Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

199 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 février 2022

Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

Tenir, contre vents et experts…L’histoire de Jean (3)

A travers la description approfondie d'une situation clinique complexe et fictionnalisée, il s'agit d'illustrer à nouveau l'état de déliquescence du soin pédopsychiatrique. Cependant, ces circonstances préoccupantes sont rendues encore plus difficiles, du fait de l'intervention d'experts médiatiques, sans rigueur ni éthique professionnelles.

Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans des billets précédents, nous avions déjà abordé l’histoire de cet enfant renommé « Jean », car elle nous paraissait très éclairante, mettant en évidence à la fois les difficultés inhérentes à notre pratique pédopsychiatrique mais aussi les déboires en rapport avec la mise à mal des cadres institutionnels dans le champ de l’enfance.

Pour des raisons déontologiques évidentes, les éléments de cette histoire clinique ont été largement transformés, et "fictionnalisés", de façon à préserver le secret médical et l'intimité. Cependant, les processus décrits restent tout à fait réalistes dans leur logique intrinsèque, et pourraient d'ailleurs se décliner dans de nombreuses autres circonstances. "Jean" est ainsi une invention condensée, la superposition de différentes trajectoires. A cet égard, la dimension "archétypale" de cette description pourrait éventuellement amener à des ressemblances qui ne seraient donc que fortuites.

Rappelons cependant que cette situation pourrait aussi être considérée comme atypique, car cet enfant est issu d'une famille bourgeoise provinciale, très catholique, avec des parents exerçant dans le milieu bancaire, profil social peu courant en ce qui concerne l'intervention des services socio-éducatifs...

En deux mots, le parcours de Jean est caractérisé par l’intensité d’expressions symptomatiques très précoces et intenses, étant venues entraver toute forme de socialisation. Tant dans la dynamique familiale que dans les liens avec les institutions extérieures, la violence, le négatif, les discontinuités, les ruptures, les maltraitances, la destructivité, se sont avérées omniprésentes, et ont régulièrement attisé des contre-attitudes, des incohérences, des clivages, des jugements, des rejets, des passages à l’acte, etc.

Mais reprenons donc l’histoire de cet enfant là où nous l’avions laissée

Illustration 1

Notre position soignante venait d’être violemment attaquée par la famille, avec un doute quant à la possibilité même de poursuivre les soins. Cependant, du fait notamment de la contenance du cadre institutionnel, nous avons pu, en tant qu’équipe, tenir et maintenir la prise en charge, en élaborant nos vécus à travers la dynamique transféro-contre-transférentielle – attention, danger, ceci suppose une référence à la psychanalyse, c’est-à-dire, pour ses contradicteurs éclairés, une culpabilisation systématique des parents, et des mères en particulier…. Bref, nous avons pu retisser des liens, de la pensée, donner du sens à cette violence, essayer de comprendre ces éprouvés de désarroi et de mise à mal que la famille nous faisait vivre…Nous avons pu nous confronter au négatif, le travailler, y survivre, ne pas réagir en miroir, ne pas exercer de rétorsions plus ou moins conscientes…. Ce qui nous a permis de rester impliqués, sensibilisés, empathiques, en dépit de nos préoccupations et des attaques auxquelles nous avions pu nous trouver exposés.

Ainsi, outre les consultations familiales, Jean a pu bénéficier d’une psychothérapie, ainsi que d’une prise en charge éducative et en psychomotricité. Et une véritable alliance, tant avec lui qu’avec sa famille a pu progressivement se construire, dans la durée. Par exemple, le père revenait régulièrement sur sa conviction que son fils pourrait souffrir d’un trouble attentionnel, et qu’il suffirait de lui prescrire le bon traitement pour que toutes les difficultés disparaissent – Jean bénéficiait déjà d’un traitement par neuroleptique introduit lors d’une précédente hospitalisation. Outre les bilans psychologiques déjà effectués (WISC et projectifs), nous avons alors fait réaliser des explorations neuropsychologiques spécifiques (TEA-CH et NEPSY), afin d’envisager véritablement cette hypothèse. Ces bilans n'ont pas confirmé l’éventualité d’un Trouble Hyperactivité avec Déficit de l’Attention (THADA), avec un « profil attentionnel dans la moyenne, voire supérieur à la norme », ce qui a alors permis d’aborder d’autres dimensions psychopathologiques, en écartant cette éventualité à partir d'éléments tangibles.

Cependant, l’intégration scolaire devenait de plus en plus ingérable : Jean attaquait systématiquement, mettait à mal, agressait ouvertement ou s’endormait le reste du temps. Les professionnels de l’école, malgré leur sincère dévouement, étaient à bout, dépassés, et de plus en plus en colère à l’égard des tutelles qui n’entendaient pas ce désarroi – notamment le rectorat.

Nous tentions régulièrement « d’éteindre les incendies » ; néanmoins il fallait le reconnaitre : la situation devenait ingérable, et préjudiciable tant pour Jean, que pour les autres élèves, mais aussi pour nos partenaires scolaires. En outre, dans la famille, les enjeux étaient également de plus en plus préoccupants, avec la crainte d’une exacerbation de la violence et de passages à l’acte, amenant potentiellement à des mesures de protection en urgence, non préparées et forcément délétères…

Parfois, il faut pouvoir nommer la réalité, même si c’est difficile à accepter et non politiquement correct…

Ainsi, avec l’implication des parents, nous avons activement recherché des lieux institutionnels susceptibles d’accueillir Jean, avec comme objectif de garantir le maintien de la socialisation et des apprentissages, la continuité des liens familiaux – mais aussi la préservation de la sécurité de chacun - , ainsi que la poursuite d’une prise en charge thérapeutique ajustée aux difficultés de cet enfant…Une vraie quadrature du cercle, d’autant plus si l’on prend en compte l’état tragique de dévastation des institutions pédopsychiatriques. Pas de structures hospitalières envisageables, même en hôpital de jour ou en séquentiel, pas de dispositifs soins-études adaptés, etc.

Finalement, nous construisons un projet qui nous semble pouvoir être le plus ajusté possible : celui d’un établissement spécialisé, en internat de semaine.

Ce type d' « établissements » « accueillent les enfants, adolescents ou jeunes adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l'expression, notamment l'intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l'accès aux apprentissages. Ces enfants, adolescents et jeunes adultes se trouvent, malgré des potentialités intellectuelles et cognitives préservées, engagés dans un processus handicapant qui nécessite le recours à des actions conjuguées et à un accompagnement personnalisé » (extrait du décret du 6 janvier 2005).

Initialement, les parents hésitent, expriment leurs doutes et leurs appréhensions, fort légitimes : « mais, est-ce que cela ne va pas le couper de sa scolarisation ? Est-ce qu’il ne va pas être influencé négativement par les autres enfants accueillis ? ». Nous rappelons alors que, dans la situation actuelle, Jean ne bénéficie que d’un semblant de scolarisation, étant absolument dans l’incapacité de profiter des apprentissages et du cadre scolaire. En filigrane, d’autres angoisses et fantasmes émergent : peut-on survivre à la séparation ? Que va-t-il se passer si Jean n’est plus là, à chaque instant, pour « incarner » le négatif et la destructivité ?

Et pourtant, malgré les ambivalences et les résistances, l’admission se finalise ; Jean intègre l'établissement avec certes des difficultés et des craintes, mais sans mise à mal systématique. Sur place, il réussit à nouer des liens de confiance avec l’équipe éducative, il peut s’investir dans certaines activités, et exprimer du plaisir. Les liens avec les pairs restent néanmoins très compliqués, avec des postures d’attaque-rejet, alimentées par un manque de contrôle sphinctérien…Du côté de la famille, les remises en question resurgissent régulièrement, sans que cela vienne remettre en cause le projet thérapeutique – même si nous sentons que nous sommes parfois au bord de la rupture…Les parents ont également des temps de respiration la semaine, ils peuvent davantage se consacrer à leur cadet, retrouver une vie sociale et professionnelle plus sereine, tout en ayant le plaisir de retrouver Jean chaque week-end.

A ces occasions, ou lors des vacances, les « crises de violence » restent toujours menaçantes, soit du fait des agressions directes de Jean, soit des « attaques » entre les parents. D’ailleurs, en arrière-plan, l'Aide Sociale à l'Enfance est toujours mobilisée, avec un juge des enfants en toile de fond.

Les équilibres restent effectivement très précaires, sur une ligne de crête, avec le risque permanent d’un débordement ou d’une rupture. Régulièrement, les pompiers ou les forces de l’ordre sont d’ailleurs contraints d’intervenir pour « éteindre » les crises...Lors d’un week-end chez le père, Jean réussit à déclencher une violente altercation avec un passant, ce qui aboutit finalement à une interpellation de Monsieur qui finit en garde-à-vue. Jean exulte à la fois de pouvoir constater son pouvoir à l’égard d’une figure paternelle vécue comme écrasante, tout en étant mortifié d’angoisses par rapport à cette toute-puissance dévastatrice, sans digue ni limite…En tout cas, cette situation alerte une nouvelle fois les service socio-éducatifs, qui envisage un placement, non seulement de Jean, mais aussi du frère cadet, afin de les préserver du climat familial – celui-ci va d’ailleurs plutôt bien, et bénéficie désormais d’un suivi sur le CMPP afin d’avoir notamment un temps de parole et d’attention privilégié. La mère nous sollicite, dévastée, perplexe, remontée…Nous rédigeons des certificats, contactons l’ASE, essayant d’éviter un passage à l’acte incontestablement préjudiciable, tout en reconnaissant le caractère très préoccupant de cette situation…De surcroit, nous sommes malheureusement conscients qu’aucune famille d’accueil ni foyer d’hébergement ne sera suffisamment contenant pour « résister » aux attaques de jean, comme l’avait déjà prouvé un placement d’urgence l’année précédente, qui avait abouti à un passage aux urgences et à un retour à domicile…Heureusement, la magistrate semble sensible à ces éléments de réalité, et ne vient pas mettre à mal tous les efforts mobilisés pour préserver le suivi…L’équipe de l’ASE nous expliquera après-coup que c’était « pour mettre un peu la pression à la famille », en espérant que la juge des enfants n’impose pas un placement et une rupture de l'intégration sur l'établissement spécialisé. Un petit coup de poker en somme, il faut bien être joueur…

Cependant, rien n’est jamais gagné...Suite à un conflit avec la famille concernant les modalités du traitement psychotrope, le psychiatre de l’établissement décide unilatéralement d’interrompre la prescription. Les week-ends deviennent encore plus éprouvants, avec un regain d’agressivité et de troubles du sommeil…De conflits en clivages, les susceptibilités des uns et des autres s’exacerbent, favorisant les positionnements de principe et les acting out – mais c’est toujours Jean, et sa famille, qui en font les frais…

En parallèle, les parents décident d’aller enfin consulter un « véritable » expert, le Pr D., « Head of the Excellence Centre for Autism & Neuro-developmental Disorders, Head of the Child and Adolescent Psychiatry Department, Human Genetics and Cognitive Functions à l’Institut Pasteur, responsable du Centre d’Excellence InovAND ».

L’éminent professeur les reçoit donc sur son service hospitalier, mais en consultation privée, à 200 euros directement dans sa poche, tout en mobilisant l’infrastructure publique (locaux, secrétariat, etc.).

Avant de nous appesantir sur cette consultation, revenons un petit peu sur le profil du Pr D. Cet expert très médiatique est effectivement omniprésent sur les ondes, n’hésitant pas à donner ses conseils éclairés à la populace.

Il s’avère qu’il est également un expert FondaMental ainsi qu’à l'Institut Montaigne.

Sur le site de ce think-tank libéral, il est d’ailleurs interviewé, et rappelle que « la crise que nous vivons et l’essor conséquent des troubles variés chez les enfants et les adolescents ont entraîné une déstabilisation importante du système de soins en santé mentale de l’enfant. Cette pandémie et la situation inédite qui en découle ont donc jeté une lumière crue sur l’extrême fragilité du système ». Le Pr D. insiste ainsi sur la nécessité de « favoriser la justice sociale et l’équité dans l’accès au soin » - en proposant des consultations privées prioritaires au prix fort et non remboursées sur l’hôpital public ?

Notre expert revient également sur « les difficultés que l’on rencontre à traiter de la question de l'enfance et à l’appréhender sous l’angle des données de la science » - certes, mais on pourrait aussi envisager la décence et le tact…

Selon le Pr D., la psychanalyse est évidemment une vaste fumisterie et une entreprise de culpabilisation systématique des familles. Néanmoins, notre expert propose manifestement de remettre les parents sur les rails, à travers des « programmes internationaux validés par l’OMS d’accompagnement à la parentalité (Incredible Years ou encore Triple P) », de « travailler la gestion émotionnelle ». A cette fin, « nous avons besoin de développer les outils numériques » afin de « favoriser l’empowerment des familles, des aidants et des communautés locales pour favoriser leur autonomie face à leurs difficultés psychologiques »…Ainsi, un site internet a été créé : www.clepsy.fr, avec notamment les partenariats de la Fondation Bettencourt Schueller, de la Fondation FondaMental, ou encore du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) (sic)…. « Ce site a pour objectif de mieux accompagner les enfants et leurs familles pour faire face aux difficultés d’accès aux soins en santé mentale - accrues récemment par la crise sanitaire. Nous avons développé des outils d’accompagnement et de soins plus participatifs, permettant aux familles de développer leurs compétences parentales, de faire face aux difficultés psychologiques et affectives de leurs enfants ».

C’est bien connu, si les enfants vont mal, notamment par temps de crise sanitaire, c’est du fait d’une forme d’incompétence parentale qui devra se traiter à coup de tutoriels numériques. Vous avez dit culpabilisation ? A bon entendeur….

Mais revenons-en à Jean, et à la consultation avec le Pr D. Déjà, remarquons que cet éminent spécialiste n’a pas jugé opportun de contacter les équipes en charge du suivi de l’enfant depuis plusieurs années…Quelle perte de temps…

Les descriptions qui suivent consistent en une version transformée et non identifiable des éléments médicaux.

Dans son compte-rendu  – transmis par les parents -, le Pr D. souligne les troubles graves du comportement, la désobéissance, l’intolérance aux frustrations, l’opposition massive, les crises de rage, l’impulsivité, les problèmes d’ajustement avec les pairs. Selon notre expert, l’intégration en établissement n’est autre qu’un placement en urgence suite à un signalement - nous avons pourtant dû travailler ce projet pendant des mois et des mois, avec une nécessité de notification par la MDPH et l’implication active de la famille….

La clinique psychopathologique s’arrête là. Ensuite, on a la liste de toutes les activités que pratiquent Jean - l'escrime et l'équitation-, et une anamnèse au lance-pierre pour résumer le parcours de cet enfant.

Et puis, on en arrive à l’analyse « scientifique » à proprement parler, afin d’élaborer la stratégie thérapeutique. Les prises en charge actuelles sont qualifiées de « stratégie non médicamenteuse en cours : Guidance parentale au CMPP, éducateurs » - visiblement, le suivi hebdomadaire avec la psychologue de cette institution, ou les enseignements scolaires comptent pour du beurre. Notre expert souligne les compétences cognitives de Jean mises en évidence par le bilan psychologique réalisé sur le CMPP – en occultant les items qui soulignent de bonnes facultés attentionnelles et en n’évoquant même pas les tests projectifs insistant sur les fragilités affectives massives. Les explorations neuropsychologiques spécifiquement ciblées sur l’attention ne sont tout simplement pas mentionnées – c’est tout de même ballot pour une évaluation rationnelle et objective…D’après la mère, le Pr D. se serait étonné lors de la consultation, avec des propos du genre « avec un Quotient Intellectuel aussi élevé, il devrait être à l’école votre fils » …Donc, si on n’est un peu limite sur le plan cognitif, l’inclusion scolaire n’est pas pertinente ; par contre, si on est très intelligent, il faudrait de l’école,  même si l’enfant est absolument entravé pour s’inscrire dans les apprentissages ou dans une identité d’élève…Vision très élitiste, validiste, et peu réaliste, de la scolarisation.

Mais visiblement, des enjeux de la réalité, du vécu, du désarroi ou des angoisses, on n’en a cure dans ce genre d’expertise aseptisée à prétention scientifique. Ainsi, lorsque la mère évoque son inquiétude par rapport à l’éventualité d’un drame, le Pr D. répond, avec sa froide objectivité dénuée d’une once d’empathie, « cela peut effectivement arriver, mais nous ne pouvons rien faire » - ce qui aura pour effet d’attiser encore un peu plus le terrible désespoir de cette famille…

Bon, on en arrive aux diagnostics, à l’issue d’une seule consultation – et là, il faut le dire, on en a pour notre argent :

« - Trouble explosif intermittent massif – pas de pris charge médicamenteuse à ce jour malgré la gravité du trouble » (plus exactement, traitement arrêté unilatéralement, sans concertation…)

- « Trouble hyperactif avec déficit de l’attention – pas de prise charge médicamenteuse associé (lenteur exécutive – dysgraphie – difficultés visuo-attentionnelle) ». C’est tout de même dommage que des explorations neuropsychologiques spécifiques et approfondies n’aient pas abouti à cette conclusion… Pourtant, le Pr D. ne devrait-il pas s’appuyer sur une analyse scientifique et normée des troubles avant de poser un diagnostic ? Au fond, voilà ce qui semble se passer : le père de Jean revendique ce diagnostic depuis un certain temps, en dépit des évaluations spécifiques qui l’invalident. Cependant, la nouvelle clinique pédopsychiatrique pratiquée sur ces Centres Experts consiste prioritairement à entendre la demande parentale - elle-même largement façonnée par des pressions sociales - sans se donner la peine de rencontrer l’enfant. Dès lors, il s’agit d’entériner a priori « l’expertise parentale » en restant de plain-pied avec la demande. C’est effectivement le même processus auquel on assiste dans le documentaire « Petite Fille » de Sébastien Lifshitz, où nous contemplons la validation officielle d’un diagnostic de « dysphorie de genre » à l’issue d’une consultation unique, alors même que la parole de l’enfant concerné parait complètement écrasée, aliénée au désir parental…

 - « Dysgraphie majeurs ++ (difficultés orthographiques importantes) »

- « Anxiété de séparation importante – majorée depuis la séparation » - l'objectif est justement de travailler la séparation et l'individuation, et d'éviter les placements itératifs en urgence dans des conditions anxiogènes....

- « Syndrome de Gilles de la Tourette de faible intensité : tics vocaux et moteurs chroniques (raclement de gorges, bruit de nez, clignements des yeux) »

- « Dys-régulation émotionnelle importante+++ »

Voilà : six diagnostics posés en un seul rendez-vous. Bigre, ça c’est de l’expertise, du savoir, de la performance, de l’objectivité scientifique ! Et hop, on vous saucissonne l’enfant, on vous le découpe en tranches, il y a manifestement des promotions sur l’étiquetage nosographique. Et puis, ça rassure, ça légitime, ça en jette quoi…

Étonnamment, le diagnostic de « Trouble Oppositionnel avec Provocation » (TOP) n’en fait pas partie. Pourtant, sur certains sites « d’information médicale » à destination du grand public, on peut apprendre que « ce trouble est traité efficacement par des techniques comportementales, qui comprennent une stricte discipline et un renforcement du comportement souhaité (avec récompenses) » ; et que « les médicaments utilisés pour les troubles dépressifs ou anxieux peuvent être utiles ». Et, à destination des professionnels, il est également précisé que « le trouble oppositionnel avec provocation est un modèle récurrent ou persistant de comportements négatifs, provocants ou même hostiles envers les figures de l'autorité », que sa prévalence chez l'enfant et l'adolescent peut aller jusqu'à 15% ; qu’un des critères diagnostics est d’ « être méchant », et qu’il convient donc de « modifier le comportement en l’orientant vers une direction socialement appropriée ».

Voilà l’état de la pédopsychiatrie scientifique au XXI ème siècle, très révélateur de la substance éthique de notre civilisation….

Bon, revenons-en à nos moutons. Après l’évaluation diagnostique de Jean, le Pr D. en arrive finalement à la « Conduite à Tenir » :

- Introduction d’un traitement contre l’hyperactivité par méthylphénidate, associé à un neuroleptique, plus de la mélatonine. « Ajustement en ambulatoire si possible – si absence de réponse : envisager une hospitalisation pour bilan ++ » (oui, en cas de problème, c’est surement qu’il manque des bilans, et non pas des soins…).

- Bilan médical de ces troubles intestinaux invalidants (Jean a déjà consulté plusieurs pédiatres spécialistes pour ces symptômes, qui fluctue d’ailleurs en fonction du contexte émotionnel et relationnel).

- « Maintien des stratégies psycho-éducatives » - ça, j’imagine que c’est pour nous, et pour l’ASE, et pour l’établissement spécialisé. Merci Pr D. de votre autorisation !

Six diagnostics, trois traitements, 200 euros, et ciao bye bye…Maintenant, débrouillez-vous. Or, d’après plusieurs témoignages, le Pr D. tend à toujours poser les mêmes diagnostics à la chaîne – soit hyperactivité, soit trouble du spectre autistique, ou alors le combo des deux -, et à proposer le même cocktail de psychotrope de façon quasi systématique…

Le problème de ces experts, c’est qu’ils n’ont pas à se sentir responsables de ce qu’ils posent comme acte. Ils évaluent, puis ils délèguent, sans se confronter aux douleurs, aux angoisses du quotidien et à tout ce qui doit être mis en œuvre pour tenir. Du haut de leur tour d’ivoire et de leur inconséquence, ils surplombent, sans jamais être affecté, sans se soucier, sans être le moins du monde altérés. N’ayant pas à faire l’épreuve, à travers une expérience vécue et partagée, de la pertinence de leurs prescriptions, ils ne peuvent donc appréhender le retour du réel pour ajuster, corriger, revoir…Autant dire que leur expertise clinique ne s’étaye absolument pas sur de l’éprouvé et sur des sédiments d’expérience, mais sur des données informationnelles abstraites, plus ou moins scientifiques, plus ou moins mercantiles et/ ou idéologiques.

A contrario, dans l’aventure de la clinique, il s’agit toujours de s’immerger, d’être atteint, touché, inquiété ; de prendre en compte le concret, les drames et les espoirs ; de toujours devoir réajuster, repenser ; de se laisser transformer, emporter ; de revoir ses certitudes, d’apprendre, de déconstruire ; de s’inscrire dans la temporalité ; de faire preuve de tact et d’humilité ; de reconnaitre ses errements, ses doutes ; d’être empreint de confusion : d’accepter une certaine impuissance, en empathie, sans pour autant se résigner à désavouer la confiance et l’espérance…

Dans le numéro de janvier 2022 de la Revue Prescrire, indépendante de l’industrie pharmaceutique, voici ce qui est révélé concernant la prescription de méthylphénidate : l’efficacité symptomatique de ce traitement « est au mieux modeste chez les enfants et les adolescents, tandis que ses effets indésirables sont parfois graves : troubles neuropsychiques (hallucinations, anxiété, comportements suicidaires) ; troubles du rythmes cardiaque, morts subites, valvulopathies, hypertensions artérielles pulmonaires ; retards de croissance ».

Cependant, « depuis septembre 2021, les spécialistes en neurologie, pédiatrie ou psychiatrie exerçant en dehors de l’hôpital sont autorisés à instaurer un traitement par méthylphénidate, et à renouveler la prescription tous les ans. Auparavant, cette prescription était réservée à ces spécialistes en milieu hospitalier ».

« Selon la lettre aux professionnels de santé envoyée par les firmes commercialisant les spécialités à base de méthylphénidate, cette mesure a été prise « afin d’améliorer la prise en charge précoce du TDAH (…) et de limiter le retard au diagnostic et le délai d’accès aux soins ». Un rapport d’évaluation de la Haute Autorité de Santé, daté de 2020, mentionne que l’Agence française du médicament (ANSM) a été « sollicitée régulièrement » par des sociétés savantes et des associations de patients pour changer les conditions de prescription du méthylphénidate. Ce changement s’inscrit dans un contexte d’utilisation en constante augmentation en France, avec un nombre de boîtes vendues qui est passé de 26 000 en 1996, à 600 000 en 2014, et à environ 1 million en 2020 (et environ 650 000 sur les 6 premiers mois de 2021) »…

Sans commentaire…

En tout cas, il importe de retenir que le Pr D. est un expert médiatique reconnu, consulté régulièrement pour des questions d’organisation des dispositifs thérapeutiques, soufflant à l’oreille des responsables politiques et diffusant ses pratiques comme étant la seule véritable Science et le seul véritable Soin basé sur des preuves. Nonobstant, ce chef de service est également censé s’occuper d’un intersecteur infanto-juvénile, c’est-à-dire de l’organisation des soins sur un territoire précis. Or, les structures pédopsychiatriques sont tout simplement à l’abandon sur ce secteur géographique. Tous les moyens sont dévolus aux activités rentables sur le plan médiatique et de la recherche. Les patients sont suivis si on peut les inclure dans des protocoles, si on peut en extraire des données, des statistiques, des publications….

Autant vous dire que de l’avenir de Jean et de sa famille, le Pr D. s’en contrefout…Est-ce vraiment ainsi qu’on est désormais censé soigner ? A vous de voir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.