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Billet de blog 24 juillet 2025

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Attention, enfants ! (17) Vers une « captologie » psychique ?

L’attention des enfants est de plus en plus parasitée, fragmentée et canalisée. Or, au-delà des effets cognitifs, se déploient également des stratégies de captation et de configuration identitaires, enfermant toujours plus précocement les jeunes utilisateurs dans des bulles aliénantes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Tu es le cerveau d’une fille de quatorze ans qui passe des heures sur les réseaux sociaux. Tu reçois tellement d’images que tu la pousses à la comparaison. Est-elle mieux ou moins bien, plus grosse, plus maigre, plus belle, moins belle ? Elle ne cesse de se comparer aux autres, elle perd confiance en elle, se sent triste, minable, déprimée. C’est comme un puits sans fond qu’elle continue de creuser en faisant défiler ce flux qui t’excite toujours plus. Elle a quantité de contacts virtuels mais se sent terriblement seule. Nombre de ses interactions physiques avec sa famille et ses amis ont été remplacés par du temps passé en solitaire sur son ordinateur ou son smartphone. Et plus rien ne vient assouvir son besoin profond de véritables liens humains. 
(…)
Tu es le cerveau de tous ces jeunes. Ta maturation n’est pas terminée. Tu n’est pas en mesure de gérer le niveau de stimulation que t’imposent les écrans. Et ton propriétaire a bien d’autres facultés à développer, neurologiques, cognitives, attentionnelles, linguistiques, émotionnelles. Il doit encore apprendre la patience, la volonté, la résilience. Les écrans l’hypnotisent, l’habituent à la gratification instantanée, les possibilités qu’ils offrent lui semblent illimitées. Faire ses devoirs ou vider le lave-vaisselle l’agace, l’énerve. Il ne sait plus comment vivre une réalité que le virtuel rend presque fade. Il a perdu les clefs. » Laura Poggioli, Epoque

On a déjà évoqué précédemment l’impact délétère des interfaces numériques sur le développement des capacités attentionnelles des enfants.

Avec de nombreuses études internationales à l’appui, la pédiatre Sylvie Osika souligne ainsi le lien entre « entre surexposition aux écrans avant 2 ans et troubles du langage, troubles de l’attention et de la concentration, et troubles des apprentissages ».

Mais elle pointe également les perturbations du développement relationnel, social et affectif, en particulier au travers des troubles des interactions primaires.

Illustration 1

De plus en plus précocement, les enfants sont manifestement victimes de technologies conçues pour capter, enfermer, méduser… Chacun se retrouve isolé dans sa bulle, avec une attention morcelée et canalisée par des stimulations sensorielles générées spécifiquement. Dès lors, les liens sont abîmés, fragmentés. Des protocoles expérimentaux ont même pu comparer l’utilisation du portable par les parents à une situation de Still Face, c’est-à-dire de désengagement parental vis-à-vis de la relation induisant un état de détresse chez le nourrisson. Il existe ainsi des corrélations négatives entre l’intensité d’utilisation du smartphone par la mère et les signes positifs d’affection du bébé ainsi que ses capacités à se réengager dans la relation après une rupture. L’attachement est également de moins bonne qualité. Au final, cette « technoférence » qui affecte la quantité et la qualité des interactions avec l’enfant peut altérer, en cascade, le développement des capacités socio-émotionnelles. Tout en venant interférer avec les dynamiques identificatoires et l’émergence relationnelle des assises narcissiques et identitaires…

D’après un récent rapport d’experts sur les enjeux relatifs à l’usage des écrans par les enfants, voici les effets mis en évidence par des études de plus en plus importantes : 

  • avant 2 ans, les effets de l’exposition aux écrans sont associés à de moins bonnes performances au niveau du langage et des capacités attentionnelles.
  • de 2 à 6 ans, un temps d’écran supérieur à une heure par jour ou de télévision supérieur à 30 minutes par jour est souvent associé à de moins bonnes performances cognitives globales, attentionnelles, langagières et socio-émotionnelles
  • de 6 à 17 ans: un temps d’écran supérieur à deux heures par jour pourrait être associé pour certains usages à de moindres capacités attentionnelles et à de moindres performances en lecture et scolaires
  • entre 15 et 18 ans : un usage à haute fréquence du smartphone (plusieurs fois par jour) a été associé à une augmentation des symptômes de type inattention, impulsivité et hyperactivité.

Est-ce un simple effet secondaire indésirable, une fâcheuse externalité ? Ou un processus délibéré, assumé ? Un outil pour construire des consommateurs aliénés et dépendants, dès le plus jeune âge ? Un vecteur de configuration précoce des profils attentionnels, voire des identités ? Un dispositif de contrôle social ? Une façon de capter toujours plus précocement afin de dévier les flux attentionnels et libidinaux, de détourner des enjeux collectifs, de mieux asservir et dominer…

Illustration 2

D’autant plus si l’on considère que les enfants de familles plus défavorisées sont bien plus exposés aux interfaces numériques, ce qui constitue un « facteur d’accroissement des inégalités développementales entre enfants de milieux sociaux différents » …

Sans basculer dans une forme de complotisme, n’est-il pas nécessaire de pointer les méthodes de « captologie » ?

Créé en 1996 par le chercheur B.J. Fogg, fondateur du Standford Behavior Design Lab, ce terme désigne la façon dont les dispositifs numériques peuvent orienter les conduites et désirs des individus, via des technologies persuasives et du design comportemental.

Ce champ croise plusieurs disciplines : les technologies de l’information, les sciences de la communication, les neurosciences cognitives et la psychologie sociale, afin de pouvoir optimiser les processus d’influence et de modifier les motivations des « récepteurs » via des transactions symboliques, médiatisées par le numérique. La mise en œuvre de ces stratégies concerne avant tout le domaine des plateformes numériques privées et tout particulièrement celles qui sont impliquées dans l’économie de l’attention.

Dans ce domaine, il s’agit d’implémenter toujours davantage des fonctionnalités exploitant les biais cognitifs, mais aussi les mécanismes cérébraux de la récompense ou de l’envie : affordances perçues, scroll infini, notifications…Dans une réalité saturée de contenus distractifs, l’objectif est de maintenir l’engagement des utilisateurs, de phagocyter leurs ressources attentionnelles, à travers des « dark patterns », ou des « designs trompeurs et persuasifs ». En l’occurrence, c’est bien l’attention qui est ainsi marchandisée, dans une dynamique concurrentielle.

Dès lors, cette compétition pour l’attention repose de plus en plus sur des algorithmes capables de personnaliser les contenus en fonction des intérêts individuels, créant ainsi des expériences hautement addictives. Le design persuasif, les notifications incessantes, les récompenses et le défilement infini sont autant de techniques utilisées pour capter l’attention et générer de l’engagement, voire une forme d’aliénation consentie.

Illustration 3

Via le « persuasive design », il s’agit de construire un environnement de passivité numérique et de mobiliser le système de récompense, particulièrement sensible chez les enfants et les adolescents.

À titre d’exemple, les mécanismes de « fil déroulement infini », de « lancement automatique et sans fin » des vidéos, d’hyper notifications contribuent à effacer tout choix de l’utilisateur, et poussent à une consommation passive, de gavage, sans effort ni implication active. Les algorithmes utilisés favorisent l’inertie ainsi qu’une forme de flux addictif, en proposant des contenus paramétrés sur la base du comportement antérieur, et incitent au réengagement permanent, via l’exposition aux « likes », aux commentaires et aux « stories » éphémères. Il s’agit donc d’induire des patterns de consommation compulsive, de favoriser la répétition, la saturation, l’enclosure…Avec comme effets une forme de perte de contrôle, un sentiment de dépendance, un repli, une confusion des repères temporelles, voire une véritable détresse.

De fait, la captologie fonctionne grâce aux recueils de données, en augmentant l’intensité émotionnelle des contenus proposés. En l’occurrence, la stimulation des « émotions négatives » tend à favoriser la captation attentionnelle, ce qui explique la prééminence de fil d’actualités anxiogènes et alarmistes, complotistes, et très polarisées. Les plateformes de contenus savent à quel moment il faut créer de l’événementiel pour raccrocher, et quels profils de saillances sont les plus addictogènes.

Elles stimulent de diverses façons, notamment en apportant de la nouveauté sur un fond de radotage, le système neuronal de récompense, via la sécrétion réitérée de pics de dopamine. La perspective d’une récompense à long terme stimule également les neurones dopaminergiques, mais de façon moins intense. Dès lors, lorsque le niveau de dopamine est artificiellement maintenu à des taux élevés de façon chronique, par exemple via des stimuli renforçateurs répétés, les connexions avec les structures de récompense à long terme dégénèrent, au profit de celles à court terme.

Par ailleurs, les interfaces numériques mobilisent essentiellement l’attention « exogène » et automatisée, à travers des contrastes sensoriels chez les enfants en bas âges, ou des modalités de récompense aléatoire et de défilement infini. Cette sursollicitation se fait au détriment de l’attention endogène volontaire, venant progressivement entraver les capacités de concentration qui se développent normalement jusqu’à la fin de la période d’adolescence.

Chez les enfants, sont exploitées l’attirance pour les couleurs, les mouvements, et certains contenus sensoriellement accrocheurs, avec des effets d’immersion. Il existe actuellement des offres de contenus illimités spécialement configurés pour cette population, et des applications qui se prétendent pédagogiques. Ce type de médias favorisent une consommation passive, isolée, sans médiation relationnelle, à finalité occupationnelle et « calmante » - même si les contenus sont souvent très excitants pour toujours captiver l’attention.

Ces interfaces ne sont pas seulement des outils, mais également des dispositifs médiatiques susceptibles de configurer les relations et la sociabilité. Elles savent par ailleurs exploiter tant notre fonctionnement neurocognitif que nos fragilités affectives. Elles agrègent par affinité, configurent des communautés virtuelles, et tendent à favoriser des polarisations identitaires. Les réseaux sociaux exploitent l'attention des enfants, comme un véritable outil de capitalisation, économique mais aussi idéologique.

Comme le souligne David-Julien Rahmil, les plateformes numériques constituent une nouvelle instance de socialisation primaire qui impose un ordre normatif à part entière et concurrent aux autres (tels que la famille ou l'école). En effet, ces interfaces médiatiques proposent insidieusement des modèles de comportements auxquels l’enfant peut s’identifier, et participent activement au processus de façonnement des normes chez les nouvelles générations, en vase clos. 

La "militante dépressive" Laura Tournand s'est immergée dans TikTok. Elle a très rapidement été confrontée à des contenus islamophobes, racistes, identitaires, attisant la haine ; à des propos misogynes, sexistes, banalisés comme des « opinions » ; à des vidéos stigmatisant les plus précaires, justifiant les violences éducatives, etc. « Le tout enrobé dans des formats ludiques, rythmés, esthétiques. Des effets de style. Une mise en scène qui donne l’impression de regarder un divertissement, pas une dérive ». Par ailleurs, poursuivant sa plongée, elle a finalement été exposée à  des contenus susceptibles de promouvoir la détresse des adolescents, voire les passages à l’acte suicidaire ; par exemple, des « vidéos d’adolescents parlant de leur mal-être, montrant leurs blessures, partageant leur volonté d’en finir. En accès libre. Sans modération ». « On y voit des bras lacérés, des visages scarifiés, des séjours en hôpital psychiatrique filmés comme des vlogs, et même des lettres d’adieu filmées en silence, soigneusement pliées ». Mais « il y a aussi, plus insidieux, ces tutoriels déguisés pour “en finir”, évoquant sans détour la pendaison, le saut d’un pont, le passage sous un train » …

Ainsi, TikTok instrumentalise sans vergogne le désarroi des enfants. Il en fait un « produit d’appel, un moteur d’engagement un fil sans fin de douleur algorithmique ». Au-delà d’héberger ce mal-être, d’en diffuser le témoignage, la configuration de la plateforme tend à l’encourager, à la propager, à en faire un signe de reconnaissance virale, un marqueur d’adhésion identitaire. « Son algorithme monétise les émotions les plus sombres, renforce les spirales psychiques, et pousse les adolescents à se montrer toujours plus blessés, toujours plus désespérés pour exister dans un fil qui ne s’arrête jamais ».

Et que dire du mouvement "pro-ana" qui, via les réseaux sociaux, diffuse une émulation pour s'alimenter toujours moins, voire une glorification des Troubles du Comportement Alimentaire...L'anorexie devient finalement un mode de vie, une aspiration voire une identité rendue désirable, notamment pour appartenir à une communauté. Sur TikTok, des personnes vulnérables sont très rapidement exposées à des silhouettes filiformes vantant leur maîtrise sur un corps chosifié, idéalisé standardisé. Là, il n'y a pas de "pair-aidance", de soutien ou de prévention, mais un véritable enfoncement, une tragique spirale incitant notamment à l'affamement via des challenges, ou à l'utilisation de médicaments anorexigènes.

Loin  de renforcer une forme de solidarité collective, c'est bien un tragique esseulement qui en ressort. Par ailleurs, comment ne pas faire le lien avec le désinvestissement des relations affectives et de la sexualité dans les jeunes générations – même si, pour certains sociologues, la vie sexuelle virtuelle par écran interposé devrait être appréhendée en tant que néo-sexualité ?  N’y-a-il pas là une forme d’échappement vis-à-vis des vertiges du corps et de l’altérité ? Que penser de ces adolescents qui se disent en couple, sans même avoir eu de rencontre réelle et de lien incarné avec leur partenaire, matché sur les réseaux à partir d’affinités identitaires partagées ? Quels sont finalement les modes de subjectivation et d’identification que promeuvent ces plateformes numériques, que ce soit de manière intentionnelle ou pas ? Ces dispositifs ne façonnent-ils pas le social de manière extrêmement normative, oppressive, voire destructrice ?

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koko n'aime pas le capitalisme

En 2020, Tristan Harris, ingénieur informaticien élève de B.J. Fogg et ex « philosophe produit » repenti de Google, prenait la parole devant le congrès américain pour dénoncer l’envers du miracle numérique : « Toute cette technologie n’est pas une opportunité qui peut aller dans toutes les directions. Elle ne va que dans une direction spécifique : prendre notre temps. Dans cette course à l’attention, le pouvoir est asymétrique car on nous donne l’impression d’une relation d’égalité mais elle est fausse et une des deux parties (l’usager) ne s’en rend pas compte. Toutes les techniques mises au point comme le scroll qui nous oblige à tirer les images de notre fil d’actu comme si on tirait sur la manette d’un bandit manchot sont extrêmement addictives. Le défilement infini fonctionne comme si nous avions un verre qui se remplissait en permanence et nous ne saurions pas quand nous arrêter de boire. Heureusement, notre estomac envoie un signal à notre cerveau quand il n’en peut plus, mais dans le cas du défilement infini, le cerveau n’envoie pas de signal au cerveau pour lui dire d’arrêter. Les méthodes pour nous garder accro sont de plus en plus agressives pour atteindre notre tronc cérébral et notre validation sociale. Le système des likes et des followers… ont créé le narcissisme de masse. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle peut construire de meilleurs modèles prédictifs de notre comportement. 70% du trafic sur YouTube est piloté par des recommandations, c’est à dire une machine et non par un choix humain. Plus on passe de temps sur les plateformes, plus il est possible de faire des prédictions et de les monnayer. L’IA peut, rien qu’avec les mouvements de notre souris, les schémas de clics… faire des prédictions même sans données sur nous. Tous ces comportements sont notre signature. Les plateformes peuvent connaître votre personnalité politique sur la seule base des tweets. Elles savent avant nous nos orientations sexuelles, si on est enceinte ou si on veut quitter notre travail… Nos cerveaux sont limités par rapport aux pouvoirs exponentiels croissants de la technologie prédictive. Il y a une asymétrie croissante du pouvoir. Nous permettons à ce système de phagocyter – entre autres – nos élections sans qu’il en assume les responsabilités. La technologie nous met dans des bulles nous ramenant à un comportement tribal. La tendance est de penser que cette polarité est juste due à la nature humaine et que la technologie ne serait qu’un miroir. En réalité, elle est un amplificateur des pires parties de nous. Sur Twitter, ce qui suscite le plus de réactions concerne l’indignation morale. La polarisation de notre société fait partie du modèle commercial. Les mots les plus récurrents sur YT sont haine, destruction, démystifier, effacer… On ne peut pas demander à ces plateformes de changer car c’est leur modèle économique. C’est un Frankenstein numérique difficile à contrôler »

Le professeur d’histoire David Courtwright évoque de son côté le potentiel addictogène des technologies numériques de l’information, via notamment le concept de « capitalisme limbique », entendu comme une architecture économique qui mêle la puissance des interfaces connectées, des designs marketing sophistiqués, des intérêts financiers, et les réseaux cérébraux de l’addiction. Le dessein est explicite : exciter les esprits, déconnecter les individus d’eux-mêmes en les « décervelant ».

En l’occurrence, la transition numérique tend à « accompagner » une forme d’hébétude ubiquitaire et de distraction permanente. Les satisfactions et les appétences neuronales ainsi suscitées reconfigurent les patterns comportementaux, sur un mode potentiellement aliénant. Envies irrépressibles, vécu de non-satiété, spirale de surenchères consuméristes, produisent anxiété, impulsivité, affets dépressifs et perte de contrôle. Dans ce « capitalisme limbique », la finalité prioritaire est évidemment celle du profit : les captations individuelles sont toujours des possibilités d'emprise par le marché : vous êtes le produit… Et ce sont vos pulsions « archaïques », liées au circuit de la récompense qui sont ainsi exploitées, visant notamment des comportements addictogènes.

Ce contrôle psychochimique oriente alors les patterns de consommation, en réduisant les capacités de contrôle et de choix. De fait, les réseaux de neurones dopaminergiques du système limbique sous-tendent à la fois le plaisir, la récompense, la motivation, la mémoire, mais aussi l’aversion, autant de fonctions émotionnelles essentielles à la survie, et profondément sélectionnées par l’évolution biologique de notre espèce. Paradoxalement, ces processus peuvent également être détournés par des technologies marchandes, qui contribuent à déséquilibrer l’homéostasie cérébrale, voire à mettre à mal la propre sauvegarde du sujet.

Ce système addictogène commercial est technologiquement avancé, mais socialement très régressif : il favorise la prédation des esprits par des intérêts financiers toujours plus agressifs et monopolistiques. Plutôt que de prendre soin de nos puissances désirantes, cette écologie mentale siphonne nos ressources psychiques et nos capacités attentionnelles, au risque de les épuiser. Plutôt que d’étayer le déploiement des capacités d’autonomie et de subjectivation, il s’agit de favoriser toujours davantage les comportements obsessionnels irrépressibles et les décharges pulsionnelles. Le développement technologique actuel produit finalement un réseau de dépendances tant énergétiques que psychiques. Dès lors, on ne peut pas les traiter comme de simples moyens qu’il suffirait de réorienter : nous sommes donc contraints d’affronter les liens de dépendance qui nous attachent à elles, toujours plus précocement.

Quelles sont les conséquences d’un tel modèle pour le développement des enfants et le bien-être des adolescents ?

A l’heure où on médicalise à outrance le TDAH, quels sont les impacts sur leur attention ?

Au-delà du principe de précaution, les données probantes sont désormais pléthores… Voici quelques exemples parmi tant d’autres :

Une revue récente de la littérature[1] incluant 11 études dont certaines en imagerie et en électro-physiologie montre qu’une exposition prolongée aux écrans des enfants de moins de 12 ans, au-delà des recommandations actuelles (0 avant 2 ans, moins de 1 heure avant 5 ans, moins de 2 heures ensuite) est associée à de moindres capacités attentionnelles.

Une étude longitudinale[2] ayant étudié l’usage du smartphone de 2587 adolescents de 15 et 16 ans suivis pendant 2 ans, a mis en évidence une association des symptômes d’inattention et d’hyperactivité/impulsivité en fin de suivi chez ceux qui rapportaient une fréquence élevée de consultation et un usage actif des réseaux sociaux (plusieurs fois par jour) ou encore le visionnage de vidéos, en tenant compte des facteurs confondants habituels (sommeil, niveau socio-économique etc.)

Il semble désormais démontré que le « mediamultitasking » est un facteur important de perturbations des processus attentionnels et de la mémorisation[3].

Par ailleurs, une méta-analyse récente[4] a retenu une association significative entre usage des écrans et TDAH dans la population des 0-18 ans - cette association étant probablement bidirectionnelle, c’est-à-dire que les sujets présentant un TDAH ont aussi tendance à avoir davantage recours aux écrans.

Au fond, on pourrait s’autoriser à penser que les interfaces numériques contribuent à saper les dynamiques identificatoires et à démanteler l’attention, pour mieux capturer les utilisateurs juvéniles en réorientant leurs ressources attentionnelles vers des configurations identitaires exploitables et marchandisables....A suivre

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