Le 7 juin, dans son blog Médiapart Edgar Morin titre "les somnambules se rendorment" un article percutant ! Ces somnambules sont nos actuels dirigeants "éloignés du peuple, le peuple s’est éloigné d’eux [...] Le mal du XXe s’est annoncé en 1914. Le mal du XXIe siècle s’annonce dans l’accumulation des nuages noirs, les déferlements de forces obscures, l’aveuglement au jour le jour". Allusion directe aux résultats catastrophiques des dernières élections européennes et municipales, ces dernières battant leur triste record d’abstentions... On peut se demander quand cette dégringolade prendra fin et si l'Histoire devait être enseignante, on pourrait se rappeler ce que Gramsci écrivait en 1936 : "Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres". Pourtant, conclut E. Morin : "dans ce pays il y a des forces génératrices se manifestant en associations, initiatives de toutes sortes dans les villes et les campagnes. Mais elles sont dispersées. Bien que le salut dépende de la convergence de leurs actions, elles n’arrivent pas à faire confluer chacune de leurs voies en une Voie commune et ainsi elles restent sans Voix." Quelle serait cette Voie commune, avec un grand V ? Il n'en dit pas plus sinon que le salut passe nécessairement par là ! Il y a là du prophétisme, mais gardons cependant cette hypothèse en supposant que nous, citoyens et citoyennes conscients, serions en mesure de creuser et construire une Voie commune rassemblant nécessairement au moins trois sphères, celles de l'utopie, de la connaissance, et du politique. Un premier obstacle apparaîtra alors rapidement, celui des injonctions et des déclarations d'intentions caractérisées par une abondance de "il faut...on doit...", ce qui, admettons-le, n'est pas une entrée propice à la discussion... À titre d'exemple, parmi les nombreux débats sur la recherche des causes de la poussée électorale du Front National, il en est un, toujours sur Médiapart, qui a retenu mon attention : d'imminentes personnalités, Cynthia Fleury, Jean-Pierre Mignard et Benjamin Stora, publient le 28 mai : L’appel à une République nouvelle pour donner au peuple « les moyens d’une expression démocratique, fondée sur des valeurs sociales, humanistes et écologiques. La réponse économique ne suffira pas », autant dire envisager une VIe République... Pourquoi pas, mais outre des réserves sur le contenu fort prudent de cette adresse au Président de la République, le citoyen (c'est ainsi qu'il se désigne) Bertrand Rouzies met en évidence, toujours dans Médiapart, une contradiction dans cet Appel : "vous signez votre appel de vos noms, accompagnés de vos titres professionnels, ceux qui vous constituent médiatiquement, aux yeux de certain(e)s, en poissons-pilotes obligés d’un socialisme de plus en plus déboussolé. Vous qui appelez de vos vœux, dès l’entame, une République nouvelle, pourquoi n’abandonnez-vous pas ces titres-là pour la simple qualité de citoyen/de citoyenne, comme c’était l’usage durant la Révolution et sous la Première République ? C’est par la citoyenneté que nous faisons peuple et non par le métier ou par le rang" (Appel d'un citoyen, 8 juin 2014). C'est, me semble-t-il, un point-de-vue intéressant soulignant la coupure que l'on peut ressentir avec les grands élus nationaux, les experts de tous bords ; comment arriver à ce que ceux-ci retrouvent une place "normale" dans le peuple et se mettent de temps en temps en posture d'écoute ? La construction de la Voie commune, si celle-ci est envisageable, passera certainement par un retour à la qualité de simple citoyen prêt à prendre pelle et pioche !
Mais revenons un instant à ce que Edgar Morin souligne avec beaucoup d'autres : les initiatives de toutes sortes sont multitudes. Comme la coutume le veut, l'été va être riche de nombreuses universités et séminaires avec pour certains l'incontournable défilé de ministres, d'élus, d'experts... pour expliquer les raisons de la politique économique et sociale actuelle, et surtout pour parler tactique: comment s'emparer de la direction du parti, avec qui s'allier, et trouver aussi la phrase qui accrochera l'attention des médias. Ce n'est pas là en tout cas que la nouvelle Voie pourra commencer à s'esquisser... Mais au contraire, dans d'autres lieux peut-être plus modestes, et en tout cas moins médiatisés, des "forces génératrices" vont s'exprimer et imaginer des alternatives à partir de leurs pratiques. Ainsi le premier weekend de juillet, au moins trois rassemblements avaient attiré mon attention (peu importe celui où je vais me rendre) : Notre-Dames-des-Landes dans la région nantaise, les Dialogues en Humanité à Lyon et la Ve Rencontre avec Médiapart organisée par l'association des amis de Médiapart à Marseille. Chacun des ces rassemblements tient à sa démarche car les objectifs peuvent être différents, et il semble impossible d'imaginer un regroupement fédérateur, genre Larzac dans les années 1970 et en 2003. Toutefois je suis certain que des idées communes, des projets communs, vont émerger, la question serait alors de comment faire converger ces voix vers une co-construction de la "Voie commune"... le web n'est il pas un bon outil pour cela ?
Pour terminer sur une note optimiste : Pierre Dardot et Christian Laval viennent de publier "Commun. Essai sur la révolution du XXIe siècle" (La Découverte, 2014), la presse en parle beaucoup. C'est une œuvre ambitieuse avec l'idée centrale de faire des Communs une alternative politique... Malgré quelques aspects obscurs à mes yeux, c'est me semble-t-il une bonne problématique pour un début de débat commun. Je pense également qu'ils sont relativement proches d'Edgar Morin avec au moins un point commun : la complexité humaine. Leur rencontre, grâce peut-être à Médiapart ?, pourrait être fructueuse.