En 2008, Nathalie Léger avait fait de la Castiglione le pré-texte d’un roman magnifique et dense, L’Exposition (POL), une énigme de la féminité, une figure de l’identité diffractée, d’une interrogation sur l’image et le temps. La Castiglione toujours, exposée, cette fois, à la Galerie Baudoin Lebon, jusqu’au samedi 23 janvier 2010. Les portraits sont aussi rassemblés dans un superbe catalogue d’exposition aux éditions de La Différence.
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Dans les pages liminaires de ce catalogue, nous retrouvons la comtesse telle qu’en elle-même, sa vie si romanesque, déjà appel à l’imaginaire. Née en mars 1837 à Florence, elle se marie en 1854 et s’installe à Paris en 1855… rue de Castiglione. Elle fut la maîtresse de Victor-Emmanuel II de Savoie puis de Napoléon III, l’amie de Thiers, elle joua un rôle diplomatique important, parfois malaisé. Surtout, elle commença à poser dès 1855 pour Pierre-Louis Pierson. Le livre reproduit ces photographies, sur des décennies, en noir et blanc, parfois coloriées à la main par l’atelier, jusqu’en 1895, quatre ans avant sa mort. 82 photographies de 1893 (elle a 56 ans) et 1895. La Castiglione est malade, elle a perdu ses dents et ses cheveux, elle pose toujours, joue de sa déchéance comme d’un envers de sa beauté antérieure.
Jeux de miroir, pose, théâtralité, robes extravagantes et rôles (la Dame de cœur, la reine d’Etrurie, Rachel), la comtesse se met en scène, se démultiplie.
La photographie est son langage, celui du deuil quand elle perd tragiquement son fils, celui du scandale en réponse aux accusations d’immoralité de son temps (Vengeance). Un geste, une performance. Le catalogue rend l’essence paradoxale de cette femme, son narcissisme, son auto-fétichisme (elle fait photographier son corps fragmenté : jambes, épaules, pieds), sa folie fascinante et abyssale. Lors des enchères de sa succession, en 1901, Montesquiou acheta 434 photos et des objets lui ayant appartenu. Un mythe est né, qui interroge aujourd’hui encore.
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L’introduction du catalogue remet en contexte cette pratique étonnante de la photographie, dans son siècle, et montre combien cette collaboration de la Castiglione avec Pierre-Louis Pierson doit être comprise comme une amorce de la pratique moderne et post-moderne de la représentation du moi, démultiplié. Combien la comtesse annonce les œuvres de Claude Cahun ou de Cindy Sherman, leurs interrogations sur la féminité comme identité, essence et représentation sociale.
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Cindy Sherman, justement. Dans un essai publié aux éditions de la Différence, toujours, Marianne Nahon – qui participe aussi au catalogue – questionne L’Eternel retour de la Castiglione et renverse la perspective : et si la comtesse était la plagiaire, à rebours, de Cindy Sherman et même d’Andy Warhol, dans ses sérigraphies de Marilyn ?
« Aujourd’hui, au cimetière du Père-Lachaise, personne ne se recueille sur la tombe de la Castiglione.
MAIS,
On écrit sur sa vie.
On écrit sur son œuvre.
On l’expose.
On la plagie » (Marianne Nahon)
CM
L’exposition La Comtesse de Castiglione, en association avec la Galerie Beaubourg, est ouverte du vendredi 11 décembre 2009 au samedi 23 janvier 2010, du mardi au samedi, de 11 heures à 19 heures. Galerie Baudoin Lebon - 38 Rue Ste Croix De La Bretonnerie - 75004 ParisLa Comtesse de Castiglione, catalogue de l’exposition. Introduction de Marta Weiss, avec un texte d’André Maurois. Biographie et commentaires de Marianne Nahon, La Différence, 190 p., 30 €.
Marianne Nahon, L’Eternel retour de la Castiglione, La Différence, 76 p., 15 €.