« Je raconterai l’histoire de ce portrait, jusqu’à ce qu’il devienne un objet de convoitise »
Faire de sa vie un alias, un avatar, de sa maison un laboratoire, du moindre de ses gestes une œuvre d’art, tel est le propos de la jeune femme qui hante ce court récit de son imaginaire, de son « délire ». Prise pour une autre, Anna, à une terrasse de café, elle se coule dans le rôle que lui prête William Stein, un jeune photographe. Elle sera Anna, deviendra une créature, au sens artistique du terme, une œuvre par intention, la création au quotidien d’un fantasme de femme, de muse.
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La jeune femme au centre de ce livre si singulier invente des vertiges du sens, comble les blancs et les vides, aime à disparaître pour, paradoxalement, marquer le monde de son empreinte :
« Je passe inaperçue, mais je dépose des traces de ma présence. Je vis pour ne me souvenir que des moments d’absence ».
Son geste ? déplacer les lignes, les cadres, s’immiscer, jouer des « comme si », d’une vie qui s’invente à chaque pas. Mi Nadja de Breton (« je suis quelqu’un au hasard ») mi Cindy Sherman, en exposition, elle fait de son identité une fiction. Une entreprise. Laisse « la porte ouverte à tous les possibles imaginables », joue de pluriel et de conditionnel, au risque de se perdre, ou de se brûler les ailes, dans une mise en danger constante, fascinante. Son identité est dans l’altérité. Elle introduit le possible dans le quotidien.
Avec William, rencontré par hasard à une terrasse de café, elle joue le bonheur, les premiers pas d’une histoire d’amour, elle entre dans la peau d’un personnage, Anna, la femme qu’il attendait. Imagine quelles robes la jeune femme aurait portées, quels mots elle aurait prononcés. Mais elle interroge aussi le photographe, questionne son rapport à l’inspiration, aux galeries, à l’art, au public, au marché. Met en abyme et creuse.
Chacun de ses « délires », de ces « vertiges » est chargé de sens, joue de présences / absences, fait des vides des attentes, qu’il s’agisse d’ajouter des points aux sérigraphies de Warhol dans une grande galerie new-yorkaise, de poser, enfant, sur d’autres photos de classe que la sienne, de se demander sur quels photos de touristes elle peut bien apparaître – arrière-plan d’autant plus signifiant qu’il est lié au hasard –, qu’elle s’invente un père, des souvenirs avec lui, qu’elle crée Alice Kahn, artiste sans œuvre, qu’elle ajoute un tableau au Musée de la Vie Romantique ou un portrait de sa grand-mère au Louvre, toujours il s’agit de « s’introduire dans la vie par quelques trous qu’elle laisse sans surveillance ».
Pauline Klein ouvre une « parenthèse », celle d’un mois d’août à Paris qui est le cadre de cette histoire, définie comme un « hors d’œuvre ». Il faut aller à la rencontre de cette « Anna », convulsive, « métaphore à talons », fascinante et envoûtante. Et découvrir l’œuvre singulière de Pauline Klein, un premier roman qui, lui aussi, laisse la porte ouverte à tous les possibles imaginables.
Pauline Klein, Alice Kahn, Allia, 128 p., 6 € 10