneur, de leur ouvrir la porte des ministères et des instances dirigeantes, de diffuser leurs propos calomnieux en les médiatisant de façon systématique, de les brosser dans le sens du poil en leur donnant l’illusion d’être de véritables influenceurs, alors qu’ils ne font que relayer notre idéologie…Ainsi, les opinions se répandent par capillarité, par saturation de l’espace médiatique et, au final, on obtient une bonne vieille adhésion de la majorité. Et hop, le tour est joué. Ainsi, cette politique de destruction des CMPP a été préparée de longue date par un travail insidieux de lobbying, de diffusion doctrinale dans l’opinion publique, d’instrumentalisation inique de faits isolés, de diffamation et de condamnation. Voilà par exemple le genre de bons mots qui peuvent se trouver ressassés de façon quasi incantatoire par ces pseudo-représentants des familles et des usagers : « Que veut dire CMPP : Culpabiliser la Mère et Peut-être le Père »….Sans aucun souci éthique de l’ancrage dans le réel, voici les spoliations systématiques qui en viennent à être associées, sur un mode quasi réflexe, aux CMPP : « abus de pouvoir », « dogmatisme », « croyances obsolètes », « dévalorisation du rôle parental », « pourvoyeurs d’informations préoccupantes », « non application des recommandations de la Haute Autorité de Santé », etcétéra, etcétéra, jusqu’à la nausée – alors même que les enquêtes de satisfaction réalisées auprès des usagers de ces lieux de soin retrouvent souvent plus de 95% de satisfaction. Mais il faut bien gaver l’opinion, jusqu’à lui faire croire que c’est son propre jugement qui s’affirme ainsi. Toute ressemblance avec une propagande d’État ne serait que purement fortuite – ricanements…
En tout cas, face à l’ampleur de la mission, nous ne rechignerons pas à manipuler quelques faits…Ainsi, voici ce que peut affirmer une association militante dans le champ de l’autisme : « la stratégie autisme fait la part belle sans le moindre esprit critique à tous ceux qui se sont acharnés contre les familles et ont imposé leurs délires sur l’autisme : CAMSP, CMPP, Hôpitaux de jour, jusqu’aux ITEP, dont ce n’est pas l’agrément, dont le public est constitué de 30 à 40% d’enfants autistes, ce dont nos tutelles ne se soucient absolument pas » (d’après l’ARS Nouvelle-Aquitaine elle-même, cette proportion, sur les CMPP en tout cas, est en réalité de 2 à 5% ; il est toujours bon de rappeler la réalité….).
Et voici à titre illustratif quelques morceaux choisis d’un courrier adressé par une directrice d’association aux Députés et Sénateurs de la Région Nouvelle-Aquitaine en juin 2020 : « Les  CMPP  sont  ce  qui  existe  de  pire  en  France  dans  le  champ  médico-social  :  sauf  rares  contre-exemples,  leur  incompétence  est  crasse,  ils  refusent  de  diagnostiquer,  psychologisent  tous  les troubles  des  apprentissages  (quand  on  est  nul,  on  dit que  tous  les  troubles  viennent  des  familles), sont noyautés par la psychanalyse (…) et pire, sont malveillants à l’égard des familles, jusqu’à lancer des Informations  Préoccupantes et des signalements  contre  les  familles  récalcitrantes  à  leurs pseudo-soins sans aucune validité scientifique ».
« Je trouve l’ARS Nouvelle Aquitaine très bienveillante, de penser pouvoir encore changer les CMPP et leur obscurantisme ; la refonte des missions et du fonctionnement des CMPP est un préalable à leur intervention dans l’accompagnement des enfants avec un trouble du spectre de l’autisme ou autre trouble du neurodéveloppement ».
« Les CMPP ne rendent, (sauf exception) aucun service acceptable aux usagers. Même le rapport IGAS sur les CAMSP, CMP et CMPP, souligne les insuffisances des CMPP qui coûtent pourtant 167 millions d’euros par an au contribuable ».
Oui, pour bien discréditer, il faut toujours rappeler que financer de telles institutions sectaires, incompétentes, maltraitantes, c’est de l’argent jeté par les fenêtres, une véritable gabegie, un scandale public. Tant qu’on est lancé, on n’en est plus à une fraude démagogique près.
Bon, passons sur tous les exemples qui pourraient illustrer cette croisade exaltée. Depuis le temps, ça a bien infusé, on a bien préparé l’opinion, c’est mûr, il n’y a plus qu’à récolter !
Désormais, nous avons donc créé une véritable convergence d’intérêts entre certains représentants associatifs et les pouvoirs publics. En témoigne par exemple cet échange sur le site handicap.gouv : « Pourquoi les centres d’accompagnement médico-psycho-pédagogique, structures qui travaillent sur un certain nombre de territoires et qui font de l’accompagnement d’enfants et d’adolescents, pourquoi disent-ils souvent aux parents que c’est leur faute ?
Claire Compagnon : "C’est regrettable, Madame, qu’on vous dise encore des choses comme ça. Il n’y a aucune responsabilité des parents dans la survenue de ces troubles du neuro-développement, c’est un consensus scientifique sur le plan international, et vous n’êtes pas responsables de ces situations. Il est donc inenvisageable que vous continuiez à entendre ces choses-là. Une fois que j’ai dit ça, la question, c’est : comment on fait pour éviter que ces fausses affirmations se propagent ? Nous savons, avec le travail que nous faisons avec les associations, que c’est une réalité, qui tend à diminuer, il faut le dire, mais qui existe encore dans un certain nombre de structures aujourd’hui ».
Néanmoins, comme le souligne Brigitte Chamak dans son dernier ouvrage (« Controverses sur l’autisme »), ces stratégies de communication et de propagande tendent à mettre de côté les besoins réels des familles les plus vulnérables et précaires, systématiquement invisibilisées et reléguées. Mais bon, on ne les entend pas, alors….

De toute façon, pour faire avaler la pilule, il a bien fallu construire un consensus aux allures scientifiques, donc incontestable, notamment autour des troubles autistiques et du neurodéveloppement, véritable cheval de Troie pour aligner l’opinion public sur notre discours hégémonique. Ainsi, en quelques années, « l’autisme, sujet silencieux pendant de nombreuses années, a envahi l’espace public par l’intermédiaire de reportages, témoignages, livres, émissions télévisuelles, sites sur Internet, blogs, documentaires, films, revendications des associations, déclarations politiques et recommandations des autorités sanitaires ». Au fond, selon Brigitte Chamak, « les représentations de l’autisme ne sont pas le reflet évident de faits biologiques et épidémiologiques, mais sont construites à partir de l’interaction d’un certain nombre de facteurs et d’acteurs ». Et oui, bien vu ! C’est bien nous qui avons patiemment élaboré des représentations dominantes, circonscrites, en essayant d’effacer les traces des déterminants sociaux, culturels, ou économiques en arrière-plan ; c’est la Science on vous dit ! Et à travers cette visibilité accrue et érigée en tant que vérité absolue, il s’agissait dans un deuxième temps d’orienter les pratiques, les dispositifs, et les financements…Une fois l’opinion bien ferré, on peut effectivement promulguer des circulaires, des recommandations, des interdictions, des cahiers des charges, des lois, etc. Et, de façon plus insidieuse, « le vecteur économique crée et exploite commercialement, médicaments, formations diverses, ouvrages en tous genres, régimes alimentaires spéciaux, tests génétiques, dosages biologiques, promotions de méthodes éducatives et comportementales et de multiples thérapies » - mais de cela, n’en parlons pas, chut !, exploitons plutôt l’indignation et la souffrance des familles, c’est plus vendeur. Certes, certains d’entre nous ne sont pas dupes : nos théories scientifiques sont infiltrées de préjugés et de croyances collectives. Mais, certains se sont trouvés là une mission, une cause divine, adhérant fanatiquement à cette mobilisation charitable avec les meilleures intentions du monde – ce qui est toujours un risque sur le plan politique…Des savoirs épistémologiquement peu consistants mais bénéficiant d’une certaine autorité scientifique peuvent ainsi acquérir une influence socio-politique considérable, en tant que garant incontestable – ce qui est d’ailleurs un contresens par rapport à la nécessaire réfutabilité de tout savoir scientifique qui est supposé se méfier des paroles révélées…. Ainsi, « dans les débats publics, le recours à la science est de plus en plus fréquent et apparaît comme une stratégie de communication visant à convaincre », ou plutôt à museler, reconnaissons-le, un peu d’honnêteté ne faisant pas toujours de tort…De la sorte, on abrase les controverses, la pluralité, le débat, et on impose une Vérité intangible, qui voit sa puissance renforcée non par sa consistance épistémique, mais par son pouvoir de diffusion et de colonisation des esprits…Dès lors, cet effet d’enfumage induit une « difficulté à distinguer entre connaissances scientifiques stabilisées et études ou informations relevant du marketing ou d’intérêts particuliers ». Tous les biais sont ainsi annihilés, et on peut décréter le Vrai, et déployer la Politique qui l’inscrit dans le réel. Pas mal ce tour de passe-passe !

Transformation autoritaire de « l’offre » via les Agences Régionales de Santé

Illustration 2


A ce niveau, la stratégie consiste à démanteler les CMPP sur le plan local, régions par régions, via des agences non démocratiques exerçant un pouvoir arbitraire et seigneurial sur leurs fiefs, en parfaits vassaux de prérogatives étatiques agissant de manière souterraine. Et, une fois que tout aura été transformé, par capillarité, il n’y aura plus qu’à mettre en adéquation les textes réglementaires au niveau national, et hop, roulez jeunesse !
Le cahier des charges imposé par l’ARS à tous les CMPP de Nouvelle-Aquitaine en est l’exemple paradigmatique. On a déjà largement abordé cette réforme autoritaire qui, pour la délégation interministérielle à l'autisme, « s'inscrit pleinement dans la démarche qualité nécessaire pour améliorer le diagnostic et la prise en charge ». Concrètement, il s’agit tout simplement de « repositionner » les CMPP en « plateforme de ressource médico-sociale pour la prise en charge des enfants souffrant de troubles du neurodéveloppement », c’est-à-dire d’établir un tri sélectif des enfants ayant le droit de bénéficier d’évaluations standardisées, tout en imposant un démantèlement du soin psychique en faveur de « prestations inclusives » contribuant à l’appui en milieu scolaire : ça en jette ! La priorité absolue devient donc le diagnostic, le fichage, le triage, et l’organisation de parcours cloisonné par filières dès la maternelle. Outre l’abandon d’un nombre très important de familles, il s’agit donc de désagréger toutes les pratiques institutionnelles et soignantes, au bénéficie d’approches exclusivement rééducatives, plateformisées, normatives, juxtaposées, ponctuelles.
Pascale Fauveau a déjà pu décliner certaines conséquences de ces réformes : excès de bilans et perte du regard clinique, mise à mal de la contenance institutionnelle, ruptures de prise en charge, « détournements » de suivis. Désormais, « les élèves seront orientés, via ce « guichet unique » que devient l’EMAS (Equipe Mobile d’Appui à la Scolarisation), vers l’opérateur qui sera susceptible d’apporter les bilans pressentis, le diagnostic du trouble en cause, et les remédiations nécessaires, dans le cadre de l’école ». « Il est ici question de mettre les CMPP au service exclusif de l’Ecole Inclusive, dans une posture d’exécutants, posture antagoniste à la réalité du soin psychique (lequel doit être « associé à » et « différencié de » la perspective pédagogique) qui est leur savoir-faire ».
Malgré le caractère illégal des réformes, malgré les résistances des acteurs, malgré les protestations, malgré les effets désastreux sur le terrain, malgré le mépris des usagers, ce précédent tend désormais à essaimer sur d’autres régions.
Ainsi, l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes a également pondu son propre cahier des charges, dans le même esprit évidemment. Dès lors, « la priorité est donnée au dépistage, à l'évaluation, au diagnostic et à l’accompagnement précoces » et non plus au soin. D’ailleurs, « au-delà de ses propres ressources, le CMPP devra mobiliser les ressources externes à la structure dans l'optique de permettre le passage de relais ». Là encore, il s’agit donc de créer des plateformes diagnostiques et d’inscrire le plus précocement possible dans des « parcours » balisés vers le libéral. De surcroit, « les CMPP interviendront dans le milieu ordinaire selon des modalités définies dans une convention départementale partenariale. Il s'agira notamment de convenir des modalités d'intervention auprès et dans des établissements scolaires ; ceci, en soutien de l'équipe pédagogique, en cas de sollicitation expresse afin d'éviter toute rupture imminente du parcours ». Du colmatage inclusif… De fait, « il s'agit d'inscrire les prestations de soins délivrées par les CMPP au service du développement de nouvelles stratégies d’accompagnement personnalisé inclusives et adaptatives et mettant autant que faire se peut à distance un risque de chronicisation tant des troubles que des modalités techniques de prise en charge et des traitements. La formalisation des objectifs du projet de soins et leur régulière évaluation sont de nature à favoriser la priorisation des activités de soins : du dépistage à l’accompagnement en passant par le diagnostic ». Ainsi, « le CMPP devra développer une intervention de coordination en tant que pilote ou contributeur : - Dans la recherche d'une cohérence des actions en direction des partenaires de l'écosystème, de la famille et de l'enfant ; - Dans le passage de relai (en vue de la sortie de l’établissement vers le libéral ou d’autres structures médico-sociales) ». Une vraie gare de triage !
Par ailleurs, « l'évolution des autorisations va conduire les CMPP à accroitre leur degré d'expertise en matière de DYS sévères ». Définitivement, pour avoir le droit à une « prise en charge », il ne faudra plus avoir été cabossé par la vie et souffrir de mal-être. De toute façon, « les personnels des CMPP s’engagent au respect des recommandations et référentiels de la Haute Autorité de Santé, de l’Agence nationale de la qualité des établissements et services médico-sociaux et à se former à leur mise en œuvre. Les CMPP sont invités, pour conforter leur rôle de médiation sur les environnements de droit commun, d'interface dans la coopération des acteurs et de guidance parentale, à s'engager dans une démarche de formation voire de labélisation auprès, notamment, des pôles ressources régionaux suivants : - les centres régionaux autisme pour les personnes avec troubles du spectre de l'autisme ; - le pôle ressources « inclusion parentale et thérapie précoce et intensive » ; - Le service territorial d'accès aux ressources transdisciplinaires du réseau national DEFISCIENCE ; - Les centres régionaux des troubles du langage et des apprentissages ». Si avec ça le formatage n’est pas total et qu’il reste une once d’autonomie dans les pratiques cliniques, nous rendons notre tablier. Sans oublier que, cerise sur le gâteau, « le CMPP devra s'inscrire dans la démarche Via trajectoire PH ». Voilà, voilà. En gros, mise en forme, mise aux normes, parcours balisé par filières dès l'enfance, qualité garantie par des prises en charge ponctuelles avec une durée maximale de deux ans, et orientation vers les limbes, labellisées haute qualité de foutage de gueule.

Illustration 3


En Bretagne, on y arrive aussi…En effet, suite à une initiative de trois associations gestionnaires (ADP, ADSEA, AOSJ), l’ARS a mandaté une enquête du Centre Régional d’Etudes, d’Actions et d’Informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) pour évaluer la situation des CMPP dans le Finistère – comme dans le Grand-Est au préalable.
Manifestement, les critères évaluatifs sont calqués sur les dispositions prises par les ARS Nouvelle-Aquitaine et Auvergne Rhône-Alpes, ce qui laisse déjà présager un heureux événement : la naissance attendue d’un cahier des charges bretons, avec du beurre salé et du cidre, et peut-être aussi d’un cahier des charges alsaciens à la choucroute et à la bière – désolé pour les clichés culinaires…Sandrine Fleur, députée de la 4ème circonscription du Finistère, écrivait ainsi au ministre de la santé en septembre 2021, afin de faire part de ces préoccupations quant aux réformes imposées au CMPP, en particulier le risque de « négliger les autres enfants fragiles -non diagnostiqués TND-, particulièrement ceux qui se tournent vers les CMPP, faute de moyens ». En effet, comme le rappelle à juste titre l’élue locale, « le suivi des patients s’exerce sur des temps de plus en plus longs du fait de la dégradation des situations sociales ». Or, « les attentes des professionnels ne sont pas en cohérence avec l’évolution annoncée des structures de soin pour des publics vulnérables », « le rôle des professionnels du secteur médico-social ne se résume pas à la résolution de situations d’urgence. Il peut concerner la prise en charge de parcours de vie beaucoup plus complexes ».
En février 2022, le ministre de la santé, Mr Olivier Véran, répondait ainsi à Mme Fleur : l’audit des CMPP en cours aurait pour finalité « d’inscrire ces structures dans l’évolution des politiques publiques (en particulier dans une logique de parcours de vie) et enfin anticiper et accompagner le changement des pratiques professionnelles », en « identifiant les freins et les facteurs facilitateurs d’un repositionnement ». Le ministère rappelait également qu’« au niveau national, la Stratégie autisme et TND prévoit, dans sa mesure 69, l’élaboration d’un référentiel d’action pour les CAMSP, CMP et CMPP en s’appuyant sur le rapport de l’IGAS », « démarche lancée en mars 2020 et pilotée par la délégation interministérielle autisme ». En outre, en Bretagne, un avis d’appel à la concurrence (AAC) a également été publié « visant des mesures organisationnelles » pour réduire les délais d’accès des consultations médico-psychologiques – on est donc sauvés !

Cependant, le collectif de défense des CMPP de Bretagne trouvait encore à redire à cette bonne parole…Quelle bande d’irréductibles grincheux ! Voici quelques extraits de leur réponse au ministre en avril 2022 : « les solutions proposées par le rapport semblent reposer en grande partie sur des changements de pratiques professionnelles et d’outils, plutôt que sur l’augmentation de moyens humains » - de la bonne stratégie gestionnaire ! Cependant, « ces contradictions entre les injonctions administratives et les nécessités médicales ont déjà entrainé les licenciements et les démissions d’un certain nombre de médecins » - en voilà de belles réductions budgétaires ! « Les difficultés découlent peut-être du manque de dialogue des organismes gestionnaires avec leurs salariés et, du côté des organismes gestionnaires, d’un manque de connaissance des réalités du terrain, de la clinique et du travail des équipes ». De fait, « ce sont les associations gestionnaires qui ont engagé une réflexion avec le CREAI ». En effet, « les pressions budgétaires que subissent les associations gestionnaires peuvent les amener à faire des choix qui répondent à des demandes de réorganisation thérapeutique afin de s’assurer l’obtention de financements. Mais cela se fait, aux dépens du suivi des patients, du bon fonctionnement de l’institution et de l’éthique du soin auprès de nos patients ». Néanmoins, « chaque CMPP fonctionne de manière singulière de par sa propre histoire, sa situation géographique et son inscription dans le réseau local ». Le collectif des CMPP de Bretagne vient également souligner les limites des dispositifs de Plateforme de Coordination et d’Orientation qui « sont l’arbre qui cache la forêt de nos nombreux patients en attente de suivi. Forêt de désenchantement quand les parents constatent que leur enfant se trouve orienté, sans avoir rencontré un médecin de la PCO, et multi-diagnostiqué par autant de professionnels libéraux qu’il présente de symptômes. Les thérapeutes libéraux auront le souci d’accompagner au mieux ces enfants mais ils ne pourront conduire la prise en charge à son terme, puisque celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une procédure et non dans le cadre de la temporalité propre au patient ».
Au final, « on ne peut pas soigner en faisant abstraction de la relation humaine, de la complexité humaine et du temps du patient ; c’est en cela que la majorité des situations rencontrées en CMPP requièrent des prises en charge institutionnelles et pluridisciplinaires, auxquelles ne peuvent se substituer des rééducations et thérapies en libéral »…
C’est bien qu’ils puissent ainsi s’exprimer, écrire, rêver, résister…Leur agonie n’en sera que plus douloureuse !!! – rire sardonique.

Bon, comme vous pouvez le constater, cela avance bien, la plus grande partie du territoire va déjà être convertie de force, et bientôt, il ne restera plus que quelques irréductibles ilots, que nous saurons bien faire plier. Et pour cela, nous préparons un grand plan national, dans la joie et l’allégresse !

Illustration 4

Réformes nationales du cadre réglementaire

Actuellement, des réunions plus ou moins officielles sont en cours afin que la DGCS (Direction Générale de la Cohésion Sociale), sous l’égide du Secrétariat d’État des personnes en situation de Handicap, rédige un nouveau texte amené à remplacer l’annexe 32 – cadre réglementaire qui régit le fonctionnement des CMPP depuis des décennies en mentionnant notamment la référence à la psychanalyse. En catimini, sans aucune concertation des familles concernées et des professionnels de terrain, il s’agit donc de contraindre les pratiques sur le plan légal. Dans cette démarche sont associés des associations gestionnaires telles que les PEP – jouant leur pérennité financière vis-à-vis des tutelles et ayant tout intérêt à faire de la lèche-, des représentants « sélectionnés » des familles - telle que Mme Langloys qui revendique explicitement son souhait de dézinguer les CMPP et toute référence à la thérapie institutionnelle et psychanalytique - , des sommités complètement désencastrées des pratiques cliniques de terrain, mais aussi la Fédération des CMPP et des CAMSP pris dans une forme d’allégeance à l’égard du pouvoir et espérant sans doute aboutir à des compromis par la négociation…Nonobstant, là se cristallisent des dimensions proprement clientélistes, idéologiques, gestionnaires, et des effets lobbying, mettant en évidence des « stratégies de coalitions de causes » entre pseudo-représentants de la société civile, intérêts privés et instances de tutelle politico-administrative. Peu de places donc pour la réalité des pratiques, des besoins, des missions. Et encore moins pour la détresse des enfants et de leur famille…

Au final, il s’agira de produire une refonte complète des textes fondateurs, et pas « un simple toilettage ». L’objectif est d’en arriver à un décret sur les missions socles à l’automne 2022 – c’est-à-dire au pas de charge -, de produire un cahier des charges national, et de repositionner l’offre de service des CMPP comme acteurs ressources du parcours de prestations et de scolarisation. Des crédits prioritaires seront ainsi débloqués pour les Troubles Neuro-Développementaux, l’activité sera recentrée sur les évaluations et les protocoles validés à durée limitée, afin d’ouvrir de nouveaux marchés dans le secteur privé lucratif. Sauf surprise, la référence à la psychanalyse, mais même plus largement au psychisme, devrait tout simplement être éradiquée.
Enfin, cette démarche devrait aboutir à une mise en conformité a posteriori des cahiers des charges déjà imposés régionalement par les ARS, ceux-ci étant actuellement en dehors du cadre réglementaire…Deux poids deux mesures dans le respect de la Loi…L’État valide donc officiellement des réformes en contradiction avec les textes en vigueur, et normalise dans l’après-coup. Vive les magouilles…

En parallèle, La DIA (délégation interministérielle à l’autisme dont la responsable est Claire Compagnon) a déjà entrepris des « expérimentations » afin de mettre en place un référentiel et standardiser les protocoles au sein des structures pédopsychiatriques en les recentrant sur la prise en charge des Troubles Neuro-Développementaux : ainsi, « 44 centres d’actions médico-sociale précoce (CAMSP), 39 centres médico-psycho-pédagogique (CMPP) et 29 centres médico-psychologique (CMP) se sont portés volontaires pour expérimenter différents outils permettant d’améliorer la qualité du parcours des personnes avec un TND ».

Lors d’une réunion officielle avec des membres de la Fédération des CMPP, Claire Compagnon a également pu confirmer que les structures qui ne respecteraient pas la politique de la Délégation interministérielle à l’Autisme en matière de Troubles-Neuro-Développementaux se verraient tout simplement privées de moyens. Le médico-social doit donc être démantelé, en faveur de groupes d’intérêts à but lucratif, qui sauront s’appuyer sur la « Science » pour faire fructifier leur capital. A cette fin, un collectif de 600 experts auraient été réunis – un véritable comité inquisitorial marqué par son hétérogénéité, ayant comme substrat rassembleur sa haine de la psychanalyse….

Illustration 5

Dans cette dynamique, le développement de contrats pluriannuelles d’objectifs et de moyens (CPOM) plurifinanceurs sera une garantie de la mobilisation État/collectivités locales/associations. Ainsi, compte-tenu de leur zèle pour transformer et moderniser l’offre, il conviendra de « donner plus de moyens financiers et de leviers opérationnels aux ARS pour répondre aux besoins spécifiques de leurs territoires ». C'est sûr que ces barons locaux ont déjà fait du sacré bon boulot de sape, il faut les encourager à continuer !
De surcroit, les dispositifs tels que les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) et les équipes mobiles d’appui à la scolarisation (Emas) devront faire l’objet d’un pilotage partagé entre l’Éducation nationale, l’ARS, les collectivités locales et les partenaires associatifs reconnus complémentaires de l’École.
Autant dire que les structures telles que les CMPP vont perdre toute forme d’autonomie, et se trouver intégrés et acculturés à une logique univoque d’inclusion, de plateformisation et de prestations de soutien, au détriment du soin. Il faudra se soumettre, innover, s’adapter, faire preuve d’agilité, développer les téléconsultations, les prestations externalisées, etc.

A l’heure actuelle, 76 plateformes auraient déjà permis « de repérer 20 000 enfants de moins de 6 ans, concernés par l’autisme ou des troubles du neuro-développement. Parmi eux, 12 000 bénéficient d’au moins un forfait pour financer les interventions des ergothérapeutes, psychomotriciens et/ou psychologues » - rappelons au passage que ces interventions rééducatives sont totalement protocolisées, normées, et sur une durée très limitée – quand elles existent sur des territoires désertifiés…Ainsi, Delphine Corlay, conseillère de la délégation interministérielle autisme et TND, rappelle tout de même que le dispositif de Plateforme de Coordination et d’Orientation permet de solvabiliser les soins complémentaires mais ne fait pas apparaître spontanément les professionnels…Certes, la pensée magique a ses limites…

Défendre les enfants et leurs familles

Face à ce rouleau compresseur, un autre « Nous » doit également s’exprimer, de façon plus situé et repérable, afin de défendre les pratiques de soin auprès des enfants et de leurs familles. Et, pour se faire, il faut évidemment informer les principaux concernés, ceux qui vont subir de plein fouet le délaissement inique institué en haut lieu, les mobiliser, favoriser des prises de parole contradictoires, faire remonter des témoignages, des situation vécues pour contrer les discours idéologiques....
Comme le rappelle la pétition « non à la destruction des CMPP », « sous prétexte de référence absolue aux sciences, prenant l’allure d’un scientisme, se profilent une instrumentalisation des Recommandations de Bonne Pratiques Professionnelle, une homogénéisation et une protocolisation des pratiques qui ne prennent plus en compte la singularité des situations et des sujets ».
De fait, « orienter principalement le travail des CMPP vers les « Troubles du Spectre Autistique »-« Troubles NeuroDéveloppementaux » semble devenu un impératif des pouvoirs publics. S’il est indispensable de prendre en considération les enfants souffrant de ces « troubles » et leurs familles, il ne faudrait pas que ce soit au détriment des autres enfants reçus en CMPP. Comme c’est déjà le cas dans certaines régions ».

Or, « les CMPP n’ont pas à servir de roue de secours d’une politique autoritaire qui ferait le tri des patients selon leur type de trouble, ni à ne devenir que des centres d’évaluation diagnostique. Ils souhaitent continuer à prodiguer des soins ».

Ainsi, « nous ne voulons pas d’une refonte de l’annexe 32 en catimini qui ne tiendrait pas compte de l’histoire et des principes sur lesquels nos institutions ont été fondées et qui font leur raison d’être ».

« Nous ne voulons pas d’une réforme qui viendrait pour des raisons purement idéologiques mettre à mal les soins des enfants et des familles accompagnés, tout en disqualifiant le travail et l’expérience de professionnels qui sont au fait de la situation sur le terrain »

Et voilà ce que nous, professionnels travaillant en CMPP, voulons également transmettre aux familles et aux usagers :
« Sur le plan déontologique, nous nous refusons à catégoriser, à hiérarchiser la souffrance et à reléguer de nombreuses familles en demande d’aide parce que leur enfant n’aurait pas reçu le “bon” diagnostic, mobilisant exclusivement l’intérêt des pouvoirs publics. En effet, il conviendrait désormais de s’intéresser aux troubles validés et reconnus et non plus à la singularité des situations et des vécus. Nos CMPP n’ont pas vocation à devenir une gare de triage pour vos enfants. 
Au nom de l’efficacité et des “bonnes pratiques”, il s’agit au fond d’instituer le délaissement, de favoriser les prescriptions systématiques, d’inscrire dans des parcours normatifs et contraignants, sans prendre en compte les désirs, les refus et les souffrances. Ainsi, les usagers seront muselés, privés du droit au soin, au choix, au dialogue, à l’encontre même des principes de la démocratie sanitaire. 
Pourtant, les plateformes de diagnostic et de coordination mises en place très récemment sont déjà engorgées, avec des listes d’attente à rallonge. Pourtant, on constate un besoin de plus en plus pressant d’être entendu, considéré, avec tact et dignité ; avec engagement et détermination. Pourtant, nous observons toujours plus de détresse et de désarroi, qui ne peuvent s’inscrire dans des procédures de remédiation / rééducation. Pourtant, nous sommes convaincus que l’accompagnement thérapeutique doit pouvoir se tisser dans la confiance et la durée ».

Au final, le but de la manœuvre est donc, au nom d’intérêts privés et idéologiques, de détruire définitivement le soin, que ce soit d’ailleurs pour les enfants souffrant d’entraves développementales, de difficultés d’apprentissage, ou de socialisations compliquées – qui ne bénéficieront plus que d’évaluations diagnostiques, de parcours prédéfinis, et de rééducations ponctuelles et plateformisées pour certains – mais surtout pour tous les autres qui disparaitront dans les limbes : ceux qui souffrent de traumatismes, d’abus, les adolescents en mal-être identitaire, au prise avec des velléités suicidaires, les enfants rongés par l’angoisse, ceux qui sombrent dans la dépression, qui se sabordent, qui se mettent en danger, qui ont besoin d’être protégés, etc.

Il s’agit également, en se polarisant exclusivement sur les gènes et le neurodéveloppement, d’abandonner l’attention à l’environnement, à l’histoire, aux circonstances, aux maltraitances éventuelles, etc. De fait, les cliniciens exerçant sur les CMPP sont désormais accusés d’être des pourvoyeurs d’Informations Préoccupantes – en décalage absolue avec la réalité qui témoigne plutôt d’un défaut de signalement…- confondant les signes de maltraitance avec les manifestations des Troubles Neuro-Développementaux…

Dans le même temps, la Défenseure des Droits, Claire Hédon, s’inquiète à nouveau de la « gravité de la situation » des enfants et des adolescents, appelant à mettre en place « un plan d’urgence » pour la pédopsychiatrie.

La dégradation de l’état psychique de nombreux mineurs est ainsi jugée « dramatique », d’autant plus si l’on prend en compte le délitement alarmant des moyens concrets mis en place pour y faire face.

En janvier 2022, Santé Publique France a effectivement mis en évidence « une augmentation des passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur chez les enfants de 11-17 ans ».

« Alors que l’état psychique des enfants s’aggrave, de l’apparition des premiers signes de détresse chez l’enfant, jusqu’à sa prise en charge en milieu hospitalier pouvant le conduire à des comportements les plus irréversibles, le secteur de la pédopsychiatrie doit être considéré comme une discipline prioritaire », insiste la Défenseure des droits. Ainsi, Claire Hedon exhorte le gouvernement « à prendre la pleine mesure de la gravité de la situation et à agir urgemment pour sortir des approches fragmentaires et strictement sanitaires »….

C’est dire si le besoin des CMPP est incontournable, à l’heure même où l’État s’acharne à les détruire, avec sa horde de complices fanatisés.

Toutes les institutions sont occupées par le Neurodéveloppement… Toutes ? Non ! Des collectifs d'irréductibles soignants résistent encore et toujours à l'envahisseur – mais pour combien de temps encore ?....

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