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Billet de blog 24 mars 2023

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Misères de la pédopsychiatrie (1)

La pédopsychiatrie agonise, comme viennent en témoigner de récents rapports...Mais la crise n'est pas nouvelle, elle aurait pu être anticipée. Et les "solutions" qui se profilent ressemblent vraiment à une forme d'euthanasie active. Néanmoins, il y a sans doute des profits à envisager sur cette souffrance des enfants. Panorama de la situation en plusieurs épisodes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


« Aujourd’hui, on passe presque plus de temps à expliquer pourquoi on ne peut pas soigner plutôt qu’à soigner
» Professeur Bruno Falissard

Après avoir abordé la dégradation massive de la situation des enfants et des familles que nous recevons, penchons-nous désormais, en plusieurs épisodes, sur le chevet de la pédopsychiatrie, censée prendre en charge cette souffrance collective de plus en plus expansive…

A l’évidence, la pédopsychiatrie est une spécialité médicale sinistrée. Un rapport très récent de la Cour des Comptes - « LA PÉDOPSYCHIATRIE Un accès et une offre de soins à réorganiser » - vient à nouveau confirmer ce constat et s’émouvoir d’un état absolument dramatique et indigne. De fait, cela commence vraiment à inquiéter au niveau des pouvoirs publics, car l’intensité de la souffrance infantile va finir par coûter un pognon de dingue : il faut donc « mettre en place des politiques de prévention et de prise en charge précoces afin de prévenir les maladies psychiques permet donc de limiter les coûts économiques afférents à ces dernières »…Ainsi, « la Cour estime que 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent d’un trouble psychique, dont 600 000 à 800 000 de troubles plus sévères. 750 000 à 850 000 enfants et adolescents bénéficient actuellement de soins prodigués en pédopsychiatrie par des professionnels spécialisés, pour un coût d’environ 1,8 milliard d’euros en 2019. L’écart entre les besoins et l’offre disponible montre les difficultés structurelles d’accès à l’offre de soins : manque de soins de première ligne adaptés à la diversité des troubles, insuffisante gradation des soins psychiques infanto-juvéniles, inégalités territoriales de santé ». C'est tout moisi, et on fait mine de le découvrir, la gueule enfarinée...

Essayons donc d’appréhender les déterminants de cette crise profonde de la pédopsychiatrie

  • Sur le plan démographique :

L’Ordre des médecins rapporte une restriction drastique des effectifs des médecins compétents dans le champ pédopsychiatrique entre 2010 (3 113 professionnels) et 2022 (2 039 professionnels), ce qui correspondant à une diminution de plus d’un tiers (voire de 54 % pour les actifs réguliers, dans la mesure où 36,4 % des médecins travaillant actuellement en pédopsychiatrie seraient des retraités encore en activité, âgés en moyenne de 72 ans…). Ce phénomène sera aussi accentué par la pyramide des âges des actifs, dont 47 % ont plus de 60 ans. On va donc pouvoir directement transformer les institutions pédopsychiatriques en EHPAD...

Illustration 1

Cette tendance devrait aboutir à ce que, sans mesure ciblée, ils soient moins de 1 000 praticiens d’ici à 2035. Par ailleurs, parmi les « médecins compétents en pédopsychiatrie », seulement un quart sont des psychiatres de l’enfant et de l’adolescent ayant une qualification diplômante officielle. Ainsi, au 1er janvier 2020, 597 pédopsychiatres étaient recensés, avec un âge moyen de 65 ans. Si on ajoute à ces pédopsychiatres spécialisés les psychiatres ayant déclaré un savoir-faire en psychiatrie infanto-juvénile, qui peut être reconnu à travers plusieurs voies et formations, l’effectif ainsi retenu de « psychiatres compétents en pédopsychiatrie » représente environ 2 000 praticiens (1 961 médecins selon les données de la Drees et 2 039 selon les données du Cnom). La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent fait partie, selon le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), des dix qualifications ayant les soldes les plus déficitaires entre entrants et sortants : – 69 entre 2020 et 2021. Entre 2010 et 2021, ce solde déficitaire s’élève à – 420.

Au final, la densité moyenne est de 5 médecins pour 100 000 habitants de 0-14 ans avec d’importantes disparités territoriales ; 17 départements (Allier, Ariège, Cantal, etc.) sont tout simplement dépourvus de praticiens spécialisés… « Les enfants parisiens ont deux fois plus recours aux CMP que ceux de Seine-Saint-Denis. Toujours à Paris, il y a 2,2 lits d’hospitalisation pour 1 000 habitants de moins de 18 ans, contre 0,04 dans l’Aube, soit plus de 50 fois moins… »

La psychiatrie adulte étant déjà en soins palliatifs, l'avenir s'annonce florissant pour commencer une carrière dans ce domaine dès le plus jeune âge. Selon le Centre national de gestion, au 1er janvier 2021, le taux de vacance statutaire en psychiatrie était de 35,5 %.

En 2021, environ 1 570 ETP (Équivalent Temps Plein) de psychiatres et de pédopsychiatres exercent dans les structures ambulatoires infanto-juvéniles (IJ). L’analyse des effectifs des CMP-IJ menée par l’Observatoire régional de santé (ORS) Nouvelle-Aquitaine souligne que les médecins psychiatres ne sont présents que 18 heures par semaine (médiane), du fait d'activités à temps partiel. En moyenne, ils assurent le suivi médical d’environ 250 patients avec un minimum d’une consultation annuelle, soit une « file active » de 500 patients par praticien pour un équivalent temps plein. Comment assurer un portage thérapeutique, un suivi ajusté et singularisé, dans de telles conditions de surcharge ?

  • Sur le plan des capacités d’accueil :

La pédopsychiatrie est confrontée à une intensification massive des demandes, avec une hausse des besoins de prise en charge intensive concernant des profils complexes. L’augmentation de la file active des patients suivis en psychiatrie infanto-juvénile est estimée à 60% sur ces vingt dernières années.

En parallèle, les moyens effectifs et les financements ne progressent pas à hauteur de cette inflation des demandes (+ 14 % en 2008-2018), et les institutions n’arrivent plus à recruter de professionnels, avec des métiers particulièrement en tension (orthophonistes, assistantes sociales, etc.).

Dès lors, le constat est indéniable : « l’offre pédiatrique et pédopsychiatrique est en recul et ne permet plus d’accueillir dans des délais raisonnables ni d’accompagner au mieux les enfants qui en ont besoin » (Rapport HCFEA).

En 2016, le rapport Moro- Brisson « Mission Bien-être et santé des jeunes » alertait déjà sur la situation : « les lieux de soins étant déjà saturés, la prise en charge des situations de mal-être, moins urgentes, passe au second plan. Cet état de fait a pour conséquence, à terme, d’aggraver la situation, de requérir des soins beaucoup plus lourds et d’entraîner des conséquences plus importantes ».

Or, d’après le dernier rapport de la Cour des Comptes, « dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 13 % environ des enfants et adolescents présentent au moins un trouble psychique ».

« Ces dernières années, entre 750 000 et 850 000 enfants et adolescents bénéficient annuellement de soins prodigués en pédopsychiatrie par des professionnels spécialisés selon les différentes modalités (ambulatoire, hospitalisations partielles et complètes) ».

« À partir des travaux réalisés par l’Institute of health metrics evaluation (IHME, université de Washington), il est possible d’estimer la prévalence de l’ensemble des troubles psychiques, légers comme plus sévères, chez les enfants et les adolescents en France. Pour 2019, cette prévalence est estimée à 11,2 % en moyenne pour les moins de 18 ans (14,4 % pour les 5-17 ans), correspondant à un effectif d’environ 1,6 million d’enfants et d’adolescents. Par ailleurs, selon des données relativement anciennes de l’OMS, mais non remises en cause depuis leur publication, 4 à 6 % des enfants et des adolescents d’une classe d’âge présenteraient des troubles psychiques nécessitant une intervention clinique ».

« Sur la base de l’hypothèse médiane (5 %) de l’intervalle retenu par l’OMS, les besoins de prise en charge spécialisée pour troubles psychiques concerneraient en France environ 600 000 à 800 000 enfants et adolescents de moins de 18 ans. Pour les troubles les plus graves associés à des épisodes d’hospitalisation complète et à des reconnaissances en affection de longue durée (ALD), la cartographie des pathologies et des dépenses de la Cnam conduit à une estimation de 190 000 enfants et adolescents de moins de 18 ans concernés par des formes sévères de troubles psychiques ».

Cependant, ces estimations épidémiologiques restent très abstraites, ne permettant pas d’apprécier non seulement les modalités concrètes du recours aux soins, du fait de la dispersion des interventions ou des errances thérapeutiques, mais aussi les besoins réels en termes d’accompagnement thérapeutique, à la fois sur le plan préventif et curatif. Comment comptabiliser tous les enfants qui ne bénéficient pas de soins, faute d’accessibilité ? Comment apprécier les déterminants socio-politiques impliqués, en évitant à la fois l’écueil d’une médicalisation des souffrances sociales mais aussi le risque d’un délitement des approches prophylactiques conduisant à la fixation secondaire de troubles évitables ? Quand il faut parfois attendre plus d’un an avant un premier rendez-vous, la situation finit par ne plus forcément relever de soins institutionnels en ambulatoire, compte tenu notamment de l’aggravation des problématiques initiales. Ainsi, du fait de ces délais d'attente, le jeune peut éventuellement avoir été hospitalisé en secteur adulte, bourré de psychotropes, placé en établissement éducatif fermé, s’être totalement désocialisé avec une régression apparente des symptômes les plus bruyants, ou bien encore les partenaires qui portaient l’orientation vers les soins se sont finalement désengagés, ou la famille a été « déplacée », etc. Le meilleur moyen de gérer une liste d'attente, c'est de laisser les situations pourrir et s'invisibiliser d'elles-mêmes...

« On constate une forte croissance de l’activité en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent depuis plusieurs décennies. Aux jeunes souffrants reçus en inter-secteurs, c’est-à-dire dans le système public gratuit, la file active des enfants et adolescents (jusqu’à 15 ans), vus au moins une fois dans l'année, il faut ajouter les jeunes reçus dans le cadre de la psychiatrie associative (CMPP et dispensaires), dans celui de la psychiatrie libérale, dans celui de la psychiatrie hospitalo-universitaire, par les Maisons des adolescents et les structures d’écoute et d’accueil. À tous ceux-là, il faut ajouter également les jeunes de 15 à 21 ans qui sont pris en charge en psychiatrie adulte par défaut de place en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, sans oublier ceux qui relèvent de la psychiatrie adulte. Une évaluation rapide de la file active cumulée, dans toutes ces structures publiques, associatives et privées, ainsi que des jeunes pris en charge dans le champ médicosocial, amène à considérer que, sans aucun doute, un peu moins d’1 million de jeunes ont consulté au moins une fois dans une structure dédiée, sans pour autant que tous soient ensuite suivis. Ce nombre est à rapporter au nombre de jeunes vivant en France âgés de 10 à 20 ans qui avoisine les 8 millions. On estime à 1,5 million le nombre de jeunes qui auraient besoin d’avoir un projet de suivi ou de soin approprié » (rapport Moro-Brisson).

Face à une telle massivité, l’explication optimiste en termes d’amélioration des dispositifs de prévention et de repérage, de meilleur accès aux soins, de déstigmatisation du recours à la pédopsychiatrie parait bien insuffisante…

Par ailleurs, le fait d’imputer exclusivement cette situation dramatique aux conséquences de la pandémie de COVID-19 est également une pure esbroufe, et un alibi politique un peu facile. Le rapport Igas de 2018, le rapport du Sénat de 2017, mais aussi la presse grand public (« La pédopsychiatrie maltraitée », Alain Gillisest, Le Monde, janvier 2004 ; « La pédopsychiatrie peine en Seine-Saint-Denis », Delphine de Mallevoue, Le Figaro, décembre 2005 ; « La psychiatrie infantile malade de sa pauvreté », Valentine Rousseau, Le Parisien, juillet 2000) alertaient déjà sur une conjoncture catastrophique, sans susciter d’interventions politiques à la mesure du désastre en cours. Pourtant, la situation s’était déjà dramatiquement dégradée depuis une vingtaine d’années, avec une explosion des besoins sans ajustement des capacités d’accueil…Oh flûte, on savait pas, on tombe des nues...c'est une très mauvaise surprise, qui nous désarçonne complètement...

En tout cas, le diagnostic est désormais sans appel : « face à l’augmentation des besoins en santé mentale pour les enfants et adolescents surtout depuis 2021, le constat partagé est celui d’une crise de l’offre de soins en santé mentale et en particulier de la pédopsychiatrie mais aussi des autres intervenants des secteurs médicaux et médico-sociaux. La crise de la pédopsychiatrie comme réponse spécialisée à la complexe problématique de la souffrance psychique des enfants et des adolescents remet en cause notre capacité même à porter assistance et à rendre effectif le droit à la santé des enfants » (Rapport HCFEA).

Cependant, cela fait des décennies qu’au nom du « virage ambulatoire », du tout inclusif, de la désinstitutionnalisation, de la rationalisation de l’offre, etc., - c’est-à-dire des restrictions budgétaires-, les capacités d’accueil ont été drastiquement réduites. Ainsi, entre 1986 et 2013, le nombre de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie a diminué de 58 % alors même que la population augmentait.

Illustration 2

Par ailleurs, les CMP et CMPP, considérés comme des portes d’entrée dans le parcours de soins, « ont été progressivement submergés par les demandes d’information, de conseil, d’évaluation et de suivi ». D’après la Cour des Comptes, « près de 50 % de leur travail consiste en effet à recevoir, pour des séances d’évaluation et d’orientation, des patients qui ne bénéficient pas ensuite d’un suivi au long cours » - affirmation qui demanderait à être largement réévaluée. En effet, des familles qui ont attendu plus d’un an pour un premier rendez-vous ont souvent bricolé d’autres prises en charges, ou bien la situation a évolué, s'est dégradé, l’enfant est devenu majeur, etc., ce qui fait que l'indication initiale de soins a largement eu le temps de pourrir. Par ailleurs, le recours aux urgences devient de plus en plus récurrent, venant également pallier à l’absence de soins pérennes, contenants et ajustés. « En 2021, 84 734 passages aux urgences pour trouble psychique de mineurs ont été dénombrés. Si ce nombre ne représente que 1,7 % du total des passages, il reste important à l’échelle des effectifs d’enfants et adolescents pris en charge en pédopsychiatrie ». « Entre 2016 et 2021, le nombre de passages aux urgences pour troubles psychiques chez les moins de 18 ans a augmenté de 65 % »…

« En pédopsychiatrie, l’urgence se caractérise le plus souvent par une crise, notamment de type suicidaire », ce qui, pour la Cour des Comptes, ne relèverait pas forcément d’une intervention immédiate… Cependant, « en 2021, 33 % des patients mineurs passés aux urgences ont ensuite été hospitalisés ». « Neuf fois sur dix, ceux-ci sont accueillis dans des services de médecine chirurgie-obstétrique, en majorité pédiatriques, plutôt qu’en pédopsychiatrie », du fait de la saturation des services spécialisés et de la réticence des parents à orienter vers une hospitalisation psychiatrique.

En tout cas, un constat est absolument indéniable : « alors que le recours aux services d’urgences devrait être une exception, l’impossibilité de consulter dans des délais courts un professionnel de ville ou d’avoir un entretien en CMP conduit trop souvent à une dégradation de certaines situations et à un passage aux urgences ».

Récemment, j'ai essayé de faire hospitaliser une adolescente de 14 ans, en situation de décompensation dépressive inquiétante, avec déscolarisation, mises en danger itératives, menaces permanentes de passage à l'acte auto-agressif, etc. La majorité des services sollicités n'a même pas pris la peine de me répondre. Le seul retour que j'ai finalement reçu, après plus d'un mois, m'indiquait que la saturation actuelle rendait impossible toute perspective d'admission prochaine. En conséquence, les collègues me conseillaient de m'adresser directement à une clinique privée - qui, par ailleurs, ne reçoit les adolescents qu'à partir de 16 ans...En conséquence, il faut faire avec, en ambulatoire, bricoler, tenir, accueillir, déplacer les murs, prendre des risques, sortir des clous, tout en engageant sa responsabilité sur le plan médico-légal...Un vrai travail d'équilibriste, sans filet, engageant la sécurité de nos patients, et la notre au passage....Régulièrement, je me vois confier compas, boîtes de médicaments, en tant que gage transférentiel d’une fonction de protection et de confiance, d’une possibilité d’accueil de la parole et de la détresse en lieu et place du passage à l’acte autoagressif…

Illustration 3

Prendre en charge des adolescents en souffrance nécessite une disponibilité très importante, une réactivité, un portage, qui parfois débordent largement sur le temps de travail officiel. Il faut contenir l’angoisse, celle de l’adolescent, de sa famille, la sienne propre, faire face à l’imprévu, aux passages à l’acte, à la pénurie de relais. C’est à la fois très chronophage, mais aussi très prenant en termes d’investissement, de responsabilité, de charge mentale, d’affects…Mais c’est une nécessité absolue en termes de soin. Que dire alors des dispositifs transitoires, éphémères, discontinus, éparpillés, plateformisés, interchangeables, désengagés

  • Sur le plan de l’intensité de la souffrance infantile collective et de l’aggravation constante de l’état de santé psychique des enfants :

Comme le souligne le dernier rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge « QUAND LES ENFANTS VONT MAL : COMMENT LES AIDER ? » : « le nombre d’enfants en difficulté psychique augmente. Cette augmentation, creusée par le déficit des modalités d’accueil, de soin, mais aussi d’éducation et d’accompagnement, se double de facteurs sociaux et environnementaux susceptibles d’en accentuer les effets ». La situation n’était déjà pas glorieuse sur les dernières décennies, mais, de surcroit, « l’ensemble des rapports, missions ou experts témoignent d’une augmentation de la souffrance psychique de l’enfant et des demandes de soin depuis 2021 ».


Selon l’OMS, les questions de santé mentale sont la principale problématique de santé des enfants de 5 à 14 ans en France. Dans notre pays, en 2019, les troubles de la santé mentale concerneraient environ 2% des enfants de moins de 5 ans, 12% des enfants de 5 à 9 ans et plus de 20% des enfants de plus de 10 ans. Environ 14 % des jeunes de 10 à 19 ans souffrent de troubles mentaux sans pour autant recevoir une attention et une prise en charge adéquate. Par ailleurs, rappelons que la moitié des troubles mentaux se manifestent avant l’âge de 14 ans, et qu’une absence de prise en charge précoce aggrave très significativement le pronostic, exerçant alors un impact particulièrement délétère sur les capacités d’autonomie à plus long terme.

Selon un sondage publié en mars 2022 pour l'association Psychodon, un jeune sur quatre déclare être malheureux et 24% des jeunes sondés déclarent avoir des pensées suicidaires au quotidien. Le suicide est la troisième cause de mortalité chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans, après les accidents de la route et la violence interpersonnelle.
« Selon une étude publiée dans une revue américaine de référence, et qui converge avec les données de Santé Publique France, le nombre d’admission des moins de 15 ans à l’hôpital Robert Debré pour tentative de suicide a augmenté de 299 % entre juillet-aout 2019 et mars-avril 2021 ».
La hausse amorcée dès la première semaine de 2021, du nombre de passages aux urgences pour idées suicidaires (+103 % par rapport à 2018-2019), se poursuit jusqu’à la mi-novembre 2021 en particulier chez les collégiens et lycéens âgés de 11 à 17ans : +35 % chez les sujets âgés de 11 à 17ans de début janvier à mi-novembre, et +52 % chez ceux âgés de 11 à 14 ans.

« Nos services d’urgences pédiatriques connaissent depuis l’automne 2020 une « épidémie » de recours pour motifs psychologiques (anxiété, tentatives de suicide, crises, etc.) ... Ces admissions ont augmenté de 40 % à 70 %, selon les régions » (Tribune parue dans Le Monde, 16 mars 2021).

Dans l'indifférence généralisée, c'est donc toute une génération qui exprime ainsi son mal-être, témoignant aussi d'une véritable déliquescence de considération et d'attention à l'égard de leur vulnérabilité...Mais c'est sûrement à cause de ce satané COVID, ou bien d'un problème neuro-génétique, on n'y peut rien...

Illustration 4
  • Sur le plan de l’écosystème institutionnel :

Pas besoin de vous faire un dessin pour souligner le délitement dramatique des conditions de vie des enfants, le creusement des inégalités, la mise à mal de la mixité sociale, la paupérisation et la précarité galopantes, le désaveu massif des pouvoirs publics face à leurs responsabilités, etc. Comme le souligne le HCFEA, « les conditions de vie, notamment la pauvreté et la violence ne sont pas suffisamment considérées comme enjeux de santé ».

De surcroit, ce sont également toutes les institutions en charge de l’enfance qui se trouvent sacrifiées et mises à mal, méthodiquement, depuis des décennies : l’Éducation Nationale et la médecine scolaire, l’Aide Sociale à l’Enfance, les services de PMI, la justice des mineurs, etc. Avec, comme conséquence patente, des ratés évidents dans les stratégies de prévention, un manque de coordination et de cohérence dans les interventions, des tentatives de se désengager des situations les plus complexes plutôt que de construire des synergies interinstitutionnelles, etc.

Illustration 5
Tara Kabé © Pavo

Car, dans le même temps, les "files actives" explosent, les "turn over" dans les équipes n'ont jamais été si importants ; on se barre, de plus en plus, alors même que les recrutements s'avèrent de plus en plus compliqués, et que les demandes s'intensifient. Alors, on se refile les patates chaudes, d'institution à institution, on jette les bébés et l’eau du bain, on se critique, on s’interpelle, et, au final, on ne prend pas en charge.

Mais comment faire pour assurer des missions sans en avoir les moyens ?

A titre d’exemple, on recense actuellement 900 médecins scolaires pour 12 millions d’élèves – soit un médecin pour 13 333 élèves. En septembre 2021, le Sénat comptabilisait 8024 infirmières scolaires pour 62 000 établissements – soit une infirmière pour sept ou huit établissements, avec des fonctions partagées entre des missions de soin et de prévention. 

Comment, dans ces conditions, assumer réellement des interventions de repérage, de suivi, d’accompagnement ? Alors même que les situations de « refus scolaire anxieux » se déploient sur un mode épidémique, que l’inclusion scolaire s’impose à tous sans moyen et sans discernement, que les procédures de sélection, de mise en concurrence, sont de plus en plus précoces et intenses, que la forme scolaire produit elle-même de l’exclusion et de la souffrance psychique à travers l’évaluation permanente, la pression, la normalisation, la violence  symbolique, que « la  question  de  la  scolarisation  des  élèves  en  situation  de  handicap  apparaît  en  tête  des sources   de   mal-être  des  enseignants  même  s’ils  souscrivent   majoritairement   à   son principe » (Rapport HCFEA)…

Illustration 6
© plonk et replonk

En parallèle, les situations de maltraitance, de négligence, de harcèlement, d’agressions tendent à s’exacerber, alors même que l’Aide Sociale à l’Enfance agonise. Les enfants et les adolescents manifestent de plus en plus de souffrance dans leur socialisation, avec des postures d’évitement, de repli, de désinvestissement. En même temps, les violences intrafamiliales paraissent de plus en plus prégnantes, en rapport notamment avec l’état de d’anomie sociale, d’esseulement, de privatisation accéléré. Enfin, l’omniprésence des réseaux sociaux et des interfaces numériques rajoutent une couche de décollectivisation, de rivalité mimétique et de déperdition narcissique-identitaire…

Illustration 7

Néanmoins, lors d’une réunion de l’ARS Île de France en décembre 2022, il était à nouveau revendiqué un changement dans l’écosystème des CMPP et CAMSP : « travaux sur les enjeux de qualité et de respect des bonnes pratiques professionnelles, renforcement de l’école inclusive dès 3ans, création de PCO, émergence de nouveaux acteurs de repérage, de prise en soins et de coordination, etc. ». Rien pour les institutions soignantes condamnées à la pénurie ; il s’agit bien de coordonner du vide et de créer des flux à destination des limbes.

Par ailleurs, « en 2022, la DGCS a animé un groupe de travail réunissant les différentes parties prenantes pour procéder à l’actualisation du cadre réglementaire applicable aux CAMSP et CMPP », avec « pour objectif la rédaction d’un cahier des charges qui fera l’objet d’un décret simple et d’une instruction ». C'est évidemment la priorité : à coup de contraintes autoritaires, de recommandations obligatoires, de mise en conformité réglementaire, tout va s'arranger...Et puis, ne nous berçons pas d'illusions : il s'agit évidemment d'attaquer les soins qui s'inspireraient, de près ou de loin, de la thérapie institutionnelle ou de la psychanalyse. Par contre, on peut être sûr qu'il n'y aura pas cadrage règlementaire de la surprescription de psychotropes et du non-respect des précautions et des conditions d'administration chez les enfants...

L’ARS s’enorgueillit également de l’émergence de nouveaux acteurs de repérage et de coordination : 

  • Maison des adolescents
  • Dispositifs d’appui à la coordination (DAC)
  • Communautés 360
  • Maison de l’enfant et de la famille 3-11ans (expérimentation article 51 en cours)

Toujours rien pour renforcer les structures de soins…Mais par contre, de biens beaux diagrammes qui vont sûrement contribuer à améliorer réellement la situation.

Illustration 8

Après ces premiers constats, nous nous pencherons lors d’un prochain billet sur les orientations politiques stratégiques et sur les recommandations des « experts » pour faire face à cette situation dramatique. Définitivement, la pédopsychiatrie crève et on lui administre des saignées...

A suivre

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